Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire
La commission du développement durable et de l'aménagement du territoire a entendu M. Roger Genêt, directeur général du Cemagref, Centre d'Études du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts, président de l'Alliance Environnement.
Nous avons le plaisir d'accueillir M. Roger Genet, qui dirige depuis un an le Cemagref et préside depuis février dernier l'Alliance pour l'environnement (AllEnvi), dont la mission est d'assurer la coordination des travaux de recherche sur les problématiques de l'alimentation, de l'eau, du climat et des territoires.
Monsieur le président, nous souhaiterions que vous nous présentiez les objectifs et le fonctionnement de l'Alliance. Par ailleurs, il serait intéressant pour nous de connaître le regard que vous portez sur la croissance verte.
Votre invitation, dont je vous remercie, me fournit l'occasion de vous présenter la recherche environnementale, et aussi d'évoquer le Cemagref, dans un contexte particulièrement riche auquel vous avez largement contribué.
Depuis la loi de programme pour la recherche de 2006, une grande part du financement de la recherche se fait sur projet. L'intervention de l'Agence nationale de la recherche (ANR) se double de celle de l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES), chargée de vérifier le bien-fondé des dépenses engagées. La loi sur l'autonomie des universités a par ailleurs fait évoluer les relations entre organismes de recherche et universités. Enfin, dans le cadre de la stratégie nationale pour la recherche et l'innovation lancée par MmeValérie Pécresse en 2009, qui a fixé les grandes orientations de la recherche pour les années à venir, quatre alliances de recherche ont été mises en place, la dernière-née étant celle que j'ai l'honneur de présider, depuis le 9 février dernier.
Importante en termes d'évolution dans l'organisation de la recherche, la période l'est également, en dépit de l'insuccès du sommet de Copenhague, en ce qu'elle marque une prise de conscience des enjeux environnementaux. Depuis une quinzaine d'années, le Parlement vote des lois traitant de politique environnementale et le Gouvernement définit des plans d'action. Cependant le monde de la recherche a été le plus souvent absent du débat public, probablement parce qu'il est morcelé et manque de lisibilité.
En France, la recherche sur l'environnement représente 12 000 chercheurs, auxquels s'ajoutent les enseignants-chercheurs des universités, ce qui fait environ 15 000 personnes. Face à certains grands enjeux, notamment en matière énergétique, de grands organismes de recherche ont été créés après la deuxième guerre mondiale ; mais il n'en a pas été de même en matière environnementale car la prise de conscience, dans ce domaine, est beaucoup plus récente. Il existe ainsi un ensemble d'agences, organismes de recherche, instituts et universités, qui mènent des recherches d'excellence dans le domaine de l'environnement et du développement durable, mais sans coordination. C'est à ce besoin de coordination que répond la création de l'Alliance pour l'environnement.
Permettez-moi de me présenter brièvement. Je suis le premier directeur général du Cemagref à ne pas être issu du corps du Gref – génie rural, eaux et forêts – mais du monde de la recherche – j'ai passé vingt ans au CEA en tant que biologiste. Ce qui a motivé ma venue, ce sont bien ces enjeux environnementaux et le croisement, inhérent au Cemagref, d'un monde de chercheurs et d'un monde d'ingénieurs, qui permet de développer une recherche sur laquelle vont s'appuyer des politiques publiques.
Le Cemagref est placé sous la double tutelle du ministère de l'agriculture et du ministère de la recherche, et il passe des conventions avec le ministère de l'environnement. Cette situation résulte du fait que le Cemagref – Centre d'études du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts – est issu de deux centres techniques qui ont fusionné dans les années quatre-vingt et a ensuite beaucoup évolué, en se consacrant de plus en plus exclusivement aux enjeux environnementaux. Il le fait en ayant pour objectif non seulement l'amélioration des connaissances scientifiques, mais aussi, parce que telle est sa vocation, le déclenchement d'actions publiques, initiées par le ministère de l'agriculture et, du fait des changements de périmètre intervenus, par le ministère de l'écologie. Le fait que le Cemagref soit doté à la fois d'un corps de chercheurs – 700 chercheurs, ingénieurs et techniciens – et de 200 ingénieurs de l'État, qui sont pour partie des Ipef – ingénieurs des ponts, des eaux et des forêts –, nouvelle dénomination des ingénieurs du Gref, lui donne la capacité de mettre la recherche au service des politiques publiques.
