COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mardi 30 mars 2010
Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission
La séance est ouverte à dix-sept heures trente.
Le Président Pierre Lequiller. Merci, monsieur le secrétaire d'Etat, de vous présenter de nouveau devant notre Commission pour évoquer le Conseil européen de la semaine dernière et la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement des pays membres de la zone euro qui l'a précédé.
Ma première question concerne la crise grecque. Pouvez-vous revenir sur le contenu de l'accord auquel est finalement parvenu l'eurogroupe ? Que pouvez-vous nous dire sur la réaction des marchés et sur la situation des autres pays de la zone euro ?
Cette crise est révélatrice du manque de gouvernance économique de l'Union européenne. L'Allemagne semble se rallier à l'idée de la renforcer, comme le demande depuis longtemps la France. Où en est-on du point de vue du contenu ? Le Conseil a demandé qu'un groupe de travail commun à la Commission européenne, à la BCE et à la présidence tournante de l'Union soit réuni autour de M. van Rompuy, ce qui me paraît une avancée importante. Quelle est la feuille de route prévue ? Nos collègues Michel Herbillon et Christophe Caresche préparent, de leur côté, un rapport sur cette question.
Le Conseil européen s'est prononcé sur la stratégie Europe 2020, destinée à traduire les objectifs de l'Union en matière économique et sociale. Où en sont les débats et quel est le calendrier retenu ?
Où en est, par ailleurs, la constitution du service européen d'action extérieure, sujet sur lequel travaillent nos collègues Yves Bur et Elisabeth Guigou ? Nous savons qu'il y a aujourd'hui une lutte d'influence très dure entre le Parlement européen, les Etats membres et la Commission. Du point de vue français, quels sont les points d'accord et de désaccord et quelles sont les positions des autres pays ?
J'aimerais également revenir sur la question de l'assemblée de l'UEO, institution qui n'a plus de raison d'être dans le contexte actuel. Nous avons déjà abordé ce sujet en Commission et nous allons réfléchir, avec les Présidents Guy Teissier et Axel Poniatowski, à la façon dont nous pouvons nous organiser pour continuer à faire entendre notre voix. Les parlements nationaux ont en effet un rôle important à jouer dans ce domaine. Je crois savoir que le Président de l'Assemblée nationale vous a écrit à ce sujet.
J'en viens à la politique agricole commune. Le Président de la République a déclaré que notre pays était prêt, s'il le fallait, à déclencher une crise européenne pour défendre l'avenir de cette politique commune. Quel est aujourd'hui l'état des forces au plan européen dans ce domaine vital pour notre pays et pour l'Europe ?
Avant de vous céder la parole, monsieur le secrétaire d'Etat, je voudrais saluer M. Jean-Pierre Audy, député européen, qui nous fait l'amitié d'assister à cette réunion. Je rappelle aussi qu'une deuxième réunion commune avec les députés européens français et nos collègues du Sénat aura lieu demain. Les députés de la majorité étant invités à l'Elysée à 18 heures, nous nous concentrerons sur le premier point de l'ordre du jour, à savoir les hedge funds et la régulation financière.
Je suis très heureux d'être ici pour ce « menu » énorme.
Je voudrais saluer à mon tour M. Jean-Pierre Audy. Vous savez que nous travaillons à la constitution d'une véritable « équipe de France en Europe » en essayant de regrouper les députés nationaux, les sénateurs et les députés européens français de tous bords. Pour reprendre un terme à la mode, nous avons affaire à une « coproduction législative » complexe qui associe le Parlement européen, les Etats membres, la Commission et les parlements nationaux ; nous devons, en outre, veiller sans relâche à la bonne application du principe de subsidiarité, comme nous venons encore de le constater en matière de chasse.
La situation n'est pas simple en ce qui concerne la PAC. Malgré tous les efforts de mon collègue Bruno Le Maire, une demi-douzaine de pays ne veut plus de cette politique commune au-delà de 2013, considérant que l'Union ferait mieux de réaliser d'autres dépenses. Or, l'agriculture est un enjeu stratégique pour notre industrie agro-alimentaire, pour les relations entre l'Europe et les autres pôles économiques mondiaux, comme pour la France.
Il faut relativiser l'idée que notre pays serait ultra-bénéficiaire de la PAC : nous sommes, dans les mêmes proportions que l'Allemagne, le principal contributeur net au budget de l'Union – pour un montant de cinq milliards d'euros par an. Malgré les « retours » dont nous bénéficions grâce à la PAC, nous sommes donc déficitaires. Il faut s'en souvenir au moment où débutent les discussions sur les perspectives financières, qui vont définir le budget européen après 2013 et, en particulier, la part revenant à l'agriculture en son sein.
Certains Etats refusaient, lundi dernier, que la PAC figure parmi les politiques communes visées par l'agenda 2020. Le Président de la République a fait savoir qu'il était prêt à aller jusqu'à une crise européenne si l'agriculture n'était pas incluse parmi les objectifs de l'Union, ce qui a permis de débloquer la situation – mais j'y reviendrai.
Il faut être conscient que le climat a changé en matière d'agriculture. Il va falloir que nous menions un débat de fond, en gardant à l'esprit la dimension internationale de la question. Il ne faudrait pas oublier que les Etats-Unis, l'autre grande puissance agricole mondiale, subventionnent ce secteur.
Je suis, pour ma part, assez serein, car on ne peut plus prétendre que l'Union abonde les finances de la République française et qu'elle finance notre agriculture. Cela étant, l'accroissement des missions de l'Union – je pense, par exemple, au nouveau service européen pour l'action extérieure, à la défense et à la sécurité commune, ou encore aux stratégies de recherche et de développement – imposera de faire des choix.
Certains, y compris des députés européens français, vont jusqu'à proposer de lever un impôt au plan européen, alors que le budget de l'Union est jusqu'à présent financé par des contributions votées par les parlements nationaux. Nous devrons débattre de tous ces sujets et veiller à écouter les parlementaires de tous bords. Je suis heureux que cette réunion en soit l'occasion et je salue, au passage, Mme Constance Le Grip, députée européenne, qui vient de nous rejoindre.
Avec la fin de l'UEO, va disparaître un grand vaisseau fantôme qui hante le paysage politique depuis 52 ans. Je rappelle que le traité de Bruxelles, signé en 1948 par la France, le Royaume-Uni et le Benelux, était initialement dirigé contre l'Union soviétique, mais aussi contre l'Allemagne. Il a très vite été enterré avec l'adoption de la résolution Vandenberg, puis avec la création de l'Alliance atlantique en 1949, et il est définitivement mort avec le réarmement de l'Allemagne, qui a eu lieu dans le cadre de l'OTAN après l'échec de la CED. La clause de sécurité collective de l'UEO a, par la suite, été reprise dans le traité de Lisbonne.
Les exécutifs des dix pays membres de l'UEO vont dénoncer, dans deux jours, le traité de Bruxelles. La dissolution de l'UEO sera effective dans un an, ce qui nous laissera le temps de solder les comptes et de régler les questions immobilières et les questions de personnel. Le secrétariat de l'UEO, installé à Bruxelles, compte aujourd'hui 8 personnes, dont 4 Français ; le greffe de l'Assemblée parlementaire, qui se trouve à Paris, emploie 38 personnes, dont 20 Français ; les autres services administratifs, eux aussi abrités au sein du Palais de Chaillot, sont composés de 8 agents, dont 6 Français.
L'institut d'études de sécurité de l'UEO ayant déjà été transféré à l'Union européenne, reste la question de l'assemblée de l'UEO, qui a été élargie à d'autres pays tels que la Turquie et la Russie, et se compose aujourd'hui de 400 membres. La France y est représentée par 18 parlementaires – députés et sénateurs – et par leurs suppléants. Etant très sensible au rôle joué par les parlementaires, j'ai organisé une réunion ouverte à tous les groupes au Quai d'Orsay. Vos collègues du Sénat n'ont pas pu s'y joindre, mais j'ai veillé à tenir informé le président du Sénat ainsi que les présidents des commissions de la Haute assemblée.
