Nous avons le plaisir d'accueillir M. Hervé Bernard, administrateur général adjoint du Commissariat à l'énergie atomique, accompagné de M. Jean-Claude Petit, directeur des programmes, et de M. Jean-Pierre Vigouroux, chargé des relations institutionnelles.
Comment le Commissariat à l'énergie atomique participe-t-il aux pôles de compétitivité ? Selon vous, ces pôles ont-ils facilité l'innovation ? Ont-ils permis à des PME tant d'investir dans la recherche-développement que de se rapprocher de grands groupes industriels ? Quel premier bilan en dressez-vous ?
Je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence de Bernard Bigot, administrateur général, qui m'a chargé de le représenter aujourd'hui.
Le CEA est aujourd'hui membre de quinze pôles de compétitivité, dont quatre pôles mondiaux – sur les sept -, deux pôles à vocation mondiale – sur les dix - et neuf pôles nationaux – sur les cinquante-quatre. Représenté au conseil d'administration de ces pôles, il s'implique activement dans leur gouvernance et dans la définition de leur stratégie, et met des personnels à disposition pour renforcer leurs équipes d'animation. Ainsi, le directeur de notre site de Cadarache est-il aussi le directeur du pôle Capénergies.
De plus, le CEA participe à des projets de recherche labellisés par une dizaine de pôles dont il n'est pas membre, comme Derbi (Développement des énergies renouvelables dans le bâtiment et l'industrie) et Solutions communicantes sécurisées.
Depuis 2005, le CEA a participé à quelque 400 projets labellisés. Le montant moyen de notre participation financière s'est élevé à environ 50 000 euros par an. En ce qui concerne le nombre de chercheurs impliqués dans les pôles, ceux qui travaillent sur les thématiques des pôles dont le CEA est membre sont environ 2 000 – sur les 12 000 que compte le CEA au total dans ses activités civiles et duales.
Ils ont clairement joué un rôle d'accélérateur. Ils fédèrent les acteurs de la recherche publique et les industriels, ce qui favorise l'émergence de projets et permet une mutualisation des moyens dans des plateformes communes.
Même si, bien entendu, la situation varie d'un pôle à l'autre.
Un autre point positif est que les pôles apportent des financements supplémentaires, qui eux aussi contribuent à accélérer les projets.
Certains points restent cependant à améliorer. Les industriels présentent des projets qui ne relèvent pas encore assez du coeur de métier de leurs entreprises. Peu familiers de la collaboration interne aux pôles, ils sont encore réticents à partager des informations avec d'autres sociétés, potentiellement concurrentes. Par ailleurs, il faudrait rationaliser les procédures de soumission des projets aux différents financeurs car elles entraînent un lourd travail administratif.
Les pôles de compétitivité ont-ils accru votre activité ou n'ont-ils fait que réorienter des activités préexistantes ?
À la fois l'un et l'autre, si je puis dire. Les effectifs du CEA n'augmentent plus depuis longtemps. Cela a permis d'en stabiliser sur des axes stratégiques de recherche, identifiés comme tels pour le CEA, en particulier dans le cadre du contrat d'objectifs conclu avec le Gouvernement, et de conforter ces activités.
Si, pour des raisons de confidentialité, les industriels ne montent pas de projets sur ce qui constitue leur coeur de métier, n'en résulte-t-il pas une certaine déperdition pour les pôles ?
Il faut comprendre la position des industriels. La recherche d'un financement extérieur complémentaire constitue toujours une source de fragilité, dans la mesure où sa pérennité n'est jamais totalement garantie. Il est donc compréhensible qu'ils cherchent à autofinancer les activités qui relèvent de leur coeur de métier. Le CEA ne procède d'ailleurs pas différemment ; sa participation aux pôles porte sur des éléments importants, mais qui demeurent en appui de son axe principal de recherche.
La subvention de l'État, pour nos activités civiles, couvre 50 % de nos dépenses. Les pôles de compétitivité participent à la hauteur du ratio que je vous ai indiqué - 2 000 chercheurs sur 12 000. Enfin, nous allons chercher le reste des crédits auprès d'autres industriels et auprès de partenaires européens, dans un cadre bilatéral ou multilatéral.
