COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mercredi 31 mars 2010
Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, et de M. Jean Bizet, Président de la Commission des affaires européennes du Sénat
La séance est ouverte à seize heures trente
Le Président Pierre Lequiller. Je suis heureux de vous accueillir, en présence de M. le Président de l'Assemblée nationale et de M. Jean Bizet, que je félicite pour son élection, la semaine dernière, à la présidence de la Commission des affaires européennes du Sénat. Je tiens aussi à rendre hommage à son prédécesseur, M. Hubert Haenel, avec qui nous avons fait un excellent travail. J'accueille avec joie nos amis du Parlement européen pour cette deuxième rencontre conjointe, qui sera suivie d'une troisième, le 26 mai. Sénateurs, députés et députés européens, nous avons en effet décidé de prendre les textes très en amont et sommes conscients de notre devoir de travailler ensemble.
Je suis heureux d'ouvrir cette réunion et je tiens à redire ma reconnaissance et mes félicitations au Président Pierre Lequiller pour avoir pris cette initiative, qui correspond parfaitement à l'idée que je me fais de notre travail de parlementaire, afin d'aboutir à la plus grande efficience dans les relations entre notre Parlement national et le niveau européen.
Je tiens également à féliciter M. Jean Bizet, qui a été élu la semaine dernière Président de la Commission des affaires européennes du Sénat. Nous savons que cette présidence permet d'espérer un très bel avenir.
On appelle parfois le traité de Lisbonne le « traité des parlements ». Cette belle formule recouvre une réalité : le Parlement européen est désormais plein législateur, sur un pied d'égalité avec le Conseil. Ses récentes initiatives – je pense notamment à la qualité des auditions du nouveau collège des commissaires, à votre décision sur l'accord SWIFT ou aux débats sur le service européen d'action extérieure – manifestent clairement sa détermination à se saisir de tous ses pouvoirs.
Le traité fait aussi entrer les parlements nationaux, maillons séculiers de nos démocraties, dans le jeu institutionnel européen. Nous voici promus gardiens vigilants de la subsidiarité, mot barbare qui cache une mission très concrète : veiller à ce que l'Europe apporte réellement une valeur ajoutée à ses citoyens. Nous voici aussi, par le traité de Lisbonne, associés aux grands débats sur l'Europe, par exemple au sein des Conventions chargées de modifier les traités ou grâce à notre participation au contrôle de l'espace commun des libertés, de la sécurité et de la justice.
Mais faire du traité de Lisbonne le traité des parlements, c'est aussi un défi, que nous aurons à relever ensemble. Nous devons tous, parlementaires nationaux et parlementaires européens, nous investir dans le soutien au projet européen. Nous devons tous ensemble peser sur le contenu des décisions, prendre les initiatives nécessaires pour que l'Europe intègre concrètement les préoccupations et les espoirs de nos citoyens, dont nous sommes les interlocuteurs quotidiens.
L'Assemblée nationale a beaucoup fait pour mettre l'Europe au coeur de ses débats. Ici comme ailleurs, la chance de la réforme des institutions de 2008 a été saisie. Nous pouvons désormais nous exprimer sur tous les sujets européens. Des procédures simples et rapides permettent désormais à chaque député de déposer des résolutions, tant sur le fond des sujets que sur la subsidiarité. Elles garantissent un chaînage vertueux entre tous les organes de l'Assemblée en intégrant étroitement les commissions permanentes.
J'ai voulu aller plus loin encore. Ainsi l'Assemblée nationale consacre-t-elle désormais une séance de sa semaine mensuelle de contrôle aux débats européens. Par ailleurs, la Commission des affaires européennes, que j'ai voulue composée de 48 membres – qui font chacun partie de l'une des huit commissions permanentes de l'Assemblée – peut offrir un éclairage européen sur les projets et propositions de lois nationales. Les rapports parlementaires comportent désormais une annexe décrivant la dimension européenne de ces projets. La nouvelle place de l'Union à l'Assemblée trouve même une manifestation « géographique », grâce au nouvel espace Euromédia dédié à l'actualité européenne, que j'ai voulu au plus près de l'hémicycle et où l'on trouve toutes les données disponibles sur l'Europe, comme c'est également le cas dans chacun des bureaux des 577 députés.
Mais travailler chacun dans son institution ne suffit pas. Pour peser à Bruxelles, il faut agir à plusieurs. Il nous faut confronter les points de vue et relayer les ambitions et les préoccupations de nos peuples. La qualité de notre dialogue parlementaire est donc gage du succès. J'y vois deux conditions : qu'il soit régulier, car rien ne se fait en politique sans la durée et la constance, et qu'il porte sur des textes concrets pour siffler la fin des interminables et vaines introspections institutionnelles.
