COMMISSION CHARGEE DES AFFAIRES EUROPEENNES
Mercredi 22 octobre 2008
Présidence de M. Pierre Lequiller, Président de la Commission chargée des affaires européennes de l'Assemblée nationale, et de M. Jacques Blanc, Vice-président de la Commission des affaires européennes du Sénat
La séance est ouverte à onze heures trente
Le Président Pierre Lequiller. Monsieur le secrétaire d'Etat aux affaires européennes, cette audition sous forme de visioconférence est, pour nous, une grande première. Elle est réalisée en commun avec la Commission des affaires européennes du Sénat, dont je vous prie de bien vouloir excuser l'absence du président Hubert Haenel, actuellement en Turquie ; il a demandé à M. Jacques Blanc, vice-président, de le remplacer.
L'objet de cette réunion est de vous interroger sur les conclusions du Conseil européen des 15 et 16 octobre et sur les suites que vous en attendez.
Tout d'abord, quelle est l'ambiance à Strasbourg après ce Conseil et après le discours du Président de la République devant le Parlement européen, qui fut un temps fort ?
Nous nous félicitons des mesures adoptées par l'Eurogroupe et par le Conseil européen pour lutter contre la crise financière. On a bien vu qu'après le plan Paulson, la situation continuait d'empirer, et que le redressement ne s'est amorcé qu'après la réunion des pays de la zone euro. Nous souhaiterions que cette ébauche de gouvernement économique de la zone euro ne soit pas qu'un épiphénomène dû à la crise, mais qu'il devienne à terme l'institution que nous appelons de nos voeux depuis très longtemps.
Par ailleurs, y aura-t-il un Conseil européen extraordinaire pour préparer les réunions mondiales sur la refonte du système financier international ?
Enfin, la présidence française devra réunir un consensus sur le paquet « énergie-climat » – dont j'ai demandé qu'il fasse l'objet d'un débat en séance publique à l'Assemblée nationale – pour le prochain Conseil européen de décembre, ce qui ne sera pas sans difficulté dans le contexte économique et social actuel, certains Etats arguant de la crise pour émettre des réserves. Ne faut-il pas, comme l'affirme le président Barroso, demeurer ferme sur le principe de ces réformes, l'Europe devant conserver sa force d'impulsion et d'entraînement dans ce domaine ?
Je remercie le Président Pierre Lequiller d'avoir invité la Commission des affaires européennes du Sénat à participer à cette réunion.
Nous vivons un moment exceptionnel, puisqu'on voit enfin tout ce que l'Europe est capable d'impulser et de réaliser. Ce Conseil sera sans doute un temps fort de l'histoire de l'Europe. Merci, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous apporter les éléments d'information qui nous permettront de suivre cette marche en avant.
Monsieur le président, je vous remercie d'avoir accepté d'organiser cette visioconférence, qui permet de concilier l'urgence de cette audition avec les impératifs de ma tâche à Strasbourg, puisque je me dois de représenter la présidence française aux sessions plénières restantes.
L'ambiance à Strasbourg est bonne. D'abord, les travaux dans cette enceinte ont été accomplis avec célérité et les parlementaires européens sont heureux de retrouver Strasbourg. Ensuite, comme vous l'avez souligné, le discours prononcé hier par le Président de la République devant le Parlement européen a constitué un temps fort. Tous bords confondus, chacun a salué l'énergie, le pragmatisme et l'esprit d'initiative de la présidence française et du président du Conseil européen Nicolas Sarkozy, en ce qui concerne tant la crise internationale liée à la guerre entre la Russie et la Géorgie que la crise financière et, désormais, économique.
Le Conseil européen s'est déroulé de manière très satisfaisante. Il a été conduit dans les délais – ce qui, compte tenu de l'ordre du jour, est une performance – et dans un très bon esprit, grâce à une préparation adéquate par le Président de la République, avec d'abord la réunion des quatre pays européens concernés par le G8, puis celle de l'Eurogroupe. L'ensemble du plan de réponse à la crise financière a été accepté par les Vingt-sept. C'est un très grand succès pour la présidence française que, d'une part, d'avoir innové dans la méthode face à une crise aussi importante, d'autre part, d'avoir réussi à organiser une réunion de la zone euro au niveau des chefs d'Etat et de Gouvernement et affirmé ainsi, pour la première fois, l'existence politique de cette zone, qui va bien au-delà du gouvernement économique. De fait, c'est bien un ensemble politique qui se constitue, avec ses solidarités propres, son espace de souveraineté partagée, sa banque et sa monnaie uniques. Un autre succès est d'avoir su nouer une coopération très étroite avec le Royaume-Uni à chacune des étapes de cette consultation.
Ce qui se fait jour, c'est un esprit non seulement de réactivité – je ne reviendrai pas sur les mesures adoptées, désormais bien connues –, mais aussi de solidarité. À l'occasion de ce Conseil, tous les partenaires européens se sont aperçus que nous disposions avec la zone euro d'un point d'ancrage et de stabilité incontournable, et que la solidarité pouvait jouer aussi à l'égard d'autres pays, qu'ils soient membres de l'Union européenne – comme la Hongrie, confrontée à une grave crise financière et économique, et à qui la Banque centrale européenne a proposé d'apporter son concours – ou simplement associés – comme l'Islande. Des conclusions du Conseil européen sont ainsi consacrées aux liaisons financières devant exister entre les membres de l'Union, ceux de la zone euro et ce dernier pays membre de l'Espace économique européen.
Par ailleurs, chacun a admis qu'il fallait distinguer les mesures à court terme, les mesures à moyen terme et celles à long terme.
Les premières sont des mesures de sauvetage, destinées à prévenir les risques systémiques liés à la mutualisation des intérêts bancaires en Europe. Pour protéger le système de financement de l'économie européenne, l'épargnant et le citoyen européens, vous aviez deux possibilités : soit soutenir les banques afin qu'elles reprennent leurs activités traditionnelles, soit procéder à des garanties directes auprès des citoyens. C'est le premier principe qui a été retenu, en adaptant sa mise en oeuvre à la situation spécifique de chacun des Etats membres. Par exemple, certaines banques régionales allemandes peuvent être dans une situation tragique sans que cela mette en péril le système financier européen, alors qu'au Royaume-Uni, en France ou en Italie, il existe des risques systémiques devant être traités au niveau européen. Aussi l'approche retenue associe-t-elle unité de principes et coordination des actions menées au niveau national. Ces mesures commencent à porter leurs fruits.
Ce qui est important, maintenant, c'est que les banques reprennent leur activité de prêt et qu'on n'assiste pas à un mouvement de contraction de l'octroi des crédits aux niveaux européen et national. La recapitalisation d'un certain nombre de banques, attendue par les acteurs économiques, était nécessaire pour améliorer le rapport entre leurs capitaux propres et leurs actifs et faire en sorte que le marché des crédits reprenne, de manière à venir en aide aux PME, éviter une aggravation de la crise économique et protéger les crédits aux particuliers.
À moyen terme – d'ici à trois ou six mois –, nous devons en outre nous accorder au niveau européen sur le renforcement de la supervision du secteur financier et l'amélioration des mécanismes de régulation, qu'il s'agisse des banques, des compagnies d'assurance, des marchés ou des agences de notation. Faut-il privilégier une unicité de la régulation ou un système de supervisions sectorielles ? Cette seconde approche me paraît plus réaliste. Il faut par ailleurs réformer les règles comptables : la Commission doit travailler en ce sens. Le président Barroso a constitué un groupe de réflexion, présidé par M. de Larosière, sur l'organisation d'un système européen de supervision financière ; il devra remettre ses conclusions début 2009, afin que des décisions opérationnelles soient prises avant le printemps prochain. Nous irons le plus loin possible dans ce domaine avant la fin de la présidence française.
Au niveau international, l'Europe doit prendre l'initiative, mais elle ne peut agir seule. Il faut envisager la refondation du système financier international et un aménagement des règles de régulation et de supervision, aujourd'hui trop éclatées. C'est pourquoi le Président de la République et le président Barroso ont voulu rencontrer le président des Etats-Unis. La situation évoluant rapidement, il fallait agir sans attendre, sans attendre les résultats des élections américaines, quitte à prévoir d'associer les équipes économiques du vainqueur aux prochaines rencontres internationales. Ils se sont accordés sur le principe d'une réunion à Washington à la mi-novembre, qui sera préparée, côté européen, par une réunion des ministres de l'économie et des finances le 4 novembre et, vraisemblablement, par un Conseil européen extraordinaire le 7 novembre.
Je tiens à souligner qu'à l'occasion de la préparation du Conseil européen, nous avons travaillé en étroite coopération avec le président de la Banque centrale européenne. Depuis dix-huit ans que je m'occupe des affaires européennes, c'est la première fois que j'assiste à des échanges aussi francs et réguliers. La banque de la zone euro s'affirme désormais comme l'interlocutrice privilégiée de l'ensemble des Chefs d'Etat et de Gouvernement des Vingt-sept.
Par ailleurs, contrairement à ce qui a été dit, l'accent a été mis sur la nécessité d'apporter également des réponses aux conséquences de la crise sur l'industrie européenne. La Banque européenne d'investissement mobilisera ainsi 30 milliards d'euros de concours au profit des PME et le Conseil a demandé à la Commission européenne de faire d'ici à la fin de l'année des propositions, notamment en ce qui concerne le soutien à la compétitivité internationale de certains secteurs industriels, les adaptations législatives nécessaires, les aides d'Etat et les incitations dans les domaines de l'environnement et de la recherche et développement.
Un seul point a fait débat : l'opportunité de mesures de relance à l'activité économique dans les circonstances actuelles. Ces divergences, notamment entre la France et l'Allemagne, ne sont pas nouvelles. Pour le reste, il y a eu accord entre les Etats membres pour dire qu'au-delà du secteur financier, il fallait traiter sur le plan européen les aspects économiques et industriels de la crise. Il ne s'agit pas d'une lubie française !
S'agissant du paquet « énergie-climat », nous avons souhaité que le Conseil européen en réaffirme les objectifs et le calendrier, parce que nous avons bien vu qu'on pouvait être tenté d'utiliser la crise financière pour les faire tomber dans l'oubli. Un consensus s'est établi pour parvenir à un accord d'ici à la fin de l'année. En la matière, l'implication des parlementaires européens est très forte : tous veulent éviter que les responsabilités liées au réchauffement climatique ne soient éclipsées par la crise financière.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à une multitude de crises, certaines à court terme, d'autres à plus long terme. Il est clair que la crise financière montre aussi les limites du modèle de développement actuel. Par conséquent, nous devons suivre aussi fidèlement que possible les propositions de la Commission européenne, tout en accordant une certaine flexibilité aux pays qui ont la structure énergétique la plus carbonée, comme la Pologne et de nombreux autres pays d'Europe centrale et orientale, et à quelques secteurs industriels spécifiques. L'essentiel est que les principes soient respectés et que, au niveau international, la position de l'Union demeure exemplaire.
En ce qui concerne la sécurité énergétique, ce Conseil européen a vu émerger, pour la première fois depuis Maastricht, une Europe de l'énergie. En prenant des mesures touchant à la fois au développement des technologies énergétiques, à la diversification des sources d'énergie – notamment afin de réduire la dépendance de certains pays à l'égard de la Russie –, à l'amélioration de la transparence sur les flux et les stocks de gaz, à la mise en place de mécanismes de solidarité en cas de rupture d'approvisionnement et au renforcement de la relation entre l'Union européenne et les pays producteurs et de transit, il a jeté les bases d'une future construction politique. De ce point de vue, nous attendons beaucoup de la prochaine communication de la Commission européenne sur le renforcement de la sécurité énergétique.
Le Conseil a également adopté le Pacte européen sur l'immigration et le droit d'asile. Cet accord, réalisé à vingt-sept sur des valeurs communes, est un événement politique important et un succès pour la présidence française.
