COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mercredi 17 novembre 2010 à 9 heures
Présidence de M. Pierre Lequiller, Président
La séance est ouverte à 9 h 10
J'ai le plus grand plaisir à accueillir, avec mes collègues français, députés et sénateurs d'Allemagne et de Pologne pour une nouvelle réunion, après celles qui se sont tenues en Allemagne et en Pologne, des Commissions des affaires européennes du Triangle de Weimar. Celui-ci est un instrument de coopération essentiel en Europe, qui doit nous permettre d'approfondir les sujets d'actualité européens. Même si les vingt-sept Etats membres de l'Union doivent travailler ensemble et que nous sommes par ailleurs en relation avec les Commissions des affaires européennes de toutes les assemblées de l'Union européenne, les Commissions des affaires européennes de nos trois pays ont pris les devants par rapport à certaines institutions, en décidant de mener ensemble un travail régulier.
Je remercie nos hôtes d'avoir organisé cette rencontre, que nous espérons fructueuse. Les membres présents de la délégation polonaise sont : M. Edmund Wittbrodt, Président de la Commission des affaires de l'Union européenne du Sénat, MM. Andrzej Galażewski, Dariusz Lipiński et Edward Siarka, Vice-présidents de la Commission des affaires européennes du Sejm, Mme Alicja Olechowska et M. Dadeusz Iwinski), députés, ainsi que M. Stanislaw Iwan, sénateur.
M. Gunther Krichbaum, Président de la Commission des affaires de l'Union européenne du Bundestag allemand. Nous sommes très heureux de vous rejoindre à Paris et vous remercions vivement de nous réunir à nouveau. Les parlementaires qui m'accompagnent sont : MM. Axel Schäfer, Andrej Hunko et Jerzy Montag, membres de la Commission des affaires de l'Union européenne.
Le Président Pierre Lequiller. Notre responsabilité de parlementaires nationaux nous impose de contrôler l'action de nos gouvernements en matière européenne ainsi que les propositions de la Commission européenne, par le biais du suivi de la subsidiarité. Elle nous commande aussi et surtout de constituer une force de proposition, afin de répondre au besoin d'Europe, et ainsi aux besoins réels de nos peuples, à l'heure où monte la menace de résurgences nationalistes. Nous devons donc consolider l'Europe et oeuvrer à la prise de conscience de l'unité européenne. Alors que la mondialisation et la concurrence des pays émergents sont plus fortes que jamais, nous devons être les promoteurs de la construction européenne. L'intégration des parlements nationaux au débat européen est essentielle pour rapprocher l'Union des peuples de l'Europe. Tel est du moins le sens profond de notre initiative. Le fait d'exercer ensemble et de manière coordonnée cette responsabilité parlementaire nous donnera plus de poids par rapport à nos gouvernements et aux institutions européennes.
Sur les principaux sujets d'actualité, les convergences sont nombreuses entre l'Allemagne, la Pologne et la France. De plus, nos Commissions ont suffisamment travaillé ensemble pour que soient nées entre nous des affinités, des amitiés, qui n'excluent pas des divergences sur certains sujets. Je souhaite que notre rencontre à Paris nous permette de nous rapprocher encore. Je réitère par ailleurs mon souhait que, entre nos réunions, nos Commissions restent en contact, par l'intermédiaire de nos rapporteurs, en particulier sur les questions économiques.
Notre rencontre s'ordonnera autour de quatre sujets clés. Nous évoquerons en début de matinée le Gouvernement économique, les étapes franchies et les sujets en discussion. Nous examinerons ensuite les questions budgétaires : les dépenses prioritaires, compte tenu des prochaines perspectives budgétaires, et les recettes, notamment à travers le débat sur les ressources propres. Après la pause, nous ouvrirons le débat sur l'avenir de la politique agricole commune (PAC), auquel j'ai pris l'initiative d'inviter les sénateurs français qui ont travaillé sur le sujet. Cet après-midi, nous nous intéresserons à la défense, puis à l'élargissement et à la politique de voisinage.
Les Commissions des affaires européennes du Triangle de Weimar abordent le premier thème de leur réunion commune : le gouvernement économique.
On connaît les décisions prises par le Conseil européen, dans un contexte économique tendu. Les difficultés se sont accrues depuis quelques jours, puisque l'Irlande et le Portugal se trouvent à nouveau sous le feu d'attaques spéculatives très préoccupantes, qui risquent de remettre en cause la cohésion, voire l'avenir de la zone euro. Au moment où les événements se précipitent, il est urgent d'améliorer très sensiblement le gouvernement économique de l'Europe.
C'est pourquoi nous nous sommes réjoui des décisions du Conseil européen. La réaffirmation du Pacte de stabilité et de croissance et la mise en place d'un dispositif qui permettra de mieux contrôler son respect par les Etats vont dans le bon sens. Même si la question des sanctions a donné matière à un débat, chacun a conscience qu'on ne peut plus jouer avec les engagements qui ont été pris dans le cadre du Pacte. Il faut absolument que tous les Etats observent une discipline, si l'on veut que le Gouvernement économique de l'Europe et de l'euro soit le plus efficace possible.
Par ailleurs nous insistons sur la nécessité de disposer de manière pérenne d'un mécanisme de crise, alors que le Fonds européen de stabilité financière n'a été mis en place qu'à titre transitoire, jusqu'en 2013. M. Michel Herbillon, co-rapporteur, et moi-même sommes d'accord sur ce point : si les Européens n'ont pas la possibilité d'apporter une réponse claire, précise et identifiée par les acteurs économiques et financiers aux attaques des marchés contre un Etat, on peut craindre qu'elles se développent. Dans cette perspective, il faut trouver la réponse la plus pertinente et la plus efficace, en déterminant un mécanisme dissuasif, qui affirme clairement la solidarité politique entre Etats membres.
A l'heure où nombre de pays mettent en place des politiques de rigueur voire d'austérité, il faut absolument soutenir l'investissement et la croissance. Or, les mesures prévues à cet effet ne vont pas assez loin, et les difficultés que rencontre le budget européen sont inquiétantes. Dans le contexte actuel, les pays européens en crise doivent conserver une perspective de croissance, ce qui suppose que l'on soutienne leur économie. Parce que le danger des politiques de rigueur est qu'elles sacrifient les investissements et les dépenses d'avenir, l'Union doit poursuivre son action, notamment par le biais du budget européen. On peut aussi envisager d'autres initiatives. Pourquoi les Etats ne mutualiseraient-ils pas certains grands projets ou certains investissements en matière d'énergie et de transport ? Reste la problématique du marché intérieur, qui demeure compliquée et ne produira pas d'effet du jour au lendemain, en dépit des initiatives très positives de M. Michel Barnier.
Le rapport que nous avons rédigé, M. Caresche et moi-même, sur le gouvernement économique européen est un rapport d'étape. Ses conclusions ont été votées à l'unanimité par la Commission, preuve que cette question essentielle dépasse les clivages politiques. Bien entendu, nous continuerons à étudier cette question, qui évoluera nécessairement.
Tous les Européens peuvent se réjouir des progrès considérables accomplis sur ce sujet stratégique pour l'Union et de la prise de conscience par tous les Etats membres de la nécessité de renforcer le gouvernement économique.
Nous sommes tous d'accord sur la nécessité d'améliorer le gouvernement économique de l'Europe dans le respect des institutions de chaque pays – nous préférons, pour des raisons de sémantique et de traduction, le terme « gouvernement » à celui de « gouvernance ». Dans les conclusions adoptée par notre Commission, nous évoquons la procédure du semestre européen, approuvée par le Conseil en septembre, qui prévoit la remise simultanée par les Etats membres à la Commission et au Conseil européens de leur programme pluriannuel de finances publiques, des principaux paramètres de préparation des budgets nationaux annuels et des programmes de réformes structurelles. Ces éléments permettront une meilleure intégration de la dimension européenne dans les budgets des Etats membres. C'est du moins l'un de nos objectifs.
Même si les procédures budgétaires et les calendriers sont spécifiques à chaque Etat, il importe, lorsque l'on élabore un budget national, de prendre en compte la dimension européenne. Les Parlements nationaux doivent être associés à ce dispositif. M. Lequiller a formulé des propositions à ce sujet et nous suggérons la tenue d'une réunion annuelle des représentants des Parlements nationaux et du Parlement européen pour évoquer le Gouvernement économique de l'Europe et mieux intégrer les données du Pacte de stabilité aux budgets nationaux.
Nous soulignons également la nécessité, dans le cadre des réformes envisagées, de créer un mécanisme permanent visant non seulement à gérer les crises – la crise grecque a montré à quel point c'était impératif –, mais à s'en prémunir, en mettant en place un mécanisme d'alerte au sein de l'Union.
Je ne reviens pas sur la question des sanctions ni sur la surveillance budgétaire. Si la notion de solidarité entre les Etats membres est un des fondements de l'Union, il faut prendre en compte plus fortement encore, dans l'optique du gouvernement économique européen, la solidarité entre les pays de l'Union européenne et, en particulier, entre les Etats membres de la zone euro.
Il importe aussi de mettre en place une surveillance macroéconomique en évitant de se focaliser sur les données budgétaires. D'autres indicateurs macroéconomiques – qui ont trait aux écarts de compétitivité ou révèlent certains déséquilibres – sont essentiels si l'on veut définir un gouvernement économique européen.
L'investissement dans les projets d'avenir est l'une des conditions du succès de la stratégie « Europe 2020 ». Comme l'a signalé M. Caresche, nous préconisons de mutualiser les budgets des Etats membres qui le souhaitent pour la recherche, l'innovation, l'énergie, le transport, le numérique et la défense. Un emprunt européen pourrait être consacré à ces grands projets d'intérêt commun.
Quelles que soient les dispositions qui seront finalement adoptées pour construire un véritable gouvernement économique européen, les réformes devront être lisibles pour nos concitoyens, ce qui suppose de mettre en place un dispositif d'information afin de renforcer la légitimité démocratique du nouveau système. Si le gouvernement économique européen était perçu comme une ingérence excessive de l'Union dans les budgets nationaux ou comme une nouvelle contrainte, il n'aurait pas toutes les chances de réussir.
