COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mercredi 26 mai 2010
Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale et de M. Jean Bizet, Président de la Commission des affaires européennes du Sénat
La séance est ouverte à 16 h 30
Je suis très heureux d'accueillir au Sénat cette troisième réunion conjointe des commissions des affaires européennes du Sénat et de l'Assemblée nationale et des membres français du Parlement européen. Je remercie encore Pierre Lequiller d'avoir pris l'initiative d'organiser ce type de réunion. Compte tenu du calendrier parlementaire, notre prochaine rencontre devrait se tenir le mercredi 3 novembre 2010 à l'Assemblée nationale. Le thème pourrait être la réforme de la politique agricole commune.
Deux sujets seront abordés aujourd'hui : la stratégie numérique de l'Union et le service européen pour l'action extérieure.
Je tiens à remercier Jean Bizet pour son accueil dans cette superbe salle. Je crois que ces réunions régulières sont désormais ancrées dans les habitudes. C'est un succès important pour renforcer les liens entre le Parlement français et le Parlement européen.
Mesdames, Messieurs les parlementaires, je tenais à vous dire l'importance que j'attache à la construction de liens plus forts entre le Parlement français et le Parlement européen. Je remercie l'Assemblée nationale d'avoir lancé cette initiative de réunions communes régulières. Elles s'inscrivent pleinement dans la dynamique du traité de Lisbonne qui renforce le rôle des parlements. Notre coopération ne doit pas se borner aux questions de subsidiarité. Sur de nombreux sujets, nous devons être proactifs et être un relais des opinions publiques.
A cet égard, un des grands enjeux des mois à venir sera la réforme de la politique agricole commune. Le Sénat prendra toute sa place dans ce débat au travers du groupe de travail conjoint constitué par la commission des affaires européennes et la commission de l'économie. Notre approche se fera en lien avec les parlements des autres États membres et le Parlement européen. A cet égard, je suis heureux que votre prochaine réunion ait pour thème la réforme de la PAC.
I. La stratégie numérique de l'Union
Le Président Jean Bizet. L'encre du « paquet Télécom » est à peine sèche et la stratégie I-2010 arrivée à son terme que l'Union réfléchit déjà à une nouvelle stratégie numérique pour les prochaines années. La Commission européenne a présenté sa communication la semaine dernière. Cela témoigne de la vitesse avec laquelle la société de l'information évolue et la difficulté pour les autorités publiques de suivre le rythme.
Le premier défi est de transposer rapidement le « paquet Télécom » qui est très attendu par tous les opérateurs. Le Sénat a commencé à s'y atteler en adoptant il y a deux mois une proposition de loi relative à la vie privée à l'heure du numérique. Elle transposait notamment deux dispositions importantes du paquet Télécom sur la notification des failles de sécurité et le régime juridique des « cookies ». Les débats ont toutefois montré que cette transposition laissait la place à de nombreuses interrogations.
Il nous faut dans le même temps rouvrir d'autres chantiers dans le cadre de la nouvelle stratégie numérique. Je pense par exemple à la protection des données. Il nous faut également réfléchir rapidement à la définition du service universel des communications électroniques ou à l'utilisation du dividende numérique, ces fréquences libérées par l'abandon de la télévision analogique. Pour nos territoires, il y a là un outil précieux pour développer l'accès à l'Internet haut débit dans les zones rurales qui en manquent cruellement. Le développement des infrastructures est en effet au coeur des enjeux. Il requiert des investissements considérables pour que l'Europe conserve son rang. A cet égard, la résolution du Parlement européen sur l'avenir numérique de l'Europe fixe des objectifs forts.
Un autre défi, peut-être encore plus difficile, est de parvenir à faire émerger des acteurs européens leaders capables de créer de nouveaux usages, ou de développer des modèles économiques innovants. Nos pays ne doivent pas se contenter d'être des consommateurs de technologies de l'information. Ils doivent développer une offre européenne capable de s'imposer comme un standard mondial.
Enfin, la communication de la Commission européenne sur la stratégie numérique pour l'Europe met l'accent sur les obstacles rencontrés pour créer un véritable marché unique du numérique. Les marchés européens restent très fragmentés. Ce constat rejoint celui de M. Mario Monti dans son rapport sur l'avenir du marché intérieur. C'est dans ce domaine que nous, parlementaires, devront certainement concentrer nos efforts pour faire émerger des idées nouvelles.
Pour la clarté des débats, je vous propose de les organiser en trois parties :
– le paquet Télécom et sa transposition ;
– l'agenda numérique et la circulation des contenus ;
– la bibliothèque numérique « Europeana ».
1. Le paquet Télécom et sa transposition
Ayant été rapporteur sur le paquet Télécom au Parlement européen, je vous présenterai ses principales dispositions et les enjeux entourant sa transposition. Incidemment, je signale que la consultation publique ouverte par le gouvernement français sur la transposition de cet ensemble de directives devrait s'achever dans les prochains jours.
Compte tenu de l'importance du secteur des technologies de l'information et des communications (TIC) – 4 % des emplois dans l'Union soit 7 millions de salariés –, le Parlement européen a considéré que la stimulation de la concurrence et l'intégration des marchés nationaux devaient être un moyen et non une fin. Le cadre ainsi défini pour les régulateurs, mais aussi pour les entreprises et les usagers, augmente la sécurité juridique et l'efficacité économique.
En matière de gestion des fréquences radioélectriques, on doit au Parlement européen la création d'un programme de gestion du spectre radioélectrique. Il sera adopté en codécision. L'enjeu démocratique est fort, puisqu'il s'agit en particulier de répartir le dividende numérique entre les usages publics et privés. Le paquet Télécom prévoit plusieurs procédures d'affectation des fréquences : soit des autorisations administratives traditionnelles, soit un mécanisme d'enchères. La question est très délicate car plusieurs États membres, notamment l'Italie, souhaitent garder le contrôle de l'affectation des fréquences qui relève habituellement de la souveraineté des États. Le sujet n'est pas clos. Le premier sommet Spectre s'est tenu récemment et la Commission européenne doit remettre prochainement un rapport.
Un autre point très délicat a été celui de la « séparation fonctionnelle » des opérateurs historiques (les anciens monopoles) en deux entités distinctes, l'une étant responsable de gérer les infrastructures de réseau, et l'autre d'offrir les services de détail à ses clients, l'objectif étant de stimuler la concurrence. Ce principe était défendu par la Commission européenne et une partie des régulateurs nationaux. La solution proposée par le Parlement européen a permis de trouver un compromis. La « séparation fonctionnelle » est optionnelle et ne peut être imposée qu'après une étude d'impact démontrant rigoureusement sa nécessité.
