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Commission des affaires étrangères

Séance du 2 décembre 2009 à 11h00

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

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La séance

Source

Albanie : accord de coopération sur la sécurité intérieure (n° 1855).

La séance est ouverte à onze heures.

La commission examine, sur le rapport de M. Dominique Souchet, le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Conseil des Ministres de la République d'Albanie relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure (n° 1855).

PermalienPhoto de Dominique Souchet

Le présent accord de coopération en matière de sécurité intérieure doit être placé dans la perspective de l'adhésion de l'Albanie à l'Union européenne. Cette adhésion doit être préparée avec attention. Les Etats membres de l'Union européenne (UE) reconnaissent qu'ils n'ont pas fait preuve d'assez de vigilance à l'égard de la Bulgarie dans le domaine criminel quand ce pays était candidat et que l'UE en paie aujourd'hui le prix, face aux mafias bulgares.

Les mafias albanophones travaillent principalement dans les secteurs suivants : passage de clandestins, drogue avec une position dominante sur le marché de l'héroïne et une forte croissance sur le trafic de cocaïne, prostitution, trafics d'organes, commerce d'armes, blanchiment de capitaux et contrefaçon. On parle de réseaux albanophones, plutôt qu'albanais, parce que leur origine se situe principalement au Kosovo. Mais l'Albanie sert de terre de transit de différents trafics et abrite ses mafias.

Les réseaux sont efficaces et bien organisés. A titre d'exemple, ils se répartissent avec les mafias russes et turques des segments de route pour le trafic de drogue. Il y a eu deux vagues de pénétration dans l'UE, la première à la chute d'Enver Hodxa (vers la Belgique et l'Italie), la seconde à la faveur de la guerre du Kosovo, où les mafieux se sont dilués dans le flux des réfugiés. Le coeur des principaux réseaux est désormais au Kosovo, où les mafieux avaient noué des liens avec l'UCK. L'Albanie en elle-même est moins concernée par la criminalité car l'Etat y demeure solide. Mais elle est une importante terre de transit, donc d'exportation de la criminalité. L'opacité des réseaux est un obstacle considérable à la normalisation de la situation au Sud des Balkans.

L'accord de coopération précité doit permettre d'assister la police albanaise dans sa lutte contre les mafias. Il permettra la formation des personnels et intensifiera nos informations sur la criminalité internationale. Il existe une véritable volonté du gouvernement albanais d'éradiquer l'économie criminelle, mais le manque de structures et de personnels le conduit à signer des accords de coopération avec ses voisins et les principaux Etats de l'Union européenne. C'est pour soutenir, de notre côté, cette volonté qu'il convient d'autoriser sa ratification.

PermalienPhoto de Michel Terrot

Le rapport met en évidence le fait qu'il y a encore beaucoup à faire pour combattre les mafias internationalisées. Je souhaiterais poser une question marginale par rapport à l'objet du projet de loi relatif à l'adhésion de l'Albanie à l'OTAN. Au moment de son adhésion, l'Albanie s'est engagée à consacrer 2 % de son produit intérieur brut à la défense et à détruire son stock d'armes chimiques. Ces engagements ont-ils été respectés ?

PermalienPhoto de Dominique Souchet

La destruction des stocks d'armes chimiques a été effectuée par l'armée américaine. En revanche, l'engagement de consacrer 2 % du PIB à la défense n'est pas tenu.

Le Président Axel Poniatowski. Il faut reconnaître que seuls quatre pays de l'Union européenne ont des dépenses consacrées à la défense supérieures à ce niveau !

PermalienPhoto de Nicole Ameline

Le caractère international des réseaux albanophones rend indispensable une réponse internationale. La coopération bilatérale ne saurait suffire ; il faut au moins qu'elle soit conduite au niveau européen. Parmi tous les trafics transnationaux, celui des êtres humains est incontestablement le plus grave. Même si les autorités albanaises ont la volonté politique de le combattre, elles ne semblent pas disposer des moyens nécessaires. Le rapporteur dispose-t-il d'une évaluation des progrès accomplis en Albanie en matière de législation et d'organisation juridictionnelle pour renforcer l'efficacité de cette lutte ?

PermalienPhoto de Dominique Souchet

Il reste incontestablement beaucoup à faire pour renforcer ces moyens mais des progrès ont été réalisés et la volonté politique existe. Il me semble que des progrès décisifs dans ce domaine pourraient être obtenus dans le cadre de la mise en oeuvre de l'accord de pré-adhésion à l'Union européenne qui est en cours de négociation.

