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Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 22 février 2012 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas :

Lundi soir, lorsque nous procédions en séance publique à la nouvelle lecture du projet de loi de programmation relatif à l'exécution des peines, notre collègue Michel Hunault pensait qu'il s'agissait de la dernière occasion de traiter des questions de droit pénal durant la législature. Il avait tort : nous nous retrouvons, ce matin, sur le même sujet, avec le même rapporteur. Quelle constance, monsieur Garraud : les thèmes varient, mais pas vos idées.

Un journaliste a écrit qu'il s'agissait d'un sujet compliqué car, selon la thèse que l'on défend, on se voit accusé d'être soit un raciste pur et dur théorisant sur les prédispositions génétiques de la criminalité, soit un « bobo » bien pensant incapable d'accepter la réalité des chiffres. Je suggère que nous évitions ces postures caricaturales et que nous engagions un débat serein.

S'agissant des constats que vous prétendez indiscutables, votre initiative se fonde sur une augmentation des actes de délinquance commis par les ressortissants étrangers. Or, vous fondant sur le dernier rapport de l'ONDRP, vous entretenez la confusion entre les condamnations et les mises en cause. En effet, les chiffres de l'ONDRP ne concernent que ces dernières, qui, comme le précise le rapport, sont un concept statistique ne pouvant en aucun cas être confondu avec la notion de culpabilité. Être mis en cause ne veut pas dire être coupable : cela vaut aussi pour les étrangers !

L'ONDRP conclut par ailleurs son étude en estimant qu'il est impossible de déterminer dans quelle mesure la part des étrangers au sein des auteurs de vol a augmenté depuis 2008. Il déclare donc lui-même que ses chiffres ne doivent pas être considérés comme des certitudes.

Vous omettez aussi d'analyser en détail les chiffres de la Chancellerie, qui sont pourtant intéressants car ils portent, non sur les infractions constatées, mais sur les condamnations pénales prononcées par les autorités judiciaires – ce qui exclut les infractions concernant les sans-papiers, qui relèvent de la juridiction administrative. Surtout, ils prennent en considération un critère objectif, la nationalité, et non l'origine ethnique qui, chacun en conviendra, n'est pas un concept très rigoureux. Si vous n'utilisez pas ces chiffres, c'est parce qu'ils ne corroborent pas la vision apocalyptique que vous nous présentez : