Dans le cadre de la Mission d'évaluation et de contrôle, nous sommes, avec Jean-Pierre Gorges, qui appartient, comme moi-même, à la commission des Finances, et Pierre Lasbordes, membre de la commission des Affaires économiques, chargés de consacrer un rapport à l'évaluation et aux perspectives des pôles de compétitivité.
C'est au titre de cette Mission, et avec l'assistance de la Cour des comptes, dont je salue le représentant, M. Gérard Moulin, président de section, que nous entendrons M. François Drouin, président-directeur général d'OSEO, et M. Jean-Claude Carlu, responsable du programme « Pôles de compétitivité » d'OSEO.
Pourriez-vous nous expliquer les modalités d'intervention d'OSEO dans les pôles de compétitivité et l'évolution de son rôle depuis leur création ?
OSEO assure trois missions : il soutient l'innovation des entreprises ; il garantit les prêts bancaires aux PME, et il participe à leur financement.
Dans son rôle essentiel de soutien à l'innovation, OSEO, par la voie de sa filiale OSEO innovation, participe au financement de projets issus des pôles de compétitivité. Par la distribution des aides à l'innovation auparavant gérées par l'ANVAR, il a ainsi soutenu 513 projets issus des pôles en 2008, d'un montant de 250 000 euros en moyenne. En outre, du fait de l'intégration de l'Agence de l'innovation industrielle (AII), OSEO gère depuis le 1er janvier 2008 un nouveau programme d'innovation stratégique industrielle, ISI : il finance dans ce cadre six gros projets issus des pôles, pour un montant de 109 millions d'euros. En 2008, OSEO a donc financé des projets issus de pôles de compétitivité pour un montant de 186 millions d'euros, alors que l'Agence nationale de la recherche, l'ANR, y a consacré 178 millions d'euros et l'État 235 millions via le Fonds unique interministériel, FUI.
La place d'OSEO dans les pôles de compétitivité devrait encore se renforcer à l'avenir. En effet, Le Président de la République a annoncé en décembre 2007 le principe du transfert de la gestion du FUI à OSEO, qui devrait être réalisé sous peu.
Votre participation à l'enveloppe globale est-elle concentrée à 85 % sur les 15 principaux pôles ?
L'objectif d'OSEO étant de financer les PME, elle est au contraire présente dans tous les pôles de compétitivité, les quinze pôles les plus importants représentant à peine plus de 50 %. Nous sommes donc plutôt proches des petits projets et des pôles à vocation nationale.
Non : nous soutenons les bons projets, quelle que soit leur localisation. Mais les pôles de compétitivité sont par nature ancrés dans les territoires, puisqu'ils regroupent dans le cadre d'une spécialisation territoriale des projets collaboratifs portés par des entreprises regroupées autour d'un chef de file. En permettant la participation de laboratoires à de tels projets, les pôles de compétitivité favorisent le décloisonnement entre le monde de la recherche et les entreprises. Le Boston Consulting group, BCG, chargé de l'évaluation des pôles de compétitivité, a souligné le rôle positif de cette dynamique des pôles. J'ajoute que nous souhaitons pouvoir rapidement gérer le Fonds unique interministériel.
Le problème de la sécurisation de l'information nous semblait absolument majeur. Sur le plan de l'intelligence économique, il était vital de sécuriser les informations qui constituent la « substantifique moëlle » de l'innovation dans les pôles de compétitivité. Jusqu'ici, les appels à projets, lancés deux fois par an, occasionnaient une circulation incontrôlée de l'information sur Internet et via des documents papier. Nous avons sécurisé l'accès à l'information en mettant immédiatement en place un système extranet verrouillé par des clés, où chacun n'a accès qu'au niveau d'information de sa compétence. Cet outil, mis en place au 1er septembre 2008 pour nous permettre d'être opérationnel en gestion au 1er janvier 2009, date à laquelle nous aurions dû prendre la main, a été mis à la disposition de la direction générale de la Compétitivité, de l'industrie et des services, la DGCIS, pour le septième et le huitième appels à projets du FUI.
