COMMISSION CHARGEE DES AFFAIRES EUROPEENNES
Jeudi 19 février 2009 à 11 h 30
Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission chargée des affaires européennes, et de M. Axel Poniatowski, Président de la Commission des affaires étrangères
La séance est ouverte à onze heures quarante cinq
Monsieur le Vice-Premier ministre, nous sommes heureux de vous accueillir devant nos deux commissions réunies. Votre jeune âge n'a échappé à personne mais votre expérience européenne est déjà riche, en tant qu'étudiant puis comme jeune chercheur en sciences politiques. Vous avez également été journaliste dans la presse écrite et à la télévision. La combinaison de ces divers talents est certainement utile à la nécessaire pédagogie du rapprochement avec l'Union européenne, auquel vous êtes très attaché. Nous nous réjouissons de pouvoir dialoguer avec vous ce matin.
Permettez-moi de m'adresser à vous d'abord dans ma langue maternelle, comme je le fais à chacun de mes déplacements à l'étranger.
Vous les Français, vous avez pour habitude d'envoyer les meilleurs d'entre vous à l'étranger pour qu'ils y deviennent des héros nationaux : il y a deux cents ans, vous avez envoyé La Fayette aux Etats-Unis ; il y a vingt ans, vous avez envoyé M. Robert Badinter en Macédoine, où il est devenu un héros ! C'est la raison pour laquelle j'ai eu ce matin un entretien très intéressant avec M. Badinter, personne avec laquelle l'histoire des perspectives européennes de la Macédoine a commencé. Je remercie la France de la part qu'elle a prise à la création d'un Etat moderne de Macédoine, et je suis profondément convaincu que l'avenir européen de mon pays est impossible sans son appui.
Je vais maintenant poursuivre mon propos en langue anglaise.
Nous tous ici souhaitons être membres à part entière de l'Union européenne. L'intégration est l'aboutissement logique du processus d'européanisation – développement du marché, droits de l'homme, protection des droits des minorités, renforcement des institutions politiques – qui est à l'oeuvre dans l'ensemble de l'Europe centrale et orientale et en Europe du Sud-Est.
L'Union européenne nous a aidés à parvenir à la stabilité, et à long terme elle peut nous apporter la prospérité. C'est ce à quoi aspirent, bien sûr, non seulement les Macédoniens, mais tous les peuples des Balkans. Nous partageons l'histoire, la civilisation et les valeurs de l'Europe ; néanmoins, il nous a fallu assez longtemps pour parvenir à cet objectif stratégique. Le processus est en cours dans toute la région, il est un peu plus long chez nous que chez certains de nos voisins.
Les Balkans ont été stigmatisés dans le passé comme une région de troubles. Ses perspectives ont longtemps été incertaines. L'instrument de l'européanisation n'a pas été perçu partout de la même façon. Sans refaire l'histoire, force est de reconnaître que les Balkans ont manqué beaucoup d'occasions. Il n'est cependant pas trop tard, et je veux aujourd'hui parler des étapes à venir et de l'avenir européen que nous voulons offrir à nos concitoyens.
Dans la région, certains pays sont plus avancés que d'autres dans le processus d'adhésion, mais notre dénominateur commun est bien la perspective d'intégrer l'Union. Nous, dirigeants politiques des Balkans, avons devant nos concitoyens et devant l'Histoire la responsabilité d'atteindre ce but et de défendre les valeurs qui sont celles de l'Union européenne.
Cela dit, il faut aussi relever les défis immédiats, et 2009 ne sera pour personne une année facile. Compte tenu de la crise monétaire et financière et des difficultés dans la ratification du traité de Lisbonne, je ne pense pas que l'élargissement soit cette année une priorité pour l'Union européenne. Je salue l'engagement de la présidence tchèque sur le dossier des Balkans, nous attendons également beaucoup de la présidence suédoise. Mais c'est dans l'ensemble de l'Union comme dans les Balkans et à Bruxelles qu'il faut une implication politique forte pour que le processus d'élargissement puisse se poursuivre. Malheureusement, l'avenir de celui-ci manque de clarté, de même que les critères d'adhésion. L'Agenda de Thessalonique garantissait une perspective d'intégration à tous les pays participant au processus de stabilisation et d'association et satisfaisant aux critères de Copenhague, mais depuis le récent élargissement à deux de nos voisins, la Bulgarie et la Roumanie, la procédure est transformée. Désormais, il nous faut remplir des critères définis non seulement par l'Union, mais aussi par certaines capitales européennes – Athènes en ce qui nous concerne. Le processus d'origine est perverti par l'introduction de négociations sans fin et de critères de conditionnalité stricte.
Chers amis, le temps est compté. A tout processus, il faut un point de départ et un point d'arrivée clairement définis. Dans l'ensemble des Balkans occidentaux, nous avons besoin d'avoir des perspectives claires et de connaître précisément les critères qui nous sont imposés, faute de quoi nous allons nous épuiser. La Commission et les Etats membres doivent aujourd'hui comprendre notre message. L'évolution actuelle amoindrit le rôle, jusqu'à présent moteur, de la commission dans le processus d'élargissement de l'Union, qui a pourtant été sa plus belle réussite.
Le temps est venu de remettre le dossier à plat au niveau de l'Union européenne –et sans doute aussi à Paris. Il faut tout d'abord établir un plan d'ensemble pour chacun des pays des Balkans, non en se limitant à la prochaine étape de la procédure d'élargissement, mais en vue d'une intégration pleine et entière dans l'Union. Ce plan doit préciser tous les critères et le calendrier ; dans le contexte difficile qu nous connaissons, c'est indispensable pour nous.
Permettez-moi d'évoquer enfin le processus de libéralisation des visas. Il est paradoxal que ma mère et les personnes de sa génération, qui avaient des passeports yougoslaves, établis du temps de la Yougoslavie de Tito, régime totalitaire communiste, aient eu la possibilité de circuler librement en Europe de l'Est et de l'Ouest et qu'à ma génération, avec un passeport macédonien, et alors que la Macédoine démocratique est candidate à l'adhésion à l'Union européenne, nous ayons été confinés en Macédoine pendant des années. En outre, dans une période difficile comme celle que nous vivons aujourd'hui avec la crise économique, les gens qui vivent coupés du monde sont des proies faciles pour les démagogues, les populistes, les xénophobes et autres nationalistes. Il ne faut pas permettre cela dans les Balkans. En Macédoine, plus de 70 % des jeunes de 16 à 30 ne sont jamais allés dans un pays de l'Union européenne ; et actuellement, les visas coûtent à notre population plus de 5 millions d'euros par an.
Pour conclure, je vous rappelle que la Macédoine est candidate à l'adhésion depuis trois ans, mais qu'aucune date n'est encore fixée pour le début des négociations d'adhésion. Dans ce contexte, je suis heureux de pouvoir engager un débat avec vous.
A mon tour, je tiens à vous dire combien nous sommes heureux de vous accueillir. Bien évidemment, nous souhaitons à terme l'adhésion de votre pays à l'Union européenne. Parmi les diverses questions qui se posent, je voudrais insister sur la réforme du système judiciaire et la lutte contre la corruption et le crime organisé. C'est en effet l'un des points-clés des discussions avec l'Union. Je souhaiterais également vous entendre à propos du nom de votre pays, point de litige important avec la Grèce.