Je retrouve avec plaisir ces deux qualités dans les réunions régulières que vous avez su initier, cher Président Pierre Lequiller. Les commissions des affaires européennes et les députés européens français peuvent désormais dialoguer régulièrement, lorsque la semaine de circonscription du Parlement européen permet à nos partenaires de Strasbourg de nous rejoindre à Paris. Ces rencontres portent sur les grands sujets inscrits à l'agenda de l'Europe, sur lesquels il est bon que parlementaires français et européens dégagent une approche commune. Vous avez choisi un sujet important et sensible pour votre réunion d'aujourd'hui : la régulation financière.
Ces rencontres sont complémentaires d'une autre initiative à laquelle j'accorde la plus grande importance : la tenue de réunions communes avec des commissions du Parlement européen sur les principaux textes débattus à Bruxelles, à l'image de votre réunion du 26 janvier dernier, en visioconférence, sur la directive relative à la protection des consommateurs, avec la Commission du marché intérieur du Parlement européen.
Nous voici en effet engagés dans le grand chantier d'aujourd'hui : faire l'Europe des réalités concrètes. Nous disposons, grâce au nouveau traité, de tous les outils nécessaires pour agir. Les défis ne manquent pas, au moment où le monde teste brutalement, sur tous les fronts – économique, financier, climatique –, une Europe sommée d'agir pour ne pas disparaître. Je suis heureux de voir que nous prenons cette nouvelle tâche à bras-le-corps et je sais que vous saurez la réussir.
Ma condition a changé depuis notre dernière rencontre, où je suppléais le président Hubert Haenel, qui venait tout juste d'apprendre sa nomination au Conseil constitutionnel. Je vous remercie d'avoir salué son travail et son engagement au sein de la Commission des affaires européennes du Sénat, à la tête de laquelle mes collègues m'ont fait l'honneur de me porter.
Je tiens à remercier le Président Pierre Lequiller d'avoir pris l'initiative de ces rencontres avec nos collègues du Parlement européen, qui correspondent pleinement au souhait des sénateurs d'entretenir avec eux des relations plus suivies. Je le remercie aussi de l'hospitalité qu'il nous offre pour la deuxième fois.
Nous souhaitons leur faire part de nos préoccupations et de nos réactions face aux propositions qui nous sont soumises par la Commission européenne, et les entendre pour connaître leurs positions. Ces échanges devraient enrichir aussi bien nos travaux que les leurs et nous permettre de mieux nous comprendre. Je me réjouis donc aussi qu'une prochaine rencontre soit prévue le 26 mai au Sénat.
Le sujet qui est aujourd'hui à l'ordre du jour est d'une grande importance. M. Jean-Paul Gauzès, rapporteur au nom de la Commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, qui a une expertise reconnue en la matière nous apprendra sans doute beaucoup de choses, comme M. François Marc, de la Commission des affaires européennes du Sénat.
Le Président Pierre Lequiller. Les parlementaires de la majorité étant invités à une réunion à l'Elysée à 18 heures, nous avons décidé d'un commun accord de limiter nos échanges de ce jour à la proposition de directive sur les fonds alternatifs, en reportant à notre prochaine réunion conjointe le sujet « paquet télécom » et agenda numérique.
La directive, relative aux gestionnaires de fonds alternatifs, ne concerne pas les seuls hedge funds. Du reste, ce terme ne possède pas de traduction définitive et se trouve parfois traduit par « fonds vautours » ou « fonds spéculatifs ». Stricto sensu, il s'agit de « fonds qui se couvrent », mais les documents de l'Autorité des marchés financiers eux-mêmes se contentent de décrire les caractéristiques de leur action, auxquelles précisément s'attache la directive.
J'évoquerai d'abord le champ d'action de cette dernière. Le commissaire européen McCreevy étant, avant la crise, allergique à toute régulation, la directive n'a été mise en chantier qu'après la faillite de Lehmann Brothers, de telle sorte que les fonctionnaires de la Commission n'ont eu qu'un temps limité pour y travailler. Ils sont les premiers à reconnaître qu'elle est perfectible – ce qui rend le débat plus facile que s'ils en défendaient chaque virgule.
Initialement limité aux gestionnaires des hedge funds, le champ d'application du texte a été élargi à tous les produits ne relevant pas des organismes de placement collectif de valeurs mobilières, ou OPCVM, destinés aux investisseurs particuliers. La directive concerne donc des investisseurs avisés, institutionnels, même s'il peut arriver que des investisseurs individuels entrent dans ce système par le biais des fonds de fonds.