Le Cemagref dispose d'un budget de 110 millions d'euros et gère 1 600 personnes – personnels statutaires, doctorants, post-doctorants et chercheurs en contrat à durée déterminée – qui travaillent essentiellement dans trois directions : intégration de la problématique de l'eau et de l'aménagement des territoires, gestion des risques naturels – crues, inondations, avalanches, feux de forêt, pollutions diffuses dans les masses aquatiques –, qualité environnementale et développement des écotechnologies innovantes. Il constitue donc, au moment du démarrage de l'Alliance pour l'environnement, un exemple d'organisation fondée sur le couplage entre la recherche et l'action, et sur l'ambition de mobiliser la recherche académique au profit de la recherche appliquée. Avec ses dix centres répartis sur l'ensemble du territoire, il entreprend des recherches correspondant à des préoccupations de terrain, en lien avec les collectivités territoriales et les administrations déconcentrées et en partenariat avec les industriels. En 2006, il a obtenu le label « institut Carnot » pour l'ensemble de ses activités.
Ayant évoqué le Cemagref, j'ai posé la problématique de la recherche environnementale qui doit générer l'interdisciplinarité en incluant mathématiques, statistiques, biologie, physique, mais aussi sciences humaines et sociales. Au Cemagref, nous avons vingt-cinq économistes et une quinzaine de sociologues, et je suis en train de recruter un chercheur en sciences politiques ; il s'agit de mettre ces disciplines au service des sciences expérimentales et d'éclairer les décideurs publics, notamment en matière de risques.
La recherche environnementale doit être le moteur du développement économique et de la croissance verte. Or, en dépit de l'ambition affichée que la France exerce un leadership en matière écologique, force est de constater que les politiques publiques anticipent souvent sur les résultats de la recherche, laquelle demande du temps avant de pouvoir se traduire en actions publiques. Aujourd'hui, certains pays investissent énormément dans les technologies vertes : la Chine a ainsi multiplié par 2,5 ses investissements dans ce domaine depuis 2005, passant au premier rang mondial devant les États-Unis et le Japon. La France a certes des points forts, notamment dans les technologies de l'eau et des déchets, dans lesquelles Veolia et Suez sont des leaders mondiaux et qui représentent près de 2 % du PIB et 230 000 emplois. Mais dans d'autres secteurs, l'innovation n'est pas au rendez-vous. Il est donc absolument nécessaire d'investir dans le secteur des technologies environnementales ; la recherche environnementale doit être mise sur le même plan que d'autres grands domaines de la recherche, telle la recherche médicale – que je connais bien pour y avoir longtemps travaillé.
Cette recherche environnementale est, de fait, en construction. La création de l'Alliance pour l'environnement, qui réunit tous les acteurs, est le moyen d'en assurer la coordination et de la rendre plus lisible.
L'Alliance pour l'environnement (AllEnvi) est la dernière née des quatre alliances nationales de recherche qui ont été mises en place pour couvrir l'ensemble des problématiques de recherche, après l'Alliance pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan), présidée par le président directeur général de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (Ancre), présidée par le président de l'Institut français du pétrole (IFP) et dont les deux autres membres fondateurs sont le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et le Centre national de recherche scientifique (CNRS), et l'Alliance des sciences et technologies du numérique (Allistene), présidée par le président de l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria). Une alliance dédiée aux sciences humaines et sociales viendra probablement chapeauter l'ensemble.
L'Alliance pour l'environnement répond à quatre enjeux sociétaux : l'alimentation, l'eau, le climat et les territoires. Nous devons trouver les moyens de nourrir neuf milliards d'individus à l'horizon 2050 ; ceux d'assurer, en qualité et en quantité, l'approvisionnement en eau de l'ensemble des pays du monde, qu'ils soient riches, pauvres ou émergents ; ceux de faire face à l'évolution du climat ; ceux, enfin, de respecter l'impératif de qualité environnementale et de réduire notre empreinte écologique.
