Mesdames, messieurs, je vous souhaite la bienvenue pour la poursuite des auditions de la mission d'évaluation et de contrôle relative au musée du Louvre. Je remercie tout particulièrement de leur présence fidèle les représentants de la Cour des comptes, M. Emmanuel Giannesini, conseiller référendaire, et M. Emmanuel Marcovitch, auditeur.
Dans le cadre de l'évaluation du musée du Louvre et, plus largement, de la politique muséale française, nous avons déjà entendu le président-directeur du musée du Louvre, ainsi que le secrétaire général du ministère de la Culture et la directrice des Musées de France. Nous souhaitions également recueillir le point de vue d'autres directeurs de musées, afin d'apprécier dans quelle mesure l'expérience particulière du Louvre leur était applicable. Peut-être, réciproquement, leurs expériences et leurs réussites pourront-ils servir de source d'inspiration pour le Louvre.
Le directeur du musée Magnin de Dijon a répondu par écrit au questionnaire que nous lui avons adressé. Nous entendrons dans les prochaines semaines madame Anne Baldassari, directrice du musée national Picasso. Aujourd'hui, nous avons le plaisir d'accueillir Madame Marie-Cécile Forest, directrice du musée national Gustave-Moreau, accompagnée de M. David Ben si Mohand, secrétaire général.
Le musée que vous dirigez, madame, est, comme le Louvre, doté du statut d'établissement public. Le nombre de ses visiteurs – un peu supérieur à 30 000 par an – est naturellement sans commune mesure avec celui du musée du Louvre, mais vous avez la particularité, qui fut d'ailleurs longuement évoquée au cours de l'audition des responsables du Louvre, de mener une politique active de financement par le mécénat. Cette politique tendrait notamment à tirer toutes les conséquences de l'intérêt du public japonais pour le peintre symboliste qu'était Gustave Moreau.
Je vous propose de répondre sans plus attendre aux questions de nos rapporteurs, qui sont aussi les deux rapporteurs spéciaux de la commission des Finances sur le budget de la culture, MM. Richard Dell'Agnola et Nicolas Perruchot. Le troisième rapporteur de la mission, M. Marcel Rogemont, m'a demandé de l'excuser auprès de vous : il ne peut participer aujourd'hui à nos travaux.
Nous commencerons par vos relations avec l'autorité de tutelle.
Il est envisagé, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, de réorganiser le ministère de la Culture et de créer une direction générale des Patrimoines intégrant l'actuelle direction des Musées de France. Qu'attendez-vous de cette réforme, notamment en ce qui concerne la définition et le pilotage de la politique muséale nationale ?
Par ailleurs, que pensez-vous des établissements ayant le statut de service à compétence nationale, les SCN, dont certains estiment qu'ils sont dans une situation « infantilisante » ? Le Louvre a été le premier musée doté du statut d'établissement public. Pensez-vous qu'un plus grand nombre d'institutions muséales devrait en bénéficier ?
Pour l'heure, nos relations avec la direction des Musées de France, la DMF, sont excellentes. La directrice des Musées de France, ou son représentant – en général son adjoint, M. Rodolphe Rapetti –, assistent régulièrement à notre conseil d'administration.
Nous disposons pour l'instant d'assez peu de renseignements sur la nouvelle structure. Nous sommes dans l'expectative, voire dans l'inquiétude, car nous craignons de perdre la relation de proximité que nous avions avec le personnel de la DMF. Ainsi, en matière de gestion du personnel, nous obtenons des réponses plus rapides et plus précises de la part du département des professions et des personnels de la DMF que de la direction des Affaires générales, la DAG. Il existe en outre à la DMF un département de la muséographie et un département des publics. Nous espérons ne pas avoir affaire à une administration de tutelle trop distante.
De combien d'équivalents temps plein disposez-vous dans votre établissement ? Cet effectif est-il stable ? Vous semble-t-il satisfaisant ?
En tout, nous sommes vingt-quatre : cinq personnes sont rémunérées directement par le musée, les autres sont des fonctionnaires payés par la DAG.