La directive appliquait initialement le même régime juridique à tous les fonds, mais il est apparu nécessaire d'introduire dans ce champ d'application très large des allègements ou des différenciations suivant la nature des fonds. De fait, à côté des hedge funds, qui sont des fonds à risque, on trouve le capital-investissement, ou private equity, moins risqué.
Aujourd'hui, cependant, ce n'est plus la notion de risque systémique qui justifie la réglementation européenne, mais l'idée, lancée par Mme Merkel et reprise par Michel Barnier, que toute activité financière doit être régulée et supervisée, quels qu'en soient le niveau et l'objet. Au Parlement européen, le rapporteur et une majorité possible estiment que ce champ large doit être maintenu, bien qu'atténué par l'application de la règle de la proportionnalité : les obligations mises à la charge des personnes visées doivent être proportionnelles à la nature et à l'étendue des fonds. On a ainsi défini des obligations qui pourraient ne pas être obligatoires pour tous les fonds, notamment pour ceux dont la réglementation est nationale et qui ne sont commercialisés que dans le pays où ils sont constitués. Cette approche ne satisfait toutefois pas les pays qui, comme le Luxembourg, ont un marché national réduit et craignent une distorsion de concurrence de la part d'autres pays dans lesquels les fonds nationaux ne sont pas tenus aux mêmes obligations.
Se pose par ailleurs la question de la situation des acteurs situés dans des pays tiers. Pour tous les gestionnaires qui se trouvent en Europe et gèrent des fonds soumis à la réglementation européenne, un « passeport » leur permettra de commercialiser leurs fonds dans l'ensemble des Etats membres, comme c'est déjà le cas pour les banques, à qui l'agrément dans un Etat membre suffit pour ouvrir des succursales dans les autres moyennant une simple déclaration. Pour les acteurs extérieurs à l'Europe, les situations sont diverses : le gestionnaire peut être établi dans l'Union européenne et le fonds à l'extérieur, le gestionnaire et les fonds peuvent être l'un et l'autre hors de l'Union européenne, dans le même pays ou dans deux pays différents. Ces fonds et ces gestionnaires doivent-ils recevoir un passeport qui leur permettrait de commercialiser leurs produits au même titre que ceux qui sont établis dans l'Union européenne ?
La notion de passeport suppose bien évidemment une équivalence entre les réglementations et les obligations, sous peine de distorsion de concurrence au profit de ceux qui sont soumis aux réglementations les moins contraignantes. Il s'agit là d'un problème politique majeur. Tout d'abord, une telle équivalence est-elle une notion réaliste ? En deuxième lieu, que faire si l'équivalence n'est pas assurée ? Le Conseil est divisé sur ce point, avec vingt-cinq pays contre deux, dont l'un est résolument opposé au système proposé et l'autre – la République tchèque – hésite.
Le Conseil privilégie le compromis proposé par la présidence espagnole, consistant à conserver, pour les fonds extérieurs à l'Union européenne, le système de placement privé existant : les fonds sont commercialisables dans chacun des pays membres en vertu de la réglementation de chaque pays. La situation est toutefois compliquée par la distinction opposant marketing « actif » et marketing « passif ».
Dans le marketing actif, le représentant d'un fonds démarche un établissement bancaire et lui propose ses produits, puis prend la commande. Le marketing passif est plus vicieux : aucune réglementation n'interdit à un gestionnaire de fonds établi dans l'Union européenne d'investir dans un pays tiers, mais il est parfois interdit de recevoir le démarcheur, lequel se contente alors de fournir une information sur ses produits, sans prendre de commande proprement dite – ce qui n'interdit nullement au gestionnaire de passer lui-même commande peu après.
Le compromis proposé par la présidence espagnole consiste à conserver le placement privé, mais à lui adjoindre des obligations d'information et de transparence. Ce système convient à la quasi-totalité des pays, à l'exception de la Grande-Bretagne, qui voulait profiter de cette réglementation pour étendre la commercialisation des fonds qu'elle gère hors Union européenne, notamment aux Îles Caïman. De fait, dans le cadre de la fiscalité britannique, les fonds ne sont pas fiscalement transparents, mais sont taxés avant que les revenus des investisseurs le soient à leur tour. Aux Caïman, en revanche, les fonds sont fiscalement transparents et les taxes ne portent donc que sur les revenus. La Grande-Bretagne souhaite donc la mise en place du passeport, mais d'un passeport à vil prix. Or, selon moi, si l'Europe ne doit pas être une forteresse, elle ne doit pas être pour autant une passoire.
Ce débat est encore compliqué par la proximité des élections britanniques. Voici une dizaine de jours, M. Gordon Brown et M. Zapatero sont convenus au téléphone que ce sujet ne serait pas abordé durant la réunion du Conseil Ecofin du 16 mars. La question était si politique que le représentant permanent de l'Espagne à Bruxelles n'a appris que le matin même, à sept heures et demie, que le sujet était retiré de l'ordre du jour.
On ne peut donc dire, comme le fait la presse, que la situation serait bloquée. L'Ecofin se saisira à nouveau du sujet en mai ou juin, les discussions se poursuivent au Parlement – où nous voterons d'ailleurs le 27 avril – et les « trilogues », rencontres informelles entre la présidence, la Commission et le Parlement, continuent. En revanche, la date du vote en plénière, prévue pour juillet à Strasbourg, pourrait être différée si le Conseil se mettait d'accord tardivement, afin que nous disposions du temps nécessaire pour négocier et obtenir un accord en première lecture.
Je rappelle que deux doctrines s'opposent en la matière : pour certains, un vote en deuxième lecture permet de peaufiner les textes ; pour d'autres, dont je fais partie, la première lecture vaut mieux, car il ne s'agit plus aujourd'hui de légiférer pour cent ans – nous sommes ainsi revenus deux fois sur Bâle II au cours de la précédente mandature. Dans le cas qui nous intéresse, si l'adoption n'intervient pas en première lecture, la réglementation n'entrera pas en vigueur avant, au mieux, 2016 ou 2017. Est-ce là une réactivité à la mesure des problèmes que pose la finance internationale ? Quand on sait que, pour certaines opérations de trading par logiciel, le propriétaire des titres ne l'est que durant une seconde – pendant laquelle il gagne d'ailleurs encore beaucoup d'argent s'il met en oeuvre un effet de levier –, il faut nous efforcer d'aller le plus vite possible. Du reste, avec les quatre mois nécessaires pour le passage du texte chez les juristes linguistes et les délais de promulgation, la réglementation ne s'appliquerait pas avant la fin de 2011 ou le début de 2012. L'opinion publique ne comprendrait pas que, sur un sujet dont on a tant dit l'importance pour l'économie mondiale, on ne réagisse pas plus vite.
Pour ce qui est des pays tiers, la position du Parlement est un peu plus ouverte que celle des Etats membres et admet que le passeport puisse être accordé aux gestionnaires ou aux fonds qui se trouvent hors de l'Union européenne, sous réserve que les conditions soient clairement posées dans la directive et que s'exerce un véritable contrôle de la réalité de l'équivalence.
Il faut aussi, comme l'a judicieusement suggéré Pascal Canfin, que cette équivalence soit vérifiée périodiquement, afin de s'assurer que les Etats qui l'ont obtenue ne mettent pas en place une législation qui créerait des distorsions de concurrence avec l'Europe.
Le débat est donc important. La majorité des Etats membres, dont la France, ne sont pas très satisfaits de la position du Parlement européen et du compromis que je propose – mais c'est la grandeur et la servitude du député européen que de ne pas toujours faire plaisir à sa ministre. Il est toutefois logique d'admettre que, si la législation est véritablement équivalente, les personnes concernées puissent recevoir un traitement égal.
Quant aux chances de trouver d'ici au 27 avril un accord de compromis assez large au Parlement, chacun comprendra sans doute qu'il vaut mieux avoir une réglementation que de n'en pas avoir. Un compromis est une synthèse qui recueille le maximum de voix. Il ne serait pas convenable d'évoquer l'état des forces en présence alors que la négociation est en cours, mais je puis au moins vous assurer que ceux qui travaillent sur ce dossier le font avec beaucoup d'acharnement et dans un esprit de compréhension et, surtout, en recherchant un intérêt général européen. Cela n'est pas facile car, à la différence de ce qui se produit ordinairement, le lobbying est unilatéral, de telle sorte que le rapporteur demande parfois l'aide des autorités nationales de régulation pour y voir plus clair. Comme vous l'avez peut-être vu dans la presse, le sujet passionne : avec 1 670 amendements déposés, on a établi un record absolu, supérieur aux 1 500 amendements déposés pour la directive REACH.
Je précise enfin que j'ai reçu à ce jour, sur cette question, 142 visites de personnes que j'ai reçues au moins 40 minutes : qu'on ne vienne pas me dire que je n'ai pas écouté !
Je conclurai en me moquant un peu de moi-même : lorsque, durant une conférence de presse organisée la semaine dernière à Londres par les services du Parlement européen, j'ai annoncé que c'était la deuxième fois de ma vie que je venais dans cette ville – la première fois remontant à 1972 – et que je ne parlais pas anglais, le public s'est demandé quel était ce fou à qui étaient confiées des questions européennes aussi importantes. Il est certes préférable d'apprendre l'anglais, et je m'y emploie, mais, à mon âge, ce n'est pas facile.