Certains souhaiteraient préserver l'assemblée parlementaire actuelle, mais cette idée me semble difficile à réaliser sans l'UEO, c'est-à-dire sans base légale. J'ajoute qu'il existe déjà de nombreuses assemblées parlementaires au plan européen, en plus des assemblées nationales – celle de l'OSCE, celle du Conseil européen, celle de l'OTAN, ainsi que le Parlement européen, ce qui fait déjà beaucoup. Et je n'évoque même pas les diverses amicales interparlementaires.
Les parlementaires nationaux pourront continuer leur travail sur la politique extérieure et de sécurité commune – en cours d'émergence – dans le cadre de la COSAC, organe de consultation et de coordination des parlements nationaux. J'ai proposé aux présidents des deux assemblées que les représentants de la France et leurs suppléants soient affectés à la COSAC, mais la question relève naturellement de l'appréciation souveraine des deux chambres. J'observerai seulement qu'un consensus se dessine au sein de l'Union en faveur de cette solution.
J'en viens à la constitution du service européen pour l'action extérieure. La situation évolue peu à peu selon un jeu bureaucratique dont on aurait pu se passer, mais qui ne me surprend pas. Il s'agit en effet de créer un statut sui generis pour un service qui ne relèvera ni de la Commission ni des Etats membres, mais qui mêlera des contributions apportées par la Commission, le Conseil et les Etats membres. Certains font semblant de mal comprendre la situation pour essayer de mettre la main sur ce nouvel outil, comme certaines nominations d'ambassadeurs de l'Union l'ont montré. Il existe également une tentation de communautariser la future politique étrangère de l'Union en s'appuyant sur le contrôle budgétaire qui commence à porter, au sein du Parlement européen, sur certaines activités relevant de la politique étrangère.
Nous serons extrêmement vigilants à ce que les anciennes représentations de la Commission ne se transforment pas en ambassades de l'Union européenne sans discussion sur les postes, et nous prêtons la plus grande attention à la question du mode de nomination des ambassadeurs. Vous savez que j'ai protesté auprès de Mme Ashton après la nomination d'un haut fonctionnaire de la Commission à Washington. J'ajoute que tous les Etats membres doivent être représentés, y compris les « petits » pays qui apporteront leur contribution au futur service diplomatique. Ce dernier ne doit pas être le pré carré de la Commission, ni celui de certains grands Etats. Il faut également éviter que le Parlement ne développe une compétence exclusive sur la politique extérieure de l'Union, car ce serait contraire à l'esprit du traité.
Je rappelle, en outre, que le représentant de l'Union dans le monde est le président du Conseil européen, M. van Rompuy. Il est assisté par Mme Ashton, la Haute représentante de l'Union européenne, qui est en quelque sorte sa ministre des affaires étrangères. Mme Ashton préside le Conseil des affaires étrangères chargé de représenter les Etats membres, tout en étant la vice-présidente de la Commission. A ce titre, elle a pour mission de coordonner l'ensemble de l'action extérieure de l'Union, en particulier l'aide au développement, la politique commerciale et la politique d'aide d'urgence.
Il ne revient ni à la Commission ni au Parlement européen de prendre le contrôle de la politique étrangère de l'Union. Comme j'ai eu l'occasion de le rappeler à certains parlementaires européens, notamment Elmar Brok, qui est très actif sur toutes ces questions, il faut s'attendre à une vive réaction des parlements nationaux dans cette hypothèse. Ce n'est pas au Parlement européen de décider l'emploi de moyens militaires ou d'adopter des mesures politiques telles que des sanctions. Ces compétences relèvent de la responsabilité des chefs d'Etat et de gouvernement réunis au sein du Conseil européen.
Cela étant, il faut développer la coordination entre les décisions politiques adoptées par les Etats, et les moyens, notamment financiers, dont dispose la Commission. Sur ce point, je rappelle que 20 % des crédits dépensés au nom de l'Union proviennent de la France. Nous devons éviter des situations semblables à celle que j'ai pu constater l'an dernier en Afghanistan et au Pakistan, à savoir une dissociation entre les politiques menées par les Etats et le pilotage de l'aide financière de la Commission. Nous devons bâtir un ensemble cohérent tout en veillant à ce que chacun reste à sa place.
