COMMISSION DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mardi 16 février 2010
Réunion conjointe avec la Commission des affaires européennes du Sénat et avec les membres français du Parlement européen
Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale et de M. Jean Bizet, Vice-président de la Commission des affaires européennes du Sénat
La séance est ouverte à 17 h 15
Le Président Pierre Lequiller. Je vous remercie d'être venus si nombreux pour cette réunion, qui constitue une première. Une première non pas dans le dialogue entre députés et parlementaires européens : notre Commission auditionne très fréquemment sur les grands projets à l'ordre du jour de l'Europe les présidents de commission et les rapporteurs du Parlement de Strasbourg ; dans un même esprit, les eurodéputés français sont systématiquement invités à participer à toutes nos réunions. Mais puisque aucun d'entre nous n'est doué du don d'ubiquité, la coïncidence de nos agendas ne nous permet pas de débattre tous ensemble.
C'est pourquoi j'ai pris l'initiative, en lien avec mon collègue Hubert Haenel, président de la Commission des affaires européennes du Sénat, d'organiser des réunions pendant la semaine d'interruption des travaux du Parlement européen, durant lesquelles les eurodéputés français, dans leur circonscription, peuvent plus aisément nous retrouver à Paris. Nous renouvellerons ainsi cette expérience fin mars et fin mai. C'est une belle opportunité pour débattre des grands sujets, législatifs ou institutionnels, à l'ordre du jour de l'Europe afin de mieux défendre, ensemble, les intérêts et les aspirations des citoyens français.
Dans cet esprit, j'ai souhaité concentrer l'ordre du jour de ces réunions sur des projets concrets, afin que nous soyons en mesure de nous concerter sur les sujets d'actualité les plus importants. Notre programme aujourd'hui nous offre ainsi l'occasion, pour cette réunion de lancement, d'échanger sur les principaux chantiers européens, de la mise en place des nouvelles institutions aux suites de Copenhague en passant par la stratégie UE 2020 et la gouvernance économique, ainsi que par la gestion des fonds alternatifs. Je propose qu'à l'avenir nous examinions principalement des projets d'actes européens en discussion, ou des actes adoptés qui doivent être transposés. Une telle démarche a rencontré un net succès au cours de la réunion que notre Commission, et c'était là aussi une première en Europe, a tenue le 26 janvier dernier, par visioconférence, avec la commission Marché intérieur et protection des consommateur (IMCO) du Parlement européen sur la proposition de directive relative aux droits des consommateurs, dont les enjeux sont fondamentaux pour la protection des citoyens.
Parlements nationaux et Parlement européen peuvent jouer de concert, grâce au traité de Lisbonne un rôle irremplaçable dans l'enracinement démocratique de l'Europe et les progrès vers une Europe politique : le Parlement européen, bien sûr, devenu législateur de plein exercice et autorité budgétaire de dernier mot ; les parlements nationaux aussi, qui contribuent désormais directement à la prise de décision européenne au travers notamment de la participation au contrôle et à l'évaluation de l'espace de liberté, de sécurité et de justice ou du contrôle de la subsidiarité, qui n'est pas seulement le pouvoir de dire non, mais aussi le droit d'exiger plus de l'Union en dénonçant, grâce à une « subsidiarité à l'envers », les projets européens qui n'apportent pas toutes les valeurs ajoutées que l'on est en droit d'attendre de l'Europe.
L'Assemblée nationale s'est mise en ordre de marche, en simplifiant et en élargissant à tous les sujets européens le droit de résolution dont l'initiative appartient à tout député, en renforçant les effectifs et les pouvoirs de la Commission des affaires européennes, en consacrant une séance des semaines mensuelles de contrôle aux débats sur l'Union et en prévoyant que notre Commission puisse apporter des éclairages européens sur les projets et propositions de lois nationales à l'ordre du jour de l'Assemblée.
Je sais que le Sénat s'est de même pleinement engagé dans l'approfondissement du contrôle des affaires européennes. Je salue à cette occasion les sénateurs membres de la Commission des affaires européennes de la Haute assemblée qui sont venus en nombre pour échanger avec nous.
Le Président Jean Bizet. Merci Monsieur le Président pour votre accueil. Le Président Hubert Haenel, Président de la Commission des affaires européennes du Sénat, n'a malheureusement pas pu se joindre à nous compte tenu d'un empêchement de force majeure. Mais nous sommes tous impatients de nous lancer dans les débats, puisque tant de feuilles blanches sont désormais à écrire en Europe !
Au nom de tous les eurodéputés, je veux à mon tour, Monsieur le Président, vous remercier pour cette réunion et vous exprimer notre grande joie d'être aujourd'hui à vos côtés.
Le Président Pierre Lequiller. Débutons donc avec notre premier sujet, sur la mise en oeuvre du traité de Lisbonne et la mise en place des nouvelles institutions. Fin 2009, nous nous sommes tous réjouis de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, qui bouclait enfin le trop long chantier institutionnel dans lequel l'Europe s'embourbait. Grâce à cette nouvelle boîte à outils, grâce à l'affirmation de quelques principes clairs, nous avons pensé l'Europe en mesure de s'atteler à la seule tâche qui compte : agir pour répondre aux besoins des citoyens. A l'euphorie a succédé une certaine mélancolie qui, je l'espère, ne préfigure pas des déceptions. La nomination d'un Président du Conseil européen, celle du Haut représentant, sont de puissants encouragements pour incarner l'Europe, du côté des priorités de l'action commune, du côté de la politique étrangère. Or leurs premiers pas sont prudents, pour ne pas dire modestes. La répartition des rôles entre le Président du Conseil européen et le chef du Gouvernement présidant l'Union reste encore mouvante et floue. Et le périmètre exact des objectifs et des attributions de la Haute représentante demeure imprécis, tandis que s'engagent les premiers débats sur le futur service d'action extérieure. Dans un même esprit, vos opinions sur le futur rôle de la Commission européenne que vous venez d'investir seront particulièrement éclairantes.
Nos citoyens attendent du nouveau traité qu'il clarifie les responsabilités et les rôles à Bruxelles. La nouvelle « tétrarchie » européenne ne semble pas à ce jour répondre pleinement à leurs attentes.
Je m'associe à tous les eurodéputés pour vous remercier à mon tour de cette initiative. Le Parlement européen est en effet très attaché à approfondir ses relations avec les parlements nationaux. En témoigne notamment la mise en place, décidée par la Conférence des Présidents de septembre 2009, d'un groupe de travail consacré à ces relations composé de douze députés auquel j'ai l'honneur de participer avec ma collègue Marie-Christine Vergiat.
Les citoyens ne sont pas les seuls à s'interroger face à la cacophonie européenne. Le traité n'a pas simplifié les choses. Nous entendions il y a quelques semaines le Premier ministre espagnol, dont l'implication dans la définition des priorités suggérait clairement que la présidence tournante n'a guère l'intention de s'effacer derrière le nouveau président du Conseil européen. Ce « bicéphalisme » à la tête du Conseil complique un peu plus le jeu décisionnel au coeur même du moteur actuel de l'Europe, puisque la Commission semble se muer en secrétariat général du Conseil, notre investiture s'étant limitée à entériner les choix exclusifs des chefs d'Etat et de Gouvernement.
Au fond, la seule bonne nouvelle, c'est le renforcement des pouvoirs du Parlement européen, dont la récente résolution sur SWIFT prouve qu'il est déterminé à en faire un réel usage. Cela tombe bien, car, avec l'affaiblissement de la Commission, le Parlement devient le seul à porter l'intérêt général de l'Union contre des Etats déterminés à promouvoir leurs intérêts nationaux.
N'en oublions pas pour autant l'immense vertu du traité de Lisbonne : il a enfin clos le lancinant chapitre institutionnel qui empoisonnait l'Europe depuis si longtemps. Les outils sont désormais sur la table. Et je demeure persuadé qu'ils sont ceux dont on a besoin : un président du Conseil européen donnant cohérence et stabilité aux priorités de l'Europe et incarnant ses consensus, une politique étrangère identifiée, un Parlement européen législateur à part entière, une majorité qualifiée qui, dans cinquante domaines, met fin à l'impuissance de l'unanimité. Ces avancées sont considérables, et ne jugeons pas trop vite. Notre nouveau traité a deux mois, nous n'avons donc aucun recul ! Et chacun sait que la pratique compte plus encore que la lettre des institutions. Qui aurait pu juger aux premiers mois de 1959 des équilibres et des apports de la Vème République ?
Il est en effet bien trop tôt pour former des jugements péremptoires sur le traité de Lisbonne. On jugera sur acte. Je remarque certes, puisque les premiers titulaires « font » traditionnellement les fonctions en inspirant pour longtemps leur style et leur portée, que le choix de M. Van Rompuy d'être un honnête courtier plutôt qu'un président « leader » pourrait figer l'avenir. Or, cette conception n'était pas celle des rédacteurs du nouveau traité, pas plus que celle qu'affichaient les dirigeants européens au moment de la ratification du traité de Lisbonne. Mais cette évolution ne me surprend guère. J'ai toujours pensé que les chefs d'Etat et de Gouvernement répugneraient à introniser un président susceptible de leur faire trop d'ombre, et que la logique de l'intégration européenne veut, à terme, que le vrai chef de l'exécutif soit le seul qui procède du suffrage universel, c'est-à-dire le président de la Commission investi par le Parlement européen. Face à la force de la démocratie, le président du Conseil européen pourra difficilement faire autre chose que de contribuer, modestement, à forger des compromis. Certes, nous sommes encore loin du but, le président actuel de la Commission ne jouissant pas encore d'une telle légitimité. Mais le profil bas adopté par M. Van Rompuy, qui n'a pas organisé une seule conférence de presse avant le sommet du 11 février, semble préfigurer ce nouvel équilibre.
Je suis heureux de constater que, bien que seul député aujourd'hui faisant partie de la mouvance minoritaire de l'euroscepticisme, je ne suis pas seul à constater que le traité de Lisbonne est une catastrophe. A Kissinger qui demandait « l'Europe, quel numéro de téléphone ? » nous voici en mesure de lui répondre en rajoutant encore des interlocuteurs au standard brouillon de Bruxelles ! Et quelle simplification pour les citoyens, entre MM. Barroso, Zapatero, Van Rompuy et Mme Ashton ! On a réussi l'exploit de compliquer encore les choses, le président du Conseil européen, par son comportement, réussissant encore à neutraliser un peu plus le Conseil européen tandis que la Haute Représentante aboutit dans les faits à affaiblir la haute main que le président de la Commission tenait sur les compétences extérieures de l'Union. Et je ne vois guère de présidence tournante prête à se résigner à jouer le rôle de super secrétariat du Conseil…
Je suis étonné des réactions de mes collègues. Le traité de Lisbonne ne pouvait pas changer la nature même de l'Europe : l'Union n'est pas une nation, c'est une union d'Etats. Par définition, elle s'appuie sur des cohabitations entre intérêts et personnalités diverses. Certes, cette situation est difficile à expliquer à nos concitoyens : il était déjà complexe d'identifier les responsabilités dans les cohabitations française, et bien ici, c'est une même situation multipliée par 27 ! Mais Lisbonne a une vertu essentielle : à l'avenir, plus rien ne sera possible sans les citoyens, puisque le Parlement européen décide désormais sur tous les sujets qui comptent. C'est à nous d'asseoir sur cet acquis décisif une action européenne ambitieuse et réaliste.
Au fond, dans ce nouveau triangle institutionnel formé du Conseil, donc des Etats, du Parlement européen et de la Commission européenne, l'avenir dépendra du comportement de cette dernière. Soit elle s'efface en secrétariat général du Conseil, et l'occasion de fonder une Europe politique sera, une nouvelle fois, manquée. Soit, à l'inverse, elle s'appuie sur la légitimité démocratique en s'alliant avec le Parlement européen et ce nouvel axe sera le moteur de l'intégration européenne. Les choses sont donc ouvertes, et je constate avec optimisme que plus du cinquième du nouveau collège des commissaires appartenait auparavant au Parlement européen.
Je veux poursuivre sur ce qui a été précédemment dit, notamment par Jean-Pierre Audy et Alain Lamassoure. Ce qui nous intéresse, parlementaires français nationaux et européens, c'est le rôle que nous allons pouvoir jouer pleinement maintenant dans la construction de la nouvelle Union européenne. Il y a un vaste champ à explorer et cette réunion aujourd'hui en est un premier exemple ; mais il faudra aussi nous engager dans un travail quotidien fait de relations institutionnelles et personnelles.
Les parlementaires nationaux sont destinataires de tous les projets européens et peuvent donner leur avis avant que le Parlement européen ait à en décider et il nous faudra élaborer des stratégies politiques dans nos formations respectives.
Un enjeu européen essentiel est de rapprocher l'Union européenne des citoyens et il y a beaucoup à faire, comme l'a montré la forte abstention aux élections au Parlement européen. Cela vaut pour vous, mais cela vaut aussi pour nous, car on nous dit que nous ne servons plus à rien puisque l'Europe décide de tout. Mais on aura désormais plus de moyens pour construire quelque chose ensemble.
Le Président Pierre Lequiller. L'objectif est que nous travaillions, ensemble, en amont, pour ne plus avoir de surprise du type « Bolkenstein ». Nous avons vu récemment ensemble que la proposition de directive sur les droits des consommateurs comporte des avancées mais aussi des dangers. Le dialogue entre députés européens, députés nationaux et sénateurs est nécessaire et vous pouvez nous aider beaucoup en attirant notre attention sur les sujets sensibles.
J'ai été heureux qu'au bout d'une décennie, on soit parvenu à élaborer le traité de Lisbonne, mais je ne voyais pas son application comme celle qui est en train de se développer depuis deux mois. Je ne sais pas si l'Union européenne sera en mesure de se servir des outils pour la gouvernance européenne que lui a donnés le traité et je me demande si, compte tenu de la situation internationale, l'Europe n'est pas en train de sortir de l'Histoire. Lorsque la crise mondiale sera passée, je crains que les écarts de croissance entre l'Europe et l'Asie d'une part, les Etats-Unis de l'autre, n'augmentent et qu'elle n'ait pas de politique étrangère ni de défense avant longtemps.
J'espérais avec le traité la naissance d'un pouvoir européen capable de conduire l'Europe dans la mondialisation et je considérais qu'il devait sortir du Conseil européen. Dans le débat sur le point de savoir si le pouvoir exécutif européen devait être issu du Conseil européen ou devait relever de la Commission, contrairement aux Européens historiques et à mon ami Lamassoure qui se prononcent en faveur de la Commission, j'ai toujours pensé, en partisan convaincu de l'Europe, peut-être influencé par les institutions de la Vème République, que la gouvernance européenne devait se situer au niveau du Conseil européen.
Or, au lieu de nommer une voix et un visage de l'Europe qui soit une référence et donne une impulsion, on a désigné un secrétaire exécutif. Les chefs d'Etat et de gouvernement l'ont décidé et sont allés chercher M. Van Rompuy qui n'était même pas candidat. Cette décision m'interpelle beaucoup sur l'image de l'Europe à l'extérieur, sa volonté et sa capacité d'agir et montre qu'elle n'a pas choisi d'exister dans la vie internationale et qu'elle reste empêtrée dans les débats institutionnels et la volonté de se rapprocher de l'opinion publique européenne. Nous bricolons, alors que le feu est là et que nous sommes en train d'être expulsés de toutes les décisions qui vont déterminer le monde de demain.
Le Président Jean Bizet. Je voudrais rebondir sur les propos de nos collègues Pierre Bernard-Reymond et de Michel Herbillon. Le traité de Lisbonne est ce qu'il est et il sera ce que nous en ferons. L'Europe a un visage et le monde bouge vite et n'attendra pas l'Europe, comme le montrent Copenhague et la décision du Président Obama d'annuler le sommet Union européenne-Etats-Unis.
Il y a urgence sur les thèmes à l'ordre du jour de notre réunion d'aujourd'hui – la stratégie de l'Union européenne 2020, la gouvernance économique, les fonds alternatifs – sur lesquels nous devons prendre position pour donner une vraie dimension économique et industrielle à l'Europe, si elle veut compter. Il y a quelques années, la Commission des affaires économiques du Sénat avait réfléchi sur le différentiel entre la FED et la BCE. Ce débat avait paru surréaliste à certains, mais il serait temps de le reposer car la crise en Grèce et peut-être malheureusement dans d'autres Etats membres pose le vrai défi que nous devons relever. Le traité de Lisbonne doit être envisagé avec pragmatisme et il n'y a pas d'autre choix que de l'utiliser au mieux.
Les questions internationales sont beaucoup plus importantes qu'il n'y paraît et l'événement majeur des deux dernières années n'est pas l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, mais la question de savoir comment sortir de la crise qui frappe un Etat membre de la zone euro et je propose qu'on passe assez vite à la stratégie 2020.
Le pouvoir est sorti du Conseil, M. Bernard-Reymond, et nous n'avons pas eu d'autre option que d'accepter ou de rejeter en bloc les commissaires désignés par les gouvernements en place dans les Etats membres. Ceux qui veulent un pouvoir issu du Conseil l'ont et on voit ce que ça signifie.
Je crois qu'il y a même eu une régression dans la qualité des commissaires par rapport à l'histoire communautaire. Ils sont plus nombreux, on a dénaturé l'organe avec un « représentant » de chaque Etat membre, contrairement à la fonction de la Commission. Par rapport à la Commission que j'ai eu l'honneur de servir, où, en plus, les grands Etats membres avaient deux commissaires, c'est un recul préoccupant. Ce sont les conséquences des traités de Nice et de Lisbonne, mais c'est extrêmement fâcheux parce que l'on a besoin de la défense de l'intérêt général européen.
Ce que j'entends ici est à peine convenable. Préférez-vous Nice ou Lisbonne ? Nice était une foutaise ingouvernable selon l'immense murmure des parlementaires français, jugement auquel je me suis joint, et Lisbonne est infiniment mieux que Nice. Ce n'est pas parce qu'il présente des contradictions, qui sont le résultat des différentes majorités que nous soutenons, que nous ne saurons pas conduire le véhicule.
Par ailleurs, qui sommes-nous pour juger M. Van Rompuy ? Il a fait une belle carrière en Belgique et il n'est pas un imbécile en mouvement. De quel code génétique sommes-nous pourvus pour porter un tel jugement et combien d'entre nous réussiraient-ils cet examen ? Ce n'est pas parce que les gouvernements des Etats membres ont pris le pas et ont torsadé l'Europe d'une certaine manière qu'il faut le condamner, alors qu'il s'installe à peine. Par ailleurs, je sais que les premiers pas de Mme Ashton n'ont pas été faciles. Mais soyons sérieux, quel gaulliste accepterait une politique étrangère européenne unique qui ne serait pas alignée sur celle de la France ? Ce que nous avons est bien mieux que ce que nous avions, y compris ce que nous n'avions pas, un président du Conseil stable. Après, il y aura une bataille de pouvoir, puisque les chefs d'Etat n'ont pas tranché ce point.
Je soulèverai trois points fondamentaux.
Il est urgent de donner un gouvernement économique au gouvernement de la monnaie et pas l'inverse et la France a bien agi. C'est mieux qu'avant et c'est la première fois que Mme Merkel prononce l'expression de gouvernement économique, qui est de plus en plus acceptée en Allemagne.
Ensuite, l'Allemagne pourrait être un souci si l'on ne se saisit pas avec ardeur de la construction européenne ; et nous soutenons un Président de la République et une majorité qui doivent se remettre au travail pour arrimer l'Allemagne à notre pays, comme ils l'ont réussi une première fois. L'Allemagne, petit à petit, aura moins besoin de l'Europe et sera préoccupée par son hinterland. Elle est par ailleurs largement représentée au Parlement européen et le tropisme de ce pays vers la Russie, que nous ressentons en ce moment, est une préoccupation. Il faut d'ailleurs déplorer qu'il y ait de moins de moins de Français s'initiant à la culture allemande.
Enfin, le Parlement européen n'a jamais disposé d'autant de pouvoirs, notamment celui du dernier mot sur le budget ; et j'aimerais que le Parlement français fût doté des mêmes responsabilités.
La stratégie de Lisbonne lancée en 2000 visait à faire de l'économie européenne la plus compétitive du monde. Des objectifs ont été fixés notamment en matière de taux d'activité, d'investissement dans la recherche, d'adaptation des systèmes d'éducation et de formation. En 2005, la stratégie fit l'objet d'une révision à mi-parcours visant à renforcer son efficacité. Même en faisant abstraction des effets de la crise, la stratégie de Lisbonne a échoué. Les objectifs et les critères de mesure ne sont pas en cause. La principale faiblesse de la stratégie de Lisbonne réside dans le décalage entre une politique décidée au niveau européen et des mesures d'application relevant essentiellement des Etats membres, alors que la stratégie n'a pas fait l'objet d'une véritable appropriation nationale.
Il faut profiter du nouveau contexte institutionnel pour redonner une impulsion politique forte à l'Union européenne. Il s'agit d'une responsabilité importante pour la nouvelle Commission européenne, qui devra définir un cadre de travail et des objectifs. Plusieurs échéances sont déjà fixées : la présentation par la Commission européenne au printemps de sa proposition de révision à mi-parcours des perspectives financières 2007-2013, le débat sur la future stratégie UE 2020 qui doit succéder à la stratégie de Lisbonne, pour laquelle la Commission sortante a déjà fait des propositions, la réflexion sur la réforme de la politique agricole commune et de la politique régionale, la préparation du prochain programme cadre de recherche et développement communautaire.
La priorité absolue doit être accordée à la croissance. Afin de résoudre les difficultés de l'Union européenne en matière d'emploi, de revenus et d'endettement, il faut créer les conditions pour atteindre 3 % de taux de croissance, soit un doublement du taux de croissance potentiel évalué par les économistes. Je suis préoccupé par les objections des partisans de la croissance zéro ou de la décroissance et je souhaite qu'un vaste débat sur la notion de croissance soutenable puisse avoir lieu.
Il est d'autre part essentiel de mener une réflexion sur le financement des politiques communautaires. Le traité de Lisbonne donne de nouvelles compétences à l'Union européenne, pour lesquelles des moyens financiers supplémentaires sont nécessaires. Compte tenu de leurs difficultés budgétaires, les Etats membres ne peuvent augmenter leurs contributions au budget de l'Union européenne. Il convient de créer de nouvelles ressources propres et de mieux utiliser le budget européen dans les domaines où l'essentiel des efforts repose sur les budgets nationaux. Je citerai deux exemples : la politique de la recherche et l'aide au développement, auxquels le budget de l'Union consacre 8 milliards d'euros et les budgets nationaux dix fois plus. Dans ce contexte, les financements de l'Union doivent avoir un rôle catalyseur sur la coordination des budgets nationaux, afin d'éviter les doublons.
La solidarité entre Etats membres de l'Union européenne doit s'exercer, en cas de catastrophe naturelle ou de choc économique, comme c'est le cas actuellement pour la Grèce. A cet égard, il serait contraire à l'esprit de l'Union européenne de faire appel au FMI : il convient de trouver des solutions compatibles avec le traité pour faire jouer la « préférence européenne ».
L'Union européenne doit avoir une réflexion sur les conséquences financières du vieillissement démographique. En l'absence de réforme du financement des retraites et des dépenses de santé, notre endettement va dramatiquement s'alourdir. Les données démographiques devraient également être prises en compte dans la définition des politiques migratoires. Il est paradoxal que, face à un phénomène pour lequel on dispose de prévisions scientifiques fiables, aucune politique spécifique ne soit envisagée.
L'échec de la conférence de Copenhague illustre la nouvelle configuration politique mondiale : les pays émergents veulent renforcer leur influence et sont prêts pour cela à exercer un véritable droit de veto. L'exigence de l'unanimité empêche toute décision globale, comme l'illustre également le blocage du cycle de Doha.
Le débat sur la durabilité de la croissance est nécessaire et je souhaiterais que l'on rebaptise la stratégie UE 2020 « stratégie de solidarité et de durabilité ».
Concernant la gouvernance économique, il faut partir du constat qu'après 10 ans d'Euro, les économies des Etats membres sont divergentes. Le pacte de stabilité est un instrument inutile en l'absence d'union politique et de budget fédéral permettant des interventions contracycliques. La réaction de l'Union européenne face aux difficultés de la Grèce donne une apparence de solidarité. Cependant, compte tenu de la divergence croissante des économies, les comportements individuels des Etats ne sont plus les seuls déterminants de la situation financière de la zone euro dans son ensemble. L'intervention du FMI pour soutenir la Grèce s'opposerait aux perspectives d'émergence d'une gouvernance économique européenne. Il ne s'agit pas de réouvrir le débat sur le pacte de stabilité, que personne ne respecte, mais de définir un nouveau pacte permettant de lutter contre l'aggravation des divergences entre économies. La création d'un « Eurobond » – titre de dette obligataire qui réunirait progressivement l'ensemble des pays de la zone euro – telle que la propose une récente étude est intéressante si elle s'accompagne d'une surveillance multilatérale. Un véritable gouvernement économique devrait en effet s'intéresser à la nature des dépenses des Etats membres, or l'Union européenne se focalise sur les soldes budgétaires. Les questions fiscales devraient également être abordées au niveau européen.
On peut regretter que lors des deux dernières négociations sur les perspectives financières, la position de la France se soit limitée à la défense de la politique agricole commune. Cependant, le contexte a évolué puisque la France est aujourd'hui contributeur net. La révision des perspectives financières doit permettre de définir la stratégie UE 2020 et de sortir des considérations sur le « juste retour ». J'ai évoqué avec M. Didier Migaud, Président de la Commission des finances, la nécessité d'un débat démocratique ouvert associant le Parlement européen et les Parlements nationaux et débouchant sur une initiative forte.
La stratégie de Lisbonne définie en 2000 n'a pas tenu ses promesses : les objectifs chiffrés – relèvement des taux d'emploi, investissement dans la recherche – n'ont pas été atteints. Par ailleurs, la méthode ouverte de coordination, c'est-à-dire la mesure régulière des progrès réalisés par les Etats dans des domaines relevant de leur compétence, a montré ses limites. Il convient de tirer les leçons de ces résultats décevants, tant sur le contenu de la stratégie que sur sa gouvernance.
L'Union européenne a besoin d'une stratégie économique globale de long terme. Le contexte de sortie de crise renforce ce besoin et doit nous inciter à être créatifs. La France a fait connaître ses cinq priorités pour la future stratégie UE 2020 : le renforcement du pilier européen ; la politique industrielle face au risque de désindustrialisation de l'Europe ; une dimension externe forte et opérationnelle ; le financement de l'économie et la stratégie de sortie de crise ; la cohésion sociale et le capital humain.
Quelles que soient les priorités de la future stratégie, elles auront une influence sur l'élaboration des prochaines perspectives financières.
Le renforcement de la coordination des politiques économiques est probablement le sujet le plus important des débats actuels et à venir : comme le souligne la France depuis plusieurs années, il s'agit d'une nécessité absolue pour les pays de la zone euro et d'une évolution souhaitable pour l'ensemble des Etats membres. L'évolution de la position de l'Allemagne sur ce sujet peut être décisive.
Les propositions de la Présidence espagnole - l'adoption d'objectifs contraignants, éventuellement assortis de sanctions – ne font pas l'objet pas l'objet d'un accord, mais elles ont le mérite de relancer ce débat à un moment opportun. Il est en effet souhaitable de tirer pleinement parti des avancées du traité de Lisbonne en matière de coordination des politiques économiques.
Enfin, l'attribution d'un rôle moteur au Conseil européen dans la définition et la conduite de la stratégie UE 2020 est essentielle pour donner à celle-ci la dimension politique qui a fait défaut à la stratégie de Lisbonne.
La Grèce n'est pas le seul Etat membre à rencontrer des difficultés budgétaires : l'Espagne, le Portugal, l'Irlande et l'Italie sont aussi concernés et la situation de la France elle-même pourrait être préoccupante.
Il est certes légitime de rechercher la croissance économique mais pour cela, des mesures concrètes sont nécessaires. La stratégie UE 2020 doit inclure des mesures de politique industrielle car la croissance ne peut reposer uniquement sur l'économie de la connaissance. Il serait notamment souhaitable de renforcer les financements du Fonds européen d'ajustement à la mondialisation.
Il faut se garder de toute confusion à propos de la position de l'Allemagne sur le gouvernement économique. En effet, pour elle cette notion implique un renforcement des règles et de la discipline, alors qu'en France nous considérons qu'elle doit permettre une appréciation politique au cas par cas des situations. D'autre part, en Allemagne le concept de gouvernement implique la responsabilité devant un Parlement. La mise en place d'un gouvernement économique selon les conceptions de l'Allemagne pourrait donc aller beaucoup plus loin que ce que souhaite la France.
Enfin, je ne partage pas les opinions qui se sont exprimées sur le FMI, dont l'intervention peut devenir nécessaire pour éviter une attaque massive sur les marchés financiers. Il ne faut pas diaboliser le FMI, et je rappelle à cet égard qu'il est dirigé par un Français. Le FMI dispose de moyens renforcés, qui lui donnent une véritable capacité d'action. Je pense également que l'Union européenne devrait utiliser les nouvelles dispositions du traité de Lisbonne sur la représentation extérieure de la zone euro afin de renforcer son influence dans les institutions financières internationales.
Je suis d'accord avec les propos de M. Jean-Marie Cavada. En voyageant, notamment dans les pays émergents, l'on se rend compte que l'Europe n'existe pas en tant que telle. En Inde par exemple, on parle de l'Allemagne, de l'Italie mais pas de l'Europe. C'est la raison pour laquelle il faut donner du contenu politique et de la chair à l'Europe en utilisant ses institutions. C'est la seule façon pour elle d'exister sur le plan international. S'agissant de la stratégie 2020, l'accent doit être mis non seulement sur l'outil de production industriel mais sur la production agricole qui permettra de relever le défi de la faim.
Le Président Pierre Lequiller. Une des leçons de cette première réunion est qu'il est préférable de limiter nos discussions à deux thèmes. C'est pourquoi je propose, en accord avec nos collègues Jean-Paul Gauzès, Michel Diefenbacher et Pierre Bourguignon, de reporter le débat sur la proposition de directive sur les fonds alternatifs.
Il s'agit d'un sujet fondamental et au même titre que les recherches de solutions à la crise économique. Tout ce qui concourt à la résolution de problématiques liées au changement climatique, aura un impact favorable, sur le plan mondial, sur la production, les échanges, la croissance et l'innovation.