AllEnvi compte douze membres fondateurs : le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), l'Institut de recherche pour le développement (IRD), la Conférence des présidents d'université (CPU) et les organismes à vocation spécifique que sont l'Ifremer (Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer), le Cemagref pour les problématiques des milieux aquatiques et des territoires, le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) pour les questions relatives aux nappes phréatiques et aux ressources du sous-sol, le CEA (Commissariat à l'énergie atomique), Météo-France, le Muséum national d'histoire naturelle pour ce qui concerne la biodiversité, le Laboratoire central des Ponts et Chaussées (LCPC) – qui va fusionner avec l'Institut national de recherche sur les transports et leur sécurité (Inrets) – pour les problématiques de villes, matériaux et transports durables, et enfin le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).
Des membres associés, tels l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) et l'Institut Paul-Émile Victor, spécialisé dans l'exploration des pôles, élargissent le champ de nos groupes de travail.
L'Alliance pour l'environnement a pour mission de coordonner la recherche, de faire émerger des priorités – le grand emprunt en est une occasion –, de structurer et de rationaliser les moyens de la communauté scientifique dans chacun des domaines de recherche, de faire émerger des programmations conjointes entre les acteurs. On reproche souvent aux organismes de recherche d'être dispersés : désormais l'Alliance existe, son « numéro de téléphone » est celui de son président, l'objectif étant d'assurer la coordination nécessaire au service des politiques publiques.
Si l'Alliance a été créée pour répondre à des enjeux sociétaux, en mobilisant et en coordonnant la recherche dans son champ d'action, elle répond aussi à l'objectif que vous poursuivez de moderniser notre système de recherche et de rationaliser ses moyens. Comme les autres alliances du même type, elle a besoin d'un peu de temps pour se structurer, mais aussi de beaucoup de soutiens. La constitution des alliances est la pierre angulaire de la réorganisation du monde de la recherche. Je souhaite que celui-ci puisse pleinement contribuer à l'élaboration des politiques publiques, sur des sujets comme la directive cadre sur l'eau, le Grenelle de l'environnement ou la loi de modernisation agricole.
L'idée qui a présidé à la création de l'Alliance pour l'environnement est intéressante, mais je m'interroge sur plusieurs points.
Que va recouvrir pour l'Alliance la notion de « qualité environnementale » que vous avez évoquée, étant donné que ses membres retiennent tous des critères différents ?
L'Alliance a-t-elle vocation à agir en dehors de l'Europe, comme peuvent le faire ses membres ?
Vous dites que votre mission est d'éclairer les politiques publiques ; travaillez-vous aussi sur la formation ? Nous nous étions penchés sur cette question il y a quelques années mais les choses n'ont pas réellement avancé. Un point me tient particulièrement à coeur : nous n'avons plus de naturalistes. Réfléchissez-vous à la manière dont on pourrait réhabiliter cette spécialité, dont la disparition serait très dommageable à l'étude de la biodiversité ?
Enfin, quels sont les moyens dont vous disposez pour mener à bien votre mission ?
Je me réjouis de la création de l'Alliance de l'environnement, sorte de pôle de compétitivité vertical. C'est une structure encore peu connue. Envisagez-vous de participer à une communication pédagogique en direction du grand public sur les thématiques environnementales, ou concevez-vous votre rôle comme celui d'un centre scientifique confidentiel, uniquement destiné à servir d'appui au Gouvernement ?
Votre action peut-elle contribuer à répondre aux problématiques spécifiques des pays du Sud en matière d'environnement et d'alimentation, ou votre regard est-il uniquement tourné vers l'Europe ?
Enfin, la valorisation énergétique de la biomasse figure-t-elle parmi vos axes de travail ?
Vous avez évoqué les quatre axes de recherche de l'Alliance – alimentation, eau, climat, territoires – mais vous n'avez pas du tout développé le dernier. Considérez-vous que la mer en fait partie ? Si oui, il serait sémantiquement plus convenable de parler non pas de territoires, mais d'espaces.