L'organigramme du futur service diplomatique, qui repose en grande partie sur des propositions françaises, est un point d'accrochage. Le débat porte en particulier sur l'intégration des aspects politico-militaires, qui relevaient jusqu'à présent de la compétence exclusive du Conseil, et sur le rôle du secrétaire général, destiné à jouer un rôle de pivot auprès du Haut représentant. Le fait que nous ayons présenté un candidat à ce poste ne plaît pas à tout le monde, certains s'imaginant que la France tente de prendre en mains le service diplomatique de l'Union.
L'accouchement est long et difficile, mais cela n'a malheureusement rien de surprenant. Un véritable changement culturel s'impose en effet : les structures actuelles représentaient la Commission. Nous devons aussi organiser des passerelles entre les services diplomatiques des Etats et le nouveau service de l'Union, ce qui est assez complexe. De notre côté, nous sommes en train de préparer les nominations aux postes que nous avons obtenus. Si vous le souhaitez, je pourrai revenir devant vous pour évoquer plus en détail ce sujet, quitte à procéder à huis clos sur d'éventuels points sensibles.
L'essentiel est de donner un relais aux 500 millions de citoyens européens et de mieux coordonner les actions des Etats membres et les différents aspects des politiques menées par l'Union européenne. Je pense notamment à l'aide d'urgence, aujourd'hui très substantielle mais peu visible. J'encourage la commissaire bulgare en charge de cette politique à mettre en oeuvre les propositions faites par Michel Barnier dès 2003. Des réunions ont eu lieu autour de la Haute représentante et nous commençons à avancer. J'espère que nous aurons élaboré un statut et un premier schéma organisationnel pour une force d'urgence européenne d'ici à l'été.
J'en viens aux problèmes d'ordre monétaire, qui n'étaient pas à l'ordre du jour du Conseil européen des 25 et 26 mars, mais qui ont été évoqués lors de la réunion des pays de l'eurogroupe.
Après avoir connu une explosion de son déficit budgétaire et de sa dette publique, la Grèce a subi, au début de l'année 2010, des attaques spéculatives sur les cours de ses obligations souveraines et sur les prix de l'assurance contre le défaut de paiement. Dans cette affaire, les marchés financiers ont joué un rôle malsain, favorisé par le fonctionnement opaque du marché des produits dérivés, par l'absence totale de régulation de ce secteur et par le comportement prédateur de certains opérateurs, notamment les hedge funds.
Le Gouvernement grec a pris des engagements très forts en matière d'austérité budgétaire, prévoyant notamment une réduction de quatre points de la dette publique. Ces engagements ont convaincu les marchés. Je rappelle, en outre, que les autorités grecques sont toujours parvenues à se refinancer directement – elles l'ont encore fait hier pour un montant de 5 milliards d'euros – sans jamais demander d'argent à leurs partenaires européens dans le cadre de leur stratégie de sortie de crise.
En réponse aux engagements du Gouvernement grec, l'Union européenne a immédiatement pris ses responsabilités politiques.
Le Conseil européen extraordinaire du 11 février dernier – le premier présidé par Herman van Rompuy – a adopté une déclaration politique des chefs d'Etat et de Gouvernement affirmant que tous les membres de la zone euro ont une responsabilité partagée pour la stabilité économique et financière dans la zone, soutenant l'engagement pris par le Gouvernement grec de réduire le déficit budgétaire de quatre points du PIB en 2010, et demandant à la Commission de suivre la mise en oeuvre de cette décision, en liaison avec la Banque centrale européenne et avec l'aide technique du FMI. Le conseil Ecofin du 16 mars a confirmé cette position.
Le sujet a été de nouveau abordé lors du Conseil européen des 25 et 26 mars, qui a débouché sur l'adoption d'une nouvelle déclaration. Celle-ci rappelle tout d'abord que les membres de la zone euro doivent mener des politiques nationales saines, conformes aux règles agréées, et qu'ils ont une responsabilité partagée pour la stabilité économique et financière dans la zone ; elle réaffirme le soutien des chefs d'Etat et de Gouvernement aux efforts du Gouvernement grec et souligne le caractère subsidiaire du mécanisme de soutien retenu, dans la mesure où la Grèce n'a demandé aucune aide financière.