PermalienPhoto de Patrick Labaune

Le chemin est encore long pour mettre un terme à la diffusion de la criminalité albanaise dans l'Union européenne. L'accord franco-albanais ne saurait suffire. Avec quels Etats de la région l'Albanie a-t-elle conclu des accords du même type ? Quel rôle l'Union européenne joue-t-elle dans ce domaine ?

PermalienPhoto de Dominique Souchet

Huit pays européens ainsi que les Etats-Unis disposent d'un attaché de sécurité intérieure à Tirana et des accords du même type que celui dont nous débattons aujourd'hui ont été conclus entre une quinzaine d'Etats et l'Albanie. Interpol ne pouvant pas encore intervenir en Albanie, tout repose sur les coopérations bilatérales. Au total, les nombreux accords, les actions de coopération bilatérale et la présence d'un nombre important d'attachés de sécurité intérieure contribuent à l'efficacité opérationnelle de la volonté politique des autorités albanaises.

Les progrès ne sont certes pas rapides dans tous les domaines mais ils sont réels. Il est vrai qu'ils sont particulièrement faibles en matière de lutte contre la prostitution. Il faut souligner que les efforts menés en Albanie se heurtent à la situation du Kosovo qui se trouve à la source des réseaux albanophones et où la capacité d'action contre eux est faible.

PermalienPhoto de Christian Bataille

Il conviendra d'interroger M. Bernard Kouchner sur ce qu'il pense du Kosovo indépendant, à l'occasion de sa prochaine audition. Les moyens qui y sont mis en oeuvre pour lutter contre les mafias sont-ils adaptés ? Le corpus juridique est-il satisfaisant ? Dans quel délai peut-on espérer une amélioration notable de la situation ? La tutelle internationale ne risque-t-elle pas de durer éternellement ?

On assiste actuellement sur le continent européen à la multiplication de micro-Etats qui constituent autant de zones de non-droit issus du démembrement d'autres Etats. L'Union européenne a certes vocation à s'intéresser en priorité à ceux qui sont nés de la dislocation de la Yougoslavie mais un phénomène identique s'observe dans le Caucase.

PermalienPhoto de Dominique Souchet

Pour ce qui concerne l'Albanie elle-même, la clé de l'amélioration de la situation est dans l'effort de formation. Il a déjà été entrepris mais doit se poursuivre car les défis sont de grande ampleur. Mais il faut aussi s'attaquer à la situation au Kosovo qui doit occuper une place centrale dans la lutte contre les mafias et dans lequel les moyens d'intervention sont limités malgré la tutelle de l'OSCE et des Nations unies. Le problème c'est que parmi les recettes financières dont dispose le pays, les produits de l'économie criminelle dépassent de beaucoup le volume de l'aide internationale et l'arrivée de devises envoyées de l'étranger par la diaspora. Les progrès réalisés sur le territoire albanais n'ont jusqu'ici eu aucun effet sur la situation kosovare.

PermalienPhoto de Martine Aurillac

Pouvez-vous nous préciser la date d'entrée en vigueur et la durée de l'accord ?

PermalienPhoto de Jean-Marc Nesme

Votre exposé confirme que l'Albanie constitue une plaque tournante pour tous les trafics. A l'occasion de la révision des lois bioéthique, ont été évoqués de nouvelles formes de trafics et notamment celui des tests génétiques dont la validité scientifique pose problème. Ce trafic, qui se développe principalement par le biais d'Internet, doit être mieux pris en compte. L'Albanie accueille t-elle ce genre de trafic ? D'autres pays ont-ils signé des accords de même nature que celui que nous examinons avec l'Albanie ?

PermalienPhoto de Serge Janquin

Si les accords de cette nature me semblent souhaitables, ils posent néanmoins une difficulté : ils opèrent un transfert de responsabilité en matière de sécurité et de justice de l'Etat vers la communauté internationale. Il conviendrait donc que ces accords soient assortis d'une procédure permettant d'apprécier l'implication de l'Etat au bénéfice duquel il a été signé afin que celui-ci ne se considère pas comme exonéré de ses responsabilités en ces matières. Il serait souhaitable que le respect des obligations qui lui incombent en vertu de la convention fasse l'objet d'une évaluation.

PermalienPhoto de Jean-Claude Mignon

L'Albanie est soumise au « monitoring » du Conseil de l'Europe dont elle est membre. Le travail remarquable d'évaluation politique réalisé dans ce cadre mériterait d'être porté à la connaissance de la Commission.

Le Président Axel Poniatowski. Vous avez tout à fait raison, ce document serait très utile à notre commission.