Il est indéniable que la Conférence de Copenhague n'a pas atteint les objectifs contenus dans le protocole de Kyoto et le plan d'action de Bali sur la réduction des gaz à effets de serre. La conférence de Copenhague a certes abouti à un accord politique, mais il n'y a pas eu de consensus sur des objectifs contraignants. Les responsables en sont essentiellement les Etats-Unis pour des raisons de politique intérieure ; d'autres pays, comme la Chine et l'Inde, ont également joué un rôle dans le blocage du processus. Il n'en demeure pas moins que, même s'il se situe très en retrait par rapport aux ambitions de l'Union européenne, un accord politique existe. Il fixe un objectif de limitation du réchauffement climatique en dessous de deux degrés, mais aucun objectif de long terme ni de moyen terme n'a été déterminé pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
L'accord reconnaît en outre les efforts à consentir pour aider les pays les plus vulnérables et notamment les pays en voie de développement, à lutter contre le changement climatique et à s'engager sur la voie d'un développement durable. L'accord prévoit également la création d'un mécanisme pour favoriser le développement et le transfert de technologies. Cependant, aucune précision n'est apportée sur la mise en oeuvre concrète de l'ensemble de ces points. Depuis l'adoption du paquet énergie-climat en décembre 2008, l'Europe exerçait en quelque sorte un leadership en matière de lutte contre le changement climatique. Elle n'a hélas pas pu avoir un effet d'entraînement suffisant sur les autres pays, notamment les Etats-Unis. Beaucoup reste donc à faire et la suite donnée à Copenhague déterminera l'avenir de notre plan de lutte contre le changement climatique. Les rendez vous de Bonn en juin et de Cancun fin 2010 devront être l'occasion de « relancer la machine ».
Le Conseil « Environnement » du 22 décembre dernier a constaté que l'accord de Copenhague n'est pas totalement un échec dans la mesure où il constitue un premier pas vers les engagements de réduction, de financement, de mesure, de notification et de vérification, ainsi que de lutte contre la déforestation. La présidence espagnole souhaite travailler sur la base de cet accord et avancer vers un accord global et contraignant. La France souscrit à l'objectif de consolidation et d'élargissement de l'accord, en ralliant le plus grand nombre de pays possible, en l'ancrant au processus de négociation de l'ONU, en le complétant par l'introduction d'objectifs chiffrés d'ici 2050, l'agriculture, les transports aérien et maritime et en mettant en oeuvre des mécanismes de solidarité.
Depuis la fin de la Conférence de Copenhague, cinquante cinq Etats, représentant 80 % des émissions de gaz à effet de serre ont communiqué leurs objectifs d'atténuation, mais les positions n'ont pas évolué. Il faut donc oeuvrer pour clarifier et élargir l'accord.
Dans cette démarche, sera particulièrement utile l'amitié franco-allemande sur laquelle M. Ronald Pofalla, chef de la Chancellerie fédérale allemande et ministre fédéral chargé des missions spéciales, a eu une réflexion d'ensemble aujourd'hui même à l'occasion d'un discours prononcé à Paris. En tant que député de Strasbourg, je souligne l'importance qu'il y a de fortifier la place du Parlement européen à Strasbourg et de contribuer ainsi à la « germanisation » de ce Parlement.
Il était prévisible que la conférence de Copenhague se passe comme elle s'est passée. En effet, elle avait suscité trop de rêves, qui ont entraîné, au niveau européen, une course aux enchères sur le niveau des réductions des gaz à effet de serre. Sur les questions environnementales, il s'agit d'être réaliste et de ne pas se laisser prendre par des idéologies. Il faut suivre une voie concrète. L'intérêt de Copenhague a été de susciter des décisions intéressantes sur un nouveau type de croissance économique, de croissance verte et de développement de nouveaux secteurs économiques qui susciteront de nouveaux emplois. L'Europe se veut exemplaire mais elle ne doit pas rêver. C'est en se montrant pragmatique qu'elle pourra convaincre ses partenaires.
Il ne suffit pas de montrer l'exemple pour être suivi : telle est la leçon de Copenhague. Je reprendrais les propos de M. Alain Lamassoure sur le vieillissement, sur lequel il est possible de faire des prévisions scientifiques. Par contre, en matière de changement climatique, au risque d'être iconoclaste, je voudrais dire qu'il est nécessaire d'approfondir les analyses pour savoir si le réchauffement climatique justifie la mise en place des mesures envisagées. Il existe des zones d'ombre. Le méthane est un gaz qui se désagrége. Le Delta du Gange ne se réduit pas mais au contraire augmente sous l'effet de l'accumulation des alluvions. La population des ours blancs n'est pas en diminution. Les glaciers fondent en Europe mais pas dans d'autres parties du monde, comme l'Himalaya. La courbe exponentielle mettant en relation augmentation des températures et émissions de CO2 est une imposture graphique résultant de l'isolement de certaines données. Le climat est une succession de périodes de glaciations et de réchauffements. Il est survenu par exemple un réchauffement à l'ère quaternaire qui n'était pas lié à l'activité humaine. Je voudrais indiquer que le GIEC – groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat – s'il comprend des personnalités éminentes, n'est pas un organisme indépendant. J'en veux pour preuve son statut même qui pose comme un axiome l'impact de l'activité humaine sur le changement climatique. Il est nécessaire d'exercer son sens critique.
Il faut appliquer son scepticisme à tous les domaines. Lors de la conférence de Copenhague, l'Europe n'a pas eu un discours constructif et cela nous a conduit à l'inaction. Le pragmatisme n'est pas le contraire de l'ambition. Une des causes de l'échec de Copenhague a été l'incapacité des vingt-sept à se positionner et à exister. L'Europe n'a pas été audible dans ses ambitions. Il y a eu des incohérences dans certaines interventions. Le Président Nicolas Sarkozy et le Premier ministre Gordon Brown ont évoqué l'hypothèse d'une taxation des transactions financières, alors même que le Parlement européen l'avait rejetée à la majorité. Si les Gouvernements avaient veillé à convaincre les parlementaires européens de la pertinence des idées émises au Conseil, l'Europe aurait parlé d'une manière unique. Le message porté par les différentes institutions de l'Union doit être cohérent.