Le Président Gunther Krichbaum. Il me semble que nous devons toujours avoir présent à l'esprit ce qui nous a conduits à la crise et ce qui va nous permettre de la surmonter. A l'égard de la Grèce, la grande erreur a été commise par l'Allemagne et la France, qui ont assoupli le Pacte de stabilité et de croissance. Il est temps d'en tirer les leçons en fixant des critères stricts. Les résultats apportés par la task force de M. Van Rompuy et les décisions du Conseil européen nous en donnent la possibilité.
Il est sans doute ambitieux de demander au Conseil et au Parlement de se mettre d'accord avant l'été 2011, mais il me semble important de respecter ce calendrier. En Allemagne, une nouvelle procédure est en cours devant le Tribunal constitutionnel fédéral, parce que les mesures que nous avons prises, qui étaient nécessaires, s'appuyaient sur une base juridique relativement fragile. Or, nous avons besoin pour l'avenir d'une base juridique solide, de même que nous devons renforcer les mécanismes de dépassement de la crise, afin de réagir immédiatement si une nouvelle situation critique se présentait.
Cela dit, on ne peut se contenter d'attendre, les bras croisés, que l'on trouve ces mécanismes. Les nouvelles de l'Irlande ou du Portugal sont très préoccupantes. On ne peut affirmer que le plus dur est passé ni que la crise grecque est réglée. Dans cette situation extrême, il faut prendre les mesures qui s'imposent. Par ailleurs, n'oublions pas que ce que nous nommons « Pacte de stabilité » s'intitule en fait Pacte de stabilité et de croissance. Il nous appartient donc de nous demander quelles impulsions on doit lui donner afin d'obtenir une croissance durable.
Nos collègues nous ont rappelé l'importance de la solidarité, qui est un bon principe, mais on doit, au nom même de la solidarité, se fonder sur des données économiques fiables, ce qui exclut qu'un Etat puisse présenter des comptes falsifiés.
J'observe par ailleurs que la crise irlandaise et la crise grecque sont d'une nature très différente. Les services mis en place en Irlande au cours de la dernière décennie de prospérité ont une structure monolithique, ce à quoi nul n'avait rien trouvé à redire. A l'avenir, il faudra être très attentif aux structures économiques des pays. Plus l'activité d'un pays repose sur une monostructure, plus celui-ci est fragile et plus il risque de sombrer dans la crise, entraînant éventuellement d'autres Etats avec lui.
Il me semble également essentiel de pallier un certain sentiment de déficit de justice que l'on observe chez nos concitoyens qui ont en effet l'impression que si le risque associé à des obligations ou à des actions au rendement très important se matérialise, l'Etat interviendra. Or ce n'est plus envisageable ni en Allemagne ni en France ni en Pologne ni dans aucun autre Etat de l'Union européenne. En d'autres termes, les investisseurs privés devront désormais assumer les risques qu'ils prennent.
Par ailleurs, l'Allemagne demande que le budget de l'Union n'augmente pas de plus de 2,91 %, alors que la Commission et le Parlement ont retenu le taux de 5,8 %.
Dans vos circonscriptions, vous devez expliquer aux citoyens, comme le fais moi-même, qu'il faut opérer des coupes claires sur certains postes budgétaires, même si l'on autorise certains dépassements ailleurs. C'est certes difficile, mais je suis confiant : nous trouverons certainement un compromis.
Le Président Stanisław Rakoczy. Nous évoquons un sujet essentiel pour l'avenir de l'Union européenne. Les finances publiques de tous les Etats se trouvent dans une situation difficile, puisque vingt-quatre pays sur vingt-sept sont soumis à la procédure pour déficit excessif. C'est dans ce contexte délicat que nous proposons une réforme du Pacte de stabilité et de croissance. Si délicat qu'il soit, il faut ouvrir le débat sur les sanctions éventuelles et nous montrer plus vigilants en ce qui concerne la dette des pays.
Le Président Edmund Wittbrodt. Pour répondre à nos collègues français et allemands, je rappelle que la Pologne accepte en principe toutes les propositions visant à améliorer la situation financière et à renforcer la position de l'Union. Nous soutenons par conséquent les mesures destinées à favoriser la discipline budgétaire, l'extension de la surveillance économique et la coordination des politiques économiques ou des mécanismes de sortie de crise, dont M. Rakoczy a suggéré qu'elles nous permettront peut-être de résoudre nos problèmes.
Le Gouvernement polonais a accepté les propositions de la task force de M. Van Rompuy, qui mettent l'accent sur la situation des finances publiques et sur la dette publique. Reste à savoir comment celle-ci doit être calculée et s'il faut prendre en compte les obligations liées au régime de retraite, que notre pays vient de réformer. Si la Pologne accepte de se soumettre au nouveau mécanisme, voire à des sanctions éventuelles, il faut définir les règles de base qui s'appliqueront à tous les Etats membres.
Quant aux sanctions, qui ont évidemment leur importance, elles ne doivent pas être disproportionnées, surtout pour les plus petits Etats, qui bénéficient des mécanismes de la politique de cohésion. Il ne faut donc y recourir qu'avec prudence, sans perdre de vue les mécanismes de solidarité et cohésion.
Je rejoins également mes collègues sur le fait que les décisions qui s'imposent doivent être efficaces et s'appuyer sur des données fiables. D'où l'importance de surveiller le système et d'évaluer les données. Toute proposition en ce sens sera acceptée par la Pologne. Les mesures concernant le semestre européen devraient également servir cet objectif.
Nous sommes également satisfaits de l'inclusion de l'ensemble de l'Union dans le cadre de surveillance macroéconomique. Celui-ci ne doit pas se limiter à la zone euro, même si les mécanismes qui s'appliqueront à ses membres doivent être distincts de ceux qui concerneront les autres Etats.
Nous avons des objectifs et nous voudrions prendre des décisions, mais, si nous approuvons les propositions de nos collègues français et allemands, il nous semble important de préserver certaines mesures afin de ne pas accroître les inégalités entre Etats membres.
Certaines limitations intervenues dans les recettes du budget de l'Union européenne tiennent au fait que la cotisation des Etats membres dépend du revenu national.
Pour certains Etats, la politique de cohésion est essentielle. Pour la Pologne, c'est une donnée fondamentale, surtout dans le contexte de crise que nous connaissons depuis 2008. Notre pays est naturellement favorable au maintien de cette politique, dont on peut dire qu'elle lui a permis de surmonter la crise, puisque l'année 2009 a été plutôt bonne pour notre économie.
Par ailleurs, la Pologne apprécie les efforts consentis pour mettre en oeuvre la stratégie « Europe 2020 » et approuve toutes les dispositions qui permettront de l'appliquer. La coordination de la politique structurelle joue un rôle essentiel à cet égard. Il faut en outre simplifier les procédures qui permettent de rendre compte des actions entreprises.
Le budget de l'Union européenne est le principal instrument qui permettra de mettre en oeuvre cette stratégie. Certains mécanismes en faveur de la croissance économique ont déjà été mis en place. Dans le débat actuel sur l'avenir du marché intérieur et sur la politique de cohésion, on peut imaginer qu'une clause conditionne le versement de l'enveloppe à la transposition des directives européennes. Il faudrait également introduire de nouvelles dispositions pour achever de créer le marché intérieur et le renforcer. Les partenaires sociaux et les organisations non gouvernementales peuvent jouer un rôle, en participant à ce processus et en favorisant de ce fait la croissance économique.
Sur ce sujet, nous devons adopter une approche un peu plus ouverte. M. Van Rompuy a parlé hier d'une crise de nature existentielle. L'Europe a toujours connu des crises, et les a toujours résolues ; mais, cette fois-ci, nous faisons face non à une crise politique, mais à une crise existentielle, ce qui n'était jamais arrivé. Le président du Conseil européen ou celui de la Commission n'ira pas jusqu'à dire que l'existence de l'euro et l'intégration européenne sont en jeu. Aucune personne responsable n'oserait dire cela. Mais il n'en demeure pas moins que la situation à laquelle nous sommes confrontés a un caractère extrêmement urgent.
Autre point important : nous sommes des parlementaires. Dans ce domaine, les traditions sont différentes en France, en Allemagne et dans les autres pays d'Europe ; en particulier, le poids du parlement par rapport au gouvernement est variable. Mais alors que le traité de Lisbonne avait revalorisé le rôle du Parlement européen, j'ai l'impression que plus la crise est forte, et moins ce dernier a voix au chapitre. Toutes les décisions sont prises le week-end lors de réunions du Conseil européen, sans que les parlements nationaux ni le Parlement européen ne puissent rien en dire – même s'ils doivent les soutenir ensuite. C'est pourquoi je me réjouis que l'on puisse parler, en Allemagne, de coordination.
Des consultations sont en cours, et on évoque la notion de gouvernance économique, mais nous devons être réalistes. Si on envisage sérieusement l'existence d'un gouvernement économique de l'Union, il devrait être exercé par la Commission. Qui d'autre pourrait prétendre jouer un tel rôle ? Mais il reste à déterminer les conséquences d'une telle situation, les complications qu'elle pourrait entraîner.
J'en viens à la question de la stabilité, que tout le monde a abordée. Pour ma part, je souhaite rapprocher cette notion de celle de solidarité. Nous vivons un contexte difficile : on commence à parler de sanctions, ce qui était encore impensable il y a peu. Mais nous devrions également parler de solidarité. Si un Etat ne parvient pas à s'en sortir, on ne peut pas se contenter de le laisser faire faillite. A lire les décisions prises depuis 1957, nous avons suffisamment le sens des responsabilités pour savoir que la solidarité est indispensable, et que l'on ne peut pas laisser un Etat faire faillite.
Quant au pacte de stabilité, les Français et les Allemands l'ont rendu plus souple. Si des sanctions sont envisagées, croyons-nous vraiment que l'on pourra retirer à des pays comme la France ou l'Allemagne leurs droits de vote ? C'est une plaisanterie ! Je doute que nos Cours constitutionnelles respectives puissent l'accepter.
En ce qui concerne le budget, nous devrions, en tant que parlementaires, nous intéresser de plus près aux propos du commissaire européen au budget, M. Janusz Lewandowski. Nous ne pouvons pas augmenter encore les impôts, mais nous devons mettre au point un système budgétaire européen plus clair, plus transparent. On ne peut pas continuer à maintenir toutes ces exceptions à la règle, ces clauses d'opting out, etc. Nous devons rechercher une formule de type winwin : renforcer le rôle des parlements, veiller à ce que chaque Etat ait des recettes, mais surtout garantir une certaine transparence. Certains pourront juger cela trop compliqué, mais c'est indispensable.
Nous sommes confrontés à un dilemme. Tout le monde s'accorde à dire que nous ne sortirons de la crise qu'à l'échelle de l'Union européenne, ou tout au moins de la zone euro, et qu'il convient de créer une certaine communauté de gestion économique. Mais cela implique de renforcer le rôle des institutions européennes – y compris le Parlement européen – et de réduire celui des institutions nationales. Face à un choix aussi difficile, la réponse doit être claire : voulons-nous, oui ou non, cette gouvernance européenne ? Si oui, il faut accepter l'amoindrissement du rôle des instances nationales. Si nous ne le voulons pas, nous devons trouver d'autres solutions pour, au moins, bien coordonner les politiques nationales. Le débat est en cours, et devrait encore durer.
En ce qui concerne l'économie, la répartition des rôles entre parlements nationaux et Parlement européen n'est, pour l'instant, pas très claire. Ma proposition serait de mettre en place un socle commun de gestion économique fondé sur la monnaie commune. Celle-ci est en effet la clé de voûte : une monnaie commune implique nécessairement une coordination ou, mieux encore, une gestion commune de l'économie – commune à quel degré, on ne sait pas trop. Même pour les pays qui – soit par choix, soit parce qu'ils ne remplissent pas les conditions – n'ont pas adopté l'euro, il convient d'adopter certains principes communs : une base d'imposition, des définitions, des procédures établies ensemble, etc.
Un autre problème, signalé par nos collègues français, consiste à adopter une approche sensée de la gestion commune et de la stratégie « Europe 2020 » – et même des prochaines perspectives financières –, en coordonnant les politiques nationales, voire en les incluant dans la politique européenne. C'est une excellente idée, mais cela signifie qu'il faudra rejeter toutes les propositions non conformes aux principes de la stratégie « Europe 2020 ».
Les projets communs évoqués valent la peine qu'on en discute. Mais un problème se pose s'agissant de la recherche, car nous n'avons pas vraiment de liberté en matière d'échange d'idées, d'hommes et de technologies. Discuter du lancement de projets communs impliquerait de communautariser des institutions scientifiques, mais aussi les technologies européennes. Encore faudrait-il résoudre le problème du brevet européen, qui n'a toujours pas trouvé de solution après tant d'années.
J'en viens au futur budget. Actuellement, le budget de l'Union européenne est clair dans son principe, mais pas dans son effet final, à cause des rabais, des exceptions et autres facilités accordées aux Etats. Le principe est que le budget est alimenté par le versement d'un certain pourcentage du PIB, mais, en réalité, il n'en est rien. Peut-être ne sommes-nous pas, pour des raisons politiques, en mesure d'annuler le chèque britannique, mais il faudrait tout de même tendre à mettre fin aux traitements exceptionnels octroyés aux Etats membres, et s'interroger sur la façon de construire le futur budget à partir de principes communs.
La philosophie du pacte de stabilité et des dispositions reprises dans le traité de Maastricht tendait à ce que les Etats membres devaient appliquer de leur plein gré et en toute souveraineté les règles européennes. Chacun devait savoir qu'il serait tout seul au moment de sauter de la falaise. Mais cette philosophie n'a pas été très utile quand de nombreux Etats se sont retrouvés au bord du vide. Il faut donc appliquer de nouvelles règles, susceptibles d'empêcher que des Etats membres se retrouvent en infraction à l'égard des prescriptions de l'Union économique et monétaire – ce que je regrouperai sous la notion de surveillance des budgets nationaux.
Le problème est que le contrôle du budget est l'un des droits les plus imprescriptibles des parlements nationaux. Si nous parlons de gouvernement économique européen sans tenir compte de ce droit, nous risquons de nous retrouver dans une position difficile. En Allemagne – comme d'ailleurs dans d'autres pays –, cela pourrait se traduire par une nouvelle procédure devant la Cour constitutionnelle fédérale. Il ne faut donc pas laisser les parlements nationaux sur le bord de la route. Certes, le point 2 du rapport d'information sur le gouvernement économique européen adopté par la Commission française des affaires européennes prévoit une réunion annuelle des parlements nationaux, mais cela ne suffit pas : la mise en place de mesures préventives doit faire l'objet d'une codécision. En tant que parlementaires, il nous appartient en effet de rendre compte des décisions prises : c'est nous qui légitimons l'ensemble de la procédure, ne l'oubliez pas.
Par ailleurs, je ne suis pas du tout favorable à une réglementation sur l'insolvabilité des Etats qui reviendrait, sur le plan économique, à se débarrasser d'un Etat, à le rayer de la carte. Ce qu'il faut, c'est une disposition permettant de rendre à nouveau solvable l'Etat insolvable. Et le Parlement européen comme les parlements nationaux doivent être pleinement associés à ce travail. C'est donc une bonne chose de parler de gouvernement économique européen, à condition de garder à l'esprit qu'un gouvernement, quel qu'il soit, est une institution soumise à contrôle parlementaire. Il faut en tenir compte dans les réformes que nous élaborons.
Puisque nous sommes en France, il convient d'être révolutionnaires !
Le budget de l'Union européenne à tendance à diminuer, et nous assistons à une bataille destinée à le réduire encore, alors qu'il représente seulement 1,1 % du PIB de l'Union. Si ce budget ne s'accroît pas, l'Union européenne, en tant qu'ensemble, perdra de l'importance au niveau mondial. Aujourd'hui, il existe dans le monde quatre grands centres politiques et économiques : les Etats-Unis, la Chine, l'Union européenne et la Russie. Deux autres sont émergents, l'Inde et le monde arabe. La France vient de prendre la présidence du G20. Mais, dans quelques années, ni le G20, ni le G7 ou le G8 ne compteront : il n'existera qu'un G2 regroupant, dans l'ordre, Pékin et Washington. Le seul moyen d'éviter de devenir un simple ajout à cet axe bilatéral est de rendre plus important le rôle de l'Union européenne, et donc son budget, y compris pour ce qui concerne la coopération avec la Russie. Mais comment ?
Hier, j'assistais, à Paris, à une réunion de l'Internationale socialiste. J'y ai rencontré des collègues français d'une famille différente de la vôtre, monsieur le président : M. Fabius, Mme Royal, Mme Aubry… Il n'y a pas d'autre voie que celle consistant à instaurer une imposition des transactions financières, idée fort ancienne d'un prix Nobel américain, James Tobin, appuyée par un autre prix Nobel, Joseph Stiglitz. Il est vrai que cette imposition, dont le produit serait élevé, devait concerner avant tout l'aide aux pays en développement, mais rien n'empêche de la consacrer aussi à une aide intérieure à l'Union. Une autre idée très originale – sur laquelle j'ai interrogé M. Van Rompuy, sans obtenir de réponse, lors de la dernière réunion de la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes des Parlements de l'Union européenne (COSAC) – consisterait à soumettre les banques à la TVA. Pour des raisons historiques, elles n'y sont en effet pas soumises. Notre Gouvernement a décidé d'augmenter de 1 % le taux maximal de TVA, pour le porter à 25 %. Pourquoi les banques ne la paieraient-elles pas, alors que la Poste y est désormais assujettie ? Il n'existe pas d'autres sources de revenus pour l'Union européenne.
Je suis d'accord avec l'orateur précédent sur un seul point : l'Union européenne doit jouer un rôle international. Or, j'ai l'impression, en lisant les documents de l'Union, qu'ils ne font pas souvent référence au contexte économique et à la situation mondiale.
J'évoquerai une question à peine esquissée dans la stratégie « Europe 2020 », celle de l'économie verte. Si les objectifs et les mots d'ordres sont tout à fait justifiés – nous devons surveiller l'évolution du climat et agir en faveur du développement durable –, j'ai lu une analyse selon laquelle si nous voulons parvenir à ce que la température globale n'augmente pas de plus de 2° – ce qui, selon une opinion répandue, est le maximum que nous puissions espérer –, la part du PIB de l'Union européenne dans le PIB mondial sera alors ramenée de 24 à 18 %. Cela pose le problème des efforts que l'Union est prête à consentir.
Par ailleurs, si nous voulons augmenter le budget de l'Union européenne, le projet de la Commission prévoit la possibilité de mobiliser ce que l'on appelle les moyens propres. Mon collègue Tadeusz Iwiński a évoqué un certain nombre de pistes : soumettre les banques au paiement de la TVA, instaurer un impôt sur le revenu des personnes physiques au profit de l'Union européenne, etc. Mais la Pologne est toujours, en dépit de succès momentanés, un pays pauvre, qui est encore loin d'avoir atteint le niveau de l'Union européenne. Et du point de vue polonais, certains instruments semblent tout à fait injustes, parce qu'ils représentent une charge pour les pays les moins développés : je pense notamment à l'hypothèse d'une taxe environnementale liée aux émissions de carbone et à l'utilisation de combustibles fossiles. Une telle mesure pourrait ruiner la Pologne, qui n'est pas, dans un laps de temps suffisamment court, en mesure de changer les choses en matière d'énergie.
J'ajouterai enfin un élément aux propos d'Edmund Wittbrodt : le Gouvernement polonais propose que les coûts de la réforme de retraite ne soient pas inclus dans la dette publique ni dans le déficit. En effet, nous avons reçu en héritage de l'époque communiste une caisse d'assurance sociale complètement vide. Pour assurer la solidarité entre les générations, nous devons donc à la fois verser les pensions de retraite et alimenter des comptes individuels avec une partie des cotisations. L'argent est donc versé deux fois. Un équilibre doit être atteint dans quelques dizaines d'années – entre trente et cinquante –, mais, en attendant, nous risquons de connaître des périodes de tensions budgétaires. Il s'agit de l'une des plus importantes menaces auxquelles est confrontée la Pologne. L'opinion des Français et des Allemands sur cet important problème m'intéresse.
Le Président Gunther Krichbaum. Je souhaite revenir sur les interventions de certains collègues, en particulier celle de M. Jerzy Montag.
En tant que parlementaires, nous avons besoin d'être insérés dans tout le processus. Inutile de rappeler ce que nous avons dit en mai dernier : après de longues discussions, nous nous étions séparés avant de nous apercevoir que toutes les décisions que nous avions prises n'étaient plus applicables la semaine d'après ! Nous n'avions pas vu venir cette situation. Cela nous a incités à introduire des procédures d'urgence destinées aux cas que l'on ne peut pas prévoir, aux situations nécessitant une réaction immédiate. De telles procédures doivent être mises en place dans chacun de nos parlements.
Nous avons aussi besoin – Pierre Lequiller et d'autres viennent d'en parler – d'un accompagnement plus poussé des parlements nationaux. A cet effet, il n'est pas nécessaire de réinventer la roue, car nous disposons déjà de la COSAC, etl nous pouvons déjà accomplir beaucoup de choses dans ce cadre. Comme je le dis toujours, nous n'avons pas pleinement utilisé les instruments dont nous disposons : la COSAC devrait nous permettre de mieux exploiter les possibilités laissées par le traité de Lisbonne. Cela serait également intéressant pour nos rencontres à venir dans le cadre du Triangle de Weimar.
Nous devons nous montrer vigilants et rester prêts à reprendre la balle au bond. Il est impensable qu'au cours d'une mi-temps, nous ne touchions le ballon qu'une ou deux fois. Nous devons tirer des coups au but le plus souvent possible, et donc jouer tout notre rôle dans le processus de codécision.
J'en viens à la question du financement à venir. Au parlement allemand, on est plutôt réservé à l'égard d'un système d'obligations européennes. Cela ne signifie pas que l'on refuse d'évoquer le sujet, mais il n'existe pas de majorité au Bundestag sur cette question. En ce qui concerne les projets d'investissement, il ne faut pas confondre solidarité et obligation européenne. Ce sont deux sujets qu'il faut nettement distinguer. Nous devons nous montrer très prudents et étudier quelles seraient les conséquences d'un système d'obligations.
Le Président Edmund Wittbrodt. Il est indubitable qu'il faut plus de politiques communes dans l'Union européenne si nous voulons que celle-ci joue un plus grand rôle et soit plus forte. Mais cette question est liée à celle des ressources : s'il y en a peu, il n'y aura pas beaucoup d'Europe.
Je suis pleinement d'accord avec ce que vient de dire Axel Shäfer. Le président du Parlement européen, Jerzy Buzek, que j'ai rencontré avant-hier, parle de situation très critique, d'impasse budgétaire pour désigner ce qui vient d'être ici appelé « crise existentielle » – il se préparait à assister à des discussions qui ont finalement été un fiasco. A un moment important où des décisions stratégiques sont attendues, le problème qui se pose est celui de la solidarité. D'un côté, nous avons besoin de solidarité, qui est au fondement de l'Union européenne, mais celle-ci ne va pas sans une responsabilité des Etats. Comme l'a souligné Andrzej Gałażewski, il faut établir certains principes, définir précisément les paramètres et les objectifs que chaque pays doit atteindre. De même, nous devons nous donner les moyens de réagir de manière efficace sur toutes les questions d'importance stratégique.
Enfin, je considère que l'instrument que nous sommes en train de mettre au point, la stratégie « Europe 2020 », a une importance cruciale. Nos initiatives doivent donc être conformes à cette stratégie. A cet égard, je m'inquiète lorsque j'entends parler d'élasticité, de souplesse. La stratégie « Europe 2020 » énonce cinq objectifs principaux assortis de paramètres quantitatifs correspondant à des moyennes au niveau de l'Union européenne. Or, très rapidement, nous devrions voir les Etats proposer les solutions les plus commodes pour eux : ils risquent de se fixer les objectifs les moins ambitieux dans les domaines où ils connaissent le plus de difficultés, et inversement. Ainsi, alors que l'on parle de porter à 3 % du PIB les investissements européens dans le domaine de la recherche, nous ne voyons pas, en Pologne, comment il serait possible de dépasser 1,7 % avant 2020. En revanche, en matière d'éducation, nous nous en sortons très bien, puisque plus de 50 % des jeunes entreprennent des études supérieures. Il serait donc facile de se fixer un objectif de 45 % puisqu'il est déjà dépassé. Le risque est donc, si nous faisons preuve de trop de souplesse, que les moyennes effectivement réalisées en 2020 restent faibles et que les résultats de la stratégie Europe 2020, à l'instar de ceux de la stratégie de Lisbonne, soient minimes.
Le Président Pierre Lequiller. Ce débat a été tout à fait passionnant. Il a permis de mettre en valeur certaines préoccupations – comme celles exprimées du côté polonais au sujet de la politique de cohésion. Je trouve également intéressant que nous ayons évoqué la question des ressources propres de l'Union ou celle du chèque britannique.
La task force Van Rompuy a prévu une concertation entre les gouvernements au cours du semestre européen. L'une des propositions est que les parlements nationaux se saisissent du problème du gouvernement économique. Je vais donc demander aux deux co-rapporteurs d'expliquer la proposition française. Si elle vous agrée, nous pourrions la défendre ensemble – Polonais, Allemands et Français – au sein de la COSAC.
La proposition est que les présidents ou rapporteurs des commissions parlementaires chargées des questions économiques et budgétaires et le président de la commission des budgets du Parlement européen puissent se réunir et avoir un échange chaque année en mai, au moment où les décisions en matière budgétaire ont été prises, après transmission par les Etats, aux institutions communautaires, des programmes de stabilité et de convergence.
Le Président Pierre Lequiller. L'idée est en effet que la concertation prévue entre les gouvernements des 27 Etats membres soit étendue aux parlements nationaux. Telle est la proposition que, si vous en êtes d'accord, nous pourrions défendre ensemble devant la COSAC.
Bien entendu, nous sommes tous d'accord, cher collègue Montag, sur la nécessité d'une plus grande association des parlements nationaux au processus de gouvernement économique. Non seulement les parlements, mais les citoyens eux-mêmes doivent y participer, sans quoi il serait considéré comme un élément technocratique supplémentaire et voué à l'échec.
De même, nous sommes d'accord sur l'exigence de trouver le meilleur équilibre entre les obligations européennes et la solidarité. La solidarité est au fondement de l'Union européenne, mais elle ne signifie pas irresponsabilité des Etats, bien au contraire. Quant aux obligations, elles doivent en effet être évaluées sur la base d'indicateurs fiables. C'est pourquoi nous devons nous doter d'un instrument statistique incontestable, pour ne pas revivre la même situation qu'en Grèce, où les statistiques étaient manifestement « bidouillées ». Ce point fera l'objet d'un deuxième rapport d'étape. Quoi qu'il en soit, la solidarité, dans notre esprit, est loin de signifier le laisser-aller. Ce qu'il convient avant tout, c'est de respecter le pacte de stabilité.
Enfin, qu'il s'agisse du gouvernement économique européen ou de la stratégie « Europe 2020 », nous insistons beaucoup sur la nécessité d'être pragmatiques, concrets. Il faut tirer les leçons de l'échec – osons le mot – de la stratégie de Lisbonne. Nous sommes défavorables aux incantations, aux voeux pieux, au wishful thinking, qui offrent peut-être un certain plaisir d'ordre intellectuel, mais n'aboutissent à rien et contribuent à éloigner les citoyens européens des processus de décision. Au contraire, nous sommes favorables à des mesures claires, concrètes et limitées, afin que les citoyens puissent s'approprier le sujet d'un meilleur gouvernement économique de l'Europe.
Le Président Pierre Lequiller. Merci à tous pour ce débat extrêmement enrichissant.
La séance, suspendue à dix heures trente-cinq, est reprise à dix heures cinquante-cinq.
Les Commissions des affaires européennes du Triangle de Weimar en viennent au deuxième thème de leur réunion commune : la politique agricole commune.
Le Président Pierre Lequiller. Je salue M. Jean Bizet, président de la Commission des affaires européennes du Sénat français, et M. Jean-Paul Emorine, président de la Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat, qui nous ont rejoints avec d'autres membres du Sénat français pour aborder le sujet de la politique agricole commune (PAC) – sur lequel nous avons d'ailleurs tenu, le 3 novembre, une réunion avec les députés européens français, afin de promouvoir un point de vue partagé.
Le Président Jean Bizet. Je me félicite que ces réunions, tenues alternativement au Sénat et à l'Assemblée nationale, soient devenues une habitude, après avoir été initiées par Pierre Lequiller, et par mon prédécesseur, Hubert Haenel. Je me réjouis également de retrouver nos amis polonais et allemands. Votre réunion s'inscrit utilement dans le cadre des discussions qui s'engagent sur la réforme de la PAC après 2013.
La délégation du Sénat qui m'accompagne est constituée par : M. Jean-Paul Emorine, Président de la Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, M. Jacques Blanc, Vice-président de la Commission des affaires européennes, Mme Odile Herviaux, Vice-présidente de la Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire, Mme Bernadette Bourzai, et M. Gérard César, membres de la Commission des affaires européennes, et M. Gérard Bailly, membre de la Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Ce débat prendra appui sur l'accord conclu entre les ministres de l'agriculture français et allemand. A partir de ce document de base, nous souhaitons faire avancer, avec nos amis polonais, les orientations vers une politique agricole forte qui reste européenne. En effet, sur ce sujet primordial pour l'avenir de l'Europe, il convient de trouver rapidement des consensus.