Je souhaiterais que vous nous donniez des précisions d'ordre structurel. Quel est le mode de gouvernance de l'Alliance, comment fonctionne-t-elle ?
Par ailleurs, comment faire pour améliorer le lien entre le monde scientifique et les décideurs ? Je préside une table ronde sur la chasse, réunissant écologistes et chasseurs : les gens ont pris conscience que tant que l'on se situait dans une relation politique, les décisions étaient nécessairement politiciennes ; mais dès lors que les décideurs bénéficient d'un éclairage scientifique, le débat évolue. Nous avons ainsi créé le « groupe d'experts sur les oiseaux et leur chasse », piloté par le Muséum national d'histoire naturelle. Autre exemple : j'ai eu la chance de monter à bord du Marion Dufresne le temps d'une campagne, et j'ai été extrêmement frappé par la richesse des travaux scientifiques – je pense aux travaux d'Yvon Le Maho sur le peptide du manchot, à ceux du CNRS de Grenoble sur Mercator et à ceux réalisés à Brest sur Luca (Last universal common ancestor). Mais personne n'en profite, et il faut aller aux Kerguelen pour savoir que cela existe ! Enfin, j'ai la chance et l'honneur de présider le Conservatoire du littoral et l'Agence des aires marines protégées, dont les relations avec le monde scientifique sont insuffisantes, notamment en matière de collecte des données sur la biodiversité ; que pouvez-vous faire pour améliorer cette situation ?
En ce qui concerne la gouvernance, l'organe décisionnel est le Conseil de l'Alliance, constitué des présidents et directeurs généraux des douze membres fondateurs, qui se réunit tous les mois. De telles rencontres régulières au plus haut niveau sont très nouvelles dans le monde de la recherche et permettent une vraie coordination. Le bureau du Conseil de l'Alliance est constitué du CNRS, de l'Inra, de l'Ifremer et du Cemagref ; il est notamment chargé de préparer les réunions du Conseil. La présidence du Conseil de l'Alliance est assurée, de manière tournante, par chacun des membres du bureau, pour un mandat de deux ans.
La gouvernance à douze n'est évidemment pas simple, et certaines alliances homologues ont choisi d'autres formules : pour l'Alliance pour l'énergie (Ancre) par exemple, c'est une gouvernance à trois, avec un beaucoup plus grand nombre de membres associés. Mais tout dépend du champ d'action : dans le champ environnemental, dans lequel les compétences sont très dispersées, il était important de prendre des décisions collégiales afin d'assurer la coordination la plus grande possible.
Enfin, le Conseil de l'Alliance s'appuie sur un secrétariat exécutif permanent, composé de six personnes – deux personnalités issues du CNRS et de l'INRA, chacune assistée d'un ingénieur de recherche et d'une secrétaire. Cet organe est nécessaire car nous comptons parmi nos missions la structuration des observatoires de l'environnement et nous avons repris le rôle du Comité inter-organismes pour l'environnement, qui était présidé par un institut du CNRS, l'Institut national des sciences de l'univers (INSU).
L'Alliance a constitué quatorze groupes de travail, formés d'experts désignés par chacun des membres, dont onze groupes thématiques – l'alimentation et les défis agronomiques, la biologie des plantes, l'agro-écologie, la biodiversité, le climat, les écotechnologies, les risques naturels, la vie citoyenne et la mobilité, les territoires et les ressources naturelles, le cycle de l'eau, les sciences de la mer et les ressources marines – et trois groupes transversaux – l'évaluation environnementale, les infrastructures de recherche, la prospective en environnement. Ce dernier groupe, constitué des directeurs scientifiques de l'ensemble de nos organismes, devra réaliser la synthèse des avis des groupes thématiques, en vue de définir des priorités de recherche.