Je vous remercie d'avoir évoqué ces sujets. Dans le dernier rapport de la Commission européenne, il est écrit que la Macédoine a progressé dans le domaine judiciaire et dans la lutte contre la corruption, mais comme nous le savons tous il faut en la matière un effort continu. Après le programme de réformes judiciaires de 2004, nous envisageons une nouvelle étape, et nous sommes actuellement en train d'informatiser nos tribunaux. Par ailleurs, la Macédoine a considérablement amélioré depuis deux ans son rang dans le classement selon l'indice de perception de la corruption (IPC) effectué par Transparency International. Après un gain de 21 places entre 2006 et 2007, la Macédoine figure en 2008 à la 72e place, ce qui montre la détermination du Gouvernement. Le conseil anti-corruption est présidé par le Premier ministre lui-même. Nous avons prévu de relier toutes les bases nationales de données entre elles. Tout est mis en oeuvre pour faire progresser la lutte contre la corruption.
Mais j'en reviens au sujet principal. Les Macédoniens ont eu une histoire tumultueuse, particulièrement au cours du dernier siècle. Ils voient se développer en provenance de Grèce une nouvelle rhétorique qui remet en question leur identité. Or pour ma part, je ne peux pas me désigner autrement que comme Macédonien, je ne peux pas donner à ma langue un autre nom que le macédonien, mon Eglise est l'Eglise macédonienne. Ainsi, quand je vois, même dans les publications de l'Union européenne, présenter ma langue comme l'une des langues de l'ARYM, je trouve cela très insultant et provocateur.
L'histoire très mouvementée que nous avons connue explique que le projet d'adhésion à l'Union européenne soit chez nous si populaire. 92 % des Macédoniens le soutiennent. Il apparaît en effet comme le moyen de mettre un point final à ces tourments et de donner toute sa place à la Macédoine dans le concert des nations. L'Union européenne est une société post-moderne, où l'on ne remet pas en question l'identité des autres.
Les négociations ont repris avec un nouveau négociateur. Après les élections en Macédoine et les élections européennes en Grèce, je pense que le processus pourra avancer.
Auteur d'un rapport sur l'adhésion de la Croatie et de l'Albanie à l'OTAN, j'ai pu mesurer l'importance de ce litige sur le nom. Pour ma part, je souhaiterais vous interroger sur l'image de la France en Macédoine. Comment notre pays est-il perçu et comment jugez-vous la présidence française de l'Union européenne ?
Concernant le contentieux du nom, je souhaite qu'une médiation politique puisse accélérer la résolution du problème, qui dure depuis trop longtemps et handicape votre entrée dans l'Union européenne.
En ce qui concerne la lutte contre la corruption évoquée par le Président Pierre Lequiller et le problème des visas dont vous souhaitez l'abolition, il est important de souligner que la liberté de circulation des honnêtes citoyens en Europe doit progresser parallèlement à la lutte contre les réseaux criminels.
Quant à la crise économique et financière, quel en est l'impact sur les finances publiques et sur le développement du secteur privé, avec la chute des investissements directs étrangers et la crise du crédit, en particulier dans une région où la dépréciation des monnaies nationales aggrave l'endettement des entreprises et des ménages ?
Enfin, dans quelle mesure la récente crise gazière a-t-elle frappé votre pays ? Quelles conclusions en tirez-vous quant au renforcement de la Communauté de l'énergie entre l'Union européenne et l'Europe du Sud-Est, en particulier en matière d'interconnexion et de sécurité d'approvisionnement ?
Monsieur le Vice-Premier ministre, j'ai eu la chance d'aller à de très nombreuses reprises dans votre pays, notamment dans la très belle région d'Ohrid avec l'Assemblée parlementaire de l'OTAN. Nous avions été très frappés par l'opposition entre communautés slave et albanaise. Une guerre civile a été évitée de justesse. Quelle est la situation aujourd'hui ?
Le Président Axel Poniatowski. Il semble qu'au sein même de ces deux communautés, et en particulier des partis albanais, les oppositions soient assez fortes. Nous aimerions avoir votre éclairage sur cette situation politique particulièrement complexe.