En ce qui concerne le développement des réseaux de fibre optique, le rôle moteur des collectivités territoriales a été souligné. En revanche, la Commission européenne n'a toujours pas présenté sa recommandation sur l'investissement dans les réseaux. C'est regrettable au moment où les opérateurs privés sont en retrait par rapport à leurs engagements initiaux. Je suis convaincu qu'il est possible de déployer ces réseaux sans recours aux fonds publics. Les parlements nationaux ont un rôle à jouer.
Les droits des consommateurs ont été renforcés en exigeant par exemple des contrats plus clairs ou en imposant la possibilité de changer d'opérateur en un jour.
La directive-cadre du paquet Télécom crée aussi l'Office des régulateurs européens pour les communications électroniques (ORECE). Cet organe n'est aucunement un régulateur européen, mais un groupe d'experts qui fournira à la Commission européenne des avis et recommandations sur la mise en oeuvre de la législation.
Enfin, je rappellerai que l'adoption du paquet Télécom a failli achopper sur l'amendement 138 du Parlement européen tendant à subordonner la suspension de l'accès d'un utilisateur à l'internet à une décision judiciaire préalable. Un bras de fer a en effet opposé le Conseil et le Parlement européen sur la procédure de sanction des internautes se livrant à des téléchargements illégaux d'oeuvres protégées par le droit d'auteur. Le compromis final prévoit que l'accès d'un utilisateur à l'internet peut être restreint seulement si cela est « jugé nécessaire et proportionné au terme d'une procédure juste et impartiale tenant compte du droit pour l'internaute d'être entendu, de la présomption d'innocence et du droit à la vie privée ». Ce texte reconnaît que l'accès à l'Internet est un moyen nécessaire pour l'exercice de plusieurs libertés fondamentales. Il ne permet pas à mon sens de couper l'accès à une boîte mail ou à des services publics en ligne.
Une question reste ouverte, celle de la neutralité du réseau. Ce principe fondateur exclut toute discrimination à l'égard de la source, de la destination ou du contenu de l'information transmise sur le réseau. L'article 8 de la directive-cadre et deux dispositions de la directive « services » donnent compétence aux régulateurs de s'assurer du respect de ces principes par les opérateurs. C'est une question clef à un moment où monte la tentation chez certains opérateurs de mettre en place des priorités de trafic, par exemple aux États-Unis. Je reviens à cet égard de Washington où le Congrès des États-Unis considère que la régulation européenne en la matière est beaucoup plus avancée.
Pour l'avenir, les principales évolutions législatives devraient intervenir dans trois domaines :
– la définition des usages du spectre radioélectrique ;
– la définition du service universel des communications électroniques ;
– la propriété intellectuelle et les libertés fondamentales.
La transposition du paquet Télécom doit être rapide. Ce texte est un texte pragmatique qui laisse une grande souplesse, car rien ne serait pire qu'un marché encadré de manière surabondante.
Je me permets de suppléer mon collègue Michel Herbillon qui ne peut malheureusement être là.
La commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale s'est prononcée sur le projet de paquet Télécom en octobre 2008. Quatre points ont été soulignés.
Tout d'abord, ce texte accroît la concurrence, ce qui est une bonne chose à la condition qu'elle soit régulée. La perspective du développement des transactions numériques devrait ouvrir de nouveaux marchés. L'ORECE qui a tenu sa première réunion au début de l'année est une simple structure d'expertise, ce qui rejoint les conclusions de notre commission qui s'était opposée à l'idée d'une autorité de régulation européenne.
En matière de consommateurs, il était important de faciliter le changement d'opérateur.
Notre commission avait estimé que la lutte contre le téléchargement illégal devait rester de la compétence des États membres. Le compromis sur l'amendement 138 est acceptable.
Enfin, le respect de la neutralité du réseau est essentiel. Nous attendons la communication de la Commission européenne.
Le principe de neutralité est fondamental. Animés par les meilleures intentions, certains défendent l'idée de réduire l'accès à certains sites, par exemple les sites pédopornographiques. Je comprends naturellement cette tentation. La jurisprudence française tend d'ailleurs à rendre responsable les fournisseurs d'accès. Mais je perçois un risque puissant de dérive, si l'on s'engage dans cette voie, vers une restriction de la liberté de communication. Bien entendu, mon propos ne signifie pas qu'il ne faut pas poursuivre et condamner les activités criminelles sur l'Internet. Au contraire. Mais ce n'est pas aux opérateurs de faire eux-mêmes la police. C'est un peu comme si l'on rendait la Poste responsable du contenu des lettres.
Ce n'est pas aux fournisseurs d'accès de juger a priori si certains contenus sont répréhensibles. Les législations pénales sont d'ailleurs différentes selon les États membres. En revanche, les opérateurs doivent être en état de fournir à la justice toutes les données utiles pour retrouver les auteurs d'activités criminelles.
Le principe de non responsabilité des fournisseurs d'accès est affirmé par plusieurs directives. Il est favorable au développement des services sur l'Internet. Il n'en reste pas moins que deux problèmes se posent.
Le premier est celui de la gestion du trafic pour éviter la congestion. Comment l'organiser sans que nos préférences pour tel ou tel contenu prévalent ?
Le second est celui de la cybercriminalité. Il existe déjà de nombreux textes, par exemple contre la pédopornographie. Mais il faut prendre garde à ne pas dériver vers des pratiques contestables par rapport au principe de neutralité.
Je rappelle qu'en France, la loi pour la confiance dans l'économie numérique de 2004 dispose que l'éditeur d'un contenu est totalement responsable.
2. Agenda numérique pour 2015 et circulation des contenus
J'évoquerai le projet d'agenda numérique que la Commission européenne a présenté la semaine dernière pour relancer la stratégie numérique, puis mon rapport d'initiative sur le respect de la propriété intellectuelle qui devrait être adopté par la commission des affaires juridiques du Parlement européen le 1er juin.
La Commission européenne souhaite faire de la stratégie numérique un levier de croissance pour l'Europe. Au cours des quinze dernières années, la moitié des gains de productivité dans l'Union était dû aux technologies de l'information et des communications (TIC). Cette part tend à augmenter.
L'agenda décrit sept domaines prioritaires d'action.
Le principal est la création d'un marché unique de l'innovation et des contenus culturels de l'Union européenne. Le document de la commission fait le double constat de l'existence d'un marché unique de l'offre illégal et de l'absence d'une offre légale diversifiée suffisamment attractive. La protection insuffisante de la propriété intellectuelle est l'une des explications de ce déséquilibre.
L'amélioration de la gouvernance et de la transparence de la gestion collective des droits est une des pistes avancées. Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur, devrait faire une proposition, notamment en faveur d'un guichet unique pour l'obtention de licences afférentes à différents types de droits. Il privilégierait une approche sectorielle.
On évoque aussi la promotion de « business models » innovants qui permettent un juste équilibre entre la rémunération des ayants droit et l'accès du public à la connaissance. Une législation européenne ne serait pas indispensable à la condition que les parties intéressées parviennent à s'entendre.
Enfin, la politique fiscale mériterait d'être revue. L'offre légale pourrait bénéficier d'une TVA réduite.
Le programme de travail de la commission serait le suivant :
– une proposition de directive-cadre sur la gestion collective des droits fin 2010 ou début 2011 ;
– une proposition de directive sur les oeuvres orphelines en 2010 ;
– une révision de la directive sur le respect de la propriété intellectuelle en 2011 ;
– une modification de la directive « services média audiovisuels » pour faciliter l'exploitation des droits par les fournisseurs de services audiovisuels en 2012 ;
– une évaluation des options permettant de développer les services de contenus culturels (licence paneuropéenne, licence collective étendue, harmonisation du droit d'auteur) en 2012.
Ceci m'amène à évoquer mon rapport d'initiative sur le respect de la propriété intellectuelle. Son vote a été reporté à plusieurs reprises, mais il devrait être examiné en commission le 1er juin et en plénière en juillet. 122 amendements ont été déposés qui m'ont conduite à proposer 12 amendements de compromis. 11 ont réuni un large accord. Ils tendaient notamment à remplacer le terme « piratage » par celui plus juridique d'« infraction au droit d'auteur », à préciser le rôle de l'observatoire de la contrefaçon et du piratage, à souligner la nécessité des campagnes de sensibilisation et à exiger des données fiables sur l'échelle des infractions.
Malheureusement, au moment où nous allions examiner le dernier point, Françoise Castex, rapporteur fictif du groupe de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen, a remis en cause tous les compromis. Je n'ai pas eu d'autre choix que de retirer l'ensemble de mes propositions, puisque ce qui m'était demandé – proposer la légalisation du téléchargement illégal et réfléchir à un mécanisme de compensation financière tel que la licence globale – était inacceptable. La licence globale est une négation du droit d'auteur, qui n'est pas seulement un droit d'exploitation, mais aussi un droit moral. A l'ère numérique, il ne faut pas nier le droit d'auteur, mais l'adapter. Au cours d'ultimes négociations, j'avais admis le traitement différencié, et non la légalisation, du « file sharing ». Mais cela n'a pas suffi.
Je ferai trois observations.
Tout d'abord, l'agenda numérique ne précise pas si le déploiement des réseaux à très haut débit, en particulier la fibre optique, bénéficiera d'un financement européen en plus des financements nationaux et locaux actuels.
Ensuite, en matière fiscale, se pose la question de la TVA sur les biens numériques. De nombreux opérateurs sont domiciliés au Luxembourg pour bénéficier de la TVA à taux réduit. Pourtant, dans de nombreux États membres, les biens culturels physiques en bénéficient. Il conviendrait de généraliser rapidement la TVA à 5,5 % sur les biens numériques avant que les recettes ne deviennent significatives et que les administrations fiscales ne soient davantage réticentes à cette idée.
Enfin, je pense que tous les sujets relatifs au droit d'auteur, à la numérisation des biens culturels ou à la bibliothèque Europeana se tiennent. Je prends pour exemple le projet de Google de numériser des oeuvres sans l'autorisation des ayants droit. Dans le cadre de la procédure judiciaire engagée par les éditeurs américains contre Google aux États-Unis, la France et les éditeurs français ont pu faire valoir leurs observations devant la Cour. La Commission européenne a longtemps hésité avant de faire de même. Cette affaire n'est pas close. Le ministère de la justice américain s'est encore opposé récemment à une transaction possible entre Google et les éditeurs américains. Nous, européens, pourrions d'ailleurs souscrire pleinement aux objections soulevées par le ministère américain de la justice qui vont dans notre sens.
Dans le débat sur le droit d'auteur et la numérisation, il faut distinguer trois catégories d'oeuvres :
– celles tombées dans le domaine public ;
– celles sous droit d'auteur incontestable ;
– les oeuvres orphelines, c'est-à-dire dont on ne connaît pas l'auteur, et les oeuvres dont on connaît l'auteur mais qui ne sont plus éditées.
C'est sur cette troisième catégorie – cette zone grise – que Google s'est ruée.
Le grand emprunt français mobilise 750 millions d'euros pour régler cette question. Mais il ne s'agit que d'une réponse nationale. Une grande vigilance doit donc demeurer sur ces questions qui concernent directement l'identité européenne.
A propos du projet de bibliothèque numérique Europeana, je dirai simplement que les choses sont mal engagées. La littérature européenne sur ce sujet, y compris celle de la Commission européenne, reste très floue.
Le débat sur la définition juridique des infractions au droit d'auteur n'est pas clos. Plusieurs stratégies sont encore envisagées.
L'une consiste à ne pas bouger. Cette solution me semble déraisonnable, car d'ores et déjà on constate que le respect du droit d'auteur est complètement débordé. Une autre consiste à harmoniser les législations nationales sur le droit d'auteur.
Ce débat me rappelle celui sur le logiciel libre. Faute d'accord, le résultat est qu'aujourd'hui il n'y a toujours pas de texte. On risque d'arriver au même résultat en matière de téléchargement, si on continue à privilégier la sanction comme seule réponse.
À propos du financement des nouveaux réseaux, je regrette aussi que la Commission européenne n'ait toujours pas remis son rapport.
Enfin, en ce qui concerne la fiscalité des biens numériques, j'indique que ma collègue Pervenche Berès propose précisément d'étendre le taux réduit dans son rapport sur la crise économique et sociale. Ce rapport devrait être adopté en septembre.
Je souhaiterais savoir où en est la mise en oeuvre de l'Observatoire de la contrefaçon et du piratage. Il me semblait mal né, le Parlement européen n'en voulant pas.
Cet observatoire n'est pas mal né. Je rappelle que ce n'est pas une structure supplémentaire. Il s'agit d'une organisation qui fait appel aux compétences des structures existantes en Europe. L'observatoire a commencé à produire des études. En revanche, il n'est sans doute pas suffisamment sollicité.
3. La bibliothèque numérique « Europeana »
Europeana est un projet de numérisation, de mise en ligne et de préservation sur Internet d'un ensemble d'oeuvres européennes via un point d'accès unique et multilingue. Ce n'est donc pas formellement une bibliothèque, mais une plateforme unique d'accès à des bibliothèques.