Le texte décrit ensuite avec précision ce mécanisme de soutien. Il s'agit de prêts bilatéraux consentis par les Etats membres de la zone euro, susceptibles d'intervenir dans le cadre d'un accord comprenant une implication financière substantielle du FMI et une majorité de financement européen. Ce mécanisme ne peut être utilisé qu'en dernier recours ; les prêts bilatéraux seront décidés par les Etats membres de la zone euro à l'unanimité, les participations étant attendues au prorata de leur part au capital de la BCE ; enfin, ces prêts ne pourront en aucune façon être assimilés à des subventions et viseront à une tarification adéquate du risque pris.
La déclaration comporte enfin un appel décisif au renforcement de la gouvernance européenne. Elle reconnaît explicitement que « le Conseil européen doit renforcer le gouvernement économique de l'Union européenne » et précise que « la surveillance des risques économiques et budgétaires et les instruments de leur prévention, y compris la procédure pour déficit public excessif, doivent être renforcés » ; dans Le Monde de ce soir, le commissaire européen chargé des affaires économiques et monétaires, Olli Rehn, reprend d'ailleurs l'idée d'Edouard Balladur selon laquelle, à terme, un contrôle des politiques budgétaires nationales serait nécessaire.
Dans ce cadre, le président van Rompuy a été invité à constituer un groupe de travail avec les Etats membres, la présidence tournante et la BCE, afin de présenter d'ici à la fin de l'année les mesures nécessaires. Le Président de la République a annoncé une contribution franco-allemande aux travaux de ce groupe et la Commission proposera d'ici à juin 2010 des mesures visant à renforcer la coordination entre les membres de la zone euro, en faisant usage des nouvelles perspectives ouvertes par l'article 136 du traité de Lisbonne.
Il s'agit d'un exercice difficile, dans la mesure où les marges de manoeuvres sont étroites entre, d'un côté, la clause de non-renflouement et, de l'autre, la nécessité d'une discipline budgétaire. Alors que, jusqu'à présent, on consentait nationalement à cette discipline, on s'oriente progressivement vers un contrôle collectif de la gestion des finances publiques – ce qu'implique, à terme, l'existence de la zone euro. Le processus est cependant lent à se mettre en place, les Etats membres ayant des politiques fiscales et sociales, et des histoires différentes.
A ce stade, je tirerai cinq conclusions de la crise grecque.
Premièrement, force est de constater que certains acteurs éprouvent un véritable sentiment d'impunité. Alors que l'on a connu en 2007 et 2008 la plus grave crise financière depuis 1929, on peut s'étonner que certains établissements, dont plusieurs n'ont dû leur survie qu'à l'intervention coordonnée des pouvoirs publics, se trouvent en position de spéculer contre des Etats souverains et contre une monnaie, l'euro, qui est un modèle de stabilité monétaire. La crise grecque illustre de ce point de vue la nécessité pour les Européens de se doter rapidement d'une réglementation efficace des dérivés de crédit (CDS) ; les chefs d'Etat et de Gouvernement de la France, de l'Allemagne, du Luxembourg et de la Grèce l'ont demandé dans une lettre commune adressée le 11 mars au président de la Commission et cette proposition est incluse dans l'« Agenda franco-allemand 2020 » adopté par le conseil des ministres franco-allemand du 4 février dernier. Devant l'ampleur de la crise, le président de la Commission a annoncé qu'il examinerait la possibilité d'interdire, dans le cadre de la future législation, les opérations spéculatives portant sur des CDS sur dette souveraine. Pour l'heure, les spéculateurs se trouvent dans une situation d'impunité et n'ont aucun intérêt à arrêter leurs agissements. Hier, le Président de la République a demandé une nouvelle fois aux Etats-Unis de mettre en place une régulation, qui ne saurait être efficace que si elle est globale. M. Sarkozy compte utiliser sa présidence du G8 et du G20 pour faire progresser cette idée.
Deuxièmement, la crise grecque rappelle la nécessité, pour tout Etat membre de la zone euro, de respecter les règles du Pacte de stabilité et de croissance ainsi que la discipline budgétaire. La France s'y est engagée, parallèlement à l'Allemagne. Il ne peut y avoir de droits sans devoirs.
Troisièmement, le « gouvernement économique » européen est en train d'émerger. Le Président de la République a clairement indiqué qu'il devra être assuré par le Conseil européen, et qu'il bénéficiera de l'impulsion de la France et de l'Allemagne.
Quatrièmement, la crise grecque montre l'importance de rétablir la confiance dans les statistiques publiques des Etats membres et de renforcer les contrôles sur les données fournies – notamment ceux des parlements nationaux et celui du Parlement européen.
Cinquièmement, l'accord trouvé sur le mécanisme de soutien est, quoi qu'on en dise, la preuve de la force et de la vitalité des relations franco-allemandes. Le Président de la République et la Chancelière se sont longuement entretenus dans l'après-midi du 25 mars afin de parvenir à un texte commun, sur la base duquel l'accord a été, dans un second temps, étendu à l'ensemble des Etats membres de la zone euro.
S'agissant de la stratégie « Europe 2020 », la grande nouveauté par rapport à la stratégie de Lisbonne, c'est l'approche « from top to bottom », du haut vers le bas. Grâce à l'émergence de cette nouvelle institution qu'est le Conseil européen, les chefs d'Etat et de Gouvernement se sont approprié les objectifs de sortie de crise. Ceux-ci sont politiquement fondamentaux. Nous avons connu la crise la plus grave depuis huit décennies ; et si les résultats de la France sont moins mauvais que ceux de ses voisins – elle devrait renouer avec une croissance de 1,4 % après une dépression de 2 %, moitié moins forte qu'en Allemagne –, il convient de les comparer avec ceux de la Chine et de l'Inde, dont la croissance atteint respectivement 10 % et 7 %. Il est donc impératif que les Européens conçoivent ensemble une stratégie de sortie de crise.
Cette stratégie se trouve désormais entre les mains des responsables politiques, au plus haut niveau, et non plus entre celles de la technostructure bruxelloise. Le Conseil des affaires générales – où j'ai l'honneur de représenter notre pays – jouera en la matière un rôle décisif, dans la mesure où le traité de Lisbonne lui a confié la mission de coordonner les travaux des différentes formations du Conseil européen, de préparer ses réunions et d'en assurer le suivi. Par ailleurs, suivant la volonté d'Herman van Rompuy, chaque Conseil sera désormais dévolu à un thème particulier ; à l'automne prochain, un Conseil sera ainsi consacré aux politiques européennes de recherche et d'innovation.
Sur le fond, la Commission a rendu publique le 3 mars dernier une communication sur la stratégie « Europe 2020 », qui a été examinée par le Conseil des affaires générales du 22 mars, puis par le Conseil européen.
Cette communication retient cinq objectifs chiffrés, en matière d'emploi, de recherchedéveloppement, de climat, d'enseignement supérieur et de réduction de la pauvreté. Globalement, ces objectifs sont conformes à ce que nous souhaitions. Toutefois, des désaccords subsistent, entre les Etats membres – par exemple, la définition du seuil de pauvreté ne fait pas l'unanimité –, ainsi qu'entre les Etats et la Commission : l'éducation n'est pas directement de la compétence de l'Union et certains objectifs relèvent, dans plusieurs Etats membres, des collectivités territoriales ou, en Allemagne, des länder. Les négociations ne font que commencer.
Par ailleurs, la Commission n'a pas, à ce stade, proposé d'objectifs relatifs à la compétitivité mondiale de l'Union. Or, l'agenda « Europe 2020 » ne peut pas se limiter au marché intérieur : il doit aussi envisager les relations avec les autres grands blocs économiques mondiaux.