Cette avancée majeure n'est qu'une première étape : nous avons d'autres projets de rationalisation de la gestion du fonds.
Que recouvre le dispositif « Pacte-PME » mis en oeuvre conjointement par OSEO et le Comité Richelieu ?
Cette action a pour objectif de faciliter l'accès des PME aux marchés publics. Le dispositif « Passerelle » constitue une action spécifique de soutien à l'innovation d'une PME portée par un grand groupe, dans une logique de partage de la propriété intellectuelle : il doit permettre à la PME de bénéficier d'une aide au développement de sa technologie, sans qu'elle soit dépouillée de sa propriété.
Cette association joue un rôle d'animation et organise les contacts entre grands groupes et PME.
Quelle est votre évaluation des pôles de compétitivité, près d'un an après l'audit commandé par l'État ?
Nous n'avons pas participé à l'audit des pôles de compétitivité, sinon en répondant à quelques questions. Nous adhérons cependant au bilan globalement positif du BCG, même si des points restent à améliorer, comme le délai de versement des subventions.
En ce qui concerne la qualité des projets, nous manquons du recul suffisant pour en juger. Il reste que la dynamique impulsée par les pôles de compétitivité est incontestable : sans eux, certaines PME n'auraient jamais pu entrer en contact avec de grands groupes.
Comment expliquez-vous que 85 % du financement public soient concentrés sur quinze pôles ?
C'est un autre sujet. Il est vrai que plus de 75 % des subventions versées aux pôles par le FUI vont aux grands groupes (20 %) et aux laboratoires (56 %). Mais les pôles bénéficient également des versements de l'ANR, d'OSEO et des régions.
Les pôles permettent également de réduire le fossé qui sépare le monde de l'entreprise et celui de la science dans notre pays.
Les pôles de compétitivité ont-ils réellement facilité les contacts entre les PME et les grands groupes ?
Incontestablement, même si le nombre des PME concernées reste trop faible. Des patrons de PME nous ont dit que le pôle leur avait permis d'avoir rapidement accès à des responsables de grands groupes.
Une PME doit parfois faire passer son besoin de travailler avant la protection de l'innovation. C'est le cas dans le secteur aéronautique, où l'innovation appartient aux grands groupes. Les pôles leur permettent cependant d'aller dans le bon sens. Quand nous assurerons la gestion du FUI, nous nous efforcerons d'accroître la place des PME dans ces pôles.
Il ne faut pas négliger la volonté régionale et la mobilisation de l'ensemble des forces vives d'un territoire, sans laquelle la mayonnaise ne prendrait pas.
Oui. C'est la mobilisation des forces d'un territoire et la volonté de se spécialiser dans un domaine qui entraînent cette dynamique, comme cela s'est passé à Limoges autour de Legrand. En outre, les grands groupes ont compris l'intérêt de disposer d'une flottille de PME qui les aiguillonnent et de laboratoires qui leur apportent leurs connaissances.
Pourquoi si peu de PME sont-elles concernées et que faudrait-il faire pour que leur nombre augmente ?
C'est ce que nous aurons la charge de trouver quand nous reprendrons la gestion du FUI. Nous nous efforcerons alors d'amplifier ce mouvement
En soutenant un plus grand nombre de projets portés par les PME – je rappelle que le FUI opère un choix parmi les projets labellisés par les pôles de compétitivité.
Nous allons déjà essayer de déplacer le curseur au bénéfice des PME, en concertation avec nos nombreuses tutelles.
La Cour des comptes s'était quelque peu interrogée en constatant que le transfert de certains dispositifs ministériels vers l'ANVAR s'était conclu par un échec au cours des dernières années. Le dynamisme de votre présentation est cependant propre à lever toute inquiétude.