Les groupes thématiques, constitués de vingt à trente experts, doivent dresser une cartographie des forces et faiblesses de notre dispositif et faire émerger des priorités. Il reviendra au Conseil d'approuver le plan d'action. Chaque groupe est coprésidé par deux membres issus de deux organismes différents, de façon à ce que tous les organismes membres soient impliqués dans la gouvernance de ces groupes. En juillet, les animateurs de chacun des groupes thématiques nous indiqueront leur plan d'action ; mi-décembre, une deuxième réunion permettra de faire émerger les priorités d'action à proposer au Gouvernement et aux agences de financement, dont l'ANR (Agence nationale de la recherche) et l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie). Le Gouvernement nous demande également d'être en mesure de donner un avis sur les projets qui pourront être financés par le grand emprunt. Il ne s'agira pas de se prononcer sur le plan scientifique, car nous serions alors juge et partie, mais au regard de nos grandes orientations.
C'est dire qu'une fois créée, une grande infrastructure de recherche comme celle-ci doit vivre sur le long terme, en étant alimentée en moyens humains et financiers, et inscrite dans la stratégie des organismes qui la composent et doivent pouvoir se l'approprier.
Toutes les missions que vous avez évoquées – action à l'international, formation, communication, valorisation – sont déclinées dans la convention de création de l'Alliance.
Notre mission internationale est évidemment essentielle. La convention précise en effet que le champ d'action de l'Alliance recouvre non seulement la France métropolitaine et l'Outre-mer, mais également les pays du Sud. Deux organismes de l'Alliance, l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), sous la tutelle du ministère des affaires étrangères, ont vocation à développer des actions concrètes de recherche environnementale vers les pays du Sud, l'Agence inter-établissements de recherche pour le développement (AIRD) ayant pour mission de mutualiser les financements de ces projets de recherche.
L'objectif est évidemment de favoriser la construction d'une recherche environnementale européenne, au-delà des Joint programming initiatives (JPI), initiatives de programmation conjointes entre États telles que celle, pilotée par la France, sur la maladie d'Alzheimer, celle qui a été lancée en décembre sur le thème de l'agriculture et du développement durable, celle qui concerne l'alimentation et la sécurité alimentaire et celles qui sont en gestation sur l'eau et sur le changement climatique. Ces initiatives sont désormais portées par l'Alliance, au nom du ministère de la recherche, et non par tel ou tel organisme membre.
Construire la recherche environnementale européenne suppose de structurer au préalable la recherche française. Le Cemagref appartient déjà au Partnership for European Environmental Research (PEER), qui regroupe sept organismes européens similaires par la taille et les missions, tels que le Helmholtz Centre for environmental Research allemand, le Centre for Ecology and Hydrology britannique, des instituts de recherche finlandais, suédois et l'institut de recherche environnementale de la Commission européenne, situé à Ispra, en Italie. Mais ce réseau est le seul noyau de structuration de la recherche environnementale européenne. En permettant à nos partenaires d'avoir en France un seul interlocuteur, notre propre structuration favorisera la structuration européenne.
D'ores et déjà, nous menons des actions en direction des pays du Sud. Par exemple, dans le cadre de projets européens, le Cemagref forme au Maghreb des gestionnaires de bassins versants. L'existence de l'Alliance facilite aussi la construction d'un projet franco-allemand visant, dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée, à mobiliser l'ensemble des observatoires du littoral méditerranéen sur la problématique de l'accès à l'eau.
S'agissant de la formation, le fait que la Conférence des présidents d'université fasse partie des membres fondateurs de l'Alliance est un signe fort. Dans certains domaines – toxicologie, sciences naturelles –, on manque de formateurs, mais on manque aussi d'étudiants. Il faut multiplier les initiatives concrètes telles que le pilotage à Montpellier par le Cemagref, le Cirad, l'IRD et AgroParistech d'une unité mixte unique, dénommée Tetis (Territoires, environnement, télédétection et information spatiale), dédiée à l'utilisation des données satellitaires pour l'aménagement des territoires. Les gestionnaires de terrain, dans nos directions départementales, ne sont pas du tout formés à l'utilisation de ces techniques de géospatialisation, très peu développées en France ; mais cette unité vise à la développer, grâce aux chercheurs, aux industriels et à la formation intiale et continue dispensée dans le même institut par AgroParistech.