La PAC a d'abord pour objet d'assurer la sécurité alimentaire, en quantité – l'on oublie trop souvent que 15 à 17 millions d'Européens, y compris en France, souffrent de malnutrition – comme en qualité, qu'elle soit sanitaire ou environnementale.
Une autre dimension de cette politique concerne la France, mais aussi, l'Allemagne ou la Pologne, davantage que d'autres pays : je veux parler de l'aménagement du territoire. Nous y tenons beaucoup, l'agriculture constituant un moyen de faire vivre les territoires difficiles en y apportant des activités économiques indispensables.
La PAC a également pour fondement d'assurer la rémunération des producteurs. A cet égard, nous avons tous constaté que les décisions prises depuis quelques années n'allaient pas forcément dans le bon sens. Par exemple, le découplage des aides – grande revendication des années quatre-vingt-dix de certains pays membres de l'Union européenne à l'époque – n'y a pas suffi. Ce système s'est révélé très coûteux et parfois inégalitaire, au détriment, notamment, des agriculteurs travaillant sur de petites surfaces. Tout compte fait, le système précédent, fondé sur le soutien des marchés, coûtait moins cher au budget européen et se montrait souvent plus efficace. Néanmoins, compte tenu de la concurrence internationale, nous ne pouvons plus intervenir de la même manière sur les marchés.
La nouvelle PAC devra d'abord tenir compte de ce qui se passe à l'extérieur de l'Union européenne, des négociations en cours à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) et avec les pays d'Amérique latine du MERCOSUR. En France, nous sommes unanimement très réservés sur ces négociations déséquilibrées à notre défaveur. Ces négociations sont certes nécessaires, mais il faudrait commencer par fixer des règles : celles que nous nous appliquons en France, qu'elles soient sanitaires, environnementales ou sociales, doivent aussi être imposées aux produits entrant sur le marché européen. A cet effet, doit être posée la question de la redéfinition du mandat de la Commission, inchangé alors que la négociation a débuté il y a plus de dix ans et que, depuis, les choses ont évolué.
Il faudra aussi réfléchir aux distorsions économiques existant entre Etats membres de l'Union européenne, qui sont peut-être encore plus fortes qu'auparavant. Or, un marché unique suppose des règles uniques, y compris sur le plan social ou environnemental. Les règles sanitaires sont généralement bien appliquées dans les trois pays ici représentés, mais un événement récent m'a beaucoup marqué, d'autant que peu de gens en ont parlé. Le vainqueur du dernier Tour de France a expliqué s'être dopé avec de la viande, qu'il avait fait venir d'Espagne, contenant du Clenbutérol, produit interdit depuis longtemps dans l'Union européenne sur lequel personne ne se pose de questions. Cela montre que certaines règles sont édictées mais mal appliquées. Les paysans supportent de moins en moins bien cette situation, en particulier en France. Si nous voulons donner confiance en une nouvelle PAC, il faudra donc savoir appliquer les règles en vigueur.
Je partage complètement l'analyse de Jean Gaubert. Je commencerai d'ailleurs par là où il a terminé : les Européens doivent savoir ce qu'ils veulent, dans les négociations commerciales multilatérales de l'OMC comme dans les négociations régionales bilatérales, en particulier sur la question très importante du Mercosur. Or nous n'avons pas le sentiment qu'il y a un réel pilotage de ces négociations. La Direction générale pour le commerce, qui négocie à la fois pour le compte de la Commission et pour le compte des Etats membres, travaille en réalité de manière très isolée par rapport à la Direction générale de l'agriculture et du développement rural et à la Direction générale du développement, alors que les politiques agricoles ont évidemment des incidences très fortes sur les pays en voie de développement. Les interminables négociations des accords de partenariat économique entre l'Union européenne et les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique sont le résultat de cette absence de vision politique globale. Sur ces sujets, il faut remettre de la politique, au meilleur sens du terme. Pour avoir participé à de nombreuses négociations de ce type, j'ai pu constater qu'elles étaient assez mal préparées politiquement, ce qui entraînait parfois, juste avant la fin des discussions, des psychodrames qui auraient pu être évité si des objectifs cohérents avaient préalablement été fixés.
Chacun est désormais convaincu, notamment au Parlement européen, qu'une politique agricole commune est nécessaire et qu'elle est extrêmement importante du point de vue économique et territorial. Nous savons aussi qu'il n'y a pas de modèle idéal de la PAC, qu'il ne faut pas s'abandonner à une nostalgie de la PAC des années soixante, ni de la PAC actuelle, d'autant que celle-ci n'obéit plus à une cohérence d'ensemble ni à des objectifs clairs, mais procède de réformes successives pas forcément bien ajustées. Elle constitue aujourd'hui une sorte de manteau d'Arlequin.
Une politique agricole européenne doit poursuivre trois objectifs.
Elle doit prendre en compte le risque climatique, car les productions agricoles, quelles qu'elles soient, depuis l'apparition de l'agriculture au paléolithique, sont toujours soumises aux aléas climatiques. Des dispositifs assurantiels pour aider les paysans de tous nos pays sont donc nécessaires. Les systèmes communautaires existants sont très limités et nous nous appuyons surtout sur des systèmes nationaux très composites. Il importe donc de revisiter cette question à l'échelon communautaire.
Sur la question du risque sanitaire, sensible depuis la crise de la vache folle, l'Union européenne est aussi trop peu présente. La problématique concerne les productions animales, mais aussi végétales comme les fruits et légumes ou encore la vigne.
La question du risque économique et du traitement de la volatilité des cours sera la plus compliquée à traiter et la moins consensuelle. Le sujet n'est d'ailleurs pas seulement européen mais mondial et fait partie des priorités françaises dans le cadre de sa présidence du G20.
Je rejoins Jean Gaubert s'agissant du découplage des aides. Si la France les a partiellement découplées, c'est que la pression était très forte. Le concept, inventé par M. Stefan Tangerman, directeur de l'alimentation, de l'agriculture et des pêcheries de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), a été repris par l'OMC, qui raisonne selon une logique des trois boîtes. La boîte orange – l'enfer – vise les aides couplées à la production; la boîte bleue – le purgatoire – contient les aides découplées de la production ; la boîte verte – le paradis – contient les aides découplées de toute contingence agricole. Or cette vision a vécu. Il est incroyable que les aides octroyées à nos agriculteurs soient complètement indépendantes du niveau des cours des produits qu'ils vendent. Qu'il subsiste des aides découplées pour rémunérer l'entretien de l'espace et l'aménagement du territoire est légitime mais il est plus compliqué d'accorder des aides complètement déconnectées de la conjoncture économique.
Techniquement et politiquement, l'un des enjeux les plus importants de la future réforme de la PAC consistera à trouver un système modulable en fonction des cours sans reproduire les errements des années soixante qui entraînaient des phénomènes de surproduction, avec à la clé, des montagnes de beurre congelé et de lait en poudre. Il s'agira donc de trouver une façon permettant de soutenir les productions au moment opportun, dans une optique contracyclique.
Le Président Pierre Lequiller. La PAC est un sujet évidemment capital pour le Triangle de Weimar, dans la mesure où nos pays sont trois puissances agricoles, attachées à leur agriculture.
Je me félicite de constater que nous voulons tous que la politique agricole reste une politique « commune » – adjectif essentiel que nous devons systématiquement souligner.
Notre discussion déborde aussi sur le premier sujet abordé ce matin, celui du budget, car il est impossible de mener une politique sans disposer des ressources nécessaires à sa réalisation. Si de l'argent existe pour la PAC, elle pourra être mise en oeuvre ; sinon, cela sera impossible.
Les ressources investies dans la politique agricole commune par l'Union européenne sont élevées : elles se chiffrent aujourd'hui à 42,7 % du budget européen et il est prévu que le taux descende à 40,3 % en 2013, alors que, par le passé, il a atteint jusqu'à 60 %. J'ajoute que le montant du budget européen baissera d'ici à 2013 : il passera de 1,11 à 0,91 % du PIB des Etats membres. Si on veut une politique agricole commune, il faudra trouver des fonds !
Quels sont les objectifs d'une PAC ?
La sécurité alimentaire est essentielle. Cette question n'est pas évidente car nous pouvons observer un développement important de l'agriculture en Amérique Latine comme en Australie ou aux Etats-Unis. Si nous ne conservons pas une agriculture forte, il est possible que des produits agricoles à bon marché, très concurrentiels, inondent notre marché, ce qui risquerait de conduire à la stagnation des productions européennes, voire à une situation plus difficile encore.
Le développement rural est également un élément crucial. Il importe également de garantir des conditions de compétitivité homogènes au sein de l'Union européenne, mais aussi, évidemment, d'appliquer les mêmes règles sur le marché mondial, afin que nos produits agricoles soient compétitifs.
Pour toutes ces raisons, une PAC est nécessaire. Comment continuer à la mettre en oeuvre après 2013 ?
La Pologne, tout comme la France et l'Allemagne, est très attachée à l'agriculture, et son poids dans la discussion sur la réforme de la PAC sera déterminant. A cet égard, la dimension commune de la politique agricole est importante pour garantir les mêmes conditions de compétitivité entre les Etats membres et de bien répartir les ressources entre les différents piliers.
Quant au soutien direct qui reste un point clé, il faudrait abandonner les références historiques du dispositif.
Il sera nécessaire, après 2013, de maintenir le financement de la PAC à un niveau soutenu, c'est-à-dire au moins équivalent au niveau actuel. La nationalisation d'une partie des aides, dont il est parfois question, serait inacceptable, car elle ferait perdre à la politique agricole son caractère commun.