Europeana vise à répondre à des enjeux culturels majeurs. En premier lieu, la démocratisation de l'accès à la culture. Sa création répond au souci d'offrir à un public très large un outil performant d'accès à la connaissance. Cette interface est en effet multilingue de manière à permettre à l'ensemble des citoyens européens, quelle que soit leur nationalité, de pouvoir la consulter. Elle comporte également des oeuvres encore protégées par le droit d'auteur afin de ne pas faire obstacle à l'accès à la connaissance. En deuxième lieu, Europeana constitue un outil de conservation et de protection du patrimoine culturel européen issu des vingt-sept États membres. A ce titre, la bibliothèque comporte des oeuvres rares ou anciennes, dont la consultation est aujourd'hui difficile en raison des mesures de conservation qui entourent ces documents. En troisième lieu, Europeana offre la possibilité aux pays européens de développer leur propre offre de contenus culturels en ligne, aux côtés de celle mise à disposition par les entreprises privées, telles que Google. Elle leur permet donc d'apporter une réponse collective aux risques qui entourent cette offre d'origine privée, à savoir la confiscation d'oeuvres qui font pourtant partie du domaine public et les doutes qui pèsent sur le maintien de la gratuité de consultation.
Cela dit, le développement d'Europeana se heurte aujourd'hui à un certain nombre de difficultés. D'une part, Europeana peut poser problème au regard du droit d'auteur. Aujourd'hui, les règles en matière de propriété intellectuelle ne sont pas les mêmes dans tous les États membres de l'Union européenne, ce qui pourrait être problématique si Europeana permettait la consultation d'oeuvres récentes encore protégées par le droit d'auteur. Il serait inconcevable que les auteurs dont les oeuvres sont numérisées sur Europeana ne soient pas protégés équitablement. D'autre part, Europeana souffre de difficultés de financement. A titre personnel, je ne suis pas opposé à la mise en place de partenariats publicprivé, mais il est certain que la conclusion de tels accords nécessite la plus grande vigilance. Les entreprises privées sont guidées par une logique de retour sur investissement, ce qui n'est pas toujours compatible avec le principe d'une diffusion de la culture la plus large possible.
Avant de céder la parole à mes collègues, je souhaiterais brièvement vous présenter la résolution alternative sur Europeana que j'ai présentée au Parlement européen et qui a été adoptée en séance plénière le mercredi 5 mai 2010 avec le soutien du groupe PPE et l'appui de trois autres groupes politiques (Sociaux et démocrates, ADLE et Verts). Cette résolution visait à modifier deux paragraphes du texte issu de la commission de la culture qui auraient pu avoir des conséquences fâcheuses. En effet, ces paragraphes permettaient à tous les Européens d'échanger librement et sans aucun contrôle sur ce portail. Or, à mon sens, il ne pouvait être question de laisser les internautes intervenir voire modifier le contenu mis en ligne sur la bibliothèque numérique. Je ne nie pas l'intérêt de pouvoir commenter les oeuvres. Mais, il me semble que si cela doit être autorisé en ligne, cela doit figurer sur un site séparé. Dans tous les cas, il me semble que la suppression de ces deux paragraphes a permis à Europeana de se recentrer sur ses principaux objectifs : un outil de démocratisation de la culture, qui contribue à la protection et à la conservation de notre patrimoine culturel, tout en préservant le droit d'auteur, même si je reconnais que la protection du droit d'auteur pourrait encore être améliorée dans l'Union européenne.
Europeana a été créée en 2005 à l'initiative de la France, puis a été lancée en 2008, alors que la France exerçait la présidence de l'Union européenne. Cette bibliothèque en ligne constitue un instrument fondamental de diffusion des oeuvres européennes et de rayonnement de notre culture – non seulement en Europe, mais également à travers le monde. Europeana vise à donner à tous un accès aux collections des bibliothèques, musées et archives des États membres de l'Union européenne. D'ici la fin de l'année, la plateforme devrait ainsi héberger 10 millions d'oeuvres : des livres bien sûr, mais aussi des cartes, des extraits de film, des peintures et des oeuvres musicales. Non seulement ce projet est essentiel pour l'avenir de notre patrimoine culturel et à la promotion de la diversité culturelle dans le monde ; mais il représente également un formidable outil pour la recherche, qui pourrait nous permettre d'avancer dans la construction d'une économie de la connaissance.
Face à l'importance de ces enjeux, la commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, dont je suis membre, a engagé, depuis septembre dernier, une réflexion sur la question de la numérisation du patrimoine culturel et, en particulier, du patrimoine écrit. Sur ce sujet, la commission pense qu'il est primordial que la pérennité du patrimoine écrit soit assurée et qu'un accès universel aux contenus culturels soit garanti. Nous concevons la numérisation comme un moyen de transmettre notre patrimoine culturel aux générations futures et de jeter les bases d'une mémoire collective.
Pour autant, il est ressorti des débats que nous avons eus au sein de la commission de la culture – lors des auditions ou des tables rondes que nous avons organisées – et en séance publique, le sentiment que la numérisation soulevait certaines difficultés, en particulier économiques. Trois points doivent en particulier être évoqués.
Premièrement, le coût élevé de la numérisation. Nous sommes tout à fait conscients que la question du financement constitue d'ailleurs aujourd'hui l'un des principaux freins au développement d'Europeana. Dans ce cadre, nous croyons que la mise en place de partenariats publicprivé est une piste qu'il ne faut pas exclure, même s'il convient de les encadrer strictement. Marc Tessier, dont le rapport sur la numérisation du patrimoine écrit fait aujourd'hui référence en ce domaine, a pu dissiper certaines de nos craintes autour de ces partenariats, en nous montrant qu'il nous fallait parvenir à conserver la maîtrise du processus de numérisation et de diffusion des contenus.
Deuxièmement, le droit d'auteur. Nous estimons que le processus de numérisation doit impérativement garantir le respect des droits d'auteur. Je sais qu'il s'agit d'une problématique dont le Parlement européen est familier, comme en témoignent les éclairages de Mme Gallo sur ce sujet il y a quelques instants. Nous savons tous que l'Internet peut constituer une menace à la juste rémunération des créateurs ; et c'est justement parce que nous souhaitons offrir au public l'accès à un contenu le plus large possible que nous devons veiller à renforcer la protection des droits d'auteur en Europe, principal gage pour la poursuite de la créativité et de l'innovation sur le territoire européen. Je crois savoir que la Commission européenne devrait proposer, dès la fin de cette année, une directive-cadre relative à la gestion collective du droit d'auteur afin de remédier à l'hétérogénéité qui prédomine aujourd'hui entre les États membres. Tous les contenus numériques seront-ils concernés, y compris l'audiovisuel ?
Troisièmement, la question des oeuvres orphelines, à laquelle nous nous intéressons d'ailleurs ces derniers jours au sein de la commission de la culture à propos des oeuvres visuelles. Je crois qu'il serait vraiment dommage que nous nous privions de telles oeuvres au sein d'Europeana. Je souhaite que l'Europe s'investisse davantage dans ce domaine à la fois sur le plan réglementaire et financièrement. Comme l'a souligné notre collègue Hervé Gaymard précédemment, je ne néglige pas non plus la question des oeuvres épuisées. Je sais qu'une directive-cadre européenne est également attendue sur le sujet des oeuvres orphelines. A-t-on une idée de sa date de publication et des principales dispositions qu'elle devrait comporter ? La France doit-elle attendre cette directive pour légiférer à son tour ?
