Commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire
La Commission a examiné, sur le rapport de M. Jean-Yves Besselat, le projet de loi adopté par le Sénat en 1ère lecture, sur la nationalité des équipages de navires (n° 169).
a indiqué qu'il avait auditionné entre le 15 octobre et le 15 décembre 2007 l'ensemble des acteurs de la filière maritime afin de connaître leur position.
De cette consultation, il ressort que deux écoles se font face :
– l'école colbertiste selon laquelle à bord de tout navire battant pavillon français, le capitaine et son substitué ne peuvent être que Français ;
– l'école européenne selon laquelle la France doit s'adapter au principe de libre circulation des travailleurs découlant du droit communautaire, en acceptant toutes les nationalités européennes aux postes de capitaine ou de second à bord d'un navire français.
Face à ces deux écoles, la Cour de justices des communautés européennes (CJCE) a elle-même une position particulière ; le 15 février 2007, la Commission européenne a saisi la France d'un recours au manquement, estimant que le maintien dans notre législation d'une réserve de nationalité pour l'exercice des fonctions de capitaine de navires et de second est contraire à l'article 39 du traité.
Dans ses arrêts les plus récents, la CJCE rappelle le principe de libre circulation des travailleurs, mais admet une dérogation à ce principe, formulée dans l'alinéa 50 de l'arrêt Anker de 2003, précisant que « une fois qu'un navire s'est éloigné des côtes, l'État du pavillon n'est pas en mesure d'intervenir avec ses propres organes de puissance publique pour sauvegarder ses intérêts généraux ou ceux de la collectivité publique. Aussi l'État du pavillon confie-t-il au capitaine le pouvoir d'exercer, en tant que représentant de la puissance publique, diverses fonctions visant à sauvegarder lesdits intérêts généraux prévus par la législation nationale ou les instruments internationaux. Dans ces conditions, la dérogation de nationalité, prévu par l'article 39 paragraphe 4 du TCE pourrait être valablement invoquée ».
La CJCE prévoit donc que la dérogation est possible à condition que le pays concerné démontre que le capitaine exerce des fonctions régaliennes de sécurité, de sûreté, de protection de l'environnement, de façon régulière et habituelle. Si cette démonstration semble impossible s'agissant du trafic maritime de courte distance, tel n'est pas le cas pour le commerce au long cours.
Notre droit doit donc être modifié pour être mis en conformité avec nos obligations communautaires s'agissant du premier registre, ce qui induit que les pouvoirs des capitaines qui résultent du code disciplinaire et pénal soient adaptés et placés sous le contrôle du procureur de la République, un officier européen ne pouvant en aucun cas exercer une responsabilité pénale.
Pour le long cours, le rapporteur a préconisé le maintien de la réserve de nationalité en démontrant que le capitaine et son substitué sont habituellement et régulièrement représentants de l'État en mer :
– le métier de capitaine est complexe, nécessitant des compétences de navigateur (navigation, manoeuvre, météo, stabilité), de transporteur (chargement, arrimage, contrat de transport, affrètement), d'énergéticien (propulsion, électricité, hydraulique), et de contrôle de la sécurité maritime, qui impliquent une responsabilité directe et régulière en matière de sécurité des personnes (équipage composé d'hommes venant d'horizons très différents), de sécurité du navire, de sécurité du trafic maritime et de sécurité de l'environnement ;
– la marine de commerce entretient avec la marine nationale des relations très particulières, puisque cette dernière cherche à utiliser dans les meilleures conditions les navires marchands pour accomplir certaines des tâches logistiques (affrètement de plus ou moins longue durée, flotte d'appoint de ravitaillement à la mer, entraînements, etc.). La marine nationale ne pourra pas, pour des raisons de sécurité évidentes, utiliser des navires marchands dont le capitaine serait étranger dans un certain nombre de cas. En outre, le contrat de contrôle naval volontaire, signé par les quinze principaux armateurs français et la marine nationale, consiste en un échange d'informations entre ces deux marines, qui vise naturellement à assurer la sûreté des navires de commerce, mais aussi à transmettre à la marine nationale les informations recueillies par notre marine de commerce (informations sur des problèmes de sûreté dans la zone dans laquelle le navire marchand évolue, informations de l'activité militaire dans les ports ou à l'approche des ports où la marine nationale ne peut pénétrer) ;
– le code ISPS, destiné depuis 2002 à assurer la sécurité des navires et des ports, a renforcé les pouvoirs du capitaine dans la mise en oeuvre des normes de sécurité et de sûreté, en prévoyant notamment que la compagnie doit veiller à ce que le plan de sûreté du navire contienne un énoncé clair mettant l'accent sur l'autorité du capitaine. En droit français, le code ISPS se traduit par un décret du 28 mars 2007 prévoyant des sanctions pénales en cas de non respect de ces prescriptions, sachant que c'est actuellement un officier français qui est chargé de l'appliquer. Si le capitaine est étranger, l'exercice de ces compétences pourrait devenir problématique ;
– la convention des Nations-Unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, dite de Montego Bay, indique, dans son article 91, qu'il doit exister un « lien substantiel » entre l'État du pavillon et le navire qui en arbore le pavillon, lien dont la définition est par essence de la compétence de l'État du pavillon. Il lui appartient donc de déterminer quelles sont les conditions qu'il considère comme nécessaires pour lui permettre d'exercer sur le navire un contrôle effectif. En application de la convention de Montego Bay, un État doit donc décider des compétences du capitaine afin de lui permettre d'assurer à bord ses responsabilités.
Le Président Patrick Ollier a remercié le rapporteur pour l'éclairage apporté sur un sujet sur lequel sa compétence ne fait pas de doute. Toutefois, c'est logiquement que le gouvernement se conforme aux mutations du droit communautaire en prenant en compte le caractère désormais non conforme à ce dernier du droit français. Le recours en manquement introduit par la Commission européenne en février 2007 fait peser sur la France la menace d'une condamnation par la Cour de justice des communautés européennes. Il convient d'écarter ce risque, d'autant plus que la navigation sous pavillon français n'est pas contradictoire avec la présence à bord d'officiers étrangers.
Les arguments du rapporteur, pour pertinents qu'ils puissent être, doivent recevoir une réponse contradictoire. En premier lieu, le commandant d'un navire détient effectivement le pouvoir de mener une enquête préliminaire et de prendre des mesures privatives de liberté ; il assure aussi des fonctions d'officier d'état civil. Pour autant, cela ne fait pas de lui un officier de police judiciaire ni un juge d'instruction, et une nationalité étrangère ne change rien à ses prérogatives.
En second lieu, si le commandant exerce bien une mission de surveillance et de sécurité lors de la navigation, les décisions qu'il prend dans ce domaine sont de nature ponctuelle et ne justifient pas un maintien de la réserve de nationalité.
En troisième lieu, le lien entre marine marchande et défense nationale ne suffit pas à faire d'un capitaine de la marine marchande un collaborateur actif de la marine nationale. De plus, la solidarité européenne doit prévaloir en matière de défense, aussi faut-il accorder à un officier européen le même crédit qu'à un officier français. D'ailleurs, un commandant étranger peut déjà recevoir l'habilitation au secret défense.
En quatrième lieu, les prescriptions du code ISPS ne varient pas en fonction de la nationalité du commandant du navire. Il n'y a donc aucune raison objective de penser qu'un étranger l'appliquera plus mal qu'un Français.
En dernier lieu, la convention de Montego Bay sur le droit de la mer n'est pas invocable en raison de textes communautaires qui assurent le lien entre le navire et son pavillon par d'autres moyens que la nationalité du commandant.
a regretté que le projet de loi ne comporte aucun exposé des motifs, et que la Commission n'ait pas entendu la position du Gouvernement sur ce texte.
