Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir M. François Drouin, président-directeur général d'Oséo.
Merci, monsieur le président, d'avoir accepté de participer à nos travaux sur le crédit d'impôt recherche (CIR), en présence des représentants de la Cour des comptes. Je salue également l'arrivée d'un représentant de l'exécutif, M. Olivier Velter, membre du cabinet de Mme Christine Lagarde, ministre de l'Économie, de l'industrie et de l'emploi. Les représentants de l'association Croissance Plus que nous venons de recevoir nous ont dit beaucoup de bien d'Oséo, qu'ils souhaitent voir devenir le partenaire central en matière d'assistance à la recherche et à l'innovation. Je vous laisse formuler vos observations, puis nous vous poserons quelques questions.
Oséo essaye d'être le plus utile possible aux entreprises. Nous considérons le CIR comme un outil très puissant, portant sur des sommes considérables et efficace au regard du but poursuivi – la défiscalisation de l'activité de recherche et développement. On peut cependant s'interroger sur son rapport coûtefficacité et sur la nécessité éventuelle d'une régulation.
Il existe une confusion sémantique entre deux notions fondamentalement différentes, la recherche et l'innovation. La première consiste, en finançant des laboratoires et en payant des chercheurs, à transformer de l'argent en idées, que l'on essaie de breveter afin de les protéger – parfois d'ailleurs de façon trop défensive car le brevet devrait être une arme d'attaque des marchés ; la deuxième, à transformer des idées préexistantes en argent. Il s'agit donc de deux démarches opposées. Elles sont néanmoins complémentaires et indispensables l'une à l'autre.
Le monde de la recherche, dominé par les chercheurs, a besoins de relais pour communiquer avec celui des chefs d'entreprise. On pourrait comparer le lieu de rencontre de ces deux mondes au coude d'un tuyau. Le dialogue entre les deux est difficile, particulièrement en France. Mais les choses s'améliorent : les pôles de compétitivité, par exemple, sont un succès. Cependant des progrès sont encore nécessaires. En outre, je déplore que dans notre pays, l'on soit trop dans la logique technology push, selon laquelle les chercheurs, en amont du coude, poussent leurs idées le plus loin possible ; le monde de l'innovation est à l'inverse dans la logique market pull, selon laquelle le marché détermine ce qui peut être vendu.
Le CIR vise un peu trop exclusivement l'amont. La circulation dans l'ensemble des parties du tuyau serait meilleure si l'on se préoccupait davantage de la sortie, en renforçant le soutien de l'innovation en aval. Les intervenants de l'amont utilisent parfois l'argent dont ils disposent pour, au-delà de la recherche et du brevet, passer aux prototypes et aux démonstrateurs, mais ils ne sont pas pour autant assurés d'avoir un marché pour vendre leurs produits.
Globalement, notre diagnostic du système est positif, mais une régulation nous semble néanmoins souhaitable. Oséo, dont l'action s'exerce en aval, à travers la sélection de projets de nature à créer de la richesse, souffre de la diminution des ressources disponibles pour aider les entreprises à innover, du fait de la concentration des moyens sur le CIR.
Dans certains secteurs, notamment celui des biotechnologies, la France accuse aussi des retards dans le domaine de la recherche fondamentale, y compris en termes de crédits publics.
Vous souhaitez une « régulation » du système, mais que faut-il réguler ? Est-ce le CIR lui-même ou bien les relations de celui-ci avec Oséo ? En d'autres termes, faut-il élargir l'assiette du crédit d'impôt jusqu'à la modélisation, ou au contraire réduire l'enveloppe du CIR pour assurer, à travers une structure comme la vôtre, un rééquilibrage en direction de l'innovation ?
Je suis favorable à la deuxième solution. Il serait irréaliste d'élargir l'assiette du CIR à l'aval car ce serait beaucoup trop coûteux pour nos finances publiques. Déjà actuellement, cette assiette ne comprend pas toute la R&D.
Certains secteurs ignoraient encore récemment qu'ils pouvaient en bénéficier. J'ai appris par exemple la semaine dernière qu'une banque avait passé un contrat avec un cabinet de conseil pour savoir comment elle pourrait bénéficier du CIR pour ses activités financières. C'est toute la différence entre une aide indirecte, perçue comme un droit dont on peut profiter en remplissant des imprimés, et une aide directe telle que celle qu'Oséo s'efforce d'apporter à de vrais projets innovants. Au vu de ce type d'exemple, il est clair qu'une régulation s'impose.
Il est difficile de répondre car nous travaillons les dossiers avec les intéressés : quand quelqu'un arrive avec une idée, soit nous n'y croyons pas et nous rejetons son dossier, soit nous approfondissons le projet avec lui et dans ce cas, il arrive que l'aboutissement ait peu de choses à voir avec l'idée d'origine… Par ailleurs, des projets que nous finançons peuvent évidemment échouer.
Non car c'est aussi notre travail. C'est d'ailleurs pourquoi nos délais d'instruction de projets innovants sont parfois très longs ; nous cheminons avec les chefs d'entreprise.
Oui. Oséo siège au conseil d'administration de l'ANR et l'ANR siège au comité Innovation stratégie industrielle (ISI) d'Oséo. Malgré quelques questions de partage de territoire, nous fonctionnons en bonne entente.