PermalienPhoto de Jean-Pierre Dufau

Quels sont les pays européens signataires de l'accord ? Sur la durée de l'accord, une clause de rendez-vous est-elle prévue ?

PermalienPhoto de Gaëtan Gorce

J'estime que le ministre devrait consacrer au Parlement le temps nécessaire pour ce débat.

Le Président Axel Poniatowski. Le ministre répond régulièrement aux sollicitations de la Commission. Mais il est, comme vous le savez, contraint par son agenda de ministre et ses obligations européennes et internationales.

Compte tenu de l'heure avancée, nous devons reporter l'examen du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord de coopération entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État d'Israël sur la lutte contre la criminalité et le terrorisme.

La séance est levée à onze heures quarante-cinq.

Audition de M. Leonel Fernández, président de la République dominicaine.

La séance est ouverte à onze heures quarante-cinq.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Monsieur le Président de la République, je suis heureux de vous souhaiter la bienvenue au nom de la commission des affaires étrangères et des membres du groupe d'amitié France – République dominicaine que nous avons invités à cette rencontre. Nous sommes très honorés de vous recevoir ce matin et je vous remercie d'avoir accepté le principe de cette audition. Je voudrais tout d'abord rappeler que vous avez été élu président de la République dominicaine pour la première fois en 1996 pour un mandat de quatre ans qui n'était alors pas renouvelable. Vous avez ensuite été réélu en 2004 puis enfin en 2008.

Indéniablement, depuis quelques années, la République dominicaine est en train de prendre une importance croissante parmi les pays de la Caraïbe. Au plan économique, tout d'abord, le taux de croissance de votre PIB au cours des dernières années est impressionnant, malgré le ralentissement actuel dû à la crise internationale. Si la situation sociale reste encore difficile, la République dominicaine se classe désormais parmi les pays à revenu intermédiaire.

Vous menez une politique d'ouverture aux capitaux étrangers, notamment français : c'est à un consortium d'entreprises françaises que vous avez confié la réalisation de la première ligne du métro de Saint-Domingue et d'autres, comme Bouygues, Orange, Accor, ou Carrefour, sont intervenues ou interviennent notamment dans les secteurs des infrastructures, du téléphone, du tourisme ou de la distribution. Selon les informations qui m'ont été données, la construction de la ligne de chemin de fer que vous projetez d'ouvrir ainsi que la celle de la deuxième ligne de métro de la capitale pourraient être également confiées à des sociétés françaises.

Au plan international, enfin, vous menez une diplomatie particulièrement active sur de nombreux aspects, qui vous fait prendre des positions remarquées dans la région et au-delà : ces derniers mois, vous avez par exemple été personnellement très actif sur le dossier du Honduras ; la République dominicaine a des relations particulièrement suivies avec le Venezuela ou avec Cuba ; Haïti est bien sûr un dossier prioritaire pour vous, sur lequel vous faites des propositions très importantes ; enfin, vous ne vous limitez pas à votre région, puisque vous développez aussi des relations, avec l'Asie, je pense au Vietnam, ou encore avec le Proche et le Moyen-Orient, notamment avec l'Autorité palestinienne.

Si vous en êtes d'accord, Monsieur le Président, je vous propose de vous céder la parole pour une intervention liminaire, pour nous présenter votre analyse des principaux enjeux internationaux, notamment dans la Caraïbe. Après quoi, mes collègues auront sûrement des questions à vous poser.

PermalienLeonel Fernández, Président de la République dominicaine

Je tiens à remercier M. Le président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, ainsi que les membres du groupe d'amitié France-République dominicaine, ainsi que la délégation dominicaine qui m'accompagne. C'est pour moi une grande satisfaction de venir et d'échanger avec vous et je tiens à vous remercier de l'accueil chaleureux que vous m'avez réservé. Avant d'entrer dans le détail, Monsieur le Président, je tiens à vous féliciter pour votre élection en 2007 ainsi que pour vos travaux relatifs à la libération des infirmières bulgares. Ce fut là un événement important comme nous avons pu le constater lors d'un déplacement récent en Libye dans le cadre d'une rencontre des pays membres de l'Union africaine à laquelle nous avons assistée. Nous vous félicitons également pour votre rôle dans la rédaction du livre blanc de la politique extérieure de la France.

La République dominicaine est un petit pays, nous partageons la partie orientale de l'île, de 10 millions d'habitants. Plus de 1,5 million de nos compatriotes vivent à l'étranger, principalement aux Etats-Unis et en Europe. Ces Dominicains vivant à l'étranger fournissent une contribution importante à l'économie de notre pays, par l'envoi de ressources financières de près de 3 milliards de dollars par an.