La démarche qui sous-tend la stratégie UE 2020 n'est pas très différente de celle de Copenhague. Il y a d'ailleurs des éléments de cohérence. La stratégie contre l'érosion de la biodiversité va être renégociée. Le débat sur la croissance est l'occasion de parler de croissance verte et de croissance zéro. Au niveau de l'Union européenne, on parle d'économie verte. Je fais partie de ceux qui croient que l'on peut rediscuter des critères du Pacte de stabilité et de croissance et de la notion de croissance. La Commission européenne travaille déjà en ce sens. A partir de là, on pourra également discuter des indicateurs. Dans les indicateurs classiques de la croissance, il manque un certain nombre d'éléments. Certains critères sociaux et environnementaux peuvent également contribuer à l'évaluation de la richesse des Etats membres et de l'Union.
Il faut créer de la croissance, quelle qu'en soit la couleur, pour faire revenir à l'emploi les quelque 20 millions de chômeurs de l'Union européenne. Je suis d'accord avec une croissance verte, une croissance la plus verte possible, mais il faut atteindre un niveau de 3 %.
Sur Copenhague, on peut estimer que l'Union a mené sa négociation d'une manière un peu « pagailleuse ». Néanmoins, les Européens sont les seuls à avoir pris les décisions qui s'imposent, face à des pays qui ont d'autres objectifs. En schématisant, on peut dire que les Européens se sont trouvés vis-à-vis du reste du monde comme 500 millions de Nicolas Hulot face à 6 milliards de Claude Allègre. Pour les Etats-Unis, le président Obama doit tenir compte de l'opposition du Sénat américain. La Chine ne prend pas d'initiative si les Américains ne le font pas. L'Inde a indiqué dès le départ qu'elle ne voulait pas agir. Le Brésil a été ambigu. Les Africains étaient en revanche près à un accord, mais à condition de pouvoir être subventionnés. La vertu n'est malheureusement pas contagieuse ; et l'exemple du Costa Rica en matière militaire n'a pas fait école.
Une telle situation ne signifie pas qu'il faille rien faire. On doit seulement se convaincre, après leur échec, que c'en est fini des grandes négociations du type Doha ou Copenhague. La conclusion du cycle de l'Uruguay round n'a pu intervenir que parce qu'à l'époque, dans le monde, il y avait en fait, pour les négociations, deux puissances derrière lesquelles les autres s'alignaient, l'Europe et les Etats-Unis, et aussi pour les questions agricoles, le groupe de Cairns.
Cela ne veut pas dire qu'il faut rester les bras ballants, mais que faute d'avoir un accord mondial qui règle tout, il convient, puisque nous avons déjà notre dispositif, d'encourager le président Obama à avoir un mécanisme qui soit acceptable par le Sénat américain, d'essayer, sur le plan technique de mettre au point, comme on le fait dans les Pyrénées atlantiques, le procédé de captage du CO2, c'est la seule solution au problème de la Chine, puisque celle-ci restera encore dépendante du charbon pour les 50 ans qui viennent. Il faut allier volonté et pragmatisme.
Le Président Jean Bizet. Je partage l'opinion d'Alain Lamassoure. Sans vouloir être provocateur, je dirais que je suis satisfait de Copenhague, car c'est une étape, et il y en aura beaucoup d'autres, et il en faudra. Depuis le sommet, les positions se sont quelque peu rapprochées entre ceux qui étaient très pour et ceux qui étaient plus réticents.
Il faut beaucoup de pragmatisme. Ce qui est important, c'est que la transition comportementale est inévitable. L'économie de demain sera une économie d'excellence et sera forcément décarbonnée. Le consensus se fait progressivement mais à la lumière de l'expérience des précédentes négociations internationales, les grandes unanimités sont dorénavant impossibles.
Il y a un important écart dans l'approche des Etats-Unis et celle de l'Europe dans le contexte de la lutte contre le changement climatique. Les premiers se fondent sur la recherche et le développement et la protection de la propriété intellectuelle pour progresser, sans en partager les résultats, mais en les vendant chers. L'Union européenne est plutôt sur une solution de quotas, de taxation. Heureusement, on est pas en vue d'une situation de décroissance, mais si l'on trouvait le moyen de remettre les sauts technologiques au coeur de cette approche, il y a beaucoup d'économies à gagner.
Avec l'expérience, le scepticisme n'est pas un état permanent chez les individus. Parfois, l'homme est sceptique, parfois il ne l'est pas, et il peut être optimiste. Copenhague, c'est un excès, mais c'est un excès qui permet d'aller plus loin, notamment sur les nouvelles technologies, celles dont on a besoin pour faire face à la situation environnementale et pour alimenter nos législations nationales et européennes. Comme cela a été dit, Claude Allègre a gagné la bataille contre Nicolas Hulot, et publie même un livre sur l'imposture climatique. Il est vrai que l'on est parti à l'excès jusqu'à Copenhague.
Il faut d'autres formes et niveaux de décision. Il y a les enjeux directs des législations nationales et européennes, notamment ceux qui concernent la mobilité urbaine ou le recours aux nouveaux modes de propulsion, même s'il faut veiller à ne pas aller trop loin dans la dépense.
Il faut se féliciter très vivement de cette réunion, et en féliciter le président Pierre Lequiller. Cette initiative nous permet de rencontrer les parlementaires européens et d'avoir des débats de très haute qualité.
Je souhaite attirer votre attention sur le fait que, sur la base des études du GIEC et des résultats du sommet de Copenhague, on pourrait dépasser les 3,5°C dès 2020. Ce qui a été démontré scientifiquement, c'est que le dérèglement climatique est déjà là et qu'il nous appartient de nous adapter. Le risque est que, si l'on dépasse les 2°C, toute l'intelligence humaine, toute notre capacité d'innovation technologique ne nous permettront pas de faire face en terme de délai et d'urgence face à une situation que l'on va subir. Il est encore temps de choisir. Quand bien même on doute, il ne faut pas prendre le risque d'une catastrophe.
Nous voici mêlés entre législateurs. Pour l'avenir, je voudrais faire une suggestion de méthode complémentaire à celle que vous avez faite. Il conviendrait d'accorder le calendrier des questions européennes au sein du Parlement français en prenant les sujets les plus importants pour les examiner dans nos réunions communes en amont du débat européen. On ne peut pas désaccorder l'opinion nationale et l'esprit politique d'une directive européenne, sauf si l'on prend le risque d'un atterrissage difficile lors des transpositions, lequel encourage d'ailleurs certains populismes malvenus sur des sujets aussi fondamentaux.
