Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia
Nous accueillons à présent M. Gilles Bessero, directeur général du Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM).
Service à vocation militaire, le SHOM a été transformé en 2007 en établissement public administratif ayant désormais parmi ses missions le soutien aux politiques publiques maritimes et du littoral.
Dans ce cadre, il est impliqué, en tant qu'opérateur national, dans le programme Litto 3D, conduit conjointement avec l'Institut géographique national – IGN.
Le Service hydrographique et océanographique de la marine, est l'héritier du premier service hydrographique officiel créé dans le monde – en 1720, avec 75 ans d'avance sur les Britanniques, ce qui mérite d'être souligné dans le domaine maritime !. Service de la marine nationale depuis sa création, il est devenu en 2007 un établissement public national à caractère administratif, sous la tutelle du ministre de la défense.
Sa vocation est de garantir la qualité et la disponibilité de l'information qui décrit l'environnement physique maritime : profondeurs, marées, courants, amers, balisages, etc. À cet effet, il coordonne le recueil de l'information, son archivage et sa diffusion, pour satisfaire au plus juste coût les besoins de l'ensemble des usagers de la mer, militaires et civils. Il exerce ainsi trois missions d'intérêt général : un service hydrographique national, mission historique ; un service de la défense, mission qui a pris une dimension spécifique au fur et à mesure du développement des systèmes d'armes et des systèmes d'information et de communication ; et un soutien aux politiques publiques maritimes et du littoral, mission implicite jusqu'au changement de statut et désormais explicite dans les nouvelles dispositions codifiées en 2008 dans le code de la défense.
L'intégration de ces trois missions dans un organisme unique permet de faire jouer toutes les synergies qui les lient naturellement, ce qui est la seule façon de faire face de manière aussi économique que possible à des besoins toujours croissants et souvent critiques pour la sécurité de la navigation maritime, les opérations militaires – l'océanographie militaire est évidemment essentielle dans la conduite des opérations – et, plus généralement, la maîtrise d'un espace maritime et littoral de plus en plus sensible et convoité.
Le SHOM emploie 525 personnes – 40 % de personnel militaire et 60 % de civils – et dispose d'un budget annuel de l'ordre de 60 millions d'euros, auquel s'ajoutent les moyens nautiques – navires hydrographiques et océanographiques – mis à sa disposition par la Marine nationale pour un coût de l'ordre de 25 à 30 millions d'euros par an. Son conseil d'administration réunit, sous la présidence du chef d'état-major de la Marine, les représentants de quelques-uns – pas tous malheureusement – des ministères et partenaires concernés par son activité, tels le président de l'Association nationale des élus du littoral (ANEL).
Le SHOM inscrit résolument son action dans une logique d'amélioration constante de son efficience – il est certifié ISO 9001 depuis 2004 – et de coopération, au bénéfice de l'intérêt général, au niveau tant national qu'international, avec ses nombreux partenaires concernés par la maîtrise de l'environnement maritime et littoral.
Son action n'est guère connue voire reconnue au-delà du cercle des initiés : outre que sa culture interne fait passer le savoir-faire avant le faire-savoir, cette action s'inscrit dans le long ou le très long terme. Ainsi, l'âge des données « pertinentes » intégrées dans ses bases de données s'étage sur plus de deux siècles, ce qui est par exemple nécessaire pour traiter de l'accélération ou de la non-accélération de la hausse du niveau moyen des mers. En fait, l'importance de l'action du SHOM, ses limites et l'étendue du « reste à faire » ne sont sensibles que lors d'accidents ou de catastrophes.
La tempête Xynthia en est malheureusement une illustration concrète. Cette catastrophe implique le SHOM en ce qui concerne tant le volet « à froid » de l'évaluation des risques, de la prévention et du retour d'expérience, que le volet opérationnel des systèmes de prévision et d'alerte.
Trois fonctions sont ici mobilisées.
Une fonction, récemment formalisée par une instruction du Premier ministre, de « référent » en matière de niveau de la mer, ce qui va de la coordination des observations à la diffusion, dans des annuaires ou sur notre site Internet, des prédictions dites « de marée ».