C'est la seconde fois que je me rends en France en visite officielle. La première fois, en 1998, a constitué le point de départ du renforcement de nos liens. Nous avions réussi à accroître l'investissement français dans les domaines des télécoms, du commerce (vous avez cité Carrefour), dans les transports, l'énergie et les échanges scientifiques et culturels entre nos peuples. Cette fois, nous voulons renforcer plus encore ces liens et comptons sur une participation française plus active et plus dynamique puisqu'il existe des territoires français dans les Antilles comme la Martinique, la Guadeloupe, et il y a aussi Haïti avec qui la France entretient des liens particuliers. La République dominicaine peut être un allié de la France dans cette région. Nous avons des liens privilégiés avec les pays des Caraïbes dans le cadre du marché commun des Caraïbes, le Caricom. De même, nous avons développé des liens avec les pays d'Amérique centrale, ce qui fait de nous un « pays lien » entre les Caraïbes et l'Amérique centrale. C'est une région que nous appelons « la grande Caraïbe » et dans laquelle existent des sous divisions (Amérique latine et Caraïbes). Nous avons des liens avec Cuba, avec la Colombie, le Panama, le Venezuela et finalement avec l'ensemble des pays de la région. Nous avons ainsi la possibilité de tenir un rôle de médiateur dans la résolution des conflits politiques et diplomatiques qui peuvent émerger au niveau régional. Nous avons ainsi été médiateur entre l'Equateur, la Colombie et le Venezuela suite à l'incursion colombienne en territoire équatorien à la poursuite des FARC et nous avons obtenu que ce conflit puisse trouver une solution par la voie d'un dialogue politique. Nous avons entamé une médiation entre la Colombie et le Venezuela à la suite de la rupture des liens commerciaux du fait de l'installation de bases américaines sur le territoire colombien, ce qui a été interprété comme une menace contre l'intégrité territoriale du Venezuela. Le président colombien Uribe m'a demandé d'intervenir auprès du président Chavez, pour rechercher une solution à ce conflit, étant donné la perception qu'avait le Venezuela de cette installation.

Nous sommes également convaincus de l'importance de renforcer les institutions démocratiques dans un pays comme la République dominicaine afin de créer un Etat démocratique de droit mais aussi d'asseoir les bases d'une croissance économique pour un développement durable afin de créer de l'emploi tout en préservant l'environnement et les ressources naturelles. Cela ne nous semble pas possible en restant isolé. Aucun pays ne peut le faire en restant isolé, qu'il soit grand ou petit. L'isolement de la République dominicaine sur la scène internationale serait catastrophique, d'où notre volonté de renforcer et de diversifier nos liens internationaux. Historiquement, pour des raisons de proximité géographique, nous avons une relation fondamentale avec les Etats-Unis, qui concentrent 80% de nos exportations. Il y a également une forte immigration vers les Etats-Unis. Un accord de libre échange avec les Etats-Unis a été signé permettant l'exportation de biens et services sans barrières douanières, avec des conditions douanières favorables, ce qui est positif pour la République dominicaine en nous donnant accès au plus grand marché du monde. Il s'agit d'un échange réciproque puisque le commerce dominicain doit à son tour s'ouvrir aux importations de biens et services en provenance des Etats-Unis. L'accès à ce marché ne résout pas tous nos problèmes. Nous avons de ce fait dû réfléchir à une stratégie nationale de compétitivité devant permettre l'identification de nouveaux biens et services générant plus de valeur ajoutée et ainsi profiter au mieux de la possibilité qui nous est donnée d'accéder à ce marché.

En 2008, la République dominicaine a signé un accord d'association économique avec l'Europe, dans la suite de ceux de Lomé et de Cotonou pour les pays ACP, permettant d'accéder au marché européen à des conditions tarifaires et douanières privilégiées. C'est un accord selon les mêmes conditions que l'accord avec les États-Unis. Il s'agit d'un libre échange réciproque et non unilatéral. C'est là encore un défi pour le marché dominicain ouvert aux produits européens et nous devons nous montrer plus compétitifs encore pour que cet accord soit une opportunité et pour ne pas accentuer les asymétries qui existent traditionnellement au niveau international. Cela permet également la diversification nécessaire de notre commerce extérieur car nous ne pouvons pas dépendre exclusivement du marché nord-américain.