La France souhaite que l'Union européenne ait une vision sans naïveté des relations économiques internationales, qu'elle soit capable de préparer une régulation financière et qu'elle se montre vigilante sur l'équité des relations commerciales – cette nécessité nous ayant été rappelée par l'affaire des avions ravitailleurs. Il est temps que la Commission prenne à bras-le-corps le problème de la réciprocité en matière d'accès aux marchés et qu'elle fasse régulièrement un rapport sur la question au Conseil européen. Le Président du Conseil européen a annoncé qu'il convoquerait en septembre une réunion extraordinaire du Conseil, en présence des ministres des affaires étrangères, afin de discuter de la manière dont l'Union pourrait améliorer l'action menée avec ses partenaires stratégiques sur les questions planétaires. A l'égard de la Chine, par exemple, les positions des Etats membres sont loin d'être convergentes ; nous devons dégager une ligne politique et commerciale cohérente.
Enfin, il convient de veiller à ce que la stratégie « Europe 2020 » ne tombe pas dans les mêmes travers technocratiques que la stratégie de Lisbonne et qu'elle soit compréhensible par tout un chacun. On retrouve en effet, dans le texte de la Commission, le sabir habituel de la technostructure, avec des expressions comme « une croissance durable intelligente et inclusive » ! Pour que les peuples puissent s'approprier la nouvelle stratégie, il faut qu'elle soit lisible, claire et qu'elle permette à l'Europe de bénéficier d'un surcroît de croissance. C'est pourquoi l'absence de toute référence à la PAC nous fait problème.
Le Président Pierre Lequiller. Monsieur le secrétaire d'Etat, en raison de l'évolution du débat dans l'hémicycle, je vais malheureusement devoir lever la séance dès que possible, à la fin de votre exposé en cours.
Les jeux d'argent seraient-ils plus importants qu'un débat sur l'avenir financier et monétaire de l'Europe ? Je proteste !
S'agissant du climat, le Conseil a rappelé les principaux points actés à Copenhague : l'objectif de maintenir l'élévation de la température mondiale au-dessous de 2 °C par rapport aux niveaux de l'ère préindustrielle, la mise en place d'un cadre spécifique pour l'adaptation au changement climatique, et quelques autres objectifs. Pour l'heure, 114 pays ont notifié aux Nations Unies leur soutien aux objectifs de Copenhague ; avec le ralliement de la Chine et de l'Inde, ce sont au total les deux tiers des pays du monde, représentant 80 % des émissions et 90 % du PIB mondial, qui ont ratifié un certain nombre de ces objectifs.
Il convient maintenant d'aller de l'avant, en préparant les grandes échéances internationales de 2010, et en revoyant la méthode de négociations : à Bonn, une quarantaine de pays seulement participeront aux négociations.
La France souhaite faire progresser l'idée que la vertu et l'exemplarité ne suffisent pas. Si l'Europe – qui est la zone la moins polluante de la planète – définit des objectifs généreux sans disposer de moyens de contrainte sur les autres grands pôles économiques, elle risque d'exporter ses emplois sans pour autant réduire la pollution ; en particulier, si seules les entreprises européennes étaient assujetties à une taxe, nous risquerions d'être victimes d'un dumping environnemental ; d'où l'idée d'élaborer, à l'échelon européen, un mécanisme d'inclusion carbone. Cette proposition ne date pas des élections régionales : la France l'avait soutenue devant le Conseil européen dès avant la conférence de Copenhague. Au retour de la conférence, un certain nombre de pays ont compris que, si l'Europe ne se dotait pas d'un moyen de pression sur les autres grands pôles économiques, elle ne serait pas entendue.
La partie est loin d'être gagnée, mais je ne vois pas comment nous pouvons contraindre les très grands pollueurs de la planète à évoluer vers une autorégulation sans, d'une part, un système de vérification – l'organisation mondiale de l'environnement – et, d'autre part, un moyen de compensation – le mécanisme d'inclusion carbone aux frontières (MIC). La Commission doit nous transmettre ses propositions en juin prochain. Je me rendrai prochainement à Bruxelles afin de rencontrer les différents commissaires chargés de ces sujets ; nos eurodéputés sont également mobilisés. J'espère que nous réussirons à faire évoluer les esprits dans le sens que nous souhaitons.
Le Président Pierre Lequiller. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie.