Il est également important que nous communiquions – comme je le fais ici – afin de promouvoir ce qui constitue nos forces, sans masquer nos faiblesses, devant la représentation nationale, les élus et le grand public. C'est à ce titre que nous participerons, aux côtés des trois autres alliances, aux rencontres universités-entreprises qui se tiendront au CNIT les 26 et 27 mai 2010, et auxquels participeront également chacun des organismes membres à titre individuel. Ces derniers étaient également présents au salon international de l'agriculture : à cette occasion, des chercheurs du Cemagref ont dialogué avec des jeunes dans le cadre de l'émission « Pose ta question sur l'environnement », diffusée par la chaîne de l'Assemblée permanente des chaînes d'agriculture, Terre d'Infos. Enfin le Cemagref apportera sa contribution aux manifestations de l'Année de la biodiversité, destinées pour une bonne part d'entre elles à expliquer l'apport de la recherche à la préservation de l'environnement. Regrouper toutes ces initiatives de communication, aujourd'hui très dispersées, sous le seul étendard de l'Alliance leur donnera une plus grande visibilité.
La question de la place du chercheur dans le débat public est fondamentale. La ministre de la recherche a appelé les alliances à désigner des chercheurs pour s'exprimer sur tel ou tel sujet, mais il faut garder présent à l'esprit que la démarche scientifique est fondée sur des hypothèses et aboutit rarement à des certitudes absolues. Le chercheur peut communiquer sur ses travaux de recherche pour éclairer le débat, mais son expertise ne peut aller au-delà.
Quant à la notion de « qualité environnementale », il faut en effet commencer par savoir ce qu'elle recouvre. On voit fleurir des règles qui reposent sur des concepts dépourvus de fondements scientifiques. Ainsi le « bon état écologique » des milieux aquatiques que la directive-cadre sur l'eau fixe comme objectif n'est pas scientifiquement défini : sachant que l'on est parti d'un état A, caractérisé par divers indicateurs, pour arriver à l'état B actuel, on nous propose une entreprise de restauration ; mais en fait, celle-ci ne permettra jamais de revenir à l'état A et amènera à un état C, dont il faudrait définir les paramètres, ce que l'on ne fera qu'a posteriori…
Le laboratoire national de référence sur la qualité des masses aquatiques, l'Aquaref, que je préside et qui réunit le BRGM, l'Ineris, l'Ifremer, le Cemagref et le Laboratoire national d'essais, tente précisément de mettre en place des méthodes normalisées permettant de définir la bonne qualité des masses aquatiques. Sur le plan chimique, c'est assez facile ; mais quels indicateurs retenir sur le plan microbiologique, bactériologique, écologique ? Dans ce domaine, la recherche est en retard par rapport aux concepts d'ores et déjà traduits dans les réglementations. Ainsi, la directive « nitrates » risque de valoir à notre pays une condamnation par la justice européenne, alors que la contribution des nitrates et du phosphore à l'eutrophisation des cours d'eau n'est absolument pas définie. De même, la recherche scientifique ne peut pas encore expliquer la surmortalité des naissains d'huîtres.
C'est dire la nécessité de réunir les forces de recherche. L'objectif de l'Alliance, dont les 1500 chercheurs ne peuvent traiter l'ensemble des questions, est d'amener la recherche académique – celle qui est au CNRS, dans les universités, mais également à l'Inra – à servir des problématiques finalisées. En 2008, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) avait considéré que pour faire face aux enjeux, le Cemagref avait besoin d'un doublement de ses moyens… Dans le cadre de la RGPP, je ne crois pas beaucoup à ce type de solution ! C'est pourquoi il faut une coordination de toutes les forces de recherche – mais non pas, bien sûr, leur fusion car la pluralité des organismes de recherche, et donc des approches, est source de richesse. Aucun pays n'a d'ailleurs fait le choix d'un organisme unique.
En ce qui concerne la valorisation énergétique de la biomasse, l'Alliance pour l'environnement, dont l'un des groupes thématiques est consacré aux écotechnologies, travaille avec l'Ancre, dont c'est également une priorité. Nous porterons des projets communs, tels que celui de l'Inra sur la biomasse forestière et agricole, ou celui du Cemagref, en partenariat avec Suez Environnement, pour la valorisation énergétique des déchets ménagers sous forme de méthane ou de chimie fine, comme le méthanol, dans la perspective de l'après-pétrole. Il est probable en effet qu'on doive revenir dans quelques décennies aux bioconversions. M. Jean Weissenbach, qui a été le porteur de la première cartographie du génome humain, est maintenant au Cemagref et travaille sur le génome bactérien pour préparer la chimie fine de demain.