L'effectif a beaucoup évolué depuis mon arrivée, en 2001. Quand j'ai pris la direction de l'établissement en 2002, le musée souffrait d'un déficit de personnel : il n'y avait que le directeur-conservateur, un secrétaire général à temps plein, un chef de la surveillance et des agents de surveillance. Si l'on souhaitait mener des opérations d'envergure, il fallait recruter du personnel. C'est pourquoi nous avons lancé, avec succès, une politique de recherche de mécénats. Grâce à ceux-ci, nous avons embauché des contractuels pour des fonctions de régie d'oeuvre, capitales pour l'organisation d'expositions, et de récolement – puisque nous avons une obligation de récolement décennal. Une personne a également été recrutée pour la documentation, la communication et la recherche de mécénats avec le secrétaire général.
Ce personnel supplémentaire, payé par le musée – je préférerais qu'il le soit par le ministère ! –, est absolument indispensable. Certes, le musée Gustave-Moreau renvoie l'image d'un petit musée, en raison du nombre de ses visiteurs, mais il possède une collection très importante, riche de 20 000 oeuvres. Sachant qu'une aquarelle de Gustave Moreau peut valoir 600 000 euros sur le marché, c'est un trésor national ! Il nous faut donc un personnel suffisant.
Je suis très satisfaite de l'équipe actuelle, que j'ai en partie recrutée. L'intérêt des petits musées, c'est qu'on peut y faire beaucoup de choses ; le personnel y est heureux et motivé.
La particularité des musées français, c'est leur immense diversité, en matière de fonctionnement administratif comme de création. Il faut préserver cette diversité, donc les petites structures – de même que, du point de vue économique, il est important qu'il y ait dans un même pays des petites entreprises, des moyennes entreprises, des grandes entreprises et des multinationales. Chaque musée est une aventure particulière. Nous avons la chance, nous autres conservateurs, de faire des métiers qui répondent à des passions. Quelle que soit la structure administrative, il est toujours possible de valoriser une collection.
En matière d'effectifs, nous sommes actuellement à l'équilibre. Il y a un poste administratif vacant depuis deux ans, faute de candidat, mais nous avons pallié ce manque. En revanche, nous devons être polyvalents et toucher à un peu tous les domaines. C'est d'ailleurs tout l'intérêt de notre travail !
Pensez-vous que, du côté du ministère, on ressente les choses de manière identique et que l'on craigne que les liens ne se distendent ?
Le rapport de proximité s'établit surtout avec les services de la DMF. Comme nous n'avons pas de service administratif, juridique ou financier, ils nous apportent conseil et assistance. Avec la DAG, nos rapports sont beaucoup moins étroits ; ils sont essentiellement liés à des décisions de gestion : avec le bureau des opérateurs culturels nationaux pour les affaires financières et avec le service du personnel.
Abordons, si vous le voulez bien, les problématiques liées à la RMN, la Réunion des musées nationaux. Quelle valeur ajoutée apporte-t-elle aux institutions muséales ? Remplit-elle de façon satisfaisante son rôle de mutualisation, qui devrait profiter en priorité aux établissements de taille moyenne et petite, les grands musées ayant tendance à vouloir s'en affranchir ?
Quelle appréciation portez-vous sur votre collaboration avec la RMN, en matière d'exposition, de politique commerciale, de gestion de la billetterie ? Si la RMN semble fondée à agir dans des domaines qui ne ressortissent pas directement aux métiers des musées, comme la vente des produits dérivés, doit-elle continuer à s'impliquer dans la politique culturelle menée par l'institution muséale, notamment via l'organisation d'expositions temporaires ?
Les relations entre les musées et la RMN sont régies par des conventions. Pensez-vous que la RMN soit aujourd'hui en situation de monopole ? Est-il possible, voire souhaitable, de recourir à d'autres prestataires ? Au moment où l'autonomie des établissements progresse et où le paysage muséal change, la RMN a-t-elle encore une raison d'être ?
Vis-à-vis de la RMN, le musée Gustave-Moreau a un statut particulier : contrairement aux autres musées nationaux, nous gérons directement notre librairie et notre billetterie.
Autre particularité du musée : comme nous conservons le fonds d'atelier de l'artiste – il a lui-même accroché les oeuvres exposées –, nous n'achetons pas d'oeuvres d'art. De surcroît, nous avons en réserve des oeuvres d'une qualité bien supérieure à celles que l'on trouve sur le marché.
Le musée travaille avec la RMN pour les photographies, qu'elle réalise et dont elle gère la vente, pour les visites-conférences, pour certains catalogues – en mai paraîtra notamment le Catalogue sommaire des dessins de Gustave Moreau, fruit d'un travail de sept années –, pour des publications ponctuelles, ainsi que pour des opérations de communication : nous louons, via la RMN, des espaces dans le métro ou sur les murs de Paris.