Le groupe des Verts au Parlement européen estime qu'une solution doit être rapidement trouvée afin d'assurer le financement d'Europeana après 2012. Je rappelle, à cet égard, que mon groupe politique s'est toujours montré particulièrement sensible à la problématique du numérique et propose, par exemple, que la réduction de fracture numérique figure parmi les priorités des fonds structurels pour la période 2014-2020.
En ce qui concerne la rétribution des créateurs ou des ayants droit dont les oeuvres sont accessibles sur Europeana, le groupe des Verts est favorable au développement du système des licences collectives étendues. Ce système, instauré dans les pays nordiques dès la fin des années 1970, a prouvé son efficacité : il a d'ailleurs été introduit en droit européen pour le cas des oeuvres audiovisuelles dans la directive 9383CE relative aux droits d'auteur applicables à la radiodiffusion par câble ou satellite. Nous pensons que la mise en place d'un tel système de gestion par licence collective devrait utilement garantir le respect des droits d'auteur par Europeana, tout en apportant une solution au problème précédemment soulevé des oeuvres orphelines. La société de gestion collective pourrait tout à fait conserver les droits perçus auprès d'Europeana et les redistribuer aux créateurs ou à leurs ayants droit après que ces derniers auront été identifiés.
Je souhaitais apporter quelques précisions en matière de calendrier. D'après les informations dont je dispose, la proposition de directive-cadre sur la gestion collective des droits, ainsi que la proposition de directive sur les oeuvres orphelines devraient être publiées d'ici la fin de cette année ou, au plus tard, au début de l'année 2011.
Malgré les doutes qui ont malheureusement pesé sur le fonctionnement de quelques rares sociétés de gestion collective des droits d'auteur au cours des dernières années, je crois que nous devons encourager leur développement, tant cette solution a globalement donné satisfaction jusqu'à présent. Ces sociétés apportent effectivement une réponse aux problèmes d'accessibilité des oeuvres orphelines sur la toile. Elles participent aussi activement au développement de l'économie de la culture en facilitant le respect des droits d'auteur. D'ailleurs, je constate que les créateurs y sont généralement favorables. Il nous faudra donc réfléchir, dans les prochains mois, aux moyens d'améliorer la qualité de leur fonctionnement, mais, surtout, aux possibilités dont nous disposons pour étendre leur fonctionnement.
En ce qui concerne le financement de la numérisation des oeuvres, je souhaiterais rappeler que certains de mes collègues proposent l'introduction d'un ticket complémentaire perçu à l'entrée des salles exposant des oeuvres culturelles devant être numérisées afin de les affecter au financement de la numérisation au niveau national. Quelle que soit la solution que nous retiendrons, je crois qu'il est indispensable que nous mettions tout en oeuvre pour poursuivre la construction d'Europeana. L'heure n'est plus à déplorer les avancées de Google en matière de numérisation ni à critiquer son mode de fonctionnement. L'important, au contraire, est que nous mettions en place une alternative crédible à la numérisation par les sociétés privées qui, à terme, pourraient être plus protectrice des créateurs et surtout plus accessible par l'ensemble des citoyens.
Je souhaitais signaler que nous avions récemment entendu, au sein du groupe de travail sur les droits d'auteur que coordonne Marielle Gallo, des représentants des sociétés de gestion collective des droits d'auteur. A cette occasion, ils nous ont indiqué qu'ils travaillaient à la rédaction d'une proposition de création d'un « one-stop shop » – autrement dit, un guichet unique sur Internet permettant aux utilisateurs d'accéder à tous les répertoires d'oeuvres culturelles gérées par les sociétés de gestion collective – afin d'améliorer l'accès du public au patrimoine culturel. Ils nous ont demandé qu'aucune disposition législative les concernant ne soit adoptée dans l'attente de la publication de leur proposition.
Quelle que soit cette proposition, je pense que le Parlement européen devra cependant rester vigilant en ce qui concerne le fonctionnement de ces sociétés de gestion collective. Mon intention n'est nullement de mettre en cause leur mode de gestion ou de les soupçonner de malhonnêteté. Je constate simplement que ces sociétés ont tendance à thésauriser des sommes d'argent importantes, qui correspondent bien souvent aux sommes en attente de répartition, du fait que les auteurs ou leurs ayants droit ne sont pas toujours connus. Il me paraît regrettable que cet argent se trouve ainsi accumulé, sans pouvoir être immédiatement injecté dans l'économie culturelle. J'espère donc qu'au cours de nos débats au Parlement européen, nous pourrons trouver une solution afin de garantir la transparence de ces sociétés. Peut-être pourrions-nous trouver une formule dans laquelle nous pourrions demander à ces sociétés de répondre de l'utilisation de ces sommes d'argent ?
II. Le service européen pour l'action extérieure
Le Président Jean Bizet. Le service européen pour l'action extérieure est une innovation majeure du traité de Lisbonne, et il est important que nous puissions discuter tous ensemble de sa mise en place. Il existe une position officielle du Sénat en ce domaine puisque, à la suite de plusieurs débats au sein de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées, une résolution a été adoptée qui est devenue la résolution du Sénat.
La résolution a identifié trois enjeux principaux. Le premier porte sur la nature du service. Le Sénat considère que le service européen pour l'action extérieure doit être un service sui generis, équidistant de la Commission européenne et du Conseil. Cela nous paraît résulter de la pluralité des missions du service. Il doit être placé sous l'autorité du Haut représentant ; il doit pouvoir assister le président du Conseil ; il doit aussi assister le président et les membres de la Commission européenne ; enfin, il doit coopérer étroitement avec les États membres. Il nous semble que, pour pouvoir remplir pleinement toutes ces fonctions, il ne doit pas être intégré à la Commission européenne et il doit jouir d'une autonomie en matière budgétaire et de gestion du personnel.
Le second enjeu concerne le périmètre du service. Le Sénat estime que le périmètre du service européen pour l'action extérieure devrait être le plus large possible. L'objectif premier est d'abord de renforcer la cohérence de l'ensemble des instruments en matière de relations extérieures de l'Union européenne. Le second objectif est de permettre au Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité d'exercer pleinement son mandat. En effet, en vertu du traité, le Haut représentant, en sa qualité de vice-président de la Commission, a la responsabilité de la coordination des aspects touchant aux relations extérieures au sein de la Commission européenne. Cela concerne non seulement l'aide au développement, la politique de voisinage mais aussi la réponse de l'Union européenne aux crises.
