COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mercredi 18 mai 2011
Présidence de M. Pierre Lequiller,
Président de la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale
et de M. Jean Bizet,
Président de la Commission des affaires européennes du Sénat
La séance est ouverte à 16 h 30
Je suis heureux d'ouvrir cette réunion qui va permettre, pour la cinquième fois, un dialogue entre parlementaires européens et membres des commissions des affaires européennes de l'Assemblée nationale et du Sénat. Rien n'est simple à organiser au sein du Parlement français, où tout se passe en même temps et où l'ordre du jour est souvent bousculé. Nos collègues de l'Assemblée nationale m'ont ainsi informé qu'en raison d'un vote solennel, ils arriveraient à notre réunion avec un peu de retard et sans doute en ordre dispersé. Ce sera le cas en particulier pour les deux députés – Hervé Gaymard et Annick Girardin – qui devaient introduire le débat sur la politique commerciale commune. A leur demande, le thème de la gouvernance économique, qui devait être le deuxième thème de notre ordre du jour, a été remonté d'un cran, ce qui d'ailleurs correspond bien à son importance.
Nous allons donc commencer par l'état des discussions sur le « paquet gouvernance ». Ce « paquet », je le rappelle, comprend six textes : quatre textes portent sur les aspects budgétaires, avec un renforcement du pacte de stabilité et de croissance, comprenant une plus forte coordination des politiques budgétaires, une surveillance plus étroite et un nouveau régime de sanctions ; deux textes concernent l'élargissement de la surveillance macroéconomique avec, désormais, la possibilité de sanctions. Sur l'ensemble de ces textes, le Conseil est parvenu à un accord politique, mais maintenant c'est au Parlement européen de les examiner. Comme il est de règle depuis le traité de Lisbonne, la procédure de codécision s'applique, c'est-à-dire que rien ne peut se faire sans l'accord du Parlement européen. Il est donc capital pour nous de comprendre quelles sont les préoccupations du Parlement européen, comment se présentent les débats et quelles sont les échéances.
Je remercie Sylvie Goulard, rapporteure d'un des six textes, d'avoir accepté de faire cette présentation et d'introduire le débat. Je donnerai ensuite la parole à Jean-Paul Gauzès qui souhaite apporter également son éclairage sur les travaux du Parlement européen dans ce domaine. Ensuite, chacun pourra s'exprimer et poser des questions à Sylvie Goulard et Jean-Paul Gauzès.
I – Le paquet « Gouvernance économique »
Je suis ravie de vous exposer où nous en sommes. Il y a eu un accord au Conseil sur les textes proposés à la Commission ainsi qu'un vote de la commission économique et monétaire du Parlement, le 19 avril. Nous sommes maintenant entrés dans la phase de « trilogue » où nous discutons avec la présidence hongroise – qui représente les positions du Conseil - la Commission et l'ensemble des rapporteurs. Ce paquet « gouvernance économique » est complexe. Je commencerai par les trois points qui, à l'issue du trilogue d'hier, restent encore en discussion et sur lesquels il n'y a pas encore d'accord.
D'abord, le souci de renforcer la discipline après la crise. La première question est de savoir jusqu'où étendre le champ d'une nouvelle procédure proposée par la Commission, à savoir la majorité qualifiée inversée. La Commission l'avait proposée comme mesure d'exécution lorsqu'une sanction était nécessaire. Le Parlement a proposé d'étendre la pratique de cette majorité qualifiée inversée qui permet de s'opposer à des marchandages au sein du Conseil où l'intérêt de l'Europe n'est pas toujours prioritaire. C'est un sujet sensible à Paris, mais aussi dans des pays qui ont mal vécu la manière dont, au début des années 2000, la France et l'Allemagne avaient tenté d'empêcher la mise en oeuvre de sanctions. Pour l'instant les positions sont tranchées, nous allons tenter de les rapprocher.
Deuxième point : une procédure nouvelle, bienvenue au vu de ce qui s'est passé en Irlande ou en Espagne, bons élèves au regard des règles budgétaires mais qui se sont retrouvés en difficulté en raison d'un endettement privé excessif ou d'une bulle immobilière. Il s'agit de faire un peu de macroéconomie ensemble et de contrôler les déséquilibres macroéconomiques qui peuvent affecter certains pays, avant qu'ils n'entraînent des problèmes pour l'ensemble de la zone. Le Parlement et le Conseil ont salué cette initiative de la Commission. Un point nous sépare : on crée une nouvelle procédure de contrôle des États, procédure qui peut aller jusqu'à les sanctionner s'ils refusent d'entreprendre de remédier à leurs déséquilibres. C'est une tentative pour tenter de mieux faire converger les économies de pays qui partagent une monnaie commune. On crée donc des indicateurs qui servent à détecter les déséquilibres. Lorsque ces indicateurs passent au rouge, la Commission les analyse et, sur cette base, le Conseil a le pouvoir de déclencher des sanctions – même si l'aspect préventif est préféré.