Une fonction de service hydrographique national, responsable à ce titre du volet « géométrique » de l'infrastructure géospatiale maritime nationale – la bathymétrie – dont sont issues les cartes marines, mais qui est aussi l'un des éléments essentiels de la capacité de modélisation et de prévision des phénomènes côtiers et, plus généralement, de la gestion intégrée des zones côtières, compte tenu de leur complexité.
Une fonction de soutien opérationnel des forces, dont les capacités sont aussi mobilisables et mobilisées pour le soutien des politiques publiques maritimes et du littoral, notamment à travers le développement dual de l'océanographie opérationnelle qui est l'un des domaines d'excellence de notre pays grâce à l'action résolue et concertée des principaux acteurs – Centre national d'études spatiales (CNES), Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER), Institut de recherche pour le développement (IRD), Météo-France et SHOM – réunis au sein de Mercator Océan, groupement d'intérêt public en cours de transformation en société civile – et dont l'extension du domaine hauturier vers le domaine côtier est développée à travers le projet PREVIMER coordonné par l'IFREMER.
Les questions que soulève la tempête Xynthia sont complexes. Le SHOM n'est qu'une des briques de l'ensemble apte à y répondre. Ces questions confirment un besoin jusqu'alors sous-estimé de connaissances mais mis en exergue par le Grenelle de la mer, qui porte non seulement sur les abysses, mais aussi sur la zone littorale, siège de la « délicate rencontre entre la terre et la mer », pour reprendre l'un des thèmes du Grenelle. En effet, la prévention des risques sur les plages, dans les ports et sur la terre passe d'abord par la connaissance et la compréhension de ce qui se passe en mer.
Je l'ai dit, la satisfaction de ce besoin s'inscrit nécessairement dans le temps long. À cet égard, les décisions prises par le comité interministériel de la mer de décembre 2009 et visant à mettre en place des programmes nationaux apparaissent aujourd'hui particulièrement pertinentes.
La réponse aux questions soulevées par Xynthia ne doit pas être traitée isolément si l'on veut être efficace et économe des deniers publics. Elle relève d'une approche « multi-risques » et nécessite donc d'assembler des compétences pluridisciplinaires pour croiser objectivement les aléas et les enjeux, pour cadrer les risques que nos moyens nécessairement contraints permettent de maîtriser – par exemple, en construisant et en entretenant des digues – et pour instituer des systèmes de prévision et d'alerte permettant de limiter autant que possible l'impact des risques dépassant nos capacités de prévention ou de protection a priori. La réponse est en bonne partie dans le maintien, voire dans l'accélération, d'un effort de recherche et développement en cours, et dans le bon aboutissement d'actions engagées par les différents acteurs.
Pour le SHOM, ces actions sont de trois ordres. En premier lieu celles dont il a la responsabilité, par exemple la consolidation de son réseau d'observation du niveau de la mer. En deuxième lieu, celles qu'il conduit avec d'autres partenaires : le projet Litto3D avec l'IGN, à la demande du comité interministériel de la mer (CIMER) de 2003, puis du comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire (CIADT) de 2004, et pour lequel nous devons donner un coup d'accélérateur à la suite du CIMER de 2009 qui a demandé l'élaboration d'un programme national à cette fin ; ou le projet PREVIMER, que j'ai déjà évoqué et qui n'est à l'heure actuelle qu'au stade du démonstrateur. Enfin, des actions auxquelles le SHOM est associé, comme le projet de centre national d'alerte aux tsunamis pour l'Atlantique nord-est et la Méditerranée, piloté par le Commissariat à l'énergie atomique – CEA –, ou le projet de dispositif de vigilance « vagues-submersion » piloté par Météo-France et auquel sont également associés le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le Centre d'études techniques maritimes et fluviales (CETMEF) et l'IFREMER.
Cela suppose d'assurer dans la durée, au-delà des crises, la cohérence des moyens alloués aux opérateurs concernés avec les attentes exprimées à leur égard, et de veiller à la coordination du pilotage de leurs actions.
On a précisément l'impression que la programmation manque parfois de cohérence. Qu'en est-il, s'agissant du SHOM ?
L'un des enjeux de la transformation du SHOM en établissement public était de le doter d'un contrat d'objectifs et de moyens. Lancé en 2006, ce processus a abouti en avril 2010 à l'adoption par son conseil d'administration d'un contrat intérimaire d'objectifs et de performance, couvrant la période 2010-2012. Dans la foulée, nous avons entrepris la préparation d'un contrat dit « cible » qui couvrira la période 2013-2015. Cela donne une certaine visibilité sur les intentions et sur les attentes des pouvoirs publics à l'égard du SHOM.
La carte SCAN Littoral, rapprochement des cartographies existantes du SHOM et de l'IGN, semble être l'instrument le plus élaboré à ce jour. Est-elle opérationnelle et permet-elle d'attendre la mise en place de Litto 3D ?
La vocation de Litto 3D est de répondre à un besoin de cartographie continue terre-mer, soit une bande, à cheval sur le trait de côte, de 10 kilomètres vers la terre et de 6 milles vers le large. Sa réalisation suppose l'acquisition de nouvelles données car la cartographie de l'estran est très incomplète. En effet, du côté maritime, la priorité a été de cartographier les zones accessibles à la navigation, et, du côté terrestre, la résolution des bases de données disponibles à l'IGN fait défaut pour répondre correctement aux besoins actuels.
On est aujourd'hui dans une logique de réalisation au cas par cas dans le cadre de démonstrateurs qui ont été financés, par exemple, par le ministère de la défense pour le Golfe du Morbihan, ou par les collectivités territoriales pour la presqu'île de Giens et ses abords en Méditerranée, et qui font progressivement l'objet de réalisations plus importantes. Ainsi, la première région métropolitaine à se doter d'une cartographie Litto 3D sera le Languedoc-Roussillon, qui a engagé ce processus avec le SHOM et l'IGN en assistance à maîtrise d'ouvrage pour qualifier et certifier les produits. Une démarche très avancée outre-mer, cofinancée par le ministère de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, le MEEDDEM, l'Agence des aires marines protégées et les collectivités territoriales de la Réunion et de Mayotte, concerne la couverture des territoires français de l'ouest de l'Océan indien. Pour le reste, des initiatives répondent à des besoins solvables, notamment un projet en cours pour une partie du Parc naturel marin d'Iroise. Nous espérons donner un peu plus d'élan et de cohérence à cet ensemble au travers du futur programme national qui nous demande le CIMER.
En attendant, l'IGN et le SHOM ont le souci de rendre l'existant disponible, sans attendre des données supplémentaires, ce qui s'est traduit par deux actions concrètes. D'une part, la base de données Histolitt – référentiel unique réunissant l'ensemble des données historiques IGN-SHOM disponibles, en altitude et en planimétrie, sur le long du littoral métropolitain – est d'ores et déjà accessible, en particulier aux pouvoirs publics. D'autre part, SCAN Littoral, superposition des cartes marines et terrestres de la métropole à une échelle de l'ordre du vingt-cinq millième, est également disponible.
Comment fonctionnent la planification et la gouvernance de Litto3D, projet conjoint avec l'IGN ? De quels moyens disposez-vous pour conduire sa réalisation ?
Dans la mesure où le contrat d'objectifs et de performance vous oblige à bâtir un référentiel national, mais aussi à trouver des financements pour le mener à bien, la programmation des priorités se fera non par rapport aux urgences techniques, mais en fonction des capacités des financeurs. Outre que cela pose la question de la propriété juridique des données, il existe de la sorte un risque que les parties stratégiques car les plus exposées des côtes ne soient pas traitées en priorité, faute de financeurs. Ne vous paraîtrait-il pas préférable qu'une mission claire de service public soit totalement financée par l'État ?
Les réalisations au titre de Litto3D ne répondent nullement à une logique commerciale : elles sont financées uniquement par le secteur public, à savoir des collectivités territoriales, des opérateurs tels que l'Agence des aires marines protégées, le MEEDDEM, d'où l'absence de conflit entre intérêts commerciaux et intérêts publics.