Le troisième enjeu, et non des moindres, porte sur l'organigramme et la répartition des effectifs entre la Commission, le Conseil et les États membres. À cet égard, le Sénat estime qu'un équilibre adéquat devra être trouvé entre les trois viviers de personnels, et que les États membres – et notamment ceux qui jouent un rôle majeur dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité, comme la France – devront être suffisamment représentés au sein de ce service. De plus, le Sénat insiste sur l'importance d'accorder à la langue française la place qui doit lui revenir dans les travaux du service.
Enfin, et ce sujet nous tient beaucoup à coeur, la résolution du Sénat souligne l'importance que le service européen pour l'action extérieure entretienne des relations étroites avec l'ensemble des parlements de l'Union, c'est-à-dire non seulement avec le Parlement européen, mais aussi avec les parlements nationaux.
Je voudrais revenir sur les trois points qui figurent dans la résolution du Sénat, afin de préciser où nous en sommes aujourd'hui. Les négociations évoluent de façon quasi-quotidienne, même si elles sont actuellement interrompues pour quinze jours. Début juin aura lieu ce qui pourrait être une dernière session, nous l'espérons, avant le Conseil européen du 17 qui pourrait avaliser une partie des accords qui auront été trouvés, en particulier entre la Haute représentante et nos collègues qui négocient au nom du Parlement européen.
En ce qui concerne l'équidistance entre la Commission et le Conseil, le caractère sui generis du service européen pour l'action extérieure n'est pas remis en cause en tant que tel. Cela ne sera pas une agence, au titre classique, ni un organe tel qu'il en existe d'autres ; donc cet aspect sera bien respecté dans sa définition. En revanche, le contentieux actuel porte sur le positionnement budgétaire. Sous quelle section positionnera-ton le budget du service européen pour l'action extérieure ? Ce sera un budget communautaire, mais la question est de savoir s'il relèvera de la sous-section 3, c'est-à-dire d'un instrument de la Commission, ou bien s'il sera sui generis. De ce point de vue, il existe un véritable blocage entre Mme Ashton, le Parlement européen, les États membres et le Conseil, et l'on est loin d'avoir trouvé une solution. Il s'agit de la principale difficulté à laquelle se heurtent les négociations actuelles.
La deuxième question concerne le périmètre du futur service. Le point dur porte sur l'intégration de la partie développement, dont un certain nombre pensent qu'elle doit faire partie intégrante du futur service, en tant qu'outil majeur au niveau financier. Cela pose un certain nombre de problèmes de compétence avec la Commission et le débat n'est pas encore tranché.
Enfin, sur l'organigramme et les effectifs, il y a eu beaucoup de progrès. Cependant, le débat reste vivace sur la représentation politique du service européen pour l'action extérieure devant le Parlement européen. C'est le point dur de la négociation pour nous. Nous souhaitons que Mme Ashton puisse s'exprimer régulièrement devant les commissions compétentes, ce qu'elle consent à faire. Cela étant, pour des raisons de disponibilité, il est évident que cela posera d'énormes problèmes. Il s'agit donc d'élaborer un dispositif permettant d'assurer une représentation politique de la Haute représentante devant le Parlement européen. Certaines dispositions laissaient entendre que Mme Ashton pourrait déléguer cette fonction à de hauts fonctionnaires européens. Le Parlement européen s'oppose catégoriquement à cette solution.
De plus, même si nous n'intervenons pas de façon législative sur les sujets de politique étrangère, nos prérogatives ont été renforcées par le traité de Lisbonne, et il n'est pas question pour nous d'abdiquer cette capacité d'avoir des auditions de nature politique avec Mme Ashton et ses représentants. Un système subtil doit donc être mis en oeuvre avec des Secrétaires généraux et des adjoints qui pourraient suppléer Mme Ashton. L'un d'entre eux pourrait notamment être nommé pour traiter spécifiquement des questions de gestion de crise et des affaires de défense et de sécurité.
Cela rejoint d'ailleurs une autre de nos préoccupations, à savoir l'autonomie et la spécificité reconnue de ce que l'on appelle la chaîne de commandement de gestion des crises. Cela concerne des instruments civils et partiellement militaires qui touchent vraiment à l'implication des États membres dans le domaine de la gestion de crise et de la politique de sécurité et de défense commune. Les États membres ont souhaité, me semble-t-il à juste titre, que la spécificité de ces instruments soit préservée au sein de l'organigramme du service européen pour l'action extérieure. Il s'agit bien sûr d'intégrer ces outils, parce qu'ils feront partie intégrante de la nouvelle structure, tout en leur conservant une capacité autonome ; il s'agit notamment de mettre en place une chaîne de commandement qui remonterait directement au Haut Représentant ou à son subordonné en charge de la gestion de crise et des affaires de défense. Là-dessus, les négociations progressent et l'on a bon espoir que cela aboutisse.
Un autre point dur, enfin, qui reste en suspens, est la question des effectifs, directement liée à la question statutaire que vous évoquiez dans le point sur l'équidistance entre la Commission et le Conseil. En effet, les clés de répartition du personnel du service européen pour l'action extérieure font l'objet d'âpres négociations. Au stade actuel des négociations, la clé de répartition prévoit que 50 % des effectifs viendront de la Commission et que le Conseil et les États membres se partageront le reste des postes à égalité. Mais, dès lors que des diplomates nationaux intégreront le service, devront-ils abandonner leur statut national et passer sous un statut communautaire ? Ce point fait l'objet d'âpres discussions, car cela tient évidemment à la définition du statut global du service et à sa responsabilité, notamment devant le Parlement.
Tel est l'état des lieux des discussions. Rien n'est encore acquis, même si un certain nombre de progrès ont été réalisés. Les négociations qui reprendront début juin seront donc cruciales. Enfin, je crois que nous devons garder à l'esprit le calendrier. Plus nous prendrons du retard, et plus nous perdrons en crédibilité, alors que le service envisagé par le traité de Lisbonne doit être un instrument majeur de visibilité, de crédibilité et d'efficacité de l'action extérieure de l'Union européenne. Il faudrait donc que l'on parvienne assez rapidement à un accord, ou au moins un pré-accord avant cet été. J'espère que tout le monde fera preuve de responsabilité à cet égard. C'est une condition essentielle pour qu'on puisse mettre en place le futur service à la rentrée dans de bonnes dispositions.
J'étais personnellement hostile au traité de Lisbonne et à la création du service européen pour l'action extérieure. Aujourd'hui, le problème ne me paraît pas tant ce dernier que l'absence de clarté quant à la direction de l'Europe. Qui dirige la diplomatie européenne ? Comme disait Henri Kissinger : « L'Europe, quel numéro de téléphone ? ». Quatre acteurs sont en concurrence : la Haute représentante, qui fait preuve de mépris en se dérobant à sa responsabilité politique quand elle nous explique qu'elle ne peut pas venir devant le Parlement européen ; le Président Barroso ; le président stable ; et la présidence tournante. Il me paraît absurde que celle-ci n'ait pas disparu avec la mise en place d'un président stable. Dès lors, comment le service européen pour l'action extérieure pourra-t-il fonctionner de façon efficace et cohérente ?