La difficulté vient de ce que, dans le texte de la Commission, cette dernière a tout pouvoir de définir les indicateurs, alors que le traité de Lisbonne a créé des « actes délégués » qui autorise cette Commission à exercer son pouvoir technique de définition de critères, mais avec une possibilité d'objection du Conseil et du Parlement. Les pays du Nord ou l'Allemagne craignent qu'on ne classe parmi les déséquilibres macroéconomiques leurs excédents d'exportation ou de balance des paiements. Or, personne ne veut les empêcher d'être compétitifs et le Parlement ne veut pas les sanctionner. Il s'agit seulement, d'un point de vue macroéconomique, d'examiner toutes les évolutions.
Plus largement, la question se pose : quels sont les bons indicateurs ? Les faut-il très resserrés ou bien faut-il y ajouter, comme le demandent les collègues de gauche, le creusement des inégalités ou la hausse du chômage ? Ce sont là des choix politiques. Mais la question la plus sensible, c'est le droit de regard sur le choix de ces indicateurs.
Au Parlement, nous souhaitons que les niveaux nationaux et européen se parlent davantage, qu'il y ait des débats transfrontières sur des sujets communs. Il faudrait, lorsque la Commission détectera un problème de déficit, de dette publique ou de déséquilibre macroéconomique, que la commission économique et monétaire du Parlement puisse en débattre. L'idée est de donner aux États la chance d'expliquer leur situation. Malheureusement, le Conseil freine ce mélange des niveaux national et européen. C'est pourquoi j'apprécie cette occasion d'échanger aujourd'hui avec vous, comme j'ai apprécié que la commission des finances du Sénat vienne à Bruxelles. Pourquoi s'opposer à une discussion où, dans une enceinte technique de la Commission, chacun pourrait faire valoir sa position et, même, contester la Commission, et où l'on entendrait les collègues de pays un peu périphériques qu'on connaît moins bien, comme les collègues portugais, par exemple, qui nous expliquent qu'ils ont souffert du déplacement des crédits vers l'Europe centrale et orientale ? M. Papandreou était ainsi venu nous expliquer la position de la Grèce. C'est préférable à des débats nationaux cloisonnés où chacun ne parle qu'aux siens. En outre, grâce à la traduction, c'est un des rares endroits où on peut se parler. Tout serait public et ne donnerait lieu à aucune décision ; ce serait un simple lieu de discussion.
La collègue britannique du parti conservateur chargée du rapport sur le cadrage des budgets nationaux est devenue le chantre de la stabilité de la zone euro et la porte-parole de l'argumentation de la BCE : on renforce les exigences de rigueur dans la présentation des comptes. Pour des raisons constitutionnelles, ces questions sont extrêmement sensibles en France. J'appelle votre attention sur le fait que l'Union européenne est désormais hétérogène et qu'il faut veiller à ce que, pour la stabilité comme pour l'élargissement de la zone euro, cette rigueur s'applique aussi dans les autres pays. Dans le rapport sur les aspects préventifs du pacte de stabilité, pour encourager la cohérence des actions nationales et européennes ainsi que la cohérence entre les stratégies – non contraignantes – de croissance, d'innovation, et les règles contraignantes du pacte de stabilité, le Parlement a souhaité que se trouve dans le paquet législatif une première codification de ce que pourrait être le semestre européen. Il nous faut cesser de considérer que les politiques actives en faveur de la croissance et de l'emploi sont secondaires par rapport à la discipline budgétaire, laquelle ne suffit pas au développement harmonieux de nos sociétés. Le Parlement est le lieu où s'exprime le souci des populations de ne pas être soumises à des cures d'austérité qui les mettent à genoux. On n'a pas fait l'Europe pour ça ; le préambule du traité de Rome affirmait que l'objectif était de favoriser le bien-être des Européens.
Le Président Jean Bizet. Au sujet du renforcement du dialogue entre les États membres, je salue l'idée, avancée par le président de l'Assemblée nationale, de créer une « conférence budgétaire », où se retrouveraient les présidents de commission des finances des parlements nationaux et des commissions compétentes du Parlement européen. Ce serait un lieu privilégié d'échanges, notamment pour favoriser la prévention plutôt que la sanction et privilégier les mesures de coordination des politiques. Cette idée a reçu un large soutien lors de la Conférence des présidents de Parlement, en avril dernier à Bruxelles.
Le Parlement européen, contrairement à ce qui s'était passé avec le dossier financier, n'a pas été unanime sur les rapports concernant le « paquet gouvernance ». Il y a eu une fracture, et même un débat sur la nécessité d'engager une négociation via le trilogue. Pourquoi ces désaccords ? Le principal portait sur les investissements productifs dont nos collègues socialistes souhaitent qu'ils soient neutralisés dans le calcul de l'endettement. Or, pour le PPE, le pourcentage de 3 % est un maximum. Nos collègues socialistes ont tenté de faire reporter le vote ou de faire passer le débat en plénière. Une majorité s'y est opposée. Le Parlement est divisé. Un seul rapport a été adopté, celui de la collègue socialiste que, nous, nous n'avons pas bloqué…
La marge de négociation avec le Conseil est étroite, les équilibres trouvés sont fragiles et le Parlement européen n'arrivera pas à faire beaucoup bouger les lignes.