Le Président Pierre Lequiller. M. Pierre Bourguignon, co-rapporteur avec M. Michel Diefenbacher pour la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, n'a pas pu participer à notre réunion et m'a prié de l'excuser. je passe donc la parole à M. Michel Diefenbacher.
J'ai peu à ajouter à l'excellente présentation du projet de directive que vient de faire M. Gauzès.
Notre Commission, le 15 juillet dernier, avait jugé le texte inacceptable en l'état, et cela pour trois raisons.
D'abord, il ne distingue pas assez clairement les fonds spéculatifs des autres fonds alternatifs. La deuxième raison tient au passeport européen. Enfin, le texte n'est pas assez précis sur les mesures d'exécution et il a semblé dangereux à notre Commission de s'en remettre à la procédure complexe de la comitologie.
Sur le premier point, comme l'a souligné à juste titre M. Gauzès, les fonds alternatifs recouvrent des réalités très différentes. Alors que les fonds de capital-investissement sont des fonds classiques, dont les opérateurs achètent et vendent des opérations financières, réalisant des bénéfices quand le marché est bon et faisant des pertes quand il est mauvais, les fonds spéculatifs sont d'une nature très différente, s'immisçant dans les interstices de la réglementation et prenant des risques afin de réaliser des bénéfices même quand le marché est mauvais. On ne saurait exiger pour autant que les réglementations s'appliquant à ces deux types de fonds soient de nature fondamentalement différente.
Ce qui est en cause, en effet, c'est le risque systémique, à l'existence et à l'importance duquel la réglementation doit être adaptée. Or, d'un point de vue systémique, les fonds spéculatifs ne sont pas plus risqués que les autres. Du reste, ils ne sont pas à l'origine de la crise financière que nous connaissons, même s'ils l'ont peut-être aggravée. Sur ce premier point, donc, notre Commission pourrait être amenée à assouplir sa position.
Avant d'en venir au passeport européen, qui est le point le plus difficile, j'évoquerai la précision insuffisante de la réglementation. Les travaux de la Commission des affaires économiques du Parlement européen permettront de préciser la directive – je sais d'ailleurs que M. Gauzès a lui-même déposé des amendements précisant les conditions de la supervision. L'idée d'intégrer le dispositif des fonds alternatifs dans le dispositif de supervision européenne, relevant à la fois du Comité européen du risque systémique et des trois Autorités, me paraît aller dans le bon sens. Il me semble donc, sous réserve d'un examen plus détaillé, que la préoccupation que nous avons exprimée en juillet dernier est en train d'être prise en compte.
Il reste la question, essentielle, du passeport européen. A titre personnel, je partage l'opinion de M. Gauzès : on ne peut émettre d'objection de principe au passeport européen, qui est dans la logique de l'Union, mais il convient de vérifier à quelles conditions il peut être délivré ; nous ne pouvons accepter un « passeport à vil prix ». Dès lors que la directive soumettrait l'accès à l'ensemble du marché européen à des conditions extrêmement précises, je ne vois pas comment nous pourrions nous opposer au passeport européen. Il nous faudra en discuter avec le ministère de l'économie et des finances.
La maîtrise des marchés financiers exige une politique européenne forte ; il est indispensable que l'on s'oriente vers un dispositif commun. Le compromis proposé par la présidence espagnole va dans le bon sens : il s'agit d'une base de travail tout à fait valable.
Quoi qu'on en dise, et mis à part quelques exceptions, c'est bien le problème de la spéculation que posent les fonds alternatifs.
Au plus profond de la crise, députés et sénateurs avaient constitué un groupe de travail sur la crise financière internationale ; nous avions eu la satisfaction de constater que le G20 avait plus ou moins suivi nos préconisations en la matière. Il convient de faire preuve d'une très grande fermeté à l'égard de toute forme de spéculation ; on ne saurait adopter une position d'attente ou laisser entendre que des assouplissements, voire des reculs pourraient être obtenus.
Hier, une dépêche de Reuters résumait l'intervention du directeur général du FMI devant le Parlement roumain en ces termes : « La volonté de réguler le système financier s'estompe, dit le FMI ». L'article indiquait que, comme les choses semblent s'arranger, la volonté régulatrice affirmée pendant un an et demi faiblit ; on estime que des assouplissements sont possibles et que l'industrie financière a aussi son rôle à jouer.