En 2007, le Parlement européen a déploré la ratification par l'Ancienne République yougoslave de Macédoine et les Etats-Unis d'un accord bilatéral d'immunité, lequel permet aux citoyens de l'un des deux pays qui sont arrêtés sur le territoire de l'autre d'échapper à la juridiction de la Cour pénale internationale de La Haye, ce qui va à l'encontre des principes de l'Union européenne. Quelle est aujourd'hui votre position sur ce point alors que le Parlement européen avait demandé un alignement de votre pays sur les principes de l'Union européenne soutenant la Cour et s'opposant aux accords bilatéraux d'immunité ?
S'agissant de la question du nom, au-delà du différend avec la Grèce, il semble que la population albanaise rejette toute appellation qui évoque l'idée d'un Etat ethniquement pur. Selon le président du Parti démocratique albanais Arben Xhaferi, le problème ne vient pas du nom lui-même, mais du fait que celui-ci renvoie uniquement à la population macédonienne, ce qui est contraire à l'Accord d'Ohrid, lequel prévoit dans son Préambule l'identification de l'Etat macédonien à toutes les communautés nationales qui le composent. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?
Sur la question du nom, les partis politiques albanais soutiennent la position des autorités macédoniennes. D'ailleurs, depuis notre indépendance, la tradition non écrite est que tout gouvernement de coalition doit intégrer un partenaire représentant les intérêts de la population albanaise en Macédoine. Au demeurant, après les accords d'Ohrid, nous avons eu un processus législatif complexe pour répondre aux préoccupations des différentes composantes de la population. A cet égard, les actions les plus récentes ont été l'adoption de nouvelles règles de procédure au Parlement et celle d'une loi relative à l'usage officiel de l'albanais dans l'administration. Les minorités représentent actuellement 16,78 % des fonctionnaires, et ce taux augmente d'année en année, au fur et à mesure des recrutements. Nous nous employons à refléter au sein de l'administration la composition de notre population.
Nous sommes fiers que notre pays soit pluriethnique, et nous sommes fiers de le montrer. Le fait que la deuxième place dans la hiérarchie de la diplomatie macédonienne soit occupée par un albanais en dit beaucoup sur les efforts que nous faisons représenter notre diversité interne.
En ce qui concerne la lutte contre la corruption, j'ai déjà évoqué le saut que nous venons de faire dans le classement international. Mais nous poursuivons nos efforts, notamment à travers un programme d'harmonisation de notre législation. La politique du Gouvernement est la tolérance zéro pour la corruption, de quelque niveau qu'elle soit.
Le conflit du gaz a beaucoup affecté la Macédoine, qui est approvisionnée par un pipeline unique venant de Bulgarie. Les difficultés ont culminé le 6 janvier, jour du réveillon de Noël orthodoxe. Les familles ont été extrêmement gênées. Quant aux entreprises macédoniennes, ces problèmes d'approvisionnement ont nécessairement entravé leurs efforts pour se construire une réputation à l'étranger. L'impact est difficile à estimer.
J'en viens à la manière dont la France est perçue chez nous. Le français était la langue étrangère dominante en Macédoine, où la France est tenue en haute estime. L'année dernière, j'ai participé à Skopje à la cérémonie qui a eu lieu au cimetière français de la Première guerre mondiale. Quant à la présidence française, elle a correspondu à une période très difficile. Avec la crise géorgienne, puis la crise financière et économique, le sujet qui nous importe le plus, celui de l'élargissement, ne faisait pas partie des priorités. Mais nous savons que les Balkans n'auront pas d'avenir au sein de l'Union européenne sans la France. Nous fondons beaucoup d'espoirs sur les relations avec votre pays. Nous escomptons en particulier votre soutien au sujet de la libéralisation des visas, très important pour l'avenir des citoyens macédoniens et l'aboutissement de notre projet européen.
Le Président Axel Poniatowski. Merci beaucoup, monsieur le Vice-Premier ministre. Et bon séjour en France !
La séance est levée à douze heures vingt.