Les PME arrivent-elles à trouver leur place auprès de vous ? Comment collaborez-vous avec elles ?
Contrairement aux start-up, les PME n'ont pas l'habitude de travailler avec les grands organismes de recherche. Un temps d'apprentissage mutuel est donc nécessaire, auquel contribue la collaboration au sein des pôles. Mais nous avons d'ores et déjà une activité très soutenue et efficace avec les PME.
Y a-t-il également des relations entre le CEA et les PME au travers du crédit d'impôt recherche ?
Nos relations avec les PME dans ce cadre se concentrent essentiellement dans le secteur de la recherche technologique. Pour remédier à la difficulté que j'ai évoquée, depuis l'année dernière nous leur offrons de plus en plus souvent un « package » global, à travers lequel nous passons avec elles des conventions de recherche tout en les aidant à constituer les dossiers de demande de financement, au niveau national ou européen, et à gérer les droits de propriété intellectuelle. Ce partenariat global a provoqué un effet d'entraînement, qui a renforcé l'implication des PME ; c'est déjà très sensible pour le pôle grenoblois. Cela leur permet de franchir une étape qui paraissait auparavant trop difficile pour elles, faute de personnels qualifiés. Cet ensemble de compétences complémentaires est souvent ce qui leur met le pied à l'étrier.
Y a-t-il cohérence et complémentarité entre les multiples sources de financement au sein des pôles, par exemple entre l'ANR et Oseo ?
C'est l'une des faiblesses du dispositif. Jusqu'à présent, les guichets étaient totalement séparés, avec des priorités thématiques qui n'étaient pas nécessairement connectées les unes aux autres. L'articulation faisait défaut, et on en souffre d'ailleurs aussi au niveau européen. Mais la situation semble évoluer, notamment à l'initiative de l'ANR et d'Oseo. Les directions générales des deux organismes sont en train de se mettre d'accord pour assurer le suivi financier des projets, depuis la phase de maturation jusqu'à la mise en oeuvre. Une amélioration notable devrait en résulter. De même, l'ANR a passé diverses conventions avec ses homologues d'autres pays européens afin d'élaborer des dossiers conjoints, ce qui permettra une meilleure coordination, les appels d'offres étant transnationaux et chaque agence finançant ses équipes nationales mais sur la base d'un seul dossier.
La création de l'ANR a-t-elle entraîné une diminution de vos crédits en provenance de l'Union européenne, comme cela a visiblement été le cas pour le CNRS, d'après ce que nous ont dit ses responsables ?
Cela n'a pas été le cas au CEA.
La meilleure coordination que nous appelons de nos voeux passe par une rationalisation des dossiers de demande. Étant donné la multiplicité et la diversité des sources de financement, le dépôt d'un dossier différent auprès de chaque financeur induit une charge de travail considérable, surtout rapportée aux résultats, la sélection étant très sévère. Une PME sera, à juste titre, réticente à déposer une demande sachant que ses chances de succès sont faibles.
Quelle appréciation portez-vous sur les mécanismes de sélection des projets ? Le CEA participe-t-il à leur évaluation scientifique dans les pôles dont il est membre ? Comment cela se passe-t-il concrètement ?
Un pôle de compétitivité, ce sont des acteurs de cultures différentes, et parfois en compétition entre eux, qui doivent apprendre à travailler ensemble et à se faire confiance mutuellement. Une maturation du pôle est nécessaire. Il n'est pas surprenant que les acteurs industriels aient au départ présenté des projets qui étaient déjà dans leurs tiroirs – cet effet de déstockage a été très net – et ne correspondaient pas exactement à leur coeur de métier. Ce qui importe est de savoir si l'on parvient à dépasser ce stade. De même, beaucoup de pôles ont jusqu'à présent fonctionné comme des entités où des acteurs coopéraient pour solliciter des crédits auprès d'un guichet public. Il faut là aussi passer à une seconde phase dans laquelle se développeraient des flux financiers internes aux pôles. Le crédit d'impôt recherche devrait beaucoup y aider.