Dans le contexte actuel, nous avons le sentiment que tout ce qui donne l'impression que l'Europe reste incapable de prendre des décisions fortes, notamment dans le domaine économique, affaiblit notre entité et risque d'avoir des répercussions au-delà des questions diplomatiques, comme on a pu le constater avec la crise. D'où l'enjeu important que représente la mise en place de ce service dans des délais raisonnables. La commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale prépare un rapport sur le service européen pour l'action extérieure, qui sera présenté le 1er juin.
Je voudrais revenir sur les points clés de la résolution du Sénat. Il est heureux que nous puissions discuter tous ensemble des enjeux de la mise en place du service européen pour l'action extérieure. Je constate que nos analyses diffèrent, au niveau de la nature même de celui-ci. La politique extérieure de l'Union européenne reste de nature intergouvernementale. Il s'agit pour nous de dire au Parlement européen que chacun doit rester dans ses compétences, et que nous devons envisager ensemble l'instauration de ce service. Le traité de Lisbonne accentue d'ailleurs les compétences des parlements nationaux. Le Parlement européen ne peut être le seul interlocuteur démocratique dans ce débat. Ce point de vue a été exprimé par des gens qui, comme moi, sont convaincus qu'il faut aller de l'avant en matière européenne.
En outre, je constate que le débat est également ouvert sur le périmètre du futur service. Les problématiques budgétaires relèveront-elles de la codécision ? Comment trouver le bon équilibre entre les rôles de la Commission, du Parlement européen et des parlements nationaux ? C'est une démarche nouvelle pour nous. Il est par conséquent important que nous puissions nous exprimer sur ces questions.
Troisièmement, on nous a dit que, sur la répartition des effectifs, le Parlement européen voudrait auditionner les candidats, sur le modèle américain. Cela suscite perplexité et interrogations.
Je tiens à dire qu'il n'y a pas de volonté de blocage du Sénat par rapport au Parlement européen, mais une demande forte d'être associé et de pouvoir participer, dans la mesure où nous croyons que c'est ainsi que nous progresserons vers une cohérence nécessaire dans la politique extérieure de l'Union européenne.
La commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, dont je suis membre, est la deuxième commission compétente pour la réflexion sur l'architecture institutionnelle et la mise en oeuvre du service européen pour l'action extérieure. La commission, notamment en la personne de Guy Verhofstadt, ancien premier ministre belge, s'est beaucoup impliquée pour négocier pied à pied avec le Conseil et la Haute représentante sur ce que pourraient être le périmètre, les responsabilités, les prérogatives, le budget et la composition du futur service.
Comme le disait Arnaud Danjean, les négociations évoluent tous les jours. Nous sommes nombreux à espérer, au sein de la commission des affaires constitutionnelles, que le Parlement européen ne donne pas l'image d'une instance s'enlisant trop longtemps dans un débat institutionnel « nombriliste », dans lequel l'Union européenne n'a eu que trop tendance à se complaire, durant dix ans de négociations. On ne doit pas réinventer maintenant des querelles institutionnelles, alors que nous disposons d'une formidable boîte à outils avec le traité de Lisbonne, qu'il s'agit simplement d'appliquer. Nous essaierons donc de faire entendre la voix de la sagesse et de la raison au sein de nos commissions respectives et de notre groupe, mais il y a encore du chemin à faire. Les parlements nationaux doivent bien comprendre que l'enjeu de la discussion autour de l'architecture institutionnelle du futur service a été l'occasion pour le Parlement européen de se lancer dans un rapport de forces avec les autres institutions et de peser de tout le poids nouveau et de toute la responsabilité nouvelle que lui confère le traité de Lisbonne. Notre préoccupation est que le service européen pour l'action extérieure ne devienne pas l'otage du bras de fer entre les représentants du Parlement européen qui négocient en notre nom, le Haut représentant et le Conseil. C'est un aspect auquel il faut être très sensible et très vigilant, et que les parlements nationaux doivent avoir bien présent à l'esprit. La voie est donc étroite et le schéma qui aboutira devra forcément tenir compte de toutes ces contraintes et de ces différents paramètres.
Pour nous, membres du Parlement européen, à ce stade, les rapports et résolutions des parlements nationaux que vous avez mentionnés constituent des documents très précieux. Car, au-delà des débats en cours entre la conception intergouvernementale de la politique étrangère et la conception plus communautaire du Parlement européen, quelle que soit la solution adoptée, il faudra que le point de vue des parlements nationaux soit pleinement entendu et pris en compte, si ce n'est dans les textes, du moins dans la pratique. Il faudra nous assurer d'être toujours en connexion les uns avec les autres. C'est pourquoi les députés européens doivent être à l'écoute des parlements nationaux, sur ce domaine qui reste en grande partie régalien.
Jacques Blanc, vice-président de notre commission, a très bien reflété le point de vue de la commission des affaires étrangères du Sénat. Nous sommes convaincus que l'existence d'une politique étrangère de l'Union européenne est indispensable. Car on ne peut pas à la fois déplorer l'absence de l'Union européenne en tant qu'entité pesant sur la scène internationale, et lui dénier le droit d'avoir une politique étrangère. Il est vrai que le traité de Lisbonne met sur pied une mécanique extrêmement complexe. Néanmoins, le service européen pour l'action extérieure marque un progrès, puisque, aux Nations unies, par exemple, l'Union européenne disposera désormais d'une représentation unique pour faire entendre sa voix, alors qu'il existe actuellement plusieurs services (Commission, Conseil…). C'est un progrès qu'il faut encourager.
Il ne s'agit pas de créer un conflit avec le Parlement européen mais de nous en tenir au texte. Ainsi, la déclaration no 14 annexée au traité de Lisbonne stipule que « les dispositions régissant la politique étrangère et de sécurité commune ne confèrent pas de nouveaux pouvoirs à la Commission de prendre l'initiative de décisions ni n'accroissent le rôle du Parlement européen ». Tels sont les textes.
Nous considérons que les décisions de politique étrangère relèvent toujours du Conseil. Comme il n'existe pas encore de nationalité européenne, les parlements nationaux ont un rôle essentiel à jouer en ce qui concerne la politique de défense et la politique extérieure. Nous avons voix au chapitre.
Quand ce service sera définitivement constitué, il aura certainement vocation à s'exprimer devant le Parlement européen, mais il devra aussi rendre des comptes devant les parlements nationaux. Bien sûr, il faudra être raisonnable et proposer à Mme Ashton des solutions pour l'auditionner à bon escient, compte tenu de son emploi du temps très chargé
Sur la composition du service, il convient là aussi de faire preuve de vigilance. Nous entendons bien que les diplomaties nationales puissent être représentées. L'idée d'un service européen totalement déconnecté des États, et qui serait administré par la Commission, est inacceptable pour nous.