Le travail législatif en cours n'est pas inspiré par un souffle européen. Le seul règlement applicable – celui sur les agences de notation - n'est pas appliqué. Les trois principales agences de notation ont déposé leurs dossiers : ils n'ont pas été examinés et les agences continuent à fonctionner comme avant. J'ai saisi le président de l'European Securities and Markets Authority (ESMA) à ce sujet. Les transpositions tardent : la France a transposé le texte sur la régulation des rémunérations bancaires, mais douze pays ne l'ont pas encore fait. Hier, le Conseil s'est mis d'accord sur un texte relatif aux ventes à découvert, mais il est bien en deçà de ce que souhaitait le Parlement européen. Bien entendu, les problèmes de l'euro et de la Grèce ne favorisent pas l'émergence du zèle européen qui permettrait de faire face à la crise et aux changements d'habitudes requis par le semestre européen. Nous ne parviendrons pas à progresser à coups de sanctions. C'est une prise de conscience qui est nécessaire. Mais le souffle européen fait défaut…
Le Président Jean Bizet. Au Sénat, nous partageons tout à fait cet esprit de partenariat avec le Parlement, la Commission et le Conseil, parce que nous avons conscience de l'impossibilité de réagir individuellement. Et il y a trois semaines, en rencontrant ces institutions à Bruxelles, nous avons été surpris de voir que les choses n'avançaient pas aussi vite que nous le souhaitions au niveau national.
Je reviens sur le pourcentage de 3 % du traité. Je me souviens d'un débat, ici, avec Michel Charasse, sur les critères de Maastricht dont il avait été un des négociateurs, où il nous disait que le pourcentage retenu avait été de 3 % mais qu'il aurait pu tout aussi bien être de 4 ou 5 %. Il y a un aspect arbitraire dans cette limite. Vous connaissez aussi la thèse de Jean-Paul Fitoussi selon laquelle les frais de recherche et d'enseignement supérieur ne sont pas des frais de fonctionnement mais des investissements. L'existence de tant de dépassements montre que ce pourcentage est amené à être discuté. Au sein du PPE, sont-ce les Allemands seuls qui tiennent à ce seuil de 3 %, ou bien est-ce le PPE tout entier ?
Le PPE veut qu'on ne dépasse pas les 3 %. Nous pensons que l'investissement ne doit pas être financé par l'endettement. Les collectivités locales sont endettées mais leurs budgets sont équilibrés ! On nous objecte qu'on pourrait perpétuer une dette ancienne dès lors que les intérêts ne sont pas élevés… Cela revient à donner le fardeau aux générations suivantes. Dans les années 20032004, la France et l'Allemagne ont été d'accord pour assouplir le pacte de stabilité et de croissance : cela n'a pas résolu les difficultés. Le PPE est donc partisan d'une rigueur intelligente.
Le traité a pour objectif l'équilibre, et le pourcentage de 3 % n'a pas été choisi au hasard. Au Parlement, la majorité comprend aussi le plus souvent le Groupe libéral et démocrate. Pour la gauche, le vrai problème, ce sont les deux textes relatifs au pacte de stabilité et de croissance. Le Conseil souhaiterait un accord rapide sur le « paquet gouvernance ». Mais, en l'absence de concessions, il n'y aura pas d'accord en juin en première lecture. Nous partirons alors pour une deuxième lecture, ce qui nous repousse encore à six mois.
La codécision existait avant Lisbonne, mais la négociation avec le Conseil est maintenant devenue difficile. La présidence belge a été remarquable, elle avait une ligne claire et négociait avec le Conseil et le Parlement pour amener tout le monde sur une même ligne. J'ai l'impression que les présidences hongroise, polonaise ou danoise auront moins de succès. Le Parlement européen ne peut se permettre de laisser traîner ce dossier trop longtemps. Lui-même n'est pas très lisible : lorsqu'il a voulu augmenter le budget, les gouvernements nationaux n'ont pas compris. Il faut aussi tenir compte des marchés financiers qui, allergiques à tout flottement, veulent la sécurité à tout prix. Tant que nous ne sommes pas d'accord, nous laissons le pouvoir à ces marchés.
Le Président Jean Bizet. Je salue l'arrivée de Pierre Lequiller et de nos collègues députés.
Je crois également qu'il serait bon que le Parlement européen prenne rapidement position.
La démocratie requiert du temps et les règles démocratiquement débattues sont mieux appliquées. Les rapporteurs n'ont pas traîné. Mais je n'associerai pas mon nom à un mauvais « paquet » qui donnerait l'illusion que l'on se donne les moyens de faire face à la crise. La pression qu'exerce le Conseil sur notre assemblée d'élus pour que ce soit fini en juin n'est pas non plus acceptable. Il ne s'agit pas pour nous de faire sentir notre pouvoir, mais, si le contenu n'est pas satisfaisant, nous ne donnerons pas notre accord en première lecture !
La question de la prise en compte des investissements mérite d'être considérée. L'investissement, c'est l'innovation, c'est la croissance, c'est l'avenir. Bien sûr, une approche prudente de la mesure des déficits est raisonnable ; tout le monde veut réduire le déficit, mais tout le monde, je l'espère, est également d'accord pour retrouver un certain taux de croissance - au-delà de 2 ou 2,5 % - afin d'éviter un chômage qui ruine la démocratie. C'est là une approche social-démocrate ou même simplement keynésienne…. Le débat porte sur la marge étroite d'endettement acceptable pour garantir la relance. C'est un problème de rythme. Les 3 % sont-ils gravés en chiffres d'or dans le marbre ?