C'est l'absence d'autorisations de programme qui a voué le dispositif ATOUT ou le projet CORTECHS à l'échec.
La simplification de l'aide à l'innovation est un des objectifs majeurs d'OSEO. Nous raisonnons en termes de projets, et non de procédures. C'est à nous de décider si le financement du projet que nous avons retenu relève de l'aide simple, du programme ISI, ou à l'avenir de l'appel à projets du FUI.
Quels sont les rapports entre OSEO et l'Agence nationale de la recherche dans ce domaine du financement de projets ?
Ils sont excellents, d'autant plus que chacun siège au conseil d'administration de l'autre. Nous sommes complémentaires, l'ANR finançant la recherche et OSEO l'innovation : quand l'ANR transforme l'argent en idées, nous transformons les idées en argent.
Quelles sont vos relations avec la Caisse des dépôts et Consignations s'agissant du financement des pôles de compétitivité ?
Elles sont ténues : la CDC nous aide à garantir les capitaux-risqueurs et nous la conseillons sur un plan technique quand elle nous interroge sur un projet. En réalité, la Caisse intervient peu dans le domaine de l'innovation. Mais nous avons avec la CDC créé régionalement des plateformes pour amplifier nos échanges sur les projets.
Quel sera selon vous l'impact de la baisse annoncée de 20 % des dotations de l'État en faveur de la politique des pôles de compétitivité sur la période 2009-2011 ?
En réalité, ce soutien reste globalement identique, le Président de la République ayant parlé d'1,5 milliard d'euros sur la période 2009-2011. Cette somme se décompose en 600 millions d'euros pour l'ANR, 600 pour le FUI, 250 pour OSEO, les Agences et la Caisse des dépôts, et 50 pour les organes de gouvernance des pôles. La baisse de 20 % ne porte donc que sur le FUI.
Cette diminution de leur financement ne met pas un frein au véritable engouement dont l'appel à projets du FUI fait l'objet, et le nombre des demandes de financement ne fléchit pas : ce sont deux cents projets qui sont à l'étude, pour un montant de 400 millions d'euros, dans le seul cadre du huitième appel à projets.
En période de crise, les pôles sont-ils une force ou une faiblesse pour notre pays, une activité frappée par la crise risquant d'entraîner toute une région dans sa chute ? Que proposeriez-vous pour donner un deuxième souffle à ces pôles de compétitivité ?
Les pôles de compétitivité constituent clairement une force dans la situation actuelle : renforcer ce qui marche vaut toujours mieux que la dispersion et la dilution. C'est d'autant plus vrai que l'existence des pôles n'interdit en rien de développer toute autre initiative.
En ce qui concerne l'évaluation des projets, nous nous astreignons à un devoir de modestie : c'est aux entrepreneurs, en contact avec les marchés et ouverts sur le monde, d'avoir l'initiative de présenter des projets, non à une structure d'État.
Par ailleurs, nous manquons du recul suffisant et d'une méthode pour évaluer les pôles de compétitivité, à la différence des petits projets qui relèvent d'OSEO innovation (ex-ANVAR), structure qui existe depuis près de trente ans. À la demande de l'État au titre de notre contrat de performances, nous sommes en train de mettre en place une méthode d'évaluation de ces 4 000 petits projets décidés annuellement.
C'est possible mais, outre le bonus qu'ils apportent en termes de subventions, les pôles créent une dynamique et permettent des collaborations.
Sortez de votre réserve ! En tant qu'acteur, vous avez bien votre petite idée sur les enjeux des pôles et les moyens de leur donner une plus grande efficacité ?