Le Président Patrick Ollier a estimé que la Commission devait être capable d'avoir un débat éclairé sans entendre forcément le Gouvernement. En outre, il n'y a pas d'exposé des motifs dans le projet de loi car le texte a été préalablement examiné par le Sénat, dont le rapport est d'ailleurs en ligne sur Internet.
s'est étonné du désaccord entre le rapporteur et le président de la Commission, ce qui arrive peu souvent. Il a demandé au rapporteur le retrait de ses amendements, rappelant que toutes les difficultés actuelles découlent du vote de la loi sur le RIF en 2005 ; cette loi devait relancer le pavillon français, mais on a enregistré une faible hausse du nombre d'immatriculation, à peine de 35 à 40 navires à peine.
Si l'on suit la distinction que souhaite faire le rapporteur entre les navires qui voguent dans les eaux territoriales et ceux qui naviguent au long cours, que se passera-t-il lorsqu'un navire du premier type doit porter secours hors de ses eaux territoriales ?
Le Président Patrick Ollier a rappelé qu'il existait une obligation internationale de secours pour tous les capitaines de navire.
a souhaité savoir comment s'articuleraient les deux statuts proposés par le rapporteur. En outre, à quoi sert un navire sous pavillon français du point de vue de l'emploi si ni le capitaine ni l'équipage ne sont de nationalité française ?
a souligné ses divergences par rapport à la position du rapporteur. Ce texte est présenté comme la conséquence de deux arrêts de la Cour de justice de la Communauté européenne (CJCE) ainsi que d'un arrêt rendu par la Cour de cassation dans le cadre de son contrôle de conventionalité.
Or, lors de l'examen du projet de loi sur le RIF, la question de sa compatibilité avec l'article 39 du traité CE était déjà posée. Si la France fait l'objet d'un recours en manquement, pourquoi le Gouvernement n'a-t-il pas inscrit le présent projet de loi à l'ordre du jour plus tôt, alors même que le Président de la République a marqué ces derniers jours son intérêt pour les questions maritimes ? Espérons que sous la présidence française de l'Union européenne, la France assurera la promotion d'un véritable statut du personnel navigant.
Ces problèmes marquent le déclin de la filière maritime : notre flotte est passée du 4ème au 29ème rang mondial. Le RIF était censé apporter la solution mais il est loin d'y avoir réussi. La loi sur le RIF prévoyait la remise d'un rapport sur sa mise en oeuvre, que l'on attend toujours. Et il est nécessaire de disposer d'un tel bilan pour légiférer à nouveau. Par ailleurs, la sécurité maritime n'est abordée que de manière incidente par le projet de loi.
Le rapporteur a une approche quantitative de la notion de prérogatives de puissance publique. Il confond le fait d'être titulaire de ces prérogatives, et le fait d'en assurer effectivement l'exercice. Un maire dispose de telles prérogatives, par exemple en tant qu'officier d'état civil, indépendamment du nombre de naissances, de mariages et de décès enregistrés dans sa commune. Le capitaine représente l'État sur le navire, et exerce des tâches d'état civil, de police et d'ordre judiciaire. Il est aussi un acteur de la défense nationale.
a rendu hommage au travail approfondi et argumenté du rapporteur, étant donné le caractère délicat du texte.
Le droit européen a évolué, depuis l'adoption du RIF en 2005, époque à laquelle la réserve de nationalité était permise par la CJCE. Cependant, le recours de la commission en date du 17 février 2007 est, pour la France, la conséquence logique de son manquement à l'article 39 du traité CE.
En conséquence, M. Serge Poignant a invité le groupe UMP à suivre l'avis du Président Patrick Ollier, en votant le texte du Gouvernement, tel qu'amendé par le Sénat.
Le rapporteur a indiqué que l'on se trouvait dans une situation délicate sur le plan du droit, la thèse colbertiste s'opposant à l'idée d'une France intégrée dans un ensemble européen.
En outre, le RIF est un réel succès puisque 40 nouveaux navires ont été enregistrés depuis sa création, sachant par ailleurs qu'une cinquantaine de dossiers sont actuellement en cours de traitement.