La PAC devra continuer à fonctionner par le biais de trois dispositifs en vigueur : l'organisation commune des marchés ; le soutien direct et le paiement unique ; le développement rural, sachant qu'il conviendra de trouver un bon équilibre entre soutiens directs et crédits consacrés au développement rural. Si nous nous limitons au soutien direct et s'il atteint des montants très élevés, cela conduira à la stagnation. Tout développement rural sera impossible car c'est grâce aux aides en faveur du développement rural que l'on a investi, par exemple dans les technologies nouvelles. De même, il n'est pas envisageable d'autoriser une modulation illimitée en laissant aux Etats membres la liberté totale de soutien direct et développement rural. Cela créerait un déséquilibre et une inégalité.
Notre débat est aussi important que celui que nous avons eu dans la première partie de la matinée car les orientations choisies auront un impact déterminant sur les perspectives financières. Ces sujets seront essentiels lors de la présidence hongroise et de la présidence polonaise.
Le Président Gunther Krichbaum. La PAC est effectivement un sujet de première importance pour le Triangle de Weimar, mais certaines de nos positions restent divergentes.
Nous avons fait état ce matin de notre attachement à une politique européenne de Recherche et Développement. Il convient de déterminer les domaines dans lesquels l'Union européenne doit s'engager, par exemple en matière d'infrastructures de transports, d'approvisionnement énergétique, de coopération des polices et de la justice. Tout cela coûte cher et la majorité des Etats membres refusent de confier davantage de fonds à l'Union européenne en vue d'une gestion commune. Dans ce contexte, quels champs de compétences choisir ? Tous les domaines qui ont été communautarisés, agriculture incluse, doivent être soumis à une révision. Nous devons donc réfléchir à la réforme de notre politique agricole commune. La PAC des dix ou vingt dernières années ne saurait être pérennisée et être celle des années 2020 ou 2030.
En effet, les choses ont changé. Il y a dix ou vingt ans, nous n'étions pas encore soumis au défi du changement climatique, qui devient un réel problème pour la production agricole, en particulier dans les pays du Sud et du Sud-Est de l'Europe – nous avons encore en mémoire les images des incendies de forêts et de la sécheresse catastrophique au Portugal, en Espagne et en Grèce. Nous devons évidemment apporter notre aide aux exploitants agricoles concernés car nous avons un grand intérêt à ce que les espaces agricoles soient bien gérés sur l'ensemble du territoire.
En Allemagne, il n'est pas assez mis l'accent sur le fait que les exploitants agricoles s'occupent de l'entretien du territoire et des paysages, dont ils garantissent la viabilité. Le défi est immense et nous devons nous consacrer à des priorités : la gestion de l'eau, compte tenu du changement climatique, et la garantie d'un approvisionnement alimentaire suffisant et de qualité, en prenant en considération la dimension sanitaire. L'Union européenne devra apporter sa contribution à la sécurité alimentaire à l'échelle planétaire. La population mondiale ne cesse de croître et les consommateurs de l'Inde ou de la Chine ne veulent plus se nourrir uniquement de produits végétaux ; ils veulent aussi manger de la viande, ce qui requiert un développement de l'élevage. Pour nos agricultures, c'est un défi énorme.
Les enjeux n'ont jamais été aussi considérables alors que les ressources financières n'augmentent pas. C'est pourquoi nous devons réfléchir à la manière dont nous devons conduire la PAC dans les décennies à venir.
Le Président Edmund Wittbrodt. La politique agricole commune doit en effet être envisagée comme un défi global. Si les moyens sont limités – mais nous ne les connaissons pas encore – il faudra bien définir des priorités.
Lors d'une réunion avec le président de la Commission des affaires européennes du Sénat français, nous avons évoqué la « position franco-allemande pour une politique agricole commune forte au-delà de 2013 » que les ministres de l'agriculture des deux pays ont signée en septembre. Nous avons constaté que plusieurs éléments de cet accord bilatéral correspondent au point de vue polonais sur l'agriculture, définie à l'instant par mon collègue Stanislaw Rakoczy. Tout ce qui a été accompli jusqu'à présent a été positif. Il faut préserver les producteurs des errances des marchés. En quoi réside donc notre divergence ? Sur le fait que la France et l'Allemagne refusent la proposition polonaise d'accorder des aides directes uniformes dans toute l'Union européenne, sous prétexte que cela serait injustifié et ne prendrait pas en compte les différences de niveau économique. Il faudra débattre de ce point. Ne serait-il pas possible, puisque nous nous rencontrons dans le cadre du Triangle de Weimar, de transformer cet accord bilatéral en un accord triangulaire ? En effet, si des différences subsistent entre nous, de nombreux éléments nous relient.
Nous avons débattu de la stratégie « Europe 2020 » et nous nous sommes accordés sur le fait qu'il convient d'appuyer toutes les avancées conformes aux priorités définies dans ce cadre. Plusieurs peuvent concerner l'agriculture, notamment l'approche innovante, avec l'idée d'une « Union de l'innovation ». Nous devrions donc prendre cette dimension en compte.
Le Président Jean-Paul Emorine. Alors que nous abordons la réforme de la PAC, je vous invite à vous souvenir du bilan de santé de la politique agricole commune, qui n'avait pas été effectué par hasard mais afin de tirer des conclusions de l'application des réformes effectives. J'avais accompagné à l'époque Michel Barnier à la réunion des ministres de l'agriculture de l'Union européenne à l'occasion de laquelle une très large majorité d'Etats membres – peut-être vingt-cinq sur vingt-sept – s'étaient prononcés en faveur de ce bilan de santé qui préconisait une réorientation des aides plutôt en faveur des régions difficiles, surtout celles de montagne et d'élevage qui caractérisent globalement le territoire européen.
La Commission des affaires européennes et la Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire du Sénat ont adopté un rapport d'information sur la réforme de la politique agricole commune intitulé « Redonner du sens à la PAC ». Je partage les remarques d'Hervé Gaymard à propos du risque assurantiel. C'est là une notion très chère aux sénateurs, toutes opinions politiques confondues – Gérard César, ici présent, qui fut rapporteur de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche, pourrait en témoigner. Il est inconcevable qu'une activité économique ne soit pas assurée, sous une forme ou une autre, contre les aléas climatiques et sanitaires, qu'il s'agisse des plantes ou des élevages. L'Europe peut y aider.
La vraie question est de savoir si les aides peuvent être destinées à compenser les pertes de revenus des agriculteurs. Les réponses ne sont pas très précises. Nous devrons pourtant y répondre, sachant que nous sommes tous d'accord pour faire disparaître les références historiques génératrices de distorsions considérables sur le territoire européen et que le Sénat est défavorable à la renationalisation de la PAC – qui doit rester européenne – et opposé à la modulation.
Pour ce qui est de l'affectation des aides entre les piliers, le rapport d'information du Sénat estime que la PAC doit être articulée autour des deux piliers : un premier pilier plutôt axé vers les aides à l'entreprise agricole ; un second prenant en compte le handicap naturel – avec évidemment les indemnités compensatoires de handicaps naturels (ICHN) –, les zones défavorisées et les règles de conditionnalité.
Dès lors que nous sommes globalement d'accord, nous pouvons très bien nous orienter vers un accord triangulaire dans le cadre de Weimar.
Le Président Stanisław Rakoczy. Si nous préconisons un nouveau système de paiement, lié à la surface, ce n'est certainement pas pour revenir à l'ancien système, mais pour instaurer un système de régime de paiement unique à la surface, simplifié et modernisé.
Je suis d'accord avec les intervenants précédents : il est inadmissible qu'un agriculteur de Lettonie reçoive environ 10 euros à l'hectare quand un agriculteur grec reçoit 500 euros sans que cet écart obéisse à la moindre logique.
Le niveau des aides directes ne doit pas forcément augmenter, mais il doit au moins rester équivalent.
Il est légitime de maintenir des différences, de prendre en considération les exigences environnementales et d'accorder davantage d'aides aux agriculteurs des régions où les conditions d'existence et d'exploitation sont plus difficiles, par exemple à cause du changement climatique. Mais le système doit être juste, fondé sur de bons principes, et non défini arbitrairement ou a priori.
La PAC est sans doute le secteur de l'activité européenne qui suscite le plus de dissensions. J'ignore comment vous vivez cela au quotidien mais, pour ma part, j'ai l'impression que les citoyens de l'Union européenne considèrent la PAC comme une sorte de pieuvre tentaculaire, aspirant de l'argent du budget européen et le redistribuant en fonction de particularismes égoïstes. Par conséquent, sans plaider pour la suppression de la PAC, je crois qu'une réforme fondamentale est nécessaire.
S'agissant du deuxième pilier, je suis tout à fait d'accord avec les propos tenus par Stanisław Rakoczy dans sa déclaration liminaire. Je ne prendrai pas position sur les aides directes. L'Union européenne est confrontée à la nécessité de définir des objectifs publics sans en transférer le coût sur le prix des denrées agricoles. Parmi les objectifs publics figurent l'entretien des territoires, la préservation des espaces de vie, des nappes phréatiques, de la fertilité des sols et de la biodiversité, la garantie de la sécurité alimentaire et la préservation des emplois dans le secteur agricole.
En conséquence, l'argent public doit être à l'avenir uniquement consacré à des services relevant du domaine public, même dans l'agriculture. Cet impératif figure d'ailleurs dans les intitulés de la communication de la Commission relative à la réforme de la PAC. J'estime que la Commission, à cet égard, va dans le bon sens.
Mon collègue Jerzy Montag a résumé une partie de la problématique. Je me permettrais de compléter son intervention.
Regardons les choses en face. Avant les premières modifications du système, intervenues par étapes successives au cours des vingt dernières années, la PAC a représenté jusqu'à 75 % du budget communautaire. Avec 42 %, nous sommes maintenant bien au-dessous, mais il ne faut pas se limiter à ces chiffres. Les crédits consacrés aux politiques régionales ont pour leur part augmenté et ont constitué une sorte de compensation.