Pour autant, l'avancement de Litto3D se fait effectivement au gré des financements que certaines collectivités territoriales, conscientes des enjeux, acceptent de mobiliser. Ainsi, les enjeux financiers associés à la conservation ou à la protection de domaines sensibles ont conduit la région Languedoc-Roussillon à juger rentable d'investir dans Litto3D pour optimiser la gestion de l'engraissement et de l'érosion des plages et des cordons lagunaires.
Aujourd'hui, pour répondre de manière ordonnée à des priorités – par exemple, décider s'il faut faire Litto3D en Nord-Bretagne ou en Vendée –, le SHOM et l'IGN jugent nécessaire qu'un maître d'ouvrage central soit capable d'arbitrer : c'est l'objet de ce programme national demandé par le CIMER. Mais, en tant que directeur du SHOM, il ne m'appartient pas de dire où doit se situer le curseur entre ce qui doit être financé par le budget de l'État ou par les collectivités territoriales.
Les informations issues des relevés des houlographes du CETMEF et de ceux des marégraphes du SHOM sont-elles croisées ? Sur quelles bases doivent se fonder les plans de prévention des risques d'inondation, les PPRI ?
Les variations du niveau de la mer sont de deux ordres. D'une part, des mouvements à haute fréquence – les vagues ou la houle –, domaine pour lequel le référent est le CETMEF. Ainsi, les observations de houles faites par le SHOM pour ses besoins propres sont mises à la disposition du CETMEF qui les intègre dans son système national d'observation. D'autre part, des mouvements à plus longue période – dont la marée –, domaine pour lequel le SHOM est le référent. Le SHOM n'étant pas le seul organisme en France à observer la marée – des observatoires sont gérés par les ports, en particulièrement sur l'estuaire de la Gironde –, il doit faire en sorte que toutes ces observations soient recueillies suivant des protocoles définis et partagés par tous, et qu'elles soient qualifiées et mises à disposition dans des bases de données disponibles pour l'ensemble des utilisateurs, en particulier publics.
La logique est donc bien de « mettre à disposition » et de qualifier un ensemble de données provenant de diverses sources.
En termes de compétence technique, cela ne serait pas très compliqué. Le référent en matière de houle pourrait être le SHOM, mais décider de mettre les moyens là ou ailleurs ne changerait pas grand-chose : l'important est d'éviter les doublons.
Est-il exact que le SHOM ne possède pas son propre système de laser bathymétrique et qu'il est amené à sous-traiter des opérations ? Ce défaut de moyens n'est-il pas source de retards, voire de surcoûts ?
En effet, le SHOM ne possède pas de laser bathymétrique aéroporté.
Seuls deux pays se sont dotés de cette capacité par le biais d'opérateurs publics : l'Australie, car toute la cartographie de sa grande barrière corallienne est accessible uniquement avec ce genre d'outil ; et les États-Unis où plusieurs systèmes sont en service. Des systèmes mis en oeuvre par des opérateurs privés interviennent dans le cadre de sous-traitances. C'est le cas de la partie maritime de Litto3D. Plusieurs candidats ont répondu à nos appels d'offre, qui n'ont pas posé de difficulté pratique, même si la quasi-totalité des systèmes des opérateurs privés est en fait sous le contrôle du département de la défense des États-Unis.
La question de savoir si la France, ou l'Europe, doit se doter d'un tel système est ouverte – l'investissement représenterait quelques millions d'euros – et sera mise sur la table dans le cadre du projet de programme national Litto3D, en se demandant sans doute quel est le coût acceptable pour assurer notre complète indépendance.
Il semble qu'il existe des difficultés à faire travailler en commun certains organismes qui, traditionnellement, tiennent à conserver une totale souveraineté d'initiative et d'action dans leur domaine respectif. Ainsi, certains semblent craindre une scission entre des institutions qui travailleraient sur la vigilance, alors que les autres se concentreraient sur la connaissance de l'aléa sans que ces deux pôles coopèrent. Que pensez-vous de cet éventuel schéma ?