Un débat intéressant s'annonce sur les mécanismes de sanction prévus dans différentes directives : ces mécanismes seraient préventifs ou correctifs, voire davantage en cas de non-respect de certains équilibres. Pour la France, les sanctions pourraient s'élever, dit-on, à 20 ou 25 milliards d'euros ! Il faut tout de même réfléchir à ce à quoi on s'engage. !
La majorité qualifiée inversée me pose problème. En réalité, les pays nordiques voudraient imposer leur morale luthérienne. C'est l'Allemagne qui déciderait, du fait de son poids dans la majorité qualifiée !
Merci à nos collègues du Parlement européen de venir nous communiquer leur vécu et, notamment, nous faire part des problèmes de la gouvernance européenne. Le danger est peut-être qu'il n'y a de contact entre le Conseil et le Parlement qu'une fois l'accord obtenu au sein du Conseil. Celui-ci peut alors dire aux parlementaires : nous avons eu beaucoup de mal pour parvenir à cet accord ; ne venez pas tout casser ! Il serait bon d'avoir ce contact préalablement et que le Conseil tente de tenir compte des desiderata du Parlement ; cela faciliterait le trilogue. Sinon, il y aura toujours cette même pression du Conseil sur les parlementaires.
L'Europe est maintenant à la croisée des chemins. Ou bien les États optent pour le populisme et n'acceptent pas de déléguer la moindre souveraineté supplémentaire : dans ce cas, l'Europe sera incapable de rien faire. Ou bien on construit l'Europe politique. Mais les exécutifs de certains États ont pris de tels pouvoirs qu'ils ont du mal à en déléguer la moindre parcelle. Et l'intérêt national de court terme domine le dialogue entre les grands États. Il faut poser ce problème auprès de nos dirigeants.
Sur la Grèce, il ne s'est pas passé grand-chose lundi, sinon le constat d'un désaccord sur la façon de sortir de ce deuxième mauvais pas. Le Parlement en a-t-il discuté ? Quelle issue envisagez-vous ?
Si les États n'acceptent pas la majorité inversée, c'est à mon avis qu'ils n'ont pas compris l'esprit du traité de Lisbonne. Pouvez-vous encore convaincre les opposants ?
Contrairement à M. Yung, je considère que le critère de 3 % est une limite intangible, un maximum, et que les investissements d'avenir doivent être financés par un endettement compris entre zéro et 3 % ; à l'intérieur de cette marge, il faut arbitrer entre fonctionnement et investissement et entre les différents investissements eux-mêmes. Il faut savoir faire des choix : c'est la responsabilité des élus.
Sur le trilogue, vous avez raison. J'ai été rapporteur sur les services de paiement : nous sommes tombés d'accord avant le Conseil ; dans un tel cas de figure, les positions du Parlement sont beaucoup plus fortes et le Conseil les a en effet largement reprises. Nous avons donc tout intérêt à ne pas attendre que tout soit terminé au Conseil.
Sur la Grèce, l'ennui, c'est que les États estiment qu'il s'agit de prêts bilatéraux et que, donc, le Parlement n'a pas à s'en occuper. Personnellement, je pense qu'on se dirige vers une issue inéluctable : la restructuration de la dette grecque. On appelle cela « reprofilage » des prêts publics mais les prêts privés seraient également reprofilés. Ce ne serait pas nécessairement mauvais.
Le Président Jean Bizet. Nous sommes au Sénat : nous pouvons donc tout dire ! Le mot « reprofilage » ne nous choque pas.
Avec ce paquet, nous parlons de règles qui ne s'appliqueront qu'à moyen terme, une fois que l'on sera sorti de la crise actuelle. Ces règles entreront en vigueur au mieux au début de l'année prochaine, de façon progressive, et elles ne s'appliqueront pas à un certain nombre d'États membres.
Les pays qui ont mis de l'ordre dans leurs finances publiques sont aujourd'hui dans une bonne situation économique. La Suède et la Finlande ont traversé des crises financières très violentes et elles en sont sorties sans mettre à mal leur système éducatif et en investissant dans des technologies d'avenir. Au Parlement européen, le fait que certains pays aillent très bien pèse sur les discussions. Les pays lourdement endettés n'ont pas grand-chose à dire car ce sont souvent ceux dont les performances ne sont pas les plus probantes.
Le Conseil a accepté un rythme de réduction de la dette d'un vingtième par an jusqu'au seuil de 60 %. Le Parlement européen a prévu un système de lissage pour les sanctions, ce que le Conseil n'avait pas envisagé. Il ne faut en effet pas que les sanctions soient trop élevées. Nous avons créé des sanctions pour fraude qui n'étaient prévues ni par la Commission, ni par le Conseil, et qui seront sans doute acceptées : il était en effet surprenant de sanctionner des États pour des comportements peu appropriés mais non frauduleux, et de ne rien prévoir pour un pays qui aurait falsifié ses comptes publics.
Le Parlement européen a prévu des indicateurs pour tenir compte du chômage. En 1992, nous nous sommes engagés : l'Allemagne a cédé le deutschemark en contrepartie d'engagements qui sont écrits noir sur blanc dans les traités. Nous étions tous censés les respecter. Nous bénéficions des avantages de la monnaie unique mais nous devons aussi en accepter les contraintes. Vous estimez que l'Allemagne décide de tout. Pourtant, nous allons avoir un président de la BCE italien.