En ce qui concerne les expositions, il n'y en avait pas au musée Gustave-Moreau jusqu'en 2007, date à laquelle la Société Huysmans m'a proposé de faire quelque chose à l'occasion du centième anniversaire de la mort de Huysmans. J'ai accepté. C'était une gageure : il n'y avait ni salle d'exposition, ni cimaises. Grâce à mon expérience antérieure, nous avons pu le faire entièrement par nous-mêmes. Il n'y a qu'en matière de communication que nous avons eu besoin de compétences extérieures ; nous avons donc fait appel à la RMN. Nous organiserons l'année prochaine une autre exposition sur le thème : « Gustave Moreau et la sculpture ».
Vis-à-vis de la RMN, je me sens donc extrêmement libre. Quand on veut travailler avec elle, on le fait, mais on n'y est pas obligé. C'est une relation à la carte. À mes yeux, la RMN n'est pas du tout en situation de monopole.
Je précise que, notre boutique n'étant pas gérée par la RMN, nous avons avec elle une relation normale d'éditeur à libraire. Nous ne bénéficions pas de remises particulières.
La seule convention qui existe entre l'EPA Gustave-Moreau et la RMN définit les conditions pour les visites-conférences. Ancienne, elle doit être révisée cette année.
Disposant de notre propre fonds, de notre propre librairie et de notre propre billetterie, nous sommes donc par nature assez indépendants de la RMN. Seul le comptable du musée Gustave-Moreau se trouve être l'agent comptable de la RMN.
Oui. Par exemple, pour le Catalogue sommaire des dessins, nous avons fait appel à d'autres éditeurs mais tous, sauf un, ont renoncé. Et il était plus cher.
Ce catalogue comprendra 4 800 photographies, ce qui est très onéreux. La RMN a vocation à éditer ce genre d'ouvrages, elle reçoit d'ailleurs de l'argent du ministère pour cela. Il était plus intéressant de passer par son intermédiaire, d'autant qu'elle a accepté de financer l'édition Internet. Le musée Gustave-Moreau n'avait pas publié de catalogue scientifique depuis 1987 !
L'an dernier, nous avions fait une mise en concurrence pour l'édition du catalogue de l'exposition sur Huysmans. Finalement, ce sont les Éditions du Regard qui ont été retenues.
S'agissant de l'exposition de l'année prochaine, le choix n'a pas encore été fait. Il y aura également mise en concurrence.
La RMN conserve toutefois le monopole pour les reproductions et le catalogue du musée. Pour la librairie, elle est notre fournisseur le plus important.
Il existe indéniablement à la RMN un savoir-faire, accumulé depuis des décennies, en matière de réalisation d'expositions et de catalogues.
En outre, dans ce type de projets, l'intérêt, l'enthousiasme comptent énormément. Si l'on sent qu'il y a chez un éditeur un réel intérêt pour Gustave Moreau et le dessin, cela fera pencher la balance de son côté. Les aspects financiers ne sont pas tout. À budget égal, on choisira le plus passionné !
Venons-en à la gestion des ressources humaines, qui dépend aujourd'hui de la tutelle. Pensez-vous que ce soit un facteur de rigidité ? Les personnes issues des concours sont-elles en adéquation avec les postes et avec vos besoins ou souhaitez-vous l'introduction d'un autre système de recrutement ?
Comme je l'ai dit, les deux cas de figure existent. La majorité de notre personnel est recrutée sur concours, selon la voie statutaire normale ; le reste est composé de contractuels, recrutés par moi et par le secrétaire général, et payés par l'établissement. Cette mixité est appréciable.
Le seul problème que nous ayons rencontré, c'est de pouvoir rémunérer les personnes que nous souhaitions recruter. C'est pourquoi nous avons engagé une politique active de recherche de mécénat et de livraison d'expositions « clefs en main » à l'étranger.
Nous sommes satisfaits du dispositif actuel. Contrairement à d'autres établissements publics, nous ne gérons pas l'ensemble du personnel – et nous ne souhaitons pas le faire, car ce serait trop compliqué à mettre en oeuvre.
Notre structure est trop petite ! Nous préférons que la gestion du personnel, notamment la gestion des carrières, particulièrement complexe, reste au ministère.
Le cadre unique de recrutement ne nous pose pas de problème : le concours est bien souvent la garantie d'une certaine qualité.