La part d'autofinancement devrait augmenter de manière significative. C'est une question de maturation. Le succès ou l'échec des pôles devra aussi être évalué à l'aune de ce critère.
Aujourd'hui, 85 % des financements se concentrent sur quinze pôles, le reste s'apparentant à du saupoudrage. À votre avis, combien de pôles faudrait-il conserver ? Quelle taille devraient-ils avoir pour être à la fois vraiment efficaces et visibles au niveau international ?
Ces quinze pôles doivent-ils continuer d'exister ou certains doivent-ils être regroupés ou réorganisés ?
Capénergies a signé une charte avec Tenerrdis et Derbi pour former un réseau. Mais il faut être conscient qu'à chercher à gagner en visibilité mondiale, on perd en aménagement du territoire.
Mais ils risquent de perdre leur localisation bien individualisée, qui était l'un des objectifs de départ. Les organismes de recherche, eux, ont davantage l'habitude de travailler en réseau.
Étant donné la manière dont les pôles ont été présentés au début – et on en a accepté soixante-dix –, travailler en réseau n'était pas la priorité. C'est l'une des ambiguïtés du dispositif.
Le rapport du Conseil économique et social de juillet 2008 privilégie clairement la dimension d'aménagement du territoire.
À vos yeux, risque-t-il d'y avoir antinomie entre le souci d'aménagement du territoire et une recherche de très haut niveau, compétitive sur le plan mondial ?
Oui. C'est d'ailleurs pourquoi nous nous efforçons de susciter des regroupements de pôles par thématique, afin de mieux rassembler les forces vives et d'améliorer la compétitivité grâce à un travail en réseau.
Quel jugement portez-vous sur la gouvernance des pôles, parfois tenue pour l'un de leurs points faibles ?
Cette gouvernance est par nature fragile, car des intervenants nombreux et très variés y participent. Pour être opérationnel, il faut un noyau dur très dynamique et capable de développer une vision à moyen terme. Les industriels ont en général une vision plutôt à court terme, les organismes de recherche à plus long terme. Leur association dans la gouvernance peut donc être fructueuse. Les collectivités, quant à elles, ont pris l'habitude de financer des activités du pôle de compétitivité plutôt que d'acheter des immeubles ou des terrains ; c'est aussi un élément clé de l'efficacité du pôle. Faut-il ouvrir la gouvernance à d'autres personnes ? Nous en doutons car les choses sont déjà assez difficiles comme cela ; la société civile est représentée au travers des élus.
L'ANR prend-elle en compte la thématique et la stratégie des pôles dans ses appels à projets ?
Nous ne savons pas si l'ANR consulte formellement les pôles, mais notre sentiment – j'utilise ce terme à dessein – serait plutôt que non. Pour élaborer sa programmation, l'ANR consulte tous les ans un large éventail d'acteurs, parmi lesquels le CEA. Nous lui présentons de manière détaillée nos nouveaux programmes et les inflexions de programmes existants qui nous paraissent pertinentes au regard non seulement de nos activités mais aussi des lacunes identifiées au niveau national.
L'un des problèmes est que l'ANR mêle dans un grand pot commun les contributions de différents acteurs, dont il ressort une programmation sans que l'on sache exactement par quel processus. Les grands organismes de recherche, qui ont l'habitude de pratiquer la programmation depuis des décennies, ne font pas partie du tour de table. C'est un réel handicap. Les experts consultés, quelle que soit leur compétence dans leur domaine, ne sont pas nécessairement représentatifs de la structure à laquelle ils appartiennent, et il peut même arriver qu'ils soient marginaux en son sein. Le Gouvernement a d'ailleurs perçu l'inconvénient du système puisque le ministère de la recherche pousse plutôt à ce que les acteurs se mettent autour de la table par grandes thématiques, et à ce qu'au lieu d'être simplement consultés, ils soient chargés de la programmation, en lien bien sûr avec l'ANR.