Dans ce contexte, il convient d'éviter tout laxisme. C'est dans cet esprit que la Commission des affaires européennes du Sénat a examiné, il y a quelques jours, la présente proposition de directive. Elle a noté la volonté de la France, de l'Allemagne et de plusieurs autres pays de respecter les engagements du G20, contrairement au Royaume-Uni, qui cherche, au-delà des enjeux électoraux immédiats, à défendre son industrie financière : 80 % des fonds alternatifs sont gérés par des acteurs financiers de la sphère londonienne. Cette position de fermeté nous semble tout à fait satisfaisante, et nous avons de la peine à comprendre que l'on autorise des aménagements, en particulier en ce qui concerne l'équivalence ou la supervision. Il serait dangereux de faire trop de concessions par rapport aux engagements solennels pris dans le cadre du G20. Veillons à ce que le texte proposé soit conforme à nos exigences d'éthique et de préservation des équilibres.
Tout d'abord, je voudrais remercier M. Gauzès pour le travail qu'il effectue au Parlement européen.
Nous sommes en première ligne dans une bataille extrêmement rude, avec des enjeux d'influence considérables. Je saisis cette occasion pour exprimer ma tristesse que la France ait été le seul grand pays à n'envoyer aucun participant à la réunion entre eurodéputés et parlementaires des Etats membres, organisée il y a dix jours à Bruxelles, et à laquelle étaient invités Mario Draghi, président du Financial Stability Board, et Dominique Strauss-Kahn, directeur général du FMI. J'avais pourtant pris la peine de saisir préalablement M. Jean Arthuis et M. Didier Migaud.
Le Président Pierre Lequiller. Qui était invité ?
Les membres des commissions des affaires économiques et des commissions des finances. La présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires, qui est de nationalité britannique, n'a pas manqué de souligner l'absence des parlementaires français. Il faudrait que vous veniez plus souvent à Bruxelles, ce n'est qu'à une heure de train !
Il ne s'agit pas de donner des leçons, mais de faire en sorte que, lorsqu'on rassemble tous les parlements nationaux, la France soit représentée. Il s'agit d'un enjeu d'influence.
S'agissant du risque systémique, plus on étudie la question, plus on se rend compte que l'on ignore ce qui, à l'avenir, sera systémique. Une conjonction d'interventions d'acteurs relativement petits peut, en raison d'une concentration sur certains segments de marché, avoir des conséquences systémiques. Il convient de garder ce point à l'esprit.
Mme Elisabeth Guigou et moi-même avions traité ces questions dans le rapport que nous avions présenté devant la Commission des affaires européennes. Nous partageons vos conclusions sur la nécessité de distinguer les fonds de capital investissement (private equity) et les fonds spéculatifs proprement dits. En revanche, s'agissant des hedge funds, il convient de savoir quelle priorité on se donne. S'il s'agit de trouver un équilibre entre les places financières européennes, on peut effectivement s'orienter vers une solution de compromis entre Britanniques, Français et Allemands. Toutefois, nous avions montré dans notre rapport que les hedge funds ne sont pas seulement des instruments de placement financier en dehors des normes, mais aussi des outils de spéculation. Cela n'est pas apparu durant la crise financière car les hedge funds en ont été plutôt victimes ; en revanche, ils sont directement impliqués dans la crise grecque. Il importe d'éviter que ces fonds ne continuent à jouer un rôle spéculatif.
Peut-être est-on sur le point d'aboutir à un accord sur le contrôle des gestionnaires, mais il faudrait aussi contrôler les fonds, ce qui ne semble pas d'actualité. Or, que deviennent la notion d'équivalence et les possibilités de contrôle sachant qu'il existe quelque 18 000 fonds aux îles Caïman ?
Par ailleurs, il faudrait que les gestionnaires soient soumis à des règles extrêmement strictes, ce que les Britanniques ne sont manifestement pas prêts à accepter, car l'activité de la place financière londonienne est en cause.
Enfin, le règlement du problème passe aussi par la refonte de la directive sur les marchés d'instruments financiers (MIF), dans la mesure où les opérations sur les dérivés de crédits (CDS), qui s'effectuent de manière totalement occulte, représentent aujourd'hui presque la moitié des transactions. Il importe d'avancer très vite sur ce dossier, afin de prévoir des chambres de compensation et, éventuellement, la possibilité de suspendre les transactions sur ces dérivés.
Les dérivés de crédits, la refonte de la directive MIF et les problèmes de ventes à découvert sont actuellement étudiés par la Commission européenne. Ces travaux aboutiront dans quelques mois ; le commissaire Barnier s'en occupe activement.
Pour ce qui est de la vente à découvert, j'ai proposé d'adopter des règles strictes afin d'éviter la vente à découvert à nu (naked short selling).
Quid de la Suisse ? La directive lui sera-t-elle appliquée au titre de l'acquis communautaire ou tirera-t-elle partie d'une exception ? D'après ce que nous avons pu observer lundi, dans le cadre d'une mission transfrontalière, le système financier suisse se porte particulièrement bien…
J'interviens en tant que shadow rapporteur des Verts sur cette directive.
