La Commission a examiné pour avis, sur le rapport de M. Thierry Carcenac, le projet de loi portant modification de dispositions relatives à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes (n° 742).
Le Président Didier Migaud a fait remarquer en préambule que ce texte avait été renvoyé à la commission des Lois, pour des raisons formelles : actuellement, tout texte portant sur des dispositions relatives à des juridictions est renvoyé à la commission des Lois. On peut pourtant s'interroger – et la Conférence des présidents a été interpellée en ce sens – sur la pertinence de ce critère qui conduit à ce que la forme prime le fond. Il conviendrait sûrement d'envisager, à l'occasion d'une révision du Règlement de l'Assemblée, d'en modifier certaines dispositions dans le sens d'une meilleure adéquation des saisines avec le fond des textes examinés.
, a commencé par déplorer la relative précipitation qui présidait à l'examen parlementaire de ce texte long de 31 articles, de façon d'ailleurs paradoxale puisque les problèmes qu'il doit régler – l'impact en droit interne de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme – avaient déjà été publiquement évoqués par M. Philippe Séguin, Premier président de la Cour des comptes, dès janvier 2006. C'est par fragments que le Parlement est ainsi appelé à se prononcer sur la réforme de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes : statut et carrière des magistrats de la Cour en 2006, procédure juridictionnelle visant les comptables aujourd'hui, et demain sans doute, régime de responsabilité des ordonnateurs, extension du champ de la certification des comptes et renouveau des moyens d'audit des politiques publiques.
S'agissant du projet de loi examiné aujourd'hui, l'européanisation de notre droit et de nos procédures, et plus précisément l'influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme en matière de procès équitable sur le déroulement des instances contentieuses en droit interne, avait, depuis plusieurs années déjà, débordé le strict cadre des litiges de nature civile et pénale devant le juge judiciaire. En tant que juridiction administrative spécialisée cependant, la Cour des comptes, et avec elle le réseau des chambres régionales et territoriales des comptes, étaient demeurés quelque peu en retrait. Mais les stipulations de l'article 6 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ont « rattrapé » les juridictions financières, la décision emblématique en l'espèce étant celle rendue le 12 avril 2006 par la Grande chambre de la Cour de Strasbourg, Martinie c France. Avec ce projet, c'en est donc fini, dans la lettre même de la loi, des spécificités bicentenaires de la procédure devant le juge des comptes : la règle du double arrêt, la possibilité d'autosaisine du juge, le caractère non systématiquement public de l'audience, l'absence de communication du rapport aux parties ou encore la présence du rapporteur et du ministère public au délibéré… D'aucuns pourraient regretter avec nostalgie l'oeuvre de Cambacérès ; il faut, bien au contraire, résolument moderniser la procédure dans son ensemble.
Pour ce faire, le projet de loi distingue plus nettement qu'aujourd'hui les procédures juridictionnelles des procédures administratives et, au sein des procédures juridictionnelles, il sépare nettement les actes de « poursuite » ou de mise en jeu de la responsabilité du comptable par le ministère public, l'instruction par le magistrat rapporteur, et le jugement, par une formation collégiale lorsqu'une charge a été soulevée ou par un juge unique dans le cas le plus fréquent d'absence de charge. Il réduit au passage, grâce à cette procédure à juge unique, les délais de jugement – ce qui pourrait d'ailleurs faire l'objet d'un indicateur de performance dans le projet annuel de performances correspondant. Il réserve au ministère public, dans tous les cas, l'enclenchement de la phase contentieuse ; il systématise l'oralité et l'audience publique ; il supprime, dès lors que le contradictoire prend cette forme nouvelle à l'audience, la règle du double arrêt ou du double jugement. À côté d'autres dispositions de coordination ou de réorganisation formelle du code des juridictions financières, certains articles du projet modifient le régime des amendes que le juge des comptes est susceptible de prononcer. En particulier, l'article 8 permet au juge de moduler le montant de l'amende pour gestion de fait selon des critères prenant mieux en compte la situation subjective du justiciable, et l'article 9 supprime la possibilité de remise gracieuse de ces amendes par le ministre chargé du budget. Cette caractéristique étonnante, pour reprendre les mots du Premier président Philippe Séguin, « d'un juge dont la décision [peut], de fait, être rapportée par un membre du pouvoir exécutif », disparaîtrait donc. Mais la remise gracieuse demeure, et dans des proportions autrement plus importantes, pour les mises en débet. À preuve les montants en cause à ce titre en 2006 : 262 débets ont été prononcés cette année-là, pour un montant global de plus de 42 millions d'euros, les sommes laissées à la charge des comptables s'étant, après remises gracieuse, établies à moins de 2 millions d'euros. L'illustration est ainsi faite de ce que le juge s'attache encore pour l'essentiel à la ligne de compte et que la prise en considération de la situation personnelle du comptable demeure dans une large mesure l'apanage du ministre.