Quant au traité de Lisbonne, même si les conclusions du Conseil sont un peu formelles, un échange intéressant a eu lieu avec le Premier ministre irlandais Brian Cowen. Il a permis de souligner les points qui posent encore problème. Les Irlandais ont mis en place une structure de concertation intégrant des représentants des milieux socio-économiques et de la société civile au sein de leur Parlement. Le dialogue entre la présidence française, les autorités irlandaises et nos autres partenaires se nouera entre la mi-novembre et le Conseil européen de décembre. La présidence française est déterminée à aller le plus loin possible dans la définition d'une feuille de route et souhaite trouver les solutions juridiques permettant de prendre en compte les principales préoccupations de nos amis irlandais.
En ce qui concerne la situation internationale, le Conseil européen s'est concentré sur les relations avec la Russie, à la suite du conflit avec la Géorgie. D'une part, il s'agit de mettre en oeuvre le processus des négociations de Genève, qui, comme tout processus de pacification, est long – sont en jeu la stabilité et la sécurité de la région du Caucase et le sort des populations réfugiées et déplacées. D'autre part, il convient de préparer le sommet prévu à Nice le 14 novembre prochain entre l'Union européenne et la Russie, qui sera l'occasion de remettre à plat nos relations. Chacun s'accorde à reconnaître que la Russie constitue un partenaire incontournable. L'Union européenne ne se trouve pas dans la même situation que les Etats-Unis : l'interdépendance avec la Russie vaut dans beaucoup de domaines, qu'il s'agisse de l'énergie, de la finance ou de la lutte contre le terrorisme. En outre, le meilleur moyen d'améliorer la stabilité au Moyen-Orient est de renforcer le dialogue avec elle.
Le Président Jacques Blanc. Monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous me confirmer que, si vous avez réussi à faire adopter des mesures de lutte contre la crise financière et à créer une ébauche d'un gouvernement économique, vous n'avez pas pour autant abandonné les objectifs initiaux de la présidence française, notamment en ce qui concerne le paquet « énergie-climat » ? Certains pays peuvent-ils prétexter de la crise pour demander une révision des objectifs en la matière ?
Enfin, au cours du sommet de Nice, aborderez-vous avec la Russie les relations de voisinage ?
Je le répète, nous n'avons pas abandonné nos objectifs initiaux, notamment en ce qui concerne le paquet « énergie-climat », sur lequel l'attente de nos concitoyens est très forte. Nous sommes actuellement confrontés à deux types de problèmes.
Le problème des pays d'Europe centrale et orientale, dont la Pologne est le principal porte-parole, est d'ordre structurel. L'économie de ces pays est dominée par le charbon et du fait de la mise aux enchères de l'intégralité des quotas d'émission du secteur électrique, ils craignent de n'avoir d'autre choix que d'imposer au consommateur des hausses de prix considérables ou de renforcer leur dépendance à l'égard de Moscou en important du gaz. Il faut trouver avec eux des solutions adaptées, même si ce n'est pas facile.
D'autres pays, en revanche, peuvent être tentés d'arguer de la conjoncture pour réclamer une révision de nos objectifs quantitatifs. Ce que nous leur répondons – en accord avec la Commission européenne –, c'est que, vis-à-vis des Etats-Unis, du Japon, de la Russie et des grands pays émergents, nous ne pouvons pas nous le permettre ; sinon, nous ne serions plus crédibles, non seulement sur l'après-Kyoto, mais aussi sur les engagements de Kyoto, qui ne sont pas encore appliqués par tous les Etats membres. Or, pour avoir participé à des réunions en marge de l'assemblée générale des Nations unies, je peux vous dire que c'est un vrai enjeu. Cela n'empêche pas d'accorder ensuite une certaine flexibilité de mise en oeuvre pour quelques secteurs industriels. Je rappelle cependant que ce paquet est destiné à être appliqué en 2013 : d'ici là, on peut espérer que la situation économique aura changé.