Ce point est très important, pour l'existence même des pôles, de même qu'il est essentiel de trouver une bonne articulation entre l'ANR et Oseo.
Les pôles de compétitivité ont une fonction essentielle, à laquelle le CEA est particulièrement attaché, qui est de mener des recherches ayant un impact socio-économique direct. Mais toute la recherche ne peut avoir une telle finalité à court terme. Il est donc normal que l'ANR dispose aussi d'un volant de crédits indépendant de la logique des pôles.
30 % à 40 % de ses crédits sont réservés à des programmes blancs, l'objectif étant à terme de porter ce volant à 50 %.
Les plateformes d'innovation, qui prévoient une mutualisation avec les industriels, constituent une activité très importante car c'est notamment ce qui permet aux PME de s'impliquer plus avant. Le CEA est de longue date fortement moteur dans la constitution de telles plateformes. Je pense à Allyance, qui vise à mettre au point le prototype d'une pile à combustible, en Touraine, dans le cadre du pôle S2E2 ; à Promosol, concernant le photovoltaïque, dans le cadre d'INES à Chambéry ; à Mov'eo-Dege, qui concentre des moyens d'essais dédiés aux véhicules propres ; à Steeve, pour le stockage d'énergie électrochimique destinée aux véhicules électriques. À ces quatre plateformes françaises, il faut ajouter les plateformes européennes, notamment SNE-TP concernant l'énergie. Nous croyons beaucoup en cette formule.
Les éco-technologies constituent-elles pour le CEA une préoccupation naturelle ? Avez-vous des projets spécifiques concernant le développement durable ?
Qu'entend-on exactement par « développement durable » ? Y inclut-on toutes les énergies qui n'émettent pas de gaz à effet de serre, y compris donc le nucléaire ? Dans ce cas, l'objectif de 30 % de projets consacrés au développement durable nous paraît faible. En revanche, si le nucléaire n'est pas inclus…
En ce cas, l'objectif de 30 % pourrait être relevé.
Le CEA est membre de six pôles plus spécifiquement dédiés au développement durable : Capénergies pour les énergies non émettrices de gaz à effet de serre en région PACA, Pôle Nucléaire Bourgogne pour les industries mécaniques et métallurgiques, S2E2 dans le domaine de l'énergie électrique dans le Centre et en Limousin, Tenerrdis pour les nouvelles énergies et les énergies renouvelables en Rhône-Alpes, Trimatec pour la valorisation des technologies issues du nucléaire en Languedoc-Roussillon, Rhône-Alpes et PACA, et Mov'eo pour les transports collectifs et l'automobile en Ile-de-France, Haute-Normandie et Basse-Normandie.
Tout dépend de ce que vous entendez par « pilotage », mais il est difficile de vous répondre car selon les pôles et leur thématique, ce ne sont pas les mêmes ministères qui interviennent – je ne sais s'ils pilotent. Lorsqu'il s'agit de micro-électronique, de logiciels ou de systèmes embarqués, c'est plutôt le ministère de l'Économie, de l'industrie et de l'emploi, qui a d'ailleurs une vision stratégique de ce domaine très pertinente par rapport à celle des grands industriels mondiaux du secteur. Lorsqu'il s'agit de développement durable, c'est plutôt, comme il est logique, le ministère de l'Écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire qui s'implique. Le ministère de la Recherche, lui, intervient plutôt de manière transversale. Dès lors que sont associés des opérateurs comme les universités ou les grands organismes de recherche, placés sous sa tutelle, son intervention est pour ainsi dire « pervasive ». Je ne dirais pas qu'il pilote les pôles, mais il se préoccupe fortement de la qualité de la recherche.
Il a un rôle stratégique au niveau de l'ANR, notamment des relations que celle-ci doit tisser avec les grands organismes de recherche pour la détermination des choix stratégiques.
Sans dire qu'elle n'en tient pas compte, je ne suis pas certain que la programmation de l'ANR soit structurée autour des objectifs des pôles de compétitivité.