On eût pu réformer la procédure sur ce point-là également, dès aujourd'hui ; s'il faut pour ce faire attendre un prochain texte, alors souhaitons que dans l'intervalle une réforme du Règlement de l'Assemblée nationale ait pu intervenir afin de permettre le renvoi d'un tel texte à la commission des Finances. Le contexte créé par la mise en oeuvre de la LOLF offre de solides raisons pour cela : déjà, il y a deux ans, notre collègue Jérôme Chartier, soutenu par la commission unanime, l'expliquait en tant que rapporteur pour avis sur le projet adaptant certaines dispositions statutaires et disciplinaires relatives aux magistrats de la Cour des comptes. Chaque année, les rapports spéciaux successifs de notre collègue Pierre Bourguignon sur la mission Conseil et contrôle de l'État évoquent la réorganisation interne d'une institution à l'autonomie renforcée et aux missions élargies par la LOLF. Aujourd'hui, comme l'illustre le projet de loi, on voit poindre un nouveau type de contrôle juridictionnel, un vrai contrôle des comptables, en même temps qu'un nouveau régime de responsabilité des ordonnateurs, l'ensemble formant l'aboutissement logique de la considérable modernisation de la gestion publique opérée par la LOLF. Dès lors, si la compétence de la commission des Lois n'est pas contestable dans l'état actuel de notre Règlement, son article 36 devrait être récrit afin que, comme l'a dit le Président de la commission des Finances, cette dernière se voie à l'avenir renvoyer les textes relatifs à la Cour des comptes et aux autres juridictions financières.
a considéré que le projet de loi soumis à l'avis de la commission constituait une avancée dans le sens du respect des stipulations de la Convention européenne des droits de l'homme. Il conviendrait d'ailleurs de s'interroger sur la situation de l'ensemble des juridictions au regard de ces stipulations.
Il a ajouté que le texte rendait impossible la remise des amendes infligées au comptable par le Ministre chargé de l'économie. Cependant, les mises en débet des comptables peuvent toujours faire l'objet de remises et les Ministres successifs usent et abusent de ce pouvoir afin de ne pas créer de difficultés avec les fonctionnaires placés sous leur autorité. Il y a trop de laxisme car une infime partie des débets reste à la charge des comptables. Ce pouvoir ministériel apparaît comme une survivance de la justice retenue qui caractérisait l'Ancien Régime.
a souhaité rappeler que, contrairement à l'interprétation qui prévaut selon laquelle ce sont les comptes qui sont jugés, ce sont bien les comptables qui sont jugés et personnellement condamnés.
a considéré qu'en effet la notion de jugement des comptes et non des comptables relevait de la tradition universitaire française, mais ne correspondait pas à la réalité : on juge bien les comptables à travers leurs comptes et les jugements sont adressés personnellement à chaque comptable considéré.
, a rappelé que le projet de loi avait pour seul objet d'adapter les procédures des juridictions financières. Il a estimé que l'importance des remises de débets pouvait notamment s'expliquer par le fait que, si les comptables patents sont assurés pour leur responsabilité personnelle, ce n'est pas le cas des comptables de fait.
La Commission a examiné un amendement présenté par M. Charles de Courson ayant pour objet de supprimer la reconnaissance d'utilité publique des dépenses ayant donné lieu à gestion de fait par l'organe délibérant, en lui substituant une procédure de recueil de son avis.
a expliqué que la procédure actuelle présentait plusieurs inconvénients : elle est lente, l'éventuelle reconnaissance d'utilité publique par l'organe délibérant ne lie pas le juge, l'éventuelle non-reconnaissance d'utilité publique peut s'expliquer par des motifs politiques qui ne lient pas non plus le juge, et enfin, l'ordonnateur, s'il est mis en cause, peut s'abstenir de saisir l'assemblée délibérante.
La procédure proposée tend à recueillir un simple avis de l'assemblée délibérante dans le délai pertinent de trois mois. En l'absence d'avis, la chambre régionale des comptes demeure juge du caractère d'utilité publique des dépenses en cause.
tout en estimant que le recueil de l'avis de l'assemblée délibérante demeurait nécessaire, s'est déclaré favorable à l'amendement, sous réserve d'une correction formelle.
a insisté sur la nécessité de mettre en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme les procédures de toutes les juridictions.
a considéré qu'une amélioration des droits de la défense pourrait également intervenir utilement au sein de la commission de contrôle des comptes de campagne.
a estimé, qu'en ce qui concerne le Conseil d'État, celui-ci appliquait les règles procédurales stipulées par la Convention européenne des droits de l'homme.
a observé qu'il pourrait améliorer encore les possibilités de communication des pièces de l'instance.
La Commission a adopté cet amendement ainsi rectifié (amendement n° 28).
Elle a ensuite émis, suivant en cela la préconisation du Rapporteur pour avis, un avis favorable à l'adoption du projet de loi.
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