Les autres objectifs de la présidence française demeurent. Au mois de novembre, nous devons aboutir à un accord sur le bilan de santé de la politique agricole commune ; pour le mois de décembre, il nous faut impérativement avoir défini des orientations communes pour la politique européenne de sécurité et de défense, notamment en ce qui concerne la révision de la stratégie de sécurité et le lancement de plusieurs programmes opérationnels aéronavals, héliportés et autres.
S'agissant du sommet avec la Russie, les rapports de voisinage seront abordés. Il faut tirer la leçon de ce qui s'est passé en Géorgie et promouvoir au niveau européen des approches préventives. Ainsi, nous souhaitons conclure avec la Moldavie un accord plus ambitieux que l'accord de partenariat et de coopération actuel – sous réserve que les élections du printemps prochain se déroulent dans des conditions conformes à nos critères –, sur le modèle de celui que nous avons proposé à l'Ukraine le 9 septembre dernier.
D'une manière générale, l'existence de « conflits gelés » autour de la Russie souligne l'importance de maintenir un dialogue étroit avec elle.
Un des rares aspects positifs de cette crise est d'avoir permis à l'Europe d'avancer. Le problème, maintenant, c'est la suite.
Vous avez évoqué la mise en place de mécanismes de surveillance et de régulation des marchés monétaire et financier. Seraient-ils limités à la seule zone euro ou pourraient-ils être élargis à d'autres Etats membres – un autre aspect positif de la crise étant le rapprochement des pays de la zone euro avec le Royaume-Uni ?
Par ailleurs, notre assemblée a entamé la discussion du projet de loi de finances pour 2009, qui prévoit le renforcement des procédures de coopération entre pays européens. En cas de crise économique, pourrait-on envisager de mettre en place des actions communes concernant les politiques budgétaires et les politiques de relance ?
On fait beaucoup appel à la Banque européenne d'investissement : elle a été sollicitée pour compléter le septième PCRD, pour les entreprises, pour le paquet énergie. Certes, elle dispose de ressources importantes, mais nécessairement limitées. Quelle est la capacité d'emprunt des institutions européennes ?
Enfin, les moyens dont dispose l'Union européenne pour lutter contre les évasions de capitaux ont-ils été évoqués par le Conseil européen?
La crise se révèle comme une opportunité formidable pour faire avancer l'Europe, en particulier sur le plan économique et financier. N'êtes-vous pas malgré tout un peu déçu par les propos du ministre allemand de l'économie, qui semble vouloir préserver une souveraineté économique et financière nationale ?
En outre, comment envisagez-vous de pérenniser cette coopération exceptionnelle qui s'est nouée entre les chefs d'Etat et le président de la Banque centrale européenne ?
Enfin, à deux mois de la fin de la présidence française, dans quel état d'esprit abordez-vous le passage de témoin à la République tchèque, compte tenu du contexte économique actuel et du fait que ce pays n'a toujours pas adopté le traité de Lisbonne ?
Au vu ce qui s'est passé ces derniers mois, on doit convenir que l'Europe fonctionne, et même qu'elle a été très utile. Dans ce monde mondialisé, ce ne sont pas des réflexions et des décisions éparses qui résoudront les crises, mais des décisions globales. Cependant, les opinions publiques restent réticentes à son égard, et je n'ai pas le sentiment qu'elles trouveront dans les événements récents des raisons de lui être beaucoup plus favorables. N'attribueront-elles pas les succès obtenus aux gouvernements et aux hommes politiques ? Il est vrai que la présidence française a montré sa capacité à trouver des solutions. Quelles initiatives peut-on prendre pour que les opinions publiques se tournent vers une Europe politique ? Que va-t-il se passer durant la présidence tchèque ? Comment ferons-nous si nous n'évoluons pas vers des institutions donnant à l'Europe une gouvernance plus stable ?