Nous avons renforcé nos liens avec l'Amérique latine de même que nous le faisons avec l'Asie. Nous avons travaillé récemment avec la Corée du Sud, Taiwan et le Vietnam en matière d'échanges et de flux. Il nous semble qu'il y a un besoin mondial, dans un monde globalisé, de développer les relations internationales du fait de l'interdépendance croissante des pays. Aujourd'hui, même un événement lointain peut affecter la vie quotidienne de nos concitoyens, ce qui rend nécessaire l'intégration à la communauté internationale. On parle actuellement du G2 entre la Chine et les Etats-Unis. Il y a le G20 également. L'action du G20 est très positive pour mettre en place des mécanismes de corrections à la crise financière mondiale ou pour prendre des mesures communes face au changement climatique. Mais il y a aussi le G192, soit l'ensemble des nations qui font partie des Nations Unies, qui doivent être prises en compte pour définir un nouvel ordre mondial fondé sur le renforcement des valeurs démocratiques, du respect des droits de l'homme, de la préservation l'environnement et des ressources naturelles, et pour créer un ordre économique et social mondial qui permette d'éradiquer la pauvreté tout en créant de nouvelles possibilités de développement pour nos peuples.

En ce sens, il me semble que la relation entre la France et la République dominicaine est importante à bien des égards. Les intérêts français dans les Caraïbes sont un exemple mais il y également des avancées dans tous les domaines commerciaux, touristiques, de sécurité, en particulier sur la question du trafic des stupéfiants, très présent dans la région. La drogue est produite en Amérique du sud, transite dans les Caraïbes et est consommé dans le nord. Nous avons besoin d'une coopération dans les domaines du renseignement, de la technologie, de la prévention, de la poursuite des trafiquants et concernant les activités annexes. Même si nous avons des tailles différentes, des poids différents dans le concert mondial, la coopération et l'échange permanent entre nos deux pays est essentielle. C'est pour cela que nous sommes ici aujourd'hui avec l'objectif de renforcer ces liens. Et c'est pourquoi nous sommes honorés d'être ici, à la commission des affaires étrangères, car nous savons bien que c'est un point de départ pour continuer de renforcer des liens de coopération et d'échanges et de contribuer au renforcement du bien-être de nos peuples.

C'est pourquoi je vous remercie encore, Monsieur le président, de la cordialité de l'accueil que vous nous avez réservé dans cette Assemblée pour échanger nos vues sur la construction d'un monde meilleur.

PermalienPhoto de Axel Poniatowski

Merci, Monsieur le Président, pour votre propos à la fois instructif et amical. Je souhaiterais savoir ce qu'attend la Caraïbe de la conférence de Copenhague sur le changement climatique. Quelle est votre perception de cet événement et quel est le message dont votre pays sera porteur ? Par ailleurs, sur la situation intérieure d'Haïti, depuis longtemps difficile, quelle est votre analyse ? Quelles sont les relations que votre pays entretient avec son voisin ?

PermalienPhoto de Gabrielle Louis-Carabin

Bien que le groupe d'amitié n'ait pas encore pu tenir de réunion formelle sous cette législature, des rencontres ont été organisées, notamment avec Mme Martha De La Rosa en novembre 2007 sur la situation des Dominicains expatriés. Je me réjouis beaucoup de la visite en France du Président Fernández, qui était attendue depuis longtemps. En tant qu'élue de la Guadeloupe, j'estime que ce département d'outre-mer peut constituer un pont pour la coopération entre nos deux pays. D'ores et déjà de nombreux liens personnels et économiques existent entre la Guadeloupe et la République dominicaine. Par-delà la barrière de la langue, qui est réelle, je crois à un élan de solidarité, de fraternité et d'amitié, qui en outre pourra utilement renforcer nos liens avec Haïti.

PermalienPhoto de Jean-Paul Bacquet

Monsieur le Président, vous avez évoqué le grand nombre d'expatriés. Combien accueillez-vous d'immigrés sur votre sol ? Quelle est en particulier votre politique migratoire à l'égard d'Haïti ? J'aimerais également que vous puissiez nous renseigner sur la place du tourisme dans l'économie de votre pays.

PermalienPhoto de Patrick Labaune

Quelle est la longueur de la frontière avec Haïti ? Quel est l'état de vos relations avec ce pays qui se caractérise par son instabilité et sa grande pauvreté ?