Le budget du service européen pour l'action extérieure ne doit pas être un simple appendice de la Commission, car nous savons tous que celui qui paye commande.
Enfin, nous avons le devoir de veiller, nous, parlementaires nationaux et européens, à ce que la francophonie soit maintenue. Or, à Bruxelles, tout se passe en anglais. D'où l'intérêt de ce type de réunion pour coordonner nos actions par rapport au Conseil ou à la Commission. Tant que nous n'aurons pas une Europe fédérale, il faudra rester dans ce cadre. De ce point de vue, je dis clairement que nous ne pouvons soutenir les propositions du rapport de MM. Brok et Verhofstadt. Leur position est très nostalgique d'une certaine Europe dont on peut regretter qu'elle n'ait pas existé, mais qui n'existe pas. Donc, restons dans le cadre fixé, efforçons-nous de l'améliorer et de créer de véritables synergies entre les organes de l'Union européenne pour aboutir à une politique étrangère européenne. Il s'agit d'un exercice complexe, mais, si nous voulons en faire trop, nous serons voués à l'échec. Par-dessus tout, il me semble que nous devons dépasser les corporatismes. Ne nous barricadons pas derrière nos prérogatives et nos pouvoirs, sinon nous n'arriverons à rien.
Je partage le point de vue du président de Rohan. Je suis persuadé que nous élaborerons des solutions pragmatiques et réalistes pour organiser la coopération interparlementaire en matière d'affaires étrangères et de défense. Je voudrais revenir sur quatre points.
Premièrement, la nomination des chefs de délégation de l'Union européenne à l'étranger et des Représentants spéciaux. Un courant du Parlement européen souhaitait doter celui-ci d'un pouvoir d'audition préalable, sur le modèle américain. Le compromis retenu me paraît une solution de bon sens. Il est ainsi agréé que Mme Ashton procédera aux nominations et que les chefs de délégation retenus passeront devant les commissions compétentes avant leur départ en poste, sans que le Parlement européen ait un pouvoir de sanction ou de veto. Il s'agira d'un échange de vues.
Deuxièmement, le suivi et le contrôle de la politique étrangère et de sécurité (PESC) et de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Certes, la PSDC demeure largement du domaine intergouvernemental, mais pas seulement. La PSDC et la PESC ont en effet une réalité européenne. C'est pourquoi le Parlement européen doit avoir son mot à dire dans le suivi et le contrôle de ces politiques. Nous ne sommes pas dans le domaine communautaire strict, mais cela va au-delà de l'intergouvernemental. Par exemple, il y a des envoyés spéciaux ainsi que des politiques spécifiques de l'Union européenne dans certaines régions, qui ne sont plus pilotées par les capitales mais par le Secrétariat du Conseil. Cette situation implique à mon avis, que, du point de vue du contrôle parlementaire, nous ne tombions pas d'un extrême à l'autre. Le Parlement européen ne doit pas avoir un droit de regard sur tout, mais ce contrôle ne peut relever des seuls parlements nationaux. Je suis optimiste sur notre capacité à trouver une bonne articulation entre le Parlement européen et les parlements nationaux. Quoi qu'il en soit, il convient d'éviter les débats qui polarisent trop les points de vue.
Troisièmement, au-delà de l'opinion que chacun peut avoir sur l'utilité d'une politique étrangère européenne et le caractère réaliste d'une politique plus intégrée, le traité de Lisbonne est en vigueur. Le service européen pour l'action extérieure existera donc. Personnellement, je m'en réjouis, car je pense que c'est un outil de cohésion, d'efficacité, de visibilité, de crédibilité, autant de choses qui nous manquaient jusqu'à présent, dans la conduite de ces politiques qui existent, qu'on le veuille ou non.
Enfin, je crois qu'il faut remettre les choses en perspective. Le traité de Lisbonne est entré en vigueur le 1er décembre et la nouvelle Commission a été investie le 1er février. Cela fait quatre mois que nous négocions sur la mise en oeuvre du service européen pour l'action extérieure, qui est un outil majeur. Ce n'est pas un échec, vu l'ambition et l'ampleur du projet. Tout cela demande du temps. Nous venons de très loin en la matière ; donc il faut être patients et ne pas tirer de conclusions hâtives.
Enfin, par rapport à ce que vous disiez de nos collègues Brok et Verhofstadt, je pense effectivement que, là encore, il ne faut pas dramatiser les positions. Nous sommes dans une phase de négociations. Il est de bonne guerre que chacun défende ses intérêts pour obtenir ce qu'il veut. C'est un jeu de négociation qui implique des postures catégorielles et corporatistes. Nous devons échapper à une polarisation excessive des points de vue, qui braque inutilement les différents acteurs. Je reste optimiste sur la capacité de tous à s'entendre sur une solution acceptable, qui ne portera pas atteinte à la crédibilité et à l'efficacité du service européen pour l'action extérieure.
Très brièvement, je voudrais introduire une touche d'humour dans ce débat qui est lourd de sous-entendus. Je voudrais dire deux choses. La première est que l'observation de M. Kissinger, que l'on cite trop souvent, me paraît assez malvenue, lorsque l'on connaît le personnage et son autorité personnelle, qui a pu créer des confusions au niveau de son administration. Je pense donc qu'il est temps de classer cette citation dans la catégorie des expressions désuètes, notamment du côté des anglo-saxons.
Deuxièmement, j'ai beaucoup apprécié que M. de Rohan souligne la question de l'expression francophone. Je vous confirme que l'usage de la langue française recule dans l'ensemble européen. A cet égard, je regrette que le groupe du Parti populaire européen, pourtant présidé par un Français, dérive vers l'anglomanie. En effet, la plupart des documents qui nous sont remis, notamment les documents de séance plénière, nous sont distribués en anglais. Cela n'est pas acceptable et il faudrait en faire remarque à qui de droit.
Le Président Pierre Lequiller. A l'issue de cette réunion, je souhaiterais une nouvelle fois vous dire à quel point je me félicite de la mise en place de ces réunions conjointes qui nous permettent de confronter nos visions de parlementaires européens et de parlementaires nationaux. Je crois que nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres et je tiens à vous assurer que les parlementaires nationaux sont particulièrement désireux d'intervenir en amont du processus de décision européen et de pouvoir faire connaître rapidement leur opinion sur les textes européens qui nous sont soumis.
Je suggère que nous n'inscrivions à l'ordre du jour de notre prochaine réunion qu'un seul sujet, celui de la réforme de la politique agricole commune, de manière à permettre à chacun de s'exprimer librement sur ce thème qui revêt une importance particulière pour notre pays.
La séance est levée à 18 h 50.