Au musée, le recrutement de fonctionnaires par voie de concours concerne essentiellement les agents de surveillance et les conservateurs. Les épreuves correspondent assez bien aux missions confiées. L'essentiel du personnel scientifique et de documentation est constitué de contractuels – sauf une secrétaire de documentation recrutée par concours.
Cela s'est fait naturellement. Il faut bien s'adapter : nous souffrons quand même d'un certain déficit de personnel ! Par exemple, nous n'avons pas de service technique, alors que normalement, tous les musées en ont un. Moi-même, je n'ai pas de secrétaire : je traite mes courriers moi-même.
Nous devons donc, soit faire appel à des prestataires extérieurs, soit réaliser nous-mêmes. Ce n'est d'ailleurs pas inintéressant : quand on lance un projet, on s'en occupe de A à Z. Même si certains aspects ne sont pas très agréables, cette diversité est l'un des intérêts du métier.
Quand vous comparez vos moyens avec les dotations des grands musées, ne les enviez-vous pas un peu ?
Pas du tout. Nous ne nous sentons pas en concurrence.
Dans les choix budgétaires et les affectations de postes, vous n'avez pas le sentiment de passer après les autres ?
Non : je l'ai dit, tous les postes dévolus au musée sont pourvus, sauf un. Cela a été bien calculé par le ministère.
Ma seule inquiétude fut, en septembre 2008, le départ à la retraite de la secrétaire générale. J'ai craint qu'elle ne soit pas remplacée ou qu'elle le soit à temps partiel, ou encore que le secrétariat général soit mutualisé avec un autre musée. Je me suis battue. J'ai rencontré à plusieurs reprises Mme Mariani-Ducret, la directrice des Musées de France de l'époque. Finalement, le ministère nous a entendus et le poste a été pourvu – probablement au vu de nos réalisations antérieures. Dans le cas contraire, nous aurions été en grande difficulté. Il ne faudrait pas que l'effectif descende au-dessous du niveau actuel ou que le personnel soit à cheval sur deux établissements.
La Cour des comptes a contrôlé le musée Gustave-Moreau au début de l'année. La procédure en est au stade de la contradiction et la Cour devrait rendre ses observations définitives d'ici quelques semaines.
Cependant, nous croyons d'ores et déjà savoir que sur deux points au moins, le musée aurait pu bénéficier d'un plus grand appui de la part de sa tutelle, eu égard aux investissements nécessaires.
Tout d'abord, l'informatisation des collections est longtemps demeurée à l'état latent puisque, lors de son précédent contrôle, au début des années 2000, la Cour avait déjà souligné la nécessité d'accélérer les choses. Il semble que le chantier ait enfin été engagé. Vu la dimension du musée, les sommes en jeu n'étaient pourtant pas colossales. Cette collection remarquable aurait pu bénéficier d'une priorité un peu plus élevée.
Ensuite, bien que la location d'un appartement ait permis de desserrer quelque peu les contraintes spatiales, la situation des réserves demeurerait insatisfaisante. Le musée Gustave-Moreau possède des oeuvres d'une immense valeur, en grand nombre – 20 000, ce qui le place, en termes de réserves, au niveau des grands musées français –, mais conservées dans des conditions qui ne sont probablement pas optimales. Le musée est-il impliqué dans le projet de centre commun de réserves pour les musées situés en bord de Seine – sachant que, sauf erreur, les dispositions testamentaires de Gustave Moreau n'évoquent qu'une obligation d'exposition, et non de conservation, sur place ?
Sur ce dernier point, ma position est très ferme.
Premièrement, la volonté du donateur, Gustave Moreau, est que toute la collection reste dans le musée qu'il a lui-même aménagé ; cela concerne non seulement les oeuvres présentées, mais aussi celles qui sont dans les réserves.
Deuxièmement, Henri Rupp, son légataire universel, a reversé à l'État la somme d'argent, très importante pour l'époque, que Gustave Moreau lui avait donnée pour l'ouverture du musée, à condition que la collection reste au musée.
Il s'agit d'une question déontologique. Si la volonté des donateurs du musée Gustave-Moreau n'était pas respectée, cela pourrait faire réfléchir d'autres donateurs. L'État doit tenir parole. En l'occurrence, il avait accepté le testament et s'était engagé à en respecter les conditions par un décret d'application de 1902.
Nous en avons parlé en conseil d'administration.