PermalienLeonel Fernández, Président de la République dominicaine

Pour un pays comme le nôtre, le changement climatique représente un enjeu crucial. Nous vivons dans une région du monde qui connaît chaque année une saison de tempêtes tropicales ou d'ouragans, toujours plus nombreux et violents. L'élévation du niveau de la mer va jusqu'à mettre en péril l'existence même des îles caribéennes. Or nos populations ne sont pas responsables des pollutions qui sont à l'origine du réchauffement climatique ; elles en sont bien plutôt les victimes. Nous arrivons au terme d'un modèle énergétique de développement industriel fondé sur les hydrocarbures et nous avons désormais besoin d'un modèle plus respectueux de l'environnement et davantage tourné vers les énergies renouvelables. La question posée à Copenhague sera de savoir quels engagements les grands pollueurs sont prêts à prendre. Il y a encore quelques semaines, nous étions sceptiques à ce sujet, en dépit des louables efforts déployés par le Président Nicolas Sarkozy. Mais l'annonce toute récente d'un engagement de la Chine à réduire de 40 à 45 % ses émissions de gaz à effet de serre à l'horizon 2020, et d'une réduction des émissions des États-Unis à hauteur de 17 % en 2020 – certes par rapport au niveau de 2005 et non de 1990 – nous conduit à tempérer notre critique, notamment à l'égard de l'administration Obama. En ces temps de crise économique, dont les États-Unis sont l'épicentre, le pays peut-il assumer un coût plus élevé que celui-là ? Ce geste est symbolique d'une volonté de participer à l'effort global ; assurément, il faudra envisager à l'avenir des mesures plus contraignantes pour limiter l'impact du changement climatique. Mais au moins pouvons-nous aujourd'hui être plus optimistes que la semaine dernière, alors que l'on évoquait déjà une future conférence de Mexico pour surmonter l'échec programmé de Copenhague.

Sur l'île d'Hispaniola, la reforestation est nécessaire. Haïti a connu ces dernières années une déforestation totale, avec pour conséquence la salinisation des sols et le risque de pénurie d'eau douce. Or nous partageons avec Haïti un même écosystème et sommes donc confrontés au même défi. La République dominicaine a davantage pris soin de l'environnement, de manière volontariste, en procédant notamment à une reforestation aujourd'hui optimale, dans le cadre du programme Quisqueya Verde. Une délégation de la République dominicaine, conduite par le Vice-président de la République, se rendra à Copenhague. À notre modeste niveau, nous prendrons part aux échanges et à l'élaboration de solutions lors de la conférence.

Nous partageons avec Haïti un même espace géographique et notre histoire est partiellement commune mais cela n'exclut pas de réelles différences. La question de la frontière et des migrations structure nos relations. Le renforcement de la sécurité est nécessaire à la stabilité politique d'un pays qui ne l'a, hélas, jamais connue dans la durée sur un mode démocratique, sauf peut-être sous la présidence de M. René Préval, période durant laquelle l'ordre interne se conjuguait avec le développement de l'économie de marché. Aujourd'hui, la Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) est déployée sur place avec le concours de certains États européens. Si cette mission quittait Haïti, la stabilité ne serait plus garantie. Le mauvais souvenir laissé par le régime des Duvalier avait motivé le démantèlement de l'armée et de la police, la MINUSTAH s'y substituant. À titre de comparaison, un projet a également existé en République dominicaine pour démilitariser la frontière et s'en remettre à des effectifs civils policiers et judiciaires. Mais c'eût été une erreur que de se passer de l'armée. À la lumière de cette réflexion, je crois que la MINUSTAH ne peut quitter Haïti sans danger pour le pays ; par conséquent, il serait souhaitable de ne pas programmer son départ d'ici deux à trois ans mais plutôt à un horizon de dix ans. Le renforcement de la démocratie haïtienne est à ce prix.

La Constitution haïtienne est sur le point d'être révisée. En effet, dans l'actuel régime, semi-parlementaire et semi-présidentiel, le Président de la République et le Premier ministre se partagent le pouvoir sans que leurs compétences respectives soient toujours clairement distinctes ; de surcroît, seul le Premier ministre est responsable devant le Parlement. Parfois délicate en France, une cohabitation en Haïti est source de grande confusion ! Une clarification est donc nécessaire. La deuxième priorité de la révision constitutionnelle consiste à réduire la fréquence des élections, qui se tiendraient tous les quatre ans – comme aujourd'hui en République dominicaine – et non plus tous les deux ans. C'est indispensable si l'on veut que les élus se consacrent moins aux campagnes électorales et davantage aux préoccupations de leurs concitoyens, comme par exemple l'emploi ou le logement.