Je précise tout d'abord à Daniel Garrigue que, parmi les propositions de compromis présentées par Jean-Paul Gauzès au Parlement européen, figure la nécessité que le rapport d'équivalence porte sur les fonds et sur les gestionnaires, donc éventuellement sur deux pays différents.
S'agissant du principe d'équivalence, un choix politique s'impose. Aujourd'hui, le passeport européen n'a pas d'existence institutionnelle ; pourtant, le marché européen des hedge funds existe de fait puisque, comme le soulignait M. Marc, 80 % des gestionnaires de fonds exercent à la City – même s'ils collectent de l'argent dans l'ensemble de l'Europe.
Le marché européen se construit donc sur les normes anglaises. La question est de savoir si ce que l'on gagnera avec un marché européen davantage régulé que le marché anglais sera supérieur à ce que l'on perdra par rapport au niveau de protection et de régulation assuré par le droit français actuel. Il faut pour cela que le passeport européen soit suffisamment ambitieux dans son contenu.
Cette décision politique dépendra en grande partie de la position française, dans la mesure où il est plus ou moins acquis que l'Allemagne la suivra : la France a pris le commandement d'une forme d'alliance contre la position britannique. C'est donc en grande partie à Bercy et à la Représentation permanente française que le texte se jouera. Un compromis tend à se dégager au Parlement européen en faveur d'un passeport, non au rabais, mais exigeant quant aux conditions d'acquisition.
S'agissant des leveraged buy-out (LBO), vous connaissez sans doute, dans toutes vos circonscriptions, des exemples d'entreprises rachetées par des fonds d'investissement puis « dépecées » – bien que la totalité des fonds de private equity ne soient pas des adeptes de ces pratiques. L'un des enjeux de la directive est de plafonner le taux d'endettement des fonds d'investissement lorsqu'ils rachètent des PME, afin qu'ils apportent réellement du capital, et non de la dette.
Là est précisément le débat. Je vous invite à y prendre part, car la décision européenne s'imposera à la France.
Il faut impérativement aboutir à une réglementation unique en Europe sur ce point, car nous courons un risque existentiel.
La situation actuelle résulte déjà d'un compromis négocié avec les Britanniques. Il ne faudrait pas que, de compromis en compromis, on en vienne à renoncer à une réglementation digne de ce nom ! Admettons que certains fonds d'investissement continuent à faire de la spéculation, sans aucun lien avec l'économie réelle.
Il faut utiliser le débat sur cette proposition de directive pour évoquer la question fondamentale du niveau d'endettement : en retenant un taux de 50 %, on éliminera une grande partie des fonds qui dépècent les entreprises ; il serait bon d'en profiter pour imposer une réglementation sur les banques, visant à augmenter le ratio de fonds propres exigé.
Personnellement, je soutiens la position de Mme Lagarde. Si la France reste ferme, il n'y a aucune raison que nous échouions à agréger un plus grand nombre de pays autour de nous. Il ne faudrait pas se satisfaire de trop peu au prétexte que cela vaudrait mieux que rien du tout.
Parler de réciprocité lorsque 80 % des fonds spéculatifs sont domiciliés aux îles Caïman n'a aucun sens ; revenons aux « fondamentaux » et saisissons le Parlement européen des problèmes politiques majeurs, sous peine d'être débordé par l'hyperréalisme et par les intérêts de la City de Londres.
Madame Guigou, je vous confirme que je suis partisan de la régulation ; cela étant, l'Union européenne comprend 27 Etats membres, qui n'ont pas nécessairement la même position.
Vous avez raison, le débat sur cette proposition de directive est l'occasion de poser la question de l'économie réelle, voire celle de l'intérêt économique européen général. Comme je l'ai dit à Londres, si l'on perdait 1 000 ou 2 000 emplois de spéculateurs, je n'irais pas me confesser durant la semaine sainte !
Je suis d'accord avec vous : il faut plusieurs lieux pour contrôler l'effet de levier. Le principal, ce sont les banques. La question des fonds propres ne sera pas abordée dans cette directive, mais dans la nouvelle mouture de la directive « CRD » ; j'ai cependant introduit un considérant visant à rappeler que les prime brokers ou les banquiers qui apportaient des financements avaient, au regard des règles qui s'appliquent à eux, un contrôle à effectuer.
Il est compliqué de fixer un taux d'endettement maximal, et cela peut avoir pour conséquence d'obliger une entreprise à s'endetter, ce qui n'est pas souhaitable. Il est préférable de donner des bases juridiques au superviseur, afin que son intervention soit possible : d'abord, de manière à connaître la politique suivie ; ensuite, pour contrôler que ce qui est fait correspond bien à ce qui a été annoncé ; enfin, pour prendre des mesures ponctuelles s'il s'aperçoit que la méthode utilisée est dangereuse. Au vu des informations dont nous disposons sur les pratiques en matière d'effet de levier, il faudra que l'Autorité de supervision européenne puisse émettre des interdictions avant que les circonstances ne deviennent exceptionnelles, chaque fois que la stabilité financière sera menacée ; si l'on attend, ce sera trop tard. Voilà l'arsenal que je souhaite mettre en place.