C'est un peu une logique à l'italienne : il faut que tout change pour que rien ne change ! Il faut être honnête – nous ne sommes pas là pour prononcer des discours de tribuns afin de se faire applaudir : nous ne sommes pas parvenus à mener une véritable grande réforme.
La PAC, conçue dans les années soixante, joue un rôle de cohésion essentiel entre la France, l'Allemagne et maintenant la Pologne. Les modifications nécessaires intervenues en 1968 et autres n'ont pu être mises en oeuvre que pas à pas. Sur la période 2006-2010, nous avons pu observer combien les ancrages étaient puissants et difficiles à combattre.
Nous devrions sans doute nous concentrer davantage sur l'évolution des structures dans les espaces ruraux. Dans ma région d'origine, la Ruhr, les secteurs dominants sont l'industrie et les services. L'agriculture n'y est pas dominante, ne représentant que 2 % de l'activité, mais il faut s'y intéresser de près car il s'agit d'emplois et de structures économiques.
Le Président Jean Bizet. Pour revenir en premier lieu sur les propos d'Hervé Gaymard, je suis entièrement d'accord, s'agissant des aides directes, sur la nécessité d'en imaginer une certaine modularité afin de garantir les revenus des agriculteurs. Nous en avions d'ailleurs parlé avec le commissaire à l'agriculture Dacian Cioloş lors de sa venue au Sénat. Autant en année faste, lorsque les marchés tirent vers le haut les prix agricoles, les aides directes peuvent apparaître – comparativement – trop élevées, autant lorsque les marchés s'effondrent, ces mêmes aides directes se révèlent insuffisantes. Une solution devra être trouvée, ce qui pose le problème de la règle de l'annualité budgétaire. Il faudra également éviter qu'une telle aide soit cataloguée comme une mesure de soutien à l'agriculture relevant, selon la classification de l'OMC, de la « boîte orange ». Il y a là une piste que, dans le rapport du groupe de travail du Sénat, nous avons listée comme devant être creusée.
Concernant l'intervention de Jean Gaubert, je suis également d'accord sur la nécessité pour le Parlement européen de redéfinir, dans le cadre des négociations multilatérales mais également bilatérales, le mandat du commissaire européen au commerce extérieur, M. de Gucht parce que le monde a changé depuis 2001.
Le point fondamental sera celui du budget. La crise financière ayant atteint tous nos pays plus ou moins fortement, nous connaissons, les uns et les autres, des exercices budgétaires contraints. A cet égard, j'ai été impressionné par les propos tenus hier par le président du conseil, M. Van Rompuy – ce dernier parlant peu, ses paroles n'en ont que plus de prix. Il a fait part pour la première fois de sa grande inquiétude quant à l'assainissement des finances des divers Etats membres, allant même jusqu'à craindre, si les principaux Etats de l'Union n'y arrivent pas, pour la pérennité de l'euro. Comme Stanisław Rakoczy le soulignait, les budgets consacrés à l'agriculture vont en diminuant. Sans être alarmiste, il me semble malgré tout qu'il nous faut nous préparer à une hypothèse dans laquelle le budget consacré à la PAC serait en diminution. Nous ferons tout pour que ce ne soit pas le cas, mais il nous faut aussi être réalistes. Notre rapport fait état pour la France et l'Allemagne réunies un solde négatif de pratiquement 12 milliards d'euros dans les années 2009–2010 pour la partie PAC. Les équilibres budgétaires risquent de nous poser un grave problème à l'avenir.
Le Président Stanisław Rakoczy. Dans une large mesure, notre discussion est largement liée à la situation financière de nombreux Etats de l'Union. Que nous parlions de l'agriculture pendant que se joue une crise économique n'est à cet égard pas neutre : si la conjoncture était meilleure, notre débat serait en effet plus facile.
Pour autant, on ne peut laisser dire que le budget de la PAC serait quelque chose qui empêcherait tout progrès dans d'autres domaines car il absorberait la majorité des ressources et ne serait pas conforme aux objectifs de services publics. En effet, la politique agricole commune n'a pas seulement pour objet d'assurer des revenus par le biais d'aides directes qui ne peuvent en tout état de cause pas tout résoudre, les agriculteurs ne pouvant jamais vivre uniquement de ces aides. Elle doit également assurer aux citoyens européens l'accès à une nourriture suffisante et de bonne qualité. A défaut, nous serions contraints de manger des aliments en provenance d'Amérique latine ou d'Australie qui ne répondraient pas forcément aux normes européennes. La PAC répond donc à des intérêts publics.
La structure européenne doit être améliorée, mais il est possible de la changer. Mais le changement de structure foncière, s'il peut conduire à l'augmentation du nombre des grandes exploitations, ne peut être en effet que le résultat d'un processus social qui ne peut être décrété – nous avons essayé en Pologne avec les conséquences funestes que l'on sait... – et qui prendra du temps.
Peut-être serons-nous un jour concurrentiels avec les exploitations américaines ou latino-américaines de plusieurs milliers d'hectares. Il faudra auparavant avoir défini le modèle vers lequel nous voulons tendre : des latifundia à l'américaine ou des exploitations familiales, voire même, au-delà d'une certaine surface, des sociétés de production ? En tout état de cause, nous sommes condamnés à être compétitifs car l'Europe ne peut pas se permettre d'abandonner sa sécurité alimentaire.
Nos ministres de l'agriculture se rencontrent très souvent, et je sais, pour être en contact permanent avec M. Marek Sawicki, ministre polonais de l'agriculture, qu'à chacune de ces rencontres, un rapprochement des positions s'opère. Il est donc logique de penser que, d'ici peu de temps, nos trois pays arriveront, dans le cadre du Triangle de Weimar, à un compromis concernant la future PAC. Cet accord pourra même constituer la base du système car si nos trois pays tombent d'accord, tous les Etats membres les rejoindront sans mal.
La question est en effet de savoir ce que nous voulons en Europe en termes aussi bien d'alimentation que de structures agricoles.
S'agissant des aliments, nous devons rester attachés à des produits agricoles qui ne contiennent pas d'éléments nuisibles pour la santé, ce qui implique un lien très fort entre l'industrie alimentaire et la recherche et développement. Grâce aux résultats de cette dernière, les petites exploitations agricoles en Europe pourront en effet être plus compétitives et proposer des produits intéressants. Il conviendrait de même d'approfondir le rôle de l'industrie de transformation afin d'élaborer des produits sains, ce qui ne pourrait qu'avoir un impact favorable sur la santé des générations futures en Europe.
On pourrait également penser à une plus grande spécialisation selon les secteurs. Ainsi, un pays comme le Canada essaie d'introduire ses produits sur le marché européen – on peut le constater dans chacun de nos pays. Les Canadiens se sont ainsi implantés en Pologne, dans la région de Mazurie – qui est la plus fertile et où l'environnement est le plus sain –, pour y produire de la tomate, faisant à cet égard preuve également d'innovation. En se basant sur une spécialité et en se concentrant sur une région, ils montrent là un bon exemple de ce qui devrait être suivi par les Européens eux-mêmes. Dans cet ordre d'idée d'ailleurs, sait-on que les champignons de Paris sont produits en grande quantité en Pologne et qu'ils sont exportés en dehors des frontières de l'Union européenne ?
Tous ces exemples montrent qu'en matière de produits agricoles, une meilleure spécialisation et une plus grande innovation pourraient avoir des effets bénéfiques pour toute l'agriculture européenne.
Le Président Pierre Lequiller. Il n'y aurait donc pas que Chopin que l'on se disputerait, mais également les champignons de Paris !
Il m'est agréable de rappeler que nous partageons, en particulier avec nos collègues MM. Wittbrodt et Rakoczy que nous avons déjà eu l'occasion de rencontrer, un grand nombre de points de vue concernant la future PAC que nous voulons tous, forte et rééquilibrée.
Nos collègues allemands ont indiqué que la société accepterait mal de continuer à financer autre chose que des biens publics. C'est là un enjeu majeur de la future PAC que de faire prendre conscience à l'ensemble de la société européenne qu'en l'absence d'agriculteurs aptes à préserver ce que nous avons appelé dans notre rapport notre patrimoine commun – celui des paysages, de la biodiversité, de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de tous les services afférents –, et donc en l'absence d'une activité de production pour l'alimentation de la population, on ne sait pas ce qui pourrait arriver dans nos territoires !
Nous avons donc tout un travail de pédagogie à fournir afin que la politique agricole commune à venir soit vraiment considérée comme plus équilibrée, plus juste et plus équitable. Pour « Redonner du sens à la PAC » – sous-titre que nous avons donné à notre rapport –, cela impliquera de s'adresser non seulement aux agriculteurs eux-mêmes, mais également à l'ensemble de nos populations.
Je reviendrai sur les propos de Stanisław Rakoczy. Il est vrai que les produits alimentaires en provenance des Etats-Unis, d'Amérique latine ou des Etats africains ne sont pas nécessairement conformes à nos règles de qualité. Il n'en reste pas moins que nous, Européens, sommes considérés par le reste du monde comme protectionnistes. Le fait que nous veillions, par des subventions, à ce que nos exploitants agricoles puissent survivre et à ce que notre marché agricole soit préservé, empêcherait les autres pays de vendre leurs produits chez nous – même si, en échange, nous offrons une aide au développement. Notre approche de fond ne peut donc tendre à empêcher systématiquement les exportations de ces pays vers notre marché.
Dans ces conditions, il ne faut accepter de manière générale en Europe que des importations de produits répondant aux critères de qualité de l'Union européenne, quels que soient d'ailleurs les biens de consommation, agricoles ou autres. L'important, pour prendre l'exemple des jouets, c'est de savoir quels sont les matériaux qui ont été utilisés pour leur fabrication. C'est sur ce point que nous devons recentrer notre approche, car nous n'arriverons plus à empêcher la concurrence à l'échelle mondiale.