Même si l'ensemble manque de visibilité, je suis persuadé qu'il n'y a pas de doublon entre les moyens. Chacun des organismes détient des compétences très spécifiques : la problématique de Météo France est l'atmosphère ; celle du SHOM la description de l'environnement physique maritime ; l'IFREMER est un institut de recherche pour l'exploitation de la mer, très centré sur les ressources vivantes ; le BRGM s'occupe du sol et du sous-sol ; l'IGN de la cartographie terrestre.
Certes, il y a des interfaces. Entre l'IGN et le SHOM, c'est le trait de côte – ce qui est à terre relève du premier, ce qui est du côté de la mer est de notre compétence. Entre Météo France et le SHOM, ce sont les prévisions météorologiques et les états de mer car réaliser les premières implique nécessairement de s'intéresser aux interfaces océan-atmosphère, et inversement : le SHOM ne peut pas se désintéresser de ce qui se passe dans l'atmosphère.
Tout cela est géré par la concertation et la coopération entre les organismes. Nous avons créé un certain nombre de structures. Ainsi, le Comité des directeurs d'organismes s'intéresse aux programmes océanographiques liés au changement climatique. La réalisation de Mercator Océan est un bel exemple de mise en commun des capacités de recherche à travers l'IFREMER, le CNRS et l'IRD, des capacités spatiales à travers le CNES, des capacités opérationnelles, à travers Météo France et le SHOM. Dans le cadre de PREVIMER aussi, la concertation est de mise et chacun apporte à l'édifice commun une « brique » de sa compétence.
Il ressort des auditions précédentes que les deux prévisions sur le vent et la montée de l'eau étaient bonnes, mais que la coordination a été insuffisante. Que faut-il corriger ?
Il suffit de rendre PREVIMER opérationnel.
En tant que démonstrateur, il n'était pas relié à un système opérationnel d'alerte, mais il a prévu des surcotes. La décision de le transformer en système national d'alerte ou en service national d'opérations côtières opérationnel n'est pas neutre vis-à-vis des organismes, car cela suppose de prendre des mesures – il devra fonctionner 24 heures sur 24, 365 jours par an – et une obligation de résultat. En tout cas, cette réponse technique existe.
Savoir comment, une fois un événement détecté, faire descendre l'information jusqu'à la personne qu'il faut impérativement évacuer, est un autre sujet, qui vient en aval. Aujourd'hui, un outil est construit dans cette logique avec un architecte de système identifié, le Centre régional d'alerte aux tsunamis pour l'Atlantique Nord-Est et la Méditerranée occidentale – CRATANEM –, et avec des services opérationnels : le SHOM, qui intègre en temps réel les observations de ses marégraphes, l'Institut national des sciences de l'univers (INSU) et le CEA, qui intègrent les observations de leurs sismomètres, etc.
Les éléments techniques existent : il faut les assembler dans un cadre à définir.
Après la tempête Xynthia, Météo France et le SHOM ont, dans une note commune du 8 mars 2010, évoqué la nécessité d'un service national d'océanographie côtière opérationnel, le SNOCO, qui permettra d'améliorer et de compléter la vigilance « vagues-submersion ».
Quel a été le rôle précis du SHOM dans le drame Xynthia ?
Avant Xynthia, le SHOM a fait des prévisions, d'heure en heure, de marée, c'est-à-dire de la hauteur des pleines et des basses mers. Ces données sont disponibles.
Pendant la tempête, dans la mesure où le marégraphe des Sables-d'Olonne et celui de La Rochelle n'étaient pas dotés de la capacité « temps réel », qui se développe progressivement en fonction des financements –, le SHOM n'a pas eu d'action opérationnelle. PREVIMER fonctionnait car le SHOM l'alimente quotidiennement, mais je répète qu'il ne s'agit en l'état que d'un démonstrateur, sans connexion directe avec un système d'alerte
En aval, le SHOM a exploité les observations de marées pour comprendre et analyser le phénomène, analyse dont il est rendu compte dans cette note commune qui fait des propositions pour faire mieux la prochaine fois.
Les missions de tous ces organismes ne devraient-elles pas être réunies en un service public unique, afin de permettre une coordination ? Certes, il n'y a pas de doublon, mais notre administration ressemble beaucoup à un millefeuille ?