Même s'il y avait déjà des négociations de codécision depuis des années, un pas important a été franchi fin 2009. L'année dernière, sur le paquet « supervision », grâce sans doute à la qualité de la présidence belge, nous avons obtenu que le président de la BCE soit le président du comité du risque systémique, contre l'avis du Conseil européen.
Je me suis beaucoup battue pour que les rapporteurs et les coordinateurs puissent rencontrer M. Van Rompuy qui doit apprendre à mieux dialoguer : tout le monde y gagnerait.
Ce sont les États membres qui ont signé le traité de Lisbonne et ce sont les gouvernements en place qui ont souhaité passer à la codécision, notamment pour la politique agricole commune.
En ce qui concerne la Grèce, il est tragique que la gouvernance économique n'ait rien prévu sur la gestion des crises, alors que la communication sur la gouvernance économique du 12 mai 2010 de la Commission et que le papier de la BCE sur le même sujet du 10 juin 2010 comportaient un volet communautaire de gestion des crises. Dans l'intérêt national bien compris, il est dangereux d'avoir des systèmes verrouillés par la règle de l'unanimité. L'arrivée au pouvoir d'un parti extrémiste en Finlande a failli avoir des conséquences désastreuses sur l'ensemble du paquet. On croit que le veto protège, mais il peut se retourner contre les intérêts nationaux.
Au Bundestag, vos collègues nous ont demandé de nous battre pour qu'il y ait un contrôle des parlements nationaux et du Parlement européen sur le mécanisme de stabilité. Si l'on reste dans l'intergouvernemental sur des questions aussi centrales, les conséquences seront tragiques. Merci pour ce que vous avez dit sur la majorité inversée, car il faut mettre la zone euro à l'abri de marchandages qui n'ont parfois rien à voir avec le sujet. Il est toujours difficile d'être certain que les décisions sont prises en toute rigueur.
Le Président Jean Bizet. M. Yung s'est montré indisposé par le concept de majorité inversée et il a estimé que la France ne pourrait pas supporter le volet coercitif, mais les sanctions sont graduelles. Cette mise sous surveillance a sa contrepartie : la solidarité financière des dix-sept. On ne peut imaginer cette solidarité sans son corollaire, la vertu financière, à propos de laquelle nous nous sommes montrés jusqu'à présent un peu laxistes.
Si le candidat qui était pressenti pour présider la BCE n'a pas été retenu, c'est parce qu'il avait fait des déclarations extrêmement négatives sur la politique menée par la BCE lorsqu'elle est intervenue de manière dérogatoire pour sauver la zone euro. Des conceptions trop idéologiques peuvent être dangereuses. Je me félicite que cette réalité soit apparue à de nombreux états, dont la France. Cela ne veut pas dire que le candidat retenu n'aura pas à coeur de remplir les objectifs de la BCE.
Lors du semestre européen, la France a plutôt essayé d'assouplir un certain nombre de règles alors que l'Allemagne souhaitait imposer un cadre très rigide. Il en a été de même en ce qui concerne le pacte de stabilité.
Sur l'inversion de la majorité qualifiée, notre pays a voulu instaurer une certaine souplesse. L'ajustement financier et budgétaire est impératif, mais à quel rythme, et comment ? Si on applique une rigueur généralisée à l'ensemble des pays européens, il n'y aura plus de croissance et les objectifs ne seront pas atteints. Il faut donc trouver un équilibre entre l'indispensable rigueur et le soutien à la croissance. La position allemande est trop rigide : elle est sans doute liée à la politique qu'elle a menée mais si tous les pays européens avaient fait le même choix, ils n'auraient pas consommé les produits allemands. Le problème des déficits, c'est aussi celui des excédents !
La Commission veut rigidifier les processus mais je voudrais que le Parlement européen se montre plus souple afin de soutenir la croissance. La France a présenté un programme de stabilité à la Commission : M. Marini, rapporteur général du Sénat, s'est montré extrêmement critique à son égard puisqu'il a dit que les objectifs ne seraient pas atteints. Cela prouve que les ajustements seront très difficiles à opérer, même dans un pays comme le nôtre.
L'état d'esprit dominant, c'est la rigueur ! Hier soir, sur la chaîne de télévision ARD, l'ancien chef du patronat allemand a estimé qu'il fallait casser la zone euro en deux avec, d'un côté, les pays qui réussissent et qui auraient un euro fort et, de l'autre, le Sud, dans lequel se trouve la France, les pays dotés d'une monnaie faible. Bien sûr, ce n'est pas ce que je prévois, mais c'est tout de même un signal.
Nous défendons votre souci d'équilibre, mais ne nous berçons pas d'illusion sur les objectifs des instances européennes. Je salue d'ailleurs le choix de la France qui veut tenir le cap de la crédibilité.
La trajectoire vers l'équilibre est nécessaire, mais la vraie question est de savoir comment y arriver. Est-ce par la diminution systématique des dépenses ou par l'augmentation des recettes ? C'est un choix politique.
Le Président Jean Bizet. Je retiens de cette première table ronde quatre points : nous avons pris conscience que le Parlement européen et le Conseil demandent encore un peu de temps pour se mettre d'accord afin de voter le paquet gouvernance. En deuxième lieu, les fondamentaux de Maastricht demeurent essentiels. De même, vous avez prôné la vertu comportementale en matière financière. Enfin, la notion de gestion des crises doit être mieux prise en compte que par le passé.