J'ai une demande très pragmatique : qu'on applique la décision de transfert de toutes les aides à l'innovation à OSEO, annoncée par le Président de la République le 7 décembre 2007 – je le cite : « La simplification a commencé : après la fusion avec l'Agence de l'innovation industrielle, nous allons par exemple confier la gestion de toutes les aides à l'innovation à OSEO pour que l'entreprise n'ait plus qu'un interlocuteur. Monsieur le président d'OSEO, votre mission à la tête de cet opérateur pivot est essentielle, et nous comptons tous beaucoup sur vous. Vous pouvez aussi compter sur moi. Nous allons lever la multitude de réglementations contraignantes et inutiles qui empêchent les gens de travailler ». Le 12 décembre, le conseil de modernisation des politiques publiques décidait que « la fusion d'OSEO et de l'AII constituait une étape clé pour constituer un opérateur de référence en matière de soutien à l'innovation des entreprises. […] Cet opérateur doit en particulier devenir l'interlocuteur des entreprises sur les pôles de compétitivité. Les aides en la matière actuellement gérées par le ministère des finances, de l'économie et de l'emploi lui seront transférées ».
Ma question était tout autre : en tant que financeur des pôles, quel regard portez-vous sur leur gouvernance : tout va-t-il pour le mieux dans le meilleur des mondes ?
Elle est surtout assurée par les grands groupes : les PME, qui représentent 60 % des partenaires, ne constituent que 15 % de la gouvernance. Il est vrai que les grandes entreprises ont une plus grande capacité d'animation, et le fait qu'un pôle soit animé par un grand groupe n'empêche pas les PME d'être extrêmement dynamiques, comme c'est le cas à Lille.
Quand un grand groupe chef de file fait preuve d'un certain hégémonisme et n'assure pas la diffusion d'innovations que le pôle lui a permis de développer.
L'objectif de la MEC est d'apprécier la pertinence de la dépense publique. Nous voudrions savoir quelles sont vos capacités d'appréciation en la matière et quelles améliorations pourraient être apportées selon vous, au-delà de ces problèmes de gouvernance ?
J'ai conscience que les subventions publiques constituent une ressource précieuse, mais je vous répète que nous ne disposons pas du recul suffisant pour juger de leur utilisation par les pôles.
Mais pouvez-vous définir en un mot quels seraient les bons critères d'appréciation à mettre en oeuvre ?
Ce pourrait être la création de richesses que les pôles ont permise, qu'il s'agisse de dépôts de brevets, de développement de l'activité et de l'emploi ou de la préservation de l'indépendance économique.
Pour reprendre une formule que vous avez utilisée, ne pourrait-on pas considérer le ratio entre l'argent investi et l'idée obtenue pour juger de la recherche, et le ratio entre l'idée et le PIB dégagé, pour juger de l'innovation ?
Nous nous employons en tout cas à mettre en place un dispositif d'évaluation de l'ensemble de nos aides.
En ce qui concerne l'enjeu majeur que constitue la propriété intellectuelle, quelle répartition est possible ?
La répartition de la propriété intellectuelle est variable selon les secteurs d'activité et les rapports de force. Ainsi, dans le secteur aéronautique, elle appartient aux donneurs d'ordre, ce qui rend les sous-traitants doublement dépendants. Une telle situation n'est pas saine, et justifie le développement du dispositif « Passerelle », qui doit permettre d'équilibrer ces relations. En effet, la fragilité des sous-traitants peut compromettre toute la solidarité de la chaîne de production, comme on le voit actuellement dans le secteur automobile.
Il faut respecter des règles du jeu claires : c'est ce à quoi nous veillons en imposant la signature d'accords de consortium avant le versement des fonds. Nous songeons même à ne pas les verser si nous jugeons ce contrat léonin.
Pourquoi ne pas retenir comme critère d'attribution le taux de participation des PME dans les pôles ?
C'est ce que nous comptons faire quand nous aurons la gestion du FUI. Certains ont même pu dire que cette volonté qui est la nôtre n'était peut-être pas étrangère au retard du transfert de ce fonds.
Je ne sais pas. Rappelons toutefois que ce sont les laboratoires publics qui sont les premiers bénéficiaires du FUI (56 %).