Avec nos partenaires européens, sommes-nous plutôt dans une logique d'émulation et de concurrence, ou dans une logique de répartition intelligente des grands domaines de recherche ?
Toujours dans le domaine international, comment faire en sorte que notre haut niveau de recherche en agronomie tropicale produise davantage d'effets concrets ? Ainsi, le Cirad est présent dans l'île d'Espiritu Santo, au Vanuatu, mais il faudrait répondre aux sollicitations du ministre de l'éducation, qui réclame de l'aide pour développer la formation opérationnelle. Autre exemple, qui concerne cette fois l'Outre-mer : à l'occasion du cyclone qui a rasé les constructions sur l'île de Futuna, nous avons découvert qu'il n'y avait pas du tout de réserves d'eau potable… Il faudrait y remédier.
Comment faire évoluer la gestion de l'eau dans les bassins versants ? Comme beaucoup d'autres élus d'un territoire frontalier, je ne comprends pas toujours la logique qui préside à cette gestion, notamment en matière de lutte contre les inondations et contre la pollution.
Par ailleurs, ne faudrait-il pas que la sensibilisation des jeunes générations aux thématiques environnementales fasse l'objet d'une véritable stratégie d'ensemble, passant notamment par la mise en place, en collaboration ave le ministère de l'éducation nationale, d'une éducation à l'environnement de la maternelle jusqu'à l'université ?
L'Alliance pour l'environnement peut-elle s'autosaisir d'une question, et selon quelles modalités ?
Les organismes qui la composent ont-ils une réflexion commune sur le rôle du chercheur, l'expertise scientifique, les rapports entre la science et la société ?
Envisagez-vous d'assurer la diffusion régulière auprès des décideurs des informations pouvant répondre à leurs questionnements ?
La compétence du Cemagref en matière de risques naturels est régulièrement sollicitée pour rendre des avis techniques avant l'engagement de travaux dans les stations de sports d'hiver. Si nous sommes globalement satisfaits de l'expertise rendue, nous déplorons sa lenteur : étant donné la saisonnalité de ces travaux, qui ne peuvent avoir lieu, dans le meilleur des cas, qu'entre le 1er juin et le 1er octobre, un retard peut les renvoyer à l'année suivante, d'autant qu'il faut ajouter les délais d'appel d'offres. Vous serait-il possible de remédier à cette situation ?
S'agissant de la gestion des risques, quel rôle l'Alliance pourra-t-elle jouer sur le sujet de l'aléa climatique ? On a en effet le sentiment que beaucoup d'intervenants disposent de modèles scientifiques élaborés, mais la coordination est un enjeu majeur.
L'objectif que nous assigne le ministère de la recherche est l'excellence scientifique. Nous n'existons au niveau international que par la qualité des travaux publiés, cette qualité étant elle-même mesurée par celle des journaux internationaux dans lesquels ils sont publiés. Plus les articles sont publiés à un haut niveau, mieux l'équipe est reconnue et, en général, plus elle a de moyens. C'est particulièrement vrai pour les organismes académiques ; cela l'est un peu moins dans un organisme comme le Cemagref, du fait de sa structuration budgétaire : au Cemagref, notre subvention couvre tout juste notre masse salariale ; nos équipes doivent donc en début d'année aller chercher des contrats – contrats ANR, contrats européens, contrats avec des ministères techniques…
La compétition internationale est inhérente à notre métier. Cela ne nous a jamais empêchés de collaborer avec nos partenaires européens dans le cadre de programmations conjointes. Le problème n'est donc pas la concurrence ; il est en revanche le financement, et plus précisément l'équilibre entre la dotation de base et le financement sur projets. Le fait que la première assure à peine le paiement des salaires fait peser sur nos équipes des contraintes extrêmement fortes – qui peuvent expliquer, monsieur Saddier, les difficultés que vous avez évoquées. L'année dernière, le Cemagref a augmenté ses ressources externes de 16 %, mais du fait du plafond d'emplois, le nombre de personnes recrutées en contrat à durée déterminée a augmenté quasiment dans les mêmes proportions. Les demandes se multiplient – aujourd'hui par exemple, après le passage de Xynthia, le ministère de l'écologie nous sollicite pour expertiser les digues côtières, alors que jusqu'à présent nous n'avons travaillé que sur les digues fluviales –, mais nous n'avons pas les moyens de répondre à tout.