Merci pour ces échanges sur ce dossier fondamental. Je me réjouis du développement de la concertation interparlementaire. Il est important que chacun puisse se parler.
II – La politique commerciale commune
Le Président Pierre Lequiller. Je me réjouis à mon tour de notre initiative commune : le dialogue entre parlementaires nationaux et européens est fructueux.
La commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale porte une attention particulière aux enjeux de la politique commerciale de l'Union. Un rapport de Mme Karamanli et de M. Gaymard va être publié sur l'avenir de l'OMC et des négociations du cycle de Doha. A l'occasion de son rapport sur le libre échange entre l'Union européenne et le Canada, Mme Girardin s'est penché sur les conséquences des accords bilatéraux.
J'en viens aux négociations du cycle de Doha : nous espérions qu'elles redémarrent cette année, avant l'élection américaine, mais elles semblent encalminées, à tel point que Pascal Lamy comparait le cycle à une mule qui ne veut pas avancer. Alors que la conclusion des négociations multilatérales est affichée comme une priorité, il serait intéressant d'avoir un débat sur cette question avec nos collègues parlementaires européens. L'Europe est-elle prête à faire de nouvelles concessions sur le volet agricole pour faire avancer le cycle de Doha ? La Commission européenne développe une politique de signature d'accords de libre échange bilatéraux avec certains pays ou certaines zones et Mme Girardin vous en parlera. Le projet d'accord avec les pays du Mercosur est controversé : la Commission vient de publier une étude d'impact qui démontre que les conséquences seraient extrêmement graves pour l'agriculture européenne. Cette dernière va-t-elle devenir une monnaie d'échange ? Pourquoi défendre une PAC forte si l'on fait de telles concessions commerciales ? J'invite à nous battre en faveur de la PAC.
Les accords de libre échange impulsés aujourd'hui par l'Union européenne posent un certain nombre de questions. Au-delà du Mercosur et de la Corée du Sud, un petit accord de libre échange entre l'Union et le Canada me concerne particulièrement, puisque je suis députée de la circonscription de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Tout d'abord, la Commission n'a pas joué le jeu de la transparence et de l'information auprès des députés européens. Il faut corriger cela : il est désolant de constater que les parlementaires ne peuvent améliorer ces accords, puisqu'ils sont tenus à l'écart des négociations. En outre, quel est l'intérêt pour l'Union européenne de signer cet accord ? Seul le Canada sera gagnant. La contrepartie, pour l'Europe, serait d'ouvrir des marchés publics. Le lobbying des grandes sociétés françaises auprès du Président de la République ne doit pas faire illusion. L'Union accepte un certain nombre de concessions sur l'agriculture, mais aussi sur la pêche, sur l'environnement, avec le gaz de schiste, sur la viande aux hormones et sur certains services publics libéralisés.
De plus, quel est l'intérêt de signer un accord avec le Canada qui a une organisation politique bien différente de la nôtre ? Ce n'est pas parce que l'État fédéral signe un accord avec l'Union que les provinces, qui sont compétentes, sont engagées. Certes, les provinces atlantiques sont associées à ces négociations mais rien ne les obligera à appliquer l'accord. Or, les marchés publics sont du ressort des provinces. Je m'interroge donc sur l'intérêt pour l'Europe de signer de tels accords.
Je note aussi le déficit d'études d'impact : nous disposons d'une étude globale mais d'aucune étude vraiment précise.
L'Europe permet à Saint-Pierre-et-Miquelon, pays d'outre-mer, comme aux autres territoires d'outre-mer, comme les régions ultrapériphériques, d'obtenir des dérogations pour développer l'économie de leur territoire. Mais elle est prête à renier ses engagements avec ce type d'accord de libre échange.
L'OMC semble bloquée. Est-ce à cause de l'agriculture ? Ce n'est pas sûr car les négociations achoppent surtout sur les services et un peu sur l'industrie. Il faut bien distinguer les intérêts de nos grandes multinationales françaises et les intérêts de la France. Un marché public gagné par un grand groupe français ne rapporte pas forcément beaucoup d'argent à la France. C'est encore plus vrai pour la France que pour l'Allemagne, où la part qui revient au pays est plus importante dans la mesure où la sous-traitance allemande est bien plus forte que la nôtre.
Faut-il en faire encore plus dans le domaine agricole ? Nous avons proposé de supprimer toutes les restitutions à l'exportation, d'abaisser drastiquement les barrières à l'importation. Il serait temps d'arrêter de courber l'échine. Ce n'est pas forcément le système actuel qui a posé des problèmes dans les pays les moins avancés. Ces derniers ont en effet renoncé à taxer les produits arrivant sur leur marché pour éviter des émeutes de la faim. Si tel n'avait pas été le cas, l'Europe aurait accordé des restitutions à l'exportation sur des produits taxés à leur arrivée pour les remettre au niveau des prix pratiqués en Europe.
Je souhaite que l'accord sur le cycle de Doha aboutisse car on connaît les dangers du bilatéralisme, mais il faut tenir compte des efforts de l'Union européenne et obtenir des avancées tant de la part des États-Unis, du Brésil que de la Chine ou de l'Inde.