Tout le monde se réjouit d'avoir vu apparaître pour la première fois un embryon de gouvernement économique européen, susceptible d'être l'interlocuteur des Etats-Unis. Cela reste très modeste, mais nous sommes sur la bonne voie. Pensez-vous faire des propositions pour le structurer davantage et faire en sorte qu'il devienne l'interlocuteur de la Banque centrale européenne ? Il y a notamment un débat à avoir sur la politique financière et monétaire : quand doit-on baisser les taux d'intérêt ? Il ne faut pas rater le coche !
Allez-vous formuler des propositions pour coordonner davantage les mesures de relance de la croissance et de l'emploi, afin d'éviter que chacun fasse, comme aujourd'hui, son petit plan de relance dans son coin – parfois à contretemps ?
Concernant le traité de Lisbonne, au-delà de la langue de bois, on sent bien que le gouvernement irlandais n'a aucunement l'intention de bouger. Allez-vous prendre des initiatives afin de faire avancer le dossier ?
Le Président Pierre Lequiller. S'il y a une issue pour le traité de Lisbonne, c'est que la République tchèque et le Président polonais le ratifient avant l'Irlande. Avez-vous eu l'impression que l'opinion irlandaise était sensible au fait que, face à la crise, l'Europe a été extrêmement utile – notamment pour l'Irlande, qui était particulièrement exposée ? Il suffit de regarder le sort de l'Islande pour s'en persuader !
S'agissant de la zone euro, le Président de la République souhaite un Eurogroupe au niveau des chefs d'Etat, avec une présidence stable, de manière à pouvoir discuter de tout enjeu politique, économique ou autre impliquant directement les Etats membres de la zone euro. Par exemple, je pense que, dans le cadre des réunions internationales prévues au mois de novembre, un grand pays comme l'Espagne pourrait souhaiter avoir son mot à dire au niveau le plus élevé.
Il n'est pas question pour autant de remettre en cause les pouvoirs de la Banque centrale européenne – la détermination des taux d'intérêt est de sa responsabilité. Toutefois, l'indépendance n'exclut pas le dialogue, y compris au niveau politique.
Il est vrai, M. Luca, que l'Allemagne a toujours marqué sa réticence vis-à-vis d'un « gouvernement économique » ; l'expression « union économique » est plus consensuelle. L'Allemagne a toujours été réticente au renforcement des coordinations économiques, parce qu'elle craint pour l'indépendance de la Banque centrale européenne et pour sa souveraineté. Il faut dialoguer avec elle. Dans des situations d'urgence ou lorsque l'Europe a, comme en ce moment, la possibilité de s'imposer sur la scène internationale, il est indispensable qu'il y ait une meilleure coordination des Etats et une présidence stable organisée parmi ceux qui veulent aller plus loin dans le partage de la souveraineté. J'ai toujours pensé que l'euro devait être un instrument diplomatique. En constituant un véritable gouvernement politique de la zone euro, nous allons dans cette direction. Nous devons convaincre nos amis Allemands qu'il faut parler industries, PME, budget, régulation financière au niveau politique, sans qu'il y ait pour autant mise en cause de l'indépendance de quiconque.
L'important est de conserver une articulation entre la zone euro et les autres partenaires de l'Union européenne. Le droit communautaire est clair : les textes législatifs doivent être appliqués à vingt-sept, dans le domaine économique et financier comme ailleurs, et donc être adoptés par tous – notamment dans le cadre de conseils spécialisés comme le Conseil « Ecofin ». Cependant, nous devons montrer que la zone euro sait aussi être pionnière, grâce à des actions concertées, pas nécessairement législatives, mais visant à mettre en place des principes communs. Concernant les règles de supervision financière, la création d'une agence de notation ou la lutte contre les fonds spéculatifs et les paradis fiscaux, on n'aboutira pas tout de suite à un accord à vingt-sept ; il ne me paraît pas choquant que, dans le cadre de la zone euro, on décide de principes communs, quitte à ce que d'autres s'y rallient ensuite. Personnellement, je vois la zone euro comme une zone pionnière affirmant la crédibilité de l'Europe et ayant pour but de se faire reconnaître comme telle au niveau international, ce qui suppose davantage de visibilité politique.