Depuis un an, nous avons engagé des études de programmation pour le réaménagement des réserves, avec le concours d'un représentant de la conservation préventive et d'une architecte-conseil de la DMF. Nous en sommes aux études de faisabilité. Il semblerait que l'on puisse réaménager les réserves de façon optimale afin que tout soit conservé sur place dans de bonnes conditions. D'ailleurs, le ministère a accepté une partie du plan de financement et va nous accorder une subvention pour engager les travaux en 2010.
Une délocalisation des réserves poserait en outre des problèmes d'organisation du travail. Les services de conservation et d'administration ont déménagé à dix minutes du musée, ce qui, certes, était une nécessité, mais constitue aussi une contrainte. Surtout, les expositions présentées à l'étranger, au Japon, en Hongrie, ou à Melbourne, sont conçues à partir de la collection tout entière, ce qui suppose de pouvoir opérer un choix parmi les oeuvres en réserve.
Par ailleurs, le récolement – obligatoire – est en cours. Nous avons embauché un contractuel pour le faire, mais il ne sera pas achevé avant 2014. Certaines oeuvres ne sont même pas inventoriées ! À l'heure actuelle, seulement 7 000 oeuvres sur 20 000 ont été récolées. On ne peut songer à une externalisation des réserves dans ces conditions.
S'agissant maintenant du financement, vous menez une politique de mécénat originale et reconnue. Comment a-t-elle été mise en place ? Qu'apporte-t-elle à votre établissement ?
Nous avons la chance de posséder une vaste collection d'oeuvres d'un artiste très connu à l'étranger. Spontanément, des conservateurs étrangers viennent me demander des expositions « clefs en main ». Il y a quelques années, nous avons fait au Japon une exposition itinérante, qui nous a rapporté 500 000 euros. Je souhaite poursuivre cette politique, même si les conditions financières ne sont pas toujours aussi avantageuses. À chaque fois, je demande un renouvellement des thèmes, afin que ces expositions s'inscrivent dans une perspective scientifique, servent l'histoire de l'art et ne se réduisent pas à de simples opérations commerciales. Il serait extrêmement facile de faire une présentation itinérante des chefs-d'oeuvre de Gustave Moreau, mais je m'y refuse : je veux que nous gardions notre vocation, qui est d'étudier et de faire connaître l'oeuvre de Gustave Moreau.
Nous avons également engagé l'an dernier une politique de location d'espaces du musée. Les bénéficiaires sont triés sur le volet – de toute façon, nous ne pouvons pas accueillir plus de cent personnes. À cette occasion, nous essayons de mettre le musée en valeur à l'aide d'une visite guidée ciblée.
Cet argent nous permet de lancer des actions propres, comme des expositions. Certes, celles-ci ont un coût – environ 100 000 euros pour l'exposition Huysmans –, mais il y a des retombées médiatiques et un afflux de visiteurs.
Le budget du musée est constitué pour deux tiers de ressources propres et pour un tiers de subventions. Les expositions vendues « clefs en main » à l'étranger rapportent beaucoup d'argent, mais il n'y en a que tous les deux ans environ et il est rare qu'elles soient aussi lucratives que celle présentée au Japon. Le plus gros des revenus vient de la billetterie et de la librairie.
Par principe, nous sommes favorables à la gratuité pour les 18-25 ans. Le musée Gustave-Moreau a par ailleurs toujours maintenu la gratuité pour les enseignants ; j'y tiens beaucoup, car c'est par eux que nous pouvons toucher les enfants et les adolescents. Toutefois, le manque à gagner devra être compensé de manière pérenne par l'État.
Oui. Les conservateurs des musées de la Ville de Paris, qui a accordé la gratuité totale, trouvent que les visiteurs sont plus négligents et qu'il y a davantage de dégradations. Quand je vais au cinéma, je paie ma place, et ça me paraît normal !
Par ailleurs, nous faisons attention de pratiquer des tarifs raisonnables : l'entrée au musée Gustave-Moreau coûte 5 euros, sans augmentation annuelle. Elle est en outre totalement gratuite le premier dimanche de chaque mois.
Nous avons un partenaire de proximité, dans le neuvième arrondissement : une entreprise privée qui nous verse régulièrement de l'argent. Mais il ne s'agit pas de sommes énormes. Nous n'avons pas de service de mécénat : c'est moi, le secrétaire général, et la jeune femme chargée de la communication qui nous en occupons avec Mme Forest. Nous débutons à peine. Pour ma part, j'ai pris rendez-vous rue de Valois avec la mission du mécénat, où l'on m'a donné des pistes et des modèles. Mme Forest, de son côté, s'est lancée dans une politique de recherche de mécénat pour financer l'exposition de 2010.