À ma connaissance, un seul pays a pris cette option : les États Unis, avec la National oceanic and atmospheric administration – NOAA –, où est rassemblé l'ensemble des compétences dont nous parlons. Néanmoins, pour ce genre de catastrophes, je ne suis pas convaincu que cet organisme soit plus efficace que le millefeuille français. En outre, aux États-Unis, deux autres services hydrographiques s'occupent aussi de cartographie marine, ce qui n'est guère un gage d'économies…
La question n'est pas celle du millefeuille – car les opérateurs français font ce qu'on leur demande –, mais de savoir quelles priorités leur donnent ou ne leur donnent pas les tutelles.
Ainsi, il faut plutôt chercher à construire une maîtrise d'ouvrage unique ou coordonnée entre des acteurs aussi différents que la Direction générale de la prévention des risques (DGPR) au MEEDDEM, la Direction de la sécurité civile au ministère de l'intérieur, la Marine nationale avec sa fonction de garde-côtes. Savoir si l'alerte au tsunami doit être prioritaire par rapport aux alertes de tempête, s'il faut traiter ces deux phénomènes simultanément, ou encore s'il est nécessaire de bâtir au plus vite Litto3D, sont des questions face auxquelles les opérateurs sauront se mettre en ordre de bataille s'ils doivent répondre à une commande. Encore faut-il qu'une commande soit passée…
La tempête Xynthia a été la conjonction de phénomènes exceptionnels : un coefficient important, une tempête et une pression atmosphérique basse. Quelle est selon vous la probabilité statistique de revoir un tel phénomène ?
Que pensez-vous de l'élévation de la hauteur d'eau observée ces dernières années ? Avez-vous constaté des choses curieuses en matière de bathymétrie, sachant que les données disponibles datent de plusieurs siècles ?
Le caractère exceptionnel de Xynthia résulte de la conjonction de phénomènes importants, mais pas exceptionnels pris isolément.
Tout d'abord une tempête. Mais en hiver, c'est assez fréquent sur les côtes des zones tempérées…
Ensuite une marée de vive-eau – mais ce phénomène se produit tous les quinze jours –, avec un fort coefficient, de 102, mais, en 2010, on observera une trentaine de coefficients supérieurs à 100…
Enfin, une conjonction vent, pression et configuration de la côte, associée au trajet de la tempête, et au total une onde de tempête importante, de l'ordre de 1,50 mètre une fois éliminés les effets dus aux vagues. Mais des surélévations de l'ordre de 2 mètres se produisent en hiver...
L'élément aggravant est que le maximum de cette surélévation s'est produit quasiment à l'instant de la pleine mer, ce qui fait que l'on a dépassé les huit mètres. Si la tempête était passée trois heures plus tôt ou plus tard, on aurait eu à déplorer des dégâts matériels, mais pas cette tragédie.
Il ressort de l'exploitation des observations de longue durée des observatoires des côtes de France que la hauteur d'eau observée, après lissage des effets à très courte période dus aux vents, a été de l'ordre de 8,1 mètres et sort de l'intervalle d'incertitude de la hauteur centennale, qui est compris entre 7,35 et 7,45 mètres.
Xynthia peut se reproduire demain, comme elle peut ne jamais se reproduire pendant toute notre vie, celle de nos enfants ou petits-enfants. Ce genre de phénomène sort des limites d'une probabilité définie, car les probabilités n'ont de sens que sur les périodes d'observation, or les plus longues dont nous disposons sont de 200 ans.
Les séries d'observation sur deux siècles des observatoires de référence de Brest et Marseille montrent, en moyenne, une élévation du niveau des mers de l'ordre de 1,2 millimètre par an, ce qui n'apparaît pas préoccupant dans un pays où, les côtes nord de Bretagne, le marnage dépasse 10 mètres.
J'observe toutefois que, si le phénomène est quasiment nul pendant certaines décennies, il est beaucoup plus important à d'autres périodes. Selon les rapports du groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat, le GIEC, la moyenne d'élévation du niveau des mers déduite des observations par satellites altimétriques au cours des dix dernières années donne des vitesses de l'ordre de 2 à 3 millimètres par an. Je suis incapable de dire s'il s'agit d'une simple oscillation semblable à celles qui ont déjà été observées dans le passé ou s'il s'agit d'une accélération de la tendance liée au réchauffement climatique.