Le bilatéralisme est la pire des solutions : on ne sait plus ce que l'on donne à l'un ou à l'autre. Entrer dans cette logique, c'est risquer d'être broyé. L'accord avec le Mercosur, c'est la fin de nos charolaises, de nos limousines et de nos blondes d'Aquitaine. Si l'on diminue encore le revenu de nos agriculteurs de 8%, il faudra les doter de débrousailleuses et de faucilles pour qu'ils entretiennent les paysages mais ils ne pourront plus cultiver leurs terres.
Le Président Jean Bizet. Je suis en phase avec ce que vous venez de dire, notamment sur les vertus du multilatéralisme par rapport au bilatéralisme.
Le cycle de Doha est engagé depuis dix ans : les vérités d'hier ne sont plus celles d'aujourd'hui. Entre-temps, l'environnemental et le social ont fait irruption.
Arrêtons d'être naïfs. La notion de réciprocité a émergé depuis un ou deux ans : elle me va très bien et elle commence à être partagée par le directeur général de l'OMC. Comment le Parlement européen réagit-il par rapport à cette évolution ?
Au niveau des parlements nationaux, il faut également poser cette question. Le président Larcher l'avait fait lorsqu'il était président de la commission des affaires économiques. Nous devons avoir un débat au Parlement pour dire au Gouvernement quels sont les soucis des agriculteurs, mais aussi ceux des industriels et des producteurs de services, afin qu'il précise à son tour le mandat du commissaire européen chargé du commerce extérieur : on ne peut plus accepter des mandats sans droit de regard.
Nos collègues européens qui connaissent bien le sujet ne sont malheureusement pas là : il nous est difficile de parler à leur place.
Je voudrais évoquer l'accord de libre échange avec la Colombie et le Pérou qui doit être validé par le Conseil de l'Union et soumis au vote du Parlement européen. Au Pérou, l'accord aura de graves impacts sociaux, économiques et environnementaux. La Commission européenne a été avertie mais elle n'a pas réagi. La mise en oeuvre de l'accord va augmenter les investissements dans les exploitations minières et les agro-carburants, ce qui risque d'accentuer l'accaparement des terres et donc de réduire les productions vivrières. Les agriculteurs et les communautés indigènes risquent également d'être déplacés. Cet accord sapera le processus d'intégration régionale de la Communauté andine des Nations avec laquelle l'Union européenne n'a pas réussi à négocier un accord d'association pourtant prévu en 2006. L'Union préfère conclure seule un accord inégal avec la Colombie et le Pérou, alors que la Commission européenne a affirmé que le renforcement de l'intégration régionale dans la région andine était l'un des principaux objectifs de la négociation. Ces objections justifient notre opposition à ce projet d'accord. En outre, en Colombie, de nombreux syndicalistes ont été assassinés depuis 23 ans. On a enregistré 1 130 disparitions ces trois dernières années et de graves violations par le gouvernement péruvien des droits des communautés indigènes. Si cet accord était mis en oeuvre, il légitimerait des gouvernements qui attentent gravement aux droits de l'homme.
Je ne suis malheureusement pas une spécialiste des problèmes de commerce extérieur. J'en resterai donc aux généralités. La Commission européenne est partagée entre deux grandes tendances : certains commissaires sont proches de nos idées et d'autres restent - comment dire ? car je suis aussi libérale - ultralibéraux, ce qui est difficile à comprendre en cette période de crise. Pourtant, le Parlement européen avance pas à pas, en dépit de l'attitude de certains commissaires.
En ce qui concerne l'accord avec le Mercosur, nous sommes arrivés à faire prendre en compte le principe de réciprocité dans le domaine industriel : il y a encore quelques mois, personne ne voulait en entendre parler ! Quand je mentionnais devant la commissaire européenne en charge du climat l'éventualité d'oser un mécanisme d'inclusion carbone aux frontières de l'Europe, elle me disait que je voulais déclencher une guerre commerciale. Aujourd'hui, elle ne tient plus ce discours. Nous sommes arrivés à faire voter par le Parlement européen plusieurs textes mentionnant le principe de réciprocité dans les échanges. Nous avançons, même si c'est encore trop lentement.
Le Président Pierre Lequiller. Le point central, c'est le principe de réciprocité, pour ne pas parler de préférence communautaire. Devant la montée des puissances nouvelles, il faut défendre cette idée. Lorsqu'on lit certains livres sur la Chine, on se dit qu'il est urgent de réagir.
Je souscris à vos propos, mais, parfois, nous avons vraiment le sentiment d'être des soldats dans les tranchées : ne croyez pas que la crise a fait naître dans l'esprit de la plupart de nos partenaires l'idée qu'un monde régulé était souhaitable. La notion de réciprocité est sans doute plus porteuse que celle de préférence communautaire, qui n'a pas le vent en poupe.
La politique commerciale qui est actuellement menée peut être un désastre pour l'Europe. Depuis 1957, nous avons pensé que le monde allait se construire sur un modèle multilatéral qui respecterait des règles établies pour tous. On peut penser ce que l'on veut de l'OMC, mais elle avait le mérite de proposer le début d'un certain ordre commercial au niveau mondial. Aujourd'hui, les pays émergents considèrent que ces règles ne sont que du protectionnisme déguisé. Leur vitalité et leurs méthodes sont redoutablement efficaces, ce qui leur permet d'avancer très vite. Si nous ne nous ressaisissons pas, la question ne se posera même plus dans quelques années.