Pour le reste, j'ai pris bonne note de vos remarques et de vos propositions, qui sont proches de celles qui ressortent des compromis. Il est bien entendu essentiel de bien maîtriser le passeport européen. L'Europe ne doit pas être une forteresse, car ce serait contraire à l'idée que nous nous faisons du commerce, mais elle ne doit pas être non plus une passoire. Il faut faire en sorte que les règles édictées ne puissent pas être contournées facilement. Or, étant juriste, je sais que les financiers sont très créatifs et que, si l'on met en place une réglementation tatillonne, elle sera à coup sûr contournée. La directive devra donc donner au superviseur, qu'il soit national ou européen, des bases juridiques solides afin qu'il puisse intervenir chaque fois qu'il pressentira un risque. De ce point de vue, le Comité européen du risque systémique pourra transmettre des informations utiles.
Le Président Pierre Lequiller. Mesdames et messieurs, je vous remercie de votre participation à ce débat.
La prochaine réunion conjointe aura lieu le 26 mai au Sénat. L'ordre du jour comprendra, d'une part, le sujet paquet « Télécom » et agenda numérique, qui sera introduit par Mme Catherine Trautmann, et, d'autre part, le service européen d'action extérieure, projet sur lequel travaillent nos collègues Yves Bur et Elisabeth Guigou.
Il serait dommage que, lors de nos réunions conjointes, nous ne fassions qu'examiner des projets de directives et que nous ne consacrions pas au moins un quart d'heure aux grands problèmes d'actualité et aux perspectives d'avenir. Il se trouve que le projet dont nous étions saisis aujourd'hui était particulièrement important, mais ce ne sera peut-être pas toujours le cas. Quoi qu'il en soit, il eût été utile d'avoir quelques échanges sur la Grèce et sur le dernier Conseil européen. Nos présidents peuvent-ils réfléchir à cette possibilité ?
Pourrait-on inscrire à l'ordre du jour de la prochaine réunion le maintien du siège du Parlement européen à Strasbourg ? Les menaces sont anciennes, puisque j'en ai entendu parler pour la première fois en 1986, à la Commission des affaires étrangères, mais la situation semble s'être dégradée. Peut-être les mesures nécessaires n'ont-elles pas été prises ?
Le Président Pierre Lequiller. Monsieur Pierre Bernard-Reymond, après concertation avec le président Bizet, nous sommes tout à fait prêts à vous donner satisfaction. Je rappelle que, lors de notre dernière réunion, nous avions organisé un débat général, et les participants m'avaient demandé d'entrer dans le concret à travers des projets législatifs. Néanmoins, ces deux aspects sont nécessaires. Les échanges généraux ne devront donc pas durer trop longtemps, si l'on veut avoir le temps d'examiner les deux thèmes inscrits à l'ordre du jour.
Quant au maintien du siège du Parlement à Strasbourg, nous l'évoquerons une autre fois, car l'ordre du jour de la réunion du 26 mai est déjà très chargé.
Le Président Jean Bizet. S'agissant du texte examiné aujourd'hui, je me réjouis que les choses aient avancé autant –nous savons tous l'engagement de M. Jean-Paul Gauzès sur le sujet. J'ai noté avec intérêt que le vote en commission aura lieu le 27 avril et celui en première lecture au mois de juillet, de manière à ce que les décisions puissent être mises en oeuvre courant 2011.
Je voudrais rappeler, à la suite de notre collègue François Marc et dans la continuité du rapport qu'il avait rendu, la fermeté de la Commission des affaires économiques du Sénat. L'équivalence et le passeport européen posent un problème particulier : l'Union européenne doit être ouverte, sans être pour autant une passoire. Cela étant, le travail de Mme Lagarde doit rester cohérent avec les engagements pris par le G8 et du G20. Il existe une forte attente sociétale, s'agissant de la maîtrise européenne du système financier. Je souhaite que nous démentions les propos du directeur du FMI, et que l'Europe se dote d'une législation ferme en ce domaine.
Nous nous opposerons sans doute sur ce point à nos amis anglo-saxons, mais la fermeté doit l'emporter. On ne se relèverait pas d'une nouvelle secousse financière.
Je vous remercie et vous donne rendez-vous au Sénat le 26 mai.
La séance est levée à dix-sept heures quarante-cinq.