Les paradis fiscaux ont été évoqués par le Président Nicolas Sarkozy dans sa présentation au Conseil européen, mais le sujet n'a pas été débattu au fond. Il est clair qu'un accord européen et mondial est nécessaire : c'est précisément un des thèmes qui doit être abordé par la conférence internationale. Toutefois, le problème se pose aussi à l'intérieur de l'Union. En ce domaine, chacun doit assurer une certaine discipline. J'ai bien entendu les propos du Premier ministre luxembourgeois – pour lequel j'ai un très grand respect –, mais j'ai également l'expérience des discussions fiscales, notamment avec le Luxembourg, et cela n'a jamais été simple. Je connais davantage de sociétés françaises implantées au Luxembourg que de contribuables luxembourgeois en France !
Quant à la Banque européenne d'investissement, elle est très sollicitée, mais cela reste dans les limites de ses capacités d'engagement. C'est un des paradoxes actuels : les banques d'investissement recherchent des projets et souhaitent utiliser leur argent de la manière la plus intelligente possible. Il faut faire en sorte qu'on fasse davantage appel à elles, notamment pour tout ce qui concerne les infrastructures, les PME, la recherche et l'innovation. Je souhaite que les ressources de la BEI soient renforcées – à elle de voir si ses capacités d'emprunt doivent être élargies compte tenu des conditions actuelles – et qu'elle finance un maximum d'actions de soutien à la croissance.
Si nous nous trouvions dans une situation économique plus difficile que prévu, il faudrait en effet recourir à des actions coordonnées de soutien à l'activité économique. Il est aujourd'hui illusoire d'envisager un plan de relance massif au niveau européen : il n'y a pas de consensus sur le sujet. Actuellement, nous devons d'abord veiller à ce que les mesures de soutien soient relativement coordonnées et développer le recours à des institutions comme la BEI.
Le Président Pierre Lequiller a raison, l'euro joue un rôle protecteur. Il faut le faire valoir auprès de nos amis irlandais. Sans l'appartenance à la zone euro, l'Irlande aurait connu le sort de l'Islande. L'action de l'Union et le fait qu'indépendamment des objectifs initiaux de la présidence française, nous ayons su répondre à des crises, ont montré aux opinions publiques la valeur ajoutée de l'Europe. Les contacts que j'ai eus avec nos amis Irlandais laissent à penser qu'ils ont aujourd'hui mieux compris l'intérêt du système, ce qui ne permet pas de préjuger les résultats.
Quant aux autres pays, il faut que les différentes institutions européennes – Commission, Parlement et Conseil – lancent, en liaison avec les institutions nationales, une véritable stratégie de communication. Ce matin, j'ai d'ailleurs signé, au nom de la présidence du Conseil, un accord politique avec le Parlement et avec la Commission en ce sens. Nous disposons de beaucoup d'informations et de communications sur l'Europe, mais elles sont trop dispersées.
S'agissant des aspects institutionnels, le gouvernement irlandais a clairement souligné les points qui lui importaient : la composition de la Commission, différents éléments éthiques inclus dans la Charte, notamment ceux relatifs à la religion et à la bioéthique, les questions relatives à la neutralité, à la politique de défense, à l'identité et à la communication. Nous souhaitons que le processus de ratification se poursuive, de manière à ce que vingt-six Etats aient signé le traité de Lisbonne d'ici à la fin du mois de décembre. Pour des raisons évidentes de crédibilité, il est en particulier de l'intérêt de la République tchèque de le faire avant de prendre la présidence de l'Union. Dès lors, le passage de témoin devrait se faire sans problème. La présidence tchèque ne sera pas facile, puisque, en raison des élections européennes, le Parlement européen ne légiférera plus après la fin février et qu'il faudra mettre en oeuvre la feuille de route irlandaise. Je suis certain que nos amis tchèques savent qu'ils doivent assumer leurs responsabilités.
Le Président Pierre Lequiller. Monsieur le secrétaire d'Etat, je vous remercie de vous être prêté à cette audition d'un nouveau genre.
La séance est levée à douze heures quarante-cinq