Ce serait par ailleurs un signal important de communiquer devant l'opinion, pour notre prochain réunion, de manière à montrer que nous ne travaillons pas isolés chacun dans son coin, comme des ostrogoths, attendant l'amélioration de leurs sorts respectifs, mais que nous avons le souci du bien commun. Vu de l'extérieur, l'Europe fait par ailleurs toujours l'objet de lieu commun quant à l'admiration qu'on lui porte et quant à son inexistence politique. Cela va plutôt mieux maintenant qu'auparavant. Il faut se garder de tout état d'esprit qui aurait des relents inacceptables des années 36-37. Si l'on communique devant l'opinion, on pourrait instaurer une coprésidence ou une présidence alternée, et s'efforcer à une explication pédagogique, pour montrer que l'on est pas des « zozos » dispersés. Par ailleurs, il ne faut se faire aucune illusion. L'Europe est une idée qui est née sur le martyrologue des peuples lors de la Deuxième guerre mondiale. Elle est née pour çà, et d'une certaine manière grâce à çà. Ceux qui pensent que l'Europe va sortir de l'Histoire devraient aller jusqu'au bout et indiquer que la France serait alors dans le caniveau, dans cette hypothèse. Certes on peut évoquer Copenhague, mais à l'examen, ce n'est pas si mal que ça.
L'épicentre de la construction européenne est la relation franco-allemande, et pardonnez moi de le dire, celle-ci ne va pas très bien. Ce n'est pas que les chefs d'Etat et de Gouvernement des deux nations n'aient pas de points de connivence et de convergence. Ils sont au contraire beaucoup de mérite. La culture de Mme Merkel était tournée vers l'hinterland, vers l'Allemagne protestante, vers la Russie, beaucoup plus que vers le Rhin et l'économie sociale de marché. Le Président français vient d'un autre horizon, bien que sa famille vienne en partie d'Europe centrale. Les sommets marchent plutôt bien, mais cela ne suffit pas. On est extrêmement loin de ce qui se passait aux époques antérieures. Le reproche que je ferais, et sur lequel il faut alerter le Chef de l'Etat et le Premier ministre, est que l'on ne peut plus se permettre d'avoir aux affaires des Français qui ignorent l'Allemagne et des Allemands qui désormais ignorent la France. C'est très périlleux dans le domaine de l'économie et surtout dans le domaine géopolitique, qui doit être nourri. La chair de l'Europe est essentiellement franco-allemande, non qu'il s'agisse d'établir un condominium, mais si cette chair là ne fonctionne pas, il y aura des tendances centrifuges en Europe. C'est devenu le fond de nos préoccupations politiques. Il est important que les parlementaires nationaux, qui ont des relations suivies avec leurs homologues, le sachent.
En matière de gouvernance mondiale, commerciale et environnementale, je note l'absence de dimension parlementaire et, donc, citoyenne de toutes ses instances. Ce n'est pas cette dimension parlementaire et citoyenne qui, au sein de l'Union, a permis d'avoir ces accords contraignants et ces avancées. Le moment n'est-il pas venu d'avoir des organisations parlementaires ayant d'autres champs que l'Europe pour limiter la pression des ONG ? Sur tous ces sujets, il manque une dimension parlementaire.
Le Président Jean Bizet. Je me félicite de l'exercice que nous avons conduit, à un double niveau. Le traité de Lisbonne existe, et je m'en réjouis, et il sera ce que nous en ferons. En second point, il existe un vrai consensus sur la nécessité d'un gouvernement économique européen, car le monde bouge et n'attends surtout pas l'Europe, mais permettez également à l'élu normand que je suis de souligner que l'Allemagne a pris ce thème de la gouvernance économique au pied de la lettre et développe aujourd'hui une filière agro-alimentaire qui va bientôt dépasser la France, faisant bouger le « deal » de 1957 qui permettait à la France de privilégier son agriculture et à l'Allemagne son industrie. Les Allemands ont le culte de l'ordre et du pragmatisme et il faudra tenir notre rôle. En troisième point, je note que la règle de l'unanimité au niveau international est en train de devenir caduque et que l'Europe devrait être novatrice en ce domaine et inventer d'autres approches de la gouvernance mondiale.
Le Président Pierre Lequiller. Je remercie infiniment les participants à cette réunion dont je tirerai plusieurs leçons : la première est qu'il ne faut pas avoir plus de deux sujets à notre ordre du jour. Aussi proposerai-je de mettre la transposition du « paquet Télécoms » et l'agenda numérique, ainsi que la proposition de directive sur la gestion des fonds alternatifs, au sommaire de notre prochaine rencontre. Ce sont des sujets d'actualité qui touchent tout le monde. Mais il était intéressant, aujourd'hui, d'avoir un débat plus général. Si vous en êtes d'accord, je proposerai que nous tenions deux séances, les mercredi 31 mars et 26 mai prochains – où nous aborderons le service extérieur commun – et ensuite début novembre.
Je suis également d'accord avec l'observation formulée par M. Jean-Marie Cavada sur l'intérêt qu'il y aurait à ouvrir ce type de séance à la presse. C'est d'ailleurs le cas actuellement de la plupart des réunions de notre Commission et je vous propose donc que notre prochaine réunion soit ouverte à la presse. Nous nous sommes déjà rendus par le passé au siège du Parlement européen. S'agissant de la coopération franco-allemande sur le plan parlementaire, je tiens à souligner que nous faisons des efforts très importants dans ce domaine, conformément aux conclusions du dernier sommet franco-allemand. Nous avons par exemple décidé de mener des travaux conjoints sur divers sujets et d'effectuer en commun un déplacement en Islande pour analyser la demande d'adhésion à l'Union européenne de ce pays. De même, nous auditionnerons ensemble les ministres des affaires européennes français et allemand et nous envisageons de tenir à nouveau une grande réunion entre l'Assemblée nationale et le Bundestag.
Je me bats pour l'existence d'un « débat sur l'état de l'Union » au niveau européen, qui verrait le président permanent du Conseil, celui de la Commission, s'exprimer devant une assemblée composée des parlements nationaux et européens. Je pense que cela aurait de l'allure. La Haute représentante serait également conduite à participer à ce débat.
Je crois également que nous devons nous intéresser en amont aux textes les plus sensibles, par exemple à la directive sur la protection des consommateurs.
La séance est levée à 19 h 10