Je suis en lien avec Robert Fohr qui dirige la mission du mécénat au ministère de la Culture. Évidemment, un musée comme le nôtre a plus de mal que le Louvre à attirer les mécènes : notre prestige est moindre et il nous est impossible d'accueillir plus de cent personnes à la fois.
C'est à la fois une difficulté et notre charme. Le musée Gustave-Moreau est resté intact depuis le XIXe siècle. Le nombre de ses visiteurs n'est pas excessif, on peut le visiter dans de bonnes conditions. Un musée n'est pas une entreprise comme les autres mais un lieu particulier d'esprit et de culture, de méditation et de proximité avec les oeuvres et les peintres. Il convient de le préserver.
Il vous faudrait trouver un mécène prospère qui serait passionné par Gustave Moreau. Pensez-vous que ce soit réalisable dans les années à venir ?
Nous devons plutôt nous appuyer sur les expositions « clés en main », que nous organisons à partir de notre fonds. Elles sont un produit sûr, alors que la recherche de mécénat est plus compliquée, surtout avec la crise.
Nous avons fini l'année 2008 en positif. C'est bien parti pour 2009.
En effet, la politique de la direction du musée passe d'abord par la vente d'expositions clés en main à l'étranger. La recherche de mécénat n'est pas ce que nous privilégions.
Votre dynamique d'expositions et le nom de Gustave Moreau à l'étranger vous permettront peut-être de trouver des mécènes.
De fait, nous insistons sur la vocation internationale du musée. Les fonds que nous recevons proviennent pour moitié de l'étranger – surtout du Japon.
Vous avez bien fait de distinguer le mécénat du partenariat. On constate que l'essentiel du mécénat est capté par les grands musées pour les opérations les plus prestigieuses. Les petits musées restent assez largement en dehors du phénomène pour les deux raisons que vous avez mentionnées : différence de prestige et de contreparties. Le régime du mécénat autorise des contreparties à hauteur de 25 %. Ces contreparties se traduisent en général par la mise à disposition des lieux, que les petits musées ne peuvent pas assurer.
Il semble que vous viviez heureux : le musée Gustave-Moreau a sa propre image, son propre impact et ses propres ressources. Mais parlons du Louvre, qui peut apparaître comme l'enfant gâté du ministère de la Culture. Sa réussite est-elle transposable ? Y a-t-il une « recette » particulière du Louvre qui puisse être adaptée à votre musée ? Le Louvre est-il l'idéal sur le plan muséal ? Peut-être ne vous sentez-vous pas directement concernés par de telles questions, mais qu'en pensez-vous, en tant que professionnels ?
Il est difficile de répondre. Nous sommes sur une échelle tellement différente. Comment se comparer au Louvre ?
L'important pour un musée est d'avoir une grande collection. Lorsque c'est le cas, comme au musée Gustave-Moreau, beaucoup de choses sont possibles. Par rapport au Louvre, je ne me sens pas « mal aimée ». Pour moi, il est essentiel de préserver la diversité des musées, qui doivent garder leur identité et leur structure propres. Je suis très attachée à l'autonomie du musée Gustave-Moreau, qui n'a pas besoin d'être rattaché à une autre grande institution. Être indépendants nous évite d'être noyés dans une politique et une image qui ne serait pas les nôtres. Dans la mesure où le personnel et le budget sont suffisants, on peut travailler. Il existe des musées de petite taille, de moyenne taille et de grande taille, et je ne suis pas sûre que big is beautiful …
Vous nous dites plutôt que small is beautiful !
Pourriez-vous nous dire un dernier mot de votre politique d'acquisition ?
Le musée Gustave-Moreau conserve le fonds d'atelier de l'artiste, qui a lui-même accroché ses oeuvres. Nous ne faisons pas d'acquisitions, sauf si l'on trouve des pièces d'archives, comme de la correspondance, ce qui est rarissime. Acquérir une oeuvre et la présenter perturberait la muséographie voulue par Gustave Moreau. L'intérêt d'un musée comme le nôtre, comme celui du musée Condé de Chantilly, est d'être le témoin essentiel de la muséographie d'une époque. Plus le temps passera, plus on nous sera reconnaissant d'avoir préservé ce témoin.