L'immigration illégale est massive en République dominicaine. Historiquement, l'apport de main-d'oeuvre en provenance d'Haïti était lié à l'industrie sucrière. Mais avec le recul de cette industrie depuis 20 à 25 ans, le besoin de main-d'oeuvre a fortement décru et se concentre plutôt dans le secteur de la construction, de la culture du riz et de la tomate, mais aussi du tourisme, des services et de l'immobilier. Nous ne disposons pas de statistiques migratoires fiables ; le nombre de 500 000 personnes est évoqué mais elles pourraient être en réalité plus d'un million, sans papiers pour la plupart. La frontière haïtianno-dominicaine est très poreuse ; le passage est même quasiment libre et nous souhaiterions réglementer ces flux de migrants pour mieux les contrôler. Certaines ONG ont pu critiquer fermement notre politique à cet égard mais je veux souligner que nous rendons de grands services aux migrants, dans le domaine social et médical notamment, et que nous consentons un effort très substantiel dans le domaine de l'éducation supérieure, en abaissant les droits d'inscription à l'université pour les étudiants d'origine haïtienne.

En matière de sécurité, la principale menace provient du trafic illicite de stupéfiants. Sa source se trouve en Colombie, il transite par Haïti puis la République dominicaine et se prolonge vers les États-Unis et l'Europe. À cet égard, la France est concernée et nous souhaiterions donc renforcer notre coopération bilatérale en ce domaine.

Les touristes en provenance de France étaient 350 000 l'an dernier en République dominicaine, et la tendance à la hausse se poursuit. À Las Terrenas, on compte plus de 4 000 ressortissants français, ce qui équivaut presque à un département d'outre-mer supplémentaire ! Le vol direct Paris-Punta Cana n'est pas ici le moindre des éléments d'explication. Enfin, la France est également présente dans les infrastructures de tourisme à travers des entreprises comme le Club Méditerranée ou le groupe Accor. La République dominicaine est d'ailleurs le pays caribéen qui compte le plus de chambres d'hôtel – elles sont plus de 70 000 – et nous accueillons plus de 4 millions de touristes par an, ce qui engendre des retombées supérieures à 4 milliards de dollars. Nous voulons encore développer l'économie du tourisme afin qu'elle concerne l'ensemble du territoire et soit financièrement viable. Ce tourisme doit favoriser le contact avec les populations locales, inclure, au-delà du classique « plage et soleil », des activités culturelles et sportives – je pense en particulier au développement récent de la pratique du wave-sky surfing qui attire, à Cabarete, des ressortissants de cent nationalités différentes en raison des exceptionnelles conditions naturelles du site. Le tourisme est donc aujourd'hui le pilier de l'économie de la République dominicaine et en nous essayant à le diversifier, nous comptons nous appuyer sur la présence française.

PermalienPhoto de Robert Lecou

Vous avez évoqué le G2, le G20, et même cité le G192 que seraient les Nations Unies, pour évoquer la gouvernance mondiale. Quelle est votre vision de l'Europe ? Est-elle une entité réelle pour vous, ou bien une simple mosaïque de pays ? Quel rôle l'imaginez-vous jouer dans le monde de demain ?

PermalienPhoto de Éric Raoult

Nos drapeaux ont des couleurs très similaires, nos pays sont voisins et amis. Sur plusieurs sujets, notamment le trafic de drogues, nos concitoyens ont commis dans votre pays des erreurs, comme ils en commettent encore trop souvent sur le territoire national, j'en ai la preuve jour après jour dans ma circonscription. Je voudrais vous demander comment l'on traduit le terme « mansuétude » en espagnol.

Par ailleurs, concernant d'autres domaines, comme le sport par exemple, j'aurais voulu la traduction en espagnol du mot « proximité ». Je suis sûr qu'une visite du Président de la République dominicaine dans les territoires français d'outre-mer serait très applaudie.

PermalienPhoto de Jean-Paul Dupré

J'aurais voulu obtenir des informations sur la pyramide des âges et le pourcentage d'actifs au sein de la population dominicaine. Quels sont, pour votre pays, les investissement prioritaires auxquels la France et l'Union européenne pourraient contribuer ?

PermalienPhoto de André Schneider

Vous avez dressé un tableau exhaustif et moderne de votre pays. Quiconque s'y rend peut constater que les droits de l'homme, la démocratie, le développement économique ne sont pas des vains mots. Quelle est selon vous la place que votre pays doit occuper dans la zone Caraïbes, et quel rôle la Caraïbe peut-elle jouer dans le monde ?

PermalienLeonel Fernández, Président de la République dominicaine

La question de la gouvernance mondiale est au coeur des relations internationales. Nous n'avons pas réussi à la résoudre, ni au niveau mondial, ni au niveau régional, et ce débat sera le grand enjeu des prochaines années.