Peut-être alors ne faudrait-il pas répondre à un appel d'offres lorsque vous n'êtes pas en mesure d'en respecter les délais.
Le rôle de la recherche est de préparer, en amont, les innovations qui seront ensuite réalisées par les bureaux techniques ou les services déconcentrés de l'État, voire de former les gestionnaires de terrain. Nous n'avons pas à faire concurrence aux bureaux d'études, mais à faire des travaux qui leur permettent de trouver des solutions, comme nous l'avons fait pour la Safege, le bureau d'études de Suez Environnement, pour les bassins de rétention de Belfort. Cela étant, le champ environnemental étant encore en construction, les bureaux d'études n'ont pas toujours les compétences nécessaires, et c'est pourquoi un organisme de recherche comme le nôtre peut être amené à réaliser des études. Mais il ne doit le faire que si cela ne peut pas être fait par d'autres.
S'agissant de l'éducation aux problématiques environnementales, je vous répondrai que nous ne pouvons pas être partout. Un organisme comme le Cemagref, bien qu'il n'ait pas de mission spécifique de formation, assure déjà 12 000 heures d'enseignement par an, ce qui représente 10 % du temps des chercheurs et 70 équivalents temps plein : nous ne pouvons pas faire plus, au regard de l'ensemble de nos autres missions.
L'Alliance ne peut pas s'autosaisir car elle n'est pas une agence, mais une structure inter-organismes de recherche. Notre mission est la programmation scientifique. Dans le cadre du programme 187 de la LOLF, « Recherche dans le domaine de la gestion des milieux et des ressources », qui réunit les organismes de recherche finalisée – Ifremer, BRGM, Cirad, Inra, IRD, Cemagref –, nous avions cependant mis en place une mission de réflexion sur l'expertise scientifique. Nous nous sommes tous dotés d'une charte de l'expertise scientifique, voire d'une charte déontologique et éventuellement d'un comité d'éthique ; c'est la raison pour laquelle le président de l'Ifremer et moi-même avons été chargés l'an dernier par la ministre chargée de la recherche de préparer une charte de l'expertise applicable à tous les organismes de recherche, notamment les universités et les écoles d'ingénieurs – sans empiéter sur le champ des agences, qui ont chacune leurs propres règles déontologiques, lesquelles s'appliquent à nos chercheurs quand ils travaillent pour elles. Cette charte a été publiée en mars.
Sur le principe de précaution, je vous renvoie à la réponse que le Cemagref avait faite. Pour moi, il s'agit d'un principe d'action, et il est bénéfique en tant que tel. Mais s'il devient un principe d'inaction, il est forcément contraire à l'exercice de la recherche. Toute activité humaine comporte un risque : le risque zéro n'existe pas. Toute la question, comme Xynthia l'a encore montré, est celle de l'acceptabilité des risques.
Vous m'avez enfin interrogé sur les moyens de l'Alliance. Les alliances, en tant que structures de coordination, n'ont pas d'autres moyens que ceux que leurs membres y consacrent ; chargées d'élaborer des programmations conjointes, de définir des priorités de recherche et de faire des propositions au Gouvernement, elles n'ont pas de moyens spécifiques. Mais dans ce domaine émergent qu'est la recherche environnementale, qui porte sur des problématiques d'une acuité particulière et à laquelle sont liées des activités économiques en pleine croissance, ne faudrait-il pas songer à une loi de programmation ?
Je vous remercie beaucoup pour cet échange fort intéressant. Nous ne manquerons pas de renouveler l'exercice, sans doute sur des thèmes spécifiques.
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Information relative à la commission