En mer, il y a effectivement une obligation de sauvetage des personnes en péril, quelle que soit la nationalité du navire ou de son capitaine.
A la suite de ces débats, le Président Patrick Ollier a estimé que la commission devait, avant de passer à l'examen des amendements et afin de clarifier le débat, opter de manière globale pour l'argumentation soutenue par le gouvernement et par lui-même, ou pour celle du rapporteur.
Après avoir remarqué que les membres de la commission se prononcent généralement sur un texte ou sur des amendements, MM. François Brottes, pour le groupe SRC, et Daniel Paul, pour le groupe GDR, ont indiqué, après une suspension de séance, que leur groupe ne prendrait pas part à ce vote, dont ils ont estimé qu'il relevait d'une démarche de clarification interne à la majorité, en rappelant leur opposition aux dispositions du projet de loi.
Les membres de la commission qui ont pris part au vote ayant majoritairement soutenu la position du Président Patrick Ollier, M. Jean-Yves Besselat, rapporteur, a indiqué qu'il se ralliait à la position majoritaire et que, par conséquent, il retirait ses amendements au profit du projet du gouvernement, afin d'éviter notamment que la France ne s'engage dans une procédure longue et délicate au niveau communautaire.
Puis, la commission est passée à l'examen des articles du projet de loi.
Avant l'article 1er :
La commission a rejeté un amendement de M. Daniel Paul, proposant de supprimer l'intitulé du chapitre I.
Article 1er (article 3 de la loi du 13 décembre 1926 portant code du travail maritime) : Suppression du privilège de nationalité du capitaine et de son second à bord des navires français
La commission a rejeté un amendement de M. Daniel Paul visant à supprimer cet article, puis un amendement de M. Frédéric Cuvillier ayant pour objet de garantir que le régime de protection sociale à bord des navires battant pavillon français applicable aux navigants résidant hors de France est le régime français, le rapporteur ayant estimé qu'une telle disposition conduirait à une réécriture de la loi sur le registre international français.
Puis, la commission a adopté l'article 1er sans modification.
Article 2 (article 5 de la loi n° 2005-412 du 3 mai 2005 relative à la création du registre international français) : Suppression du privilège de nationalité du capitaine et de son second à bord des navires immatriculés au registre international français
La commission a rejeté un amendement de M. Daniel Paul visant à supprimer cet article. Puis, le rapporteur a retiré un amendement prévoyant le maintien du privilège de nationalité pour le second registre.
Elle a ensuite rejeté un amendement de M. Frédéric Cuvillier visant à garantir que le régime de protection sociale à bord des navires immatriculés au registre international français applicable aux navigants résidant hors de Franc est le régime français.
Puis, la commission a adopté l'article 2 sans modification.
Article 3 : Abrogation de l'article 221 du code des douanes réservant aux Français les fonctions de capitaine et d'officier chargé de sa suppléance
La commission a rejeté un amendement de M. Daniel Paul visant à supprimer cet article.
Puis, la commission a adopté l'article 3 sans modification.
Chapitre II :Dispositions relatives aux prérogatives du capitaine en matière pénale et de sécurité du navire
Article 4 (articles 28 à 30 de la loi du 17 décembre 1926 portant code disciplinaire et pénal de la marine marchande) : Encadrement des prérogatives du capitaine en matière pénale et de sécurité des navires
Le rapporteur a retiré un amendement visant à maintenir les compétences disciplinaires et pénales actuelles des capitaines français à bord des navires inscrits au registre international français.
Puis, la commission a adopté l'article 4 sans modification.
Article 5 : Application de l'article 4 à l'ensemble du territoire de la République
La commission a adopté cet article sans modification.
Après l'article 5
La commission a rejeté un amendement de M. Daniel Paul prévoyant que la France procède elle-même au contrôle du respect, par les entreprises de travail maritime installées dans les pays étrangers, des dispositions de la Convention n° 179 de l'organisation internationale du travail relative au placement des gens de mer.
La commission a enfin adopté l'ensemble du projet de loi sur la nationalité des équipages sans modification.