Sur le rapport du Président Pierre Lequiller, la Commission a examiné des textes soumis à l'Assemblée nationale en application de l'article 88-4 de la Constitution.
l Texte « acté »
Aucune observation n'ayant été formulée, la Commission a approuvé le texte suivant :
Ø Environnement
- directive de la Commission portant adaptation au progrès technique de l'annexe III de la directive 200442CE du Parlement européen et du Conseil relative à la réduction des émissions de composés organiques volatils (documentE 5164).
l Point B
La Commission a approuvé les cinq textes suivants :
Ø Agriculture
- projet de règlement de la Commission modifiant les annexes VIII, X et XI du règlement (CE) no 17742002 du Parlement européen et du Conseil établissant des règles sanitaires applicables aux sous-produits animaux non destinés à la consommation humaine (documentE 5187).
Ø Commerce extérieur
- proposition de décision du Conseil relative à une position à prendre par l'Union au sein du comité mixte de coopération douanière UE Japon concernant la reconnaissance mutuelle des programmes relatifs aux opérateurs économiques agréés dans l'Union européenne et au Japon (documentE 5144) ;
- proposition de décision du Conseil relative à la position à adopter par l'Union européenne au sein du Conseil des ministres ACP-CE concernant l'adhésion de la République d'Afrique du Sud à l'accord de partenariat ACP-CE révisé (documentE 5189) ;
- proposition de décision du Conseil relative à la conclusion de l'accord de Genève sur le commerce des bananes entre l'Union européenne et le Brésil, la Colombie, le Costa Rica, l'Equateur, le Guatemala, le Honduras, le Mexique, le Nicaragua, le Panama, le Pérou et le Venezuela et d'un accord sur le commerce des bananes entre l'Union européenne et les Etats-Unis (documentE 5191).
Ø Politique de développement
- proposition de règlement (UE) du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 19052006 du Parlement européen et du Conseil portant établissement d'un instrument de financement de la coopération au développement (documentE 5190).
l Procédure d'examen en urgence
La Commission a pris acte de l'approbation, selon la procédure d'examen en urgence, du texte suivant :
- projet de règlement (UE) de la Commission modifiant le règlement (CE) n° 19072006 du Parlement européen et du Conseil concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) (documentE 5035).
l Accords tacites de la Commission
En application de la procédure adoptée par la Commission les 23 septembre 2008 (textes antidumping) et 28 janvier 2009 (projets de décisions de nominations et actes relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) concernant la prolongation, sans changement, de missions de gestion de crise, ou de sanctions diverses, et certaines nominations), celle-ci a approuvé tacitement les documents suivants :
- expiration des mandats de quatorze juges (LU, AT, NL, GR, PT, HU, BE, PL, EE, CY, RO, DK, FI, SK) du Tribunal de l'Union européenne. Proposition de nomination de M. Josef Azizi (AT), docteur en droit (documentE 5186) ;
- proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 4522007 instituant un droit antidumping définitif sur les importations de planches à repasser originaires, entre autres, de la République populaire de Chine (documentE 5188) ;
- décision du Conseil européen portant nomination du vice-président de la Banque centrale européenne (documentE 5192) ;
- renouvellement du Comité consultatif pour la sécurité et la santé sur le lieu du travail. Nominations des membres titulaires et suppléants grecs (documentE 5193) ;
- conseil de direction du Centre européen pour le développement de la formation professionnelle (CEDEFOP). Nomination de M. Adolfo Hernandez Gordillo, membre dans la catégorie des représentants des gouvernements (documentE 5194) ;
- décision du Conseil portant nomination d'un membre de la Cour des comptes (documentE 5196) ;
- expiration des mandats de quatorze juges (LU, AT, NL, GR, PT, HU, BE, PL, EE, CY, RO, DK, FI, SK) du Tribunal de l'Union européenne. Proposition de nomination de M. Marc van der Woude (NL) (documentE 5197) ;
- nomination d'un juge à la Cour de justice de l'Union européenne - proposition de nomination de Mme Alexandra Prechal (documentE 5198).
La séance est levée à dix-huit heures trente.