Deuxièmement, les données fournies par les satellites altimétriques montrent une très grande variabilité à l'échelle du globe. Dans certaines zones des océans, les variations sont beaucoup plus rapides, avec un facteur 10, en particulier pour les États insulaires du Pacifique, très bas sur l'eau, dont le point le plus haut se situe à 1,50 mètre au-dessus de l'eau. Leur situation est donc très préoccupante.
Avec quelles données alimentez-vous PREVIMER ? Comment l'utilisez-vous comme démonstrateur ? Et que peut-on en attendre ?
Nous fournissons la bathymétrie : elle sert pour les modèles, qui sont le moteur de PREVIMER. En particulier, les modèles de surcote s'appuient sur l'hydrodynamique.
Nous mettons à disposition les données que nous observons – marée, courantométrie, observation de l'état de la mer –, permettant de caler les modèles en les confrontant aux données in situ.
PREVIMER préfigure un système national d'océanographie côtière opérationnel – au même titre qu'une prévision opérationnelle du temps dans l'atmosphère – qui délivrera des champs de température et de courants à différentes immersions, l'élévation du niveau de la mer en fonction du temps avec des prévisions à 24 heures ou 48 heures.
L'événement a été prévu assez finement, mais comment améliorer la connaissance des pouvoirs publics et la protection des populations, autrement dit rendre plus lisibles les prévisions pour les élus du littoral ?
C'est toute l'ambition du dispositif de vigilance « vagues-submersion » en cours de développement.
D'un point de vue technique, on est capable de prévoir une surélévation exceptionnelle du niveau de la mer, mais savoir si elle est dangereuse ou non pour un site donné nécessite une étude d'impact – qui doit être menée à froid.
Très concrètement, si l'on veut pouvoir dire que telle maison, et pas celle d'à côté, doit être évacuée, voire détruite car elle se trouve dans une zone à risque, il faut des modèles à très haute résolution. C'est là qu'interviendra Litto3D.
Si l'on accepte une vision grossière des choses selon laquelle tout ce qui est sur la carte à un vingt-cinq millième et en dessous de telle altitude doit être évacué, inutile de bâtir Litto3D. Soit on consent des dépenses pour affiner les données. Soit il faudra se justifier auprès de nos concitoyens, à qui il sera demandé d'évacuer leur maison.
Les plans de prévention des risques d'inondation (PPRI) fournissent des niveaux d'alerte suffisants pour prendre des décisions, mais, outre qu'ils n'existent pas partout, l'on a parfois du mal à y lire la dangerosité de l'événement annoncé. Pour Xynthia, beaucoup attendaient des dommages liés au vent, mais ont été surpris par la montée des eaux, dont nos auditions nous montrent pourtant qu'elle était prévue.
La date de 2013 fixée pour l'établissement d'une cartographie complète des risques « inondation-submersion » par la directive européenne de 2007, relative à la gestion des inondations, vous paraît-elle tenable ?
Tout dépend du degré de résolution voulu. On est capable aujourd'hui d'élaborer cette cartographie sur la base de l'existant, mais les modèles altimétriques, aussi bien côté mer que côté terre, ne sont pas suffisamment précis.
Quarante millions d'euros sont nécessaires pour achever Litto 3D, somme que l'on peut comparer aux 6 millions d'euros que coûte la réalisation d'un kilomètre d'autoroute… Tel est l'enjeu !
Membres présents ou excusés
Mission d'information sur les raisons des dégâts provoqués par la tempête Xynthia
Réunion du mardi 25 mai 2010 à 18 heures
Présents. - M. Jean-Claude Beaulieu, M. Philippe Boënnec, M. Maxime Bono, Mme Marie-Odile Bouillé, Mme Françoise Branget, M. Dominique Caillaud, M. Christian Kert, Mme Marguerite Lamour, M. Jean-Paul Lecoq, M. Philippe Plisson, M. Christophe Priou, Mme Catherine Quéré, Mme Marie-Line Reynaud, M. Dominique Souchet