Le doublement de la quotité du crédit d'impôt lorsque l'entreprise fait travailler un laboratoire public devrait avoir un effet incitatif important. Mais en fait, les laboratoires publics n'aiment pas être dans une position de sous-traitant, pour des raisons culturelles et de propriété industrielle. Les accords de consortium permettent de régler par avance la question du mode de répartition de la richesse attendue, mais le problème est souvent escamoté ; le mérite du doublement du CIR est surtout d'obliger à le traiter, en développant les relations contractuelles entre les entreprises et les laboratoires publics. Pour une entreprise créée dans l'année, le doublement fait passer de 50 % à 100 %, ce qui est particulièrement intéressant… Certains organismes ont d'ailleurs fait la promotion du système en recommandant de créer une entreprise pour lui confier une recherche et la sous-traiter à un laboratoire public. Ce n'est que l'utilisation de la loi, mais dans cette affaire, le contribuable a bon dos…
Je n'y ai pas réfléchi. En revanche, j'observe qu'entre le soutien à l'amont et le soutien à l'aval, il y a le même rapport qu'entre un cheval et une l'alouette. Le CIR a atteint 4 milliards d'euros en 2009 ; en réorientant vers l'aval seulement 10 % de ce montant, on améliorerait considérablement son soutien. C'est une affaire de réglage.
Bien sûr, par construction : le CIR est une aide indirecte, qui suppose simplement de remplir un imprimé fiscal ; pour notre part, nous étudions chaque projet en évaluant sa capacité à produire de la richesse.
Si nous faisons le choix d'une régulation du CIR, ne risquons-nous pas de décevoir les PME, qui nous ont dit souhaiter la pérennité du système ? Croyez-vous possible de les convaincre que si, en contrepartie de cette régulation, on donne 400 millions de plus à Oséo, ils seront mieux servis en aval ?
Les dépenses éligibles au CIR sont également déductibles de l'assiette de l'impôt sur les sociétés – au taux de 33,3 %. Est-il envisageable qu'elles cessent de l'être ? Ne serait-ce pas un moyen très simple de faire la distinction entre les entreprises déficitaires – qui ne subiraient pas d'inconvénient – et celles pour qui le CIR produit un réel effet d'aubaine ? Pour ces dernières, cela reviendrait à réduire d'un tiers le taux du CIR, en le faisant passer de 30 à 20 %.
Au-delà des établissements financiers, que vous avez déjà évoqués, quels sont les secteurs que vous recommanderiez de tenir un peu à l'écart du CIR, afin de dégager des crédits en faveur de l'aval ?
Les choses ne sont pas simples : dans le secteur dit « financier », il existe des holdings industrielles ; il y a cependant matière à faire un tri. Il reste que la force du CIR est la simplicité du dispositif ; la question des dépenses qui peuvent être prises en compte est plus complexe, mais il faut veiller à ne pas trop compliquer le système.
Il s'agit de dépenses vertueuses ! Le système est efficace, mais massif – sans discernement.
En France, nous connaissons un problème au stade de la modélisation, mais je ne suis pas convaincu qu'il y ait trop d'argent pour la recherche et pas assez pour l'innovation.
Le rapport Guillaume de 2007 sur la valorisation de la recherche, notamment, a montré que le CIR ne générait que 1 % de royalties au titre des brevets d'invention, pour un investissement de 30 milliards d'euros en amont.
Pour vous, donc, le problème actuel serait moins celui du financement de la recherche que celui du financement de l'innovation.
Je pense surtout que le système doit être tiré par le marché. Il faut des entrepreneurs pour exploiter le fruit de la recherche.
Existe-t-il dans d'autres pays européens des dispositifs plus adaptés au financement de l'innovation ?
Des pays comme l'Allemagne et le Royaume-Uni me paraissent plus pragmatiques ; le monde de la recherche y est davantage tiré par l'aval. Cependant nous progressons, notamment grâce aux pôles de compétitivité.
Au-delà de la question du financement, n'y a-t-il pas, en France, un problème général de taille des PME ?
Cela joue aussi, en effet. Ce sont les PME qui innovent le plus, mais si elles étaient plus grandes, elles innoveraient encore plus, comme on le constate en Allemagne.
Considérez-vous que les banques apportent suffisamment leur soutien aux entreprises qui souhaitent innover ?
Les banques considèrent que le financement de l'innovation ne fait pas partie de leurs missions. Certes elles peuvent y contribuer de façon marginale en tant que propriétaires de sociétés de capital risque, mais les nouvelles règles vont les en détourner encore davantage. Elles sont très prudentes, et une petite entreprise venant présenter un projet innovant sera systématiquement éconduite et renvoyée vers l'État et Oséo.
Pour terminer, je voudrais évoquer la question du rescrit fiscal.
Le principe est, afin de sécuriser le CIR, de permettre au contribuable de solliciter l'administration pour savoir si son projet sera éligible au dispositif. Par crainte de provoquer un contrôle fiscal, les entreprises se montraient ces dernières années très réticentes – on ne dénombrait qu'environ 80 demandes de rescrit par an. La loi de modernisation de l'économie (LME) du 4 août 2008 a donc prévu que le rescrit pourrait désormais être effectué par d'autres organismes que le fisc – autrement dit par Oséo, par l'ANR et par les directions régionales du ministère. Le décret d'application a été publié en septembre 2009. Mais en fait, notre responsabilité est seulement, d'après le texte qui a été voté, de « caractériser » la recherche, sans qualifier ni chiffrer les dépenses correspondantes. Il s'agit donc d'un rescrit partiel. En outre, cette caractérisation doit intervenir avant le début des travaux ; autrement dit, celui qui les a commencés pour préciser sa réflexion n'a plus le droit de poser la question… De ce fait, depuis septembre 2009, Oséo n'a reçu que deux demandes, et l'ANR une seule, qu'elle a jugée incomplète. Il est dommage que ces deux restrictions – limitation à la « caractérisation » et intervention avant le début des travaux – aboutissent à des résultats contraires à l'objectif qui était affiché.