L'Europe est la première puissance commerciale du monde : nous devrions adresser au monde un message d'ouverture raisonnée et aménagée. Certes, on doit commercer avec le Canada, mais pas n'importe comment et à n'importe quel prix. Les positions de Pascal Lamy ont profondément évolué en dix ans.
La semaine dernière, la commissaire en charge du climat a estimé que l'Europe avait beaucoup financé les pays émergents, devenus des pays « submergents », et qu'il serait peut-être temps d'investir cet argent en Europe pour sauvegarder les emplois industriels. J'ai été sidérée par ce discours qui détonait par rapport à ses propos d'il y a encore quelques mois. J'y vois une prise de conscience de la crise européenne et de l'urgence qu'il y a à soutenir nos entreprises européennes.
Le Président Jean Bizet. Doha a débuté en 2001 et les pays émergents ont bénéficié de certaines facilités et de souplesses. Entre-temps, ces pays sont devenus « submergents », comme vous dites, et la Chine, l'Inde et le Brésil se sont mués en grands acteurs mondiaux. Soit nous parvenons à un accord le moins mauvais possible pour l'Europe, soit nous tournons la page et nous entamons un nouveau cycle sur des bases nouvelles, compte tenu du fait que les problématiques environnementales et sociales ont complètement modifié le jeu du commerce mondial. Je serais plutôt favorable à la deuxième solution mais je maintiens mon admiration pour l'OMC qui comporte un utile organe de règlement des différends.
La notion de réciprocité est fondamentale, mais nous devons aussi réfléchir à la notion de rythme. Les économistes et les politiques s'interrogent beaucoup sur les objectifs, mais rarement sur le rythme optimal pour les atteindre. On peut très bien avoir de bons objectifs et tout casser parce qu'on a été trop vite ou trop lentement. Il faut sans doute accepter l'idée d'un libéralisme avancé dans les échanges, mais pas à un rythme effréné qui mettrait en concurrence des pays dont les économies n'appartiennent pas au même siècle.
Je suis d'accord pour demander à nos collègues européens de se pencher sur l'accord avec la Colombie et le Pérou.
Je regrette la généralisation des accords de libre échange bilatéraux : nos collègues européens doivent être attentifs aux concessions acceptées par l'Union. Comme le prévoit l'article 207 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, la politique commerciale devrait être cohérente avec la politique de l'Union. Or, certains accords débordent de ce cadre. Il serait effectivement important que nos parlements nationaux débattent, eux aussi, de ces questions. L'Assemblée nationale avait programmé un débat qui a été reporté, ce que je regrette, car l'accord avec le Canada sera signé avant la fin 2011. Nous risquons de nous réveiller un peu tard.
Le raisonnement vaut aussi pour le marché intérieur. Un des arguments majeurs à l'occasion des différents élargissements était que les pays qui rejoignaient l'Union allaient être tirés par le haut. Or, si les progrès économiques ont été au rendez-vous, les salaires, eux, n'ont pas suivi. Certains salaires minimum sont encore très bas, aussi bien en Europe de l'Est qu'au Portugal. La France a donc un problème de compétitivité au sein même de l'Union. L'intégration européenne a montré là ses limites.
Il est vrai que le niveau de vie progresse trop lentement en Europe centrale... Un de mes neveux dirige une usine d'équipements automobiles en République tchèque. Le fonds de pensions américain lui fixe pour objectif de s'implanter en Ukraine, car les salaires tchèques vont augmenter. Ainsi, dès que le déséquilibre se comble ici, des pressions s'exercent pour aller produire ailleurs. Il en va de même en Chine, où l'on investit à l'intérieur du pays lorsque des revendications éclatent dans les régions au bord de la mer.
Aux parlementaires européens, je dis que la codécision est une bonne chose. Nous aimerions que tout aille plus vite et plus loin. Les parlementaires européens aussi devraient aller vers les autres parlementaires nationaux, les mots n'ayant pas le même sens pour tous. Je pense notamment à « régulation ».
Le Président Pierre Lequiller. Je remercie les parlementaires européens de relayer la demande forte formulée ici : nous voyons les choses de loin, mais il faut les regarder de près. Vous avez un rôle majeur à jouer, pour ne plus laisser la bride aussi lâche qu'autrefois au commissaire européen compétent.
Monsieur Gaubert, je me rends régulièrement à la COSAC, où je défends la régulation et la réciprocité. En ce domaine, il y a beaucoup à faire, les nouveaux pays membres voyant toute régulation avec une grande suspicion.
Le débat n'est pas clos aujourd'hui, puisque nous reviendrons ultérieurement sur le commerce international, une des principales responsabilités transférées au niveau de l'Union et contrôlées par le Parlement européen.
Avec M. Bizet, je me réjouis une fois de plus de ces rencontres. Parlementaires nationaux et européens ont un grand intérêt à discuter, leur rôle et leur vision étant complémentaires.
La prochaine réunion devrait avoir lieu en novembre. Je remercie tous les participants à celle d'aujourd'hui.
La séance est levée à 18 h 30