L'Union européenne ne peut plus en effet se soustraire, comme elle a essayé de le faire, à la politique de prix sur le marché mondial. La pression de la concurrence sur les exploitations agricoles sera donc plus importante. Une concurrence existe déjà de fait au sein de l'Union européenne : sur les marchés de Bucarest, par exemple, les produits agricoles locaux sont peu à peu évincés, notamment par des tomates hollandaises.
Si personne ne peut échapper à cette pression de la concurrence, il est cependant de notre intérêt commun de préserver les petites exploitations agricoles en leur garantissant des perspectives de revenu, plutôt que d'orienter notre politique agricole en faveur des grandes entreprises agricoles. Nous ne voulons plus de ces grandes coopératives agricoles, dotées de très grandes surfaces et dont les produits étaient facilement victimes d'épidémies.
C'est en tout cas sur cette problématique de la concurrence interne et externe qui va aller en s'accuentant, qu'il nous faut nous concentrer.
Le Président Jean Bizet. Nous sommes en effet dans un monde globalisé et nous ne pourrons plus le changer, mais peut-être n'avons pas suffisamment l'habitude – en tout cas en France – d'utiliser les outils que met à notre disposition l'Organisation mondiale du commerce. En matière par exemple de surveillance sanitaire des produits qui arrivent sur notre marché, l'Accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires (SPS) nous permettrait de refuser tous ceux qui ne correspondent pas aux exigences de l'Union européenne – et nous ne devons pas avoir d'état d'âme en ce domaine.
Par ailleurs, il conviendrait de mettre en avant le principe de réciprocité. Les standards que la société civile de l'Union européenne nous a progressivement imposés et à juste titre, en matière sanitaire ou environnementale, doivent également s'imposer à l'ensemble du marché international. C'est de plus en plus compris et admis.
Quant au fait que nous soyons dans un monde concurrentiel, la PAC que nous souhaitons – qui doit être tournée vers les grands marchés puisque telle est la réalité du monde d'aujourd'hui – ne devra pas pour autant se détourner d'une agriculture de proximité, c'est-à-dire d'une agriculture de petites exploitations implantées notamment dans la ceinture verte des villes. Cette agriculture a toute sa lisibilité et la PAC ne doit pas s'en détourner : ce sera toute sa noblesse que de pouvoir jouer dans les deux « cours ».
Pour revenir sur le propos introductif d'Hervé Gaymard, nos collègues polonais et allemands seraient-ils d'accord pour reprendre à leur compte, s'agissant des objectifs d'une politique agricole européenne, les trois points également évoqués par Jean-Paul Emorine, à savoir les risques climatique, sanitaire et économique ?
Par ailleurs, la rencontre entre nos trois pays pourrait-elle s'élargir à d'autres, en particulier aux pays les plus agricoles de l'Europe, comme l'Espagne et l'Italie ?
Le Président Pierre Lequiller. Nos trois pays représentent à eux seuls une grande force de frappe en matière agricole. Il me semble difficile, ne serait-ce que sur le plan pratique, d'élargir nos discussions. Mais une telle possibilité existe déjà au sein de la COSAC – la Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes des Parlements de l'Union européenne. Chacun d'entre nous souhaite avoir une agriculture et des agriculteurs qui se portent bien.
On ne peut que regretter que nos pays soient beaucoup trop concurrents au sein même de l'Europe. Pendant que nous nous prenons ainsi des parts de marché respectives, nous risquons d'être envahis par des produits venant des Etats-Unis, du Mercosur ou d'autres grandes puissances agricoles mondiales. C'est un point sur lequel il conviendrait de réfléchir.
Pour ce qui est des aides directes, il est souhaitable qu'elles soient mieux partagées, du moins en France – je ne connais pas suffisamment bien leur répartition dans les autres pays pour en juger. Elles restent en tout cas nécessaires dans le contexte actuel, car les politiques de prix beaucoup trop bas aboutissent à des tarifs non rémunérateurs voire à des ventes à perte, ce qui dans tout système économique n'est pas normal. Il conviendrait de réfléchir au meilleur niveau de prix à la production.
Le second pilier ne doit pas être le parent pauvre des aides. Il doit permettre au contraire de soutenir les agricultures les plus modestes et les régions d'exploitation les plus difficiles. Il joue un rôle important sur les plans humain, social, économique, mais aussi du point de vue de l'aménagement des territoires et de l'écoconditionnalité.
S'il faut aller vers la convergence des aides, elle ne doit pas être immédiate, car cela accentuerait les différences de coût de productivité entre nos pays, ce qui ne serait pas une bonne chose. Elle doit être un levier permettant une harmonisation sociale vers le haut, de façon que nos pays respectifs puissent produire à des coûts comparables. S'il est beaucoup moins cher aujourd'hui d'abattre les animaux dans les abattoirs allemands, l'objectif ne doit pas pour autant être de tous les faire abattre en Allemagne. Ce serait une aberration.
Il faut que les Etats membres tendent chacun vers une souveraineté alimentaire, mais aussi que la préférence communautaire – idée qui m'est chère, mais qui tend à être abandonnée – soit préservée. Je crois donc que nous avons tout intérêt à travailler ensemble.
Qu'il me soit d'abord permis de me réjouir de notre discussion de ce matin car si certains sujets méritent que nous y travaillions encore, une grande convergence apparaît globalement entre les représentants de nos trois pays, qui pèsent lourd dans le contexte agricole européen.
S'agissant de la convergence des aides financières sur laquelle nos amis polonais ont insisté à juste titre insisté, le débat reste ouvert car si elle doit peut-être se faire pas à pas, on ne peut imaginer qu'il y ait une Europe à deux vitesses, sur ce sujet comme sur d'autres.
Pour ce qui est du modèle agricole, s'il doit être efficace et diversifié, encore faut-il se méfier de tout modèle unique : qui, dans les pays traversant aujourd'hui une crise de la production porcine, dépose son bilan ? Ce sont les très grands élevages en Bretagne et en Espagne, c'est-à-dire ceux dont on disait voilà quelques années qu'ils tueraient la petite agriculture ! Ils n'ont pas en effet la capacité de résistance qu'a l'agriculture familiale qui, elle, peut trouver une position de repli dans les moments les plus difficiles.
De même, s'agissant des négociations internationales, méfions-nous des pays libéraux qui voudraient nous exporter un libéralisme qu'ils n'appliquent pas chez eux. Aux Etats-Unis, les aides contracycliques existent alors que ce pays nous donne des leçons ; au Canada, qui se présente comme un pays ultralibéral, le système de production laitière, qui n'est sans doute pas applicable chez nous, aboutit à maintenir – certes sans aides d'Etat – un prix du lait très élevé associé à une taxation très forte des produits laitiers entrant sur son sol. On pourrait s'en inspirer.
Ces quelques exemples doivent nous inciter à rappeler à ceux qui nous accusent de protectionnisme que nous ne sommes certainement pas les seuls ou les pires et que, tout compte fait, l'Union européenne est sans doute la zone la plus ouverte à un certain nombre de produits.
Quant à l'élargissement du débat aux autres Etats membres, j'y suis d'autant plus favorable que j'ai trouvé très fructueux celui organisé par la présidence finlandaise sur le bilan de la PAC à mi-parcours et auquel assistaient un ou deux représentants de chaque Parlement. Je ne sais si l'un de nos pays peut organiser un tel débat, mais l'idée me semble bonne.
Sachant que je partage entièrement l'avis de Jean Gaubert, je reviendrai simplement sur l'intervention de Gunther Krichbaum, car s'il est vrai que nous sommes dans un monde de concurrence, la formule utilisée en la matière en Europe est celle d'une « concurrence libre et non faussée ». Si chacun peut mettre ce qu'il veut dans l'expression « concurrence libre », il est important, du point de vue de la sémantique, de bien définir ce qu'est la « concurrence non faussée ». En effet, la concurrence peut être faussée soit par des interventions des Etats – et l'on a vu ce qu'il fallait en penser avec ceux, tels les Etats-Unis, qui veulent nous donner des leçons en la matière –, soit par l'existence de conditions différentes : un territoire avec une densité de population très forte ne peut avoir les mêmes façons de cultiver ou pratiquer l'élevage que des pays comme les Etats-Unis, le Brésil ou même le Canada
Le Président Stanisław Rakoczy. Nous n'avons pas en effet la possibilité d'avoir une production bon marché de viande bovine faute de prairies et de pampa...
Pour ce qui est de l'ouverture du débat à d'autres Etats membres, il me semble que le lieu le mieux adapté serait la COSAC. J'en parlerai la semaine prochaine avec mon collègue hongrois pour organiser un tel débat soit pendant la présidence hongroise soit pendant la présidence polonaise. Cela me semble possible sans que cela implique pour autant de marcher, tel un funambule, sur une corde raide.
Sur le fond, nous sommes en tout cas d'accord ici sur presque tout, mises à part quelques divergences concernant les aides directes, mais qui pourront être résolues par nos experts. Pour notre part, nous exprimons seulement une volonté politique et, à cet égard, je ne vois pas de divergences.
Lorsque j'ai parlé de la nécessité de définir des objectifs de services publics, il est bien entendu que les conséquences du changement climatique devront également être prises en compte. A cet égard, il s'agira de définir des objectifs tels que la culture de surfaces inondables, des constructions de digues, de lutte contre la désertification ou encore contre les incendies de forêt dans le sud de l'Europe. Tout cela constitue des objectifs de services publics répondant à un besoin de nos sociétés et auxquels le secteur agricole peut apporter une réponse. C'est à ce titre que les agriculteurs doivent pouvoir recevoir de l'argent du budget européen.
Pour autant, il m'a semblé, à entendre la contribution de mon collègue français, que le changement climatique implique d'aider le secteur agricole. Il me semble qu'il conviendrait de réfléchir aussi à la part de responsabilité de l'agriculture sur le changement climatique et à l'argent qui pourrait être mis à la disposition du secteur agricole pour qu'il conduise une politique agricole qui participe aussi à la lutte contre le changement climatique.
Le Président Pierre Lequiller. Merci à tous.
La séance est levée à 12h15