Je prendrai un exemple précis. Un coup d'état militaire a eu lieu au Honduras. L'Organisation des Etats Américains l'a condamné, comme l'ONU, la Ligue arabe et l'Union africaine. Chacun des pays d'Amérique Latine s'est prononcé contre ce coup d'Etat. Pourtant, les fomenteurs de cette crise politique sont toujours au pouvoir. Où est l'autorité de la communauté internationale, si ses déclarations n'ont aucune conséquence concrète ? En continuant à ne donner aucun poids à la communauté internationale, c'est l'ensemble des pays qui perdent de leur crédit.

De manière générale, le non-respect des résolutions des Nations unies, dû à l'absence de mécanisme accepté par tous pour mettre en oeuvre ces décisions, empêche les progrès de la gouvernance mondiale.

Le monde a changé depuis la chute du mur de Berlin et la disparition du bloc socialiste, mais nous n'avons pas mis en place les moyens pour réguler ce nouveau monde. De nouvelles réalités, économiques, financières, politiques sont apparues, mais nous avons conservé des moyens de régulation datant de la guerre froide. Tout le monde constate que les instruments ne sont pas adaptés, mais rien n'est fait.

La République dominicaine estime nécessaire de procéder à une réforme de l'ONU. Le multilatéralisme est efficace, mais les difficultés qu'il rencontre rendent d'autant plus tentant le recours à l'unilatéralisme. Il faut donc réformer le multilatéralisme pour le rendre crédible à nouveau. Cela passe par une réforme du conseil de sécurité des Nations Unies. Le droit de veto ne peut plus être accordé aux seules puissances issues de la Seconde Guerre Mondiale, de nouvelles puissances ont émergé depuis. De même, la Banque mondiale et le FMI doivent évoluer. Nous ne comprenons pas que ces institutions soient dirigées par des personnalités nord-américaines et européennes, alors que leurs décisions concernent au premier chef l'Afrique et l'Amérique Latine.

La réalité institutionnelle s'est laissée déborder par les changements du monde. Il est nécessaire de rétablir l'équilibre. L'Union européenne a un rôle à jouer. Tout le monde veut imiter le processus d'intégration européenne, qui a permis à des pays autrefois en marge comme l'Espagne, le Portugal ou la Grèce, de devenir de véritables phares du développement, grâce à l'action des fonds structurels, qui ont permis de niveler les inégalités, mais aussi grâce à la création d'une monnaie unique, au choix de développer les relations sociales entre les peuples, à l'émergence d'une vision commune en matière de politique étrangère.

Ces éléments n'existent pas en Amérique Latine, malgré les nombreuses tentatives d'intégration régionale. Dès lors, malgré ses difficultés, comme les échecs des référendums en France et aux Pays-Bas, le faible taux de participation aux élections européennes, l'Union européenne reste un modèle d'intégration pour notre continent. Notre vision de l'Europe, c'est celle d'une union de pays, avec lesquels nous souhaitons développer des liens bilatéraux de grande qualité.

S'agissant de la jeunesse dominicaine et de son rôle dans l'emploi et l'éducation, je me dois de vous rappeler que la République dominicaine est un pays éminemment jeune. Le tournant démographique pour notre pays remonte à 1961 et la fin de la dictature de Trujillo. De 3,5 millions d'habitants, notre pays est passé à 10 millions, et pourrait atteindre 11 millions en 2020. 70% de la population appartient au groupe des 18-34 ans.

Le problème fondamental de mon pays est de nature sociale ; c'est celui de la pauvreté, dont le facteur essentiel reste le chômage, qui touche principalement la jeunesse. Pour relever ce défi, il nous faut un modèle de développement durable qui garantisse un taux de croissance économique annuel de 6 %, soit cinq fois plus que notre croissance démographique. Si nous parvenons à maintenir cette différence pendant plusieurs années, cela signifiera qu'une évolution interne majeure a eu lieu sur le plan économique, et permettra un changement social de grande ampleur. Le taux de chômage, d'environ 14 % avec la crise économique mondiale en toile de fond, devra diminuer de deux points au moins pour être viable. Ce résultat ne peut être atteint que par la croissance économique et l'augmentation du nombre d'emplois.

La République dominicaine connaît une transition économique. D'un modèle traditionnel reposant principalement sur les exportations agricoles, nous sommes passés à une économie de services, comme le tourisme et les services financiers. Nous devons engager une nouvelle transformation, pour augmenter la valeur ajoutée créée par notre activité. Cela implique de développer des services reposant plus fortement sur la technologie et l'innovation, évolution que le plan national d'action que j'ai décrit tout à l'heure cherche à susciter dans le pays.

La jeunesse est notre futur. Elle rencontre encore des difficultés du fait de la situation sociale en République dominicaine, et nous devons concentrer nos efforts sur cette situation pour lui donner un avenir meilleur.

La séance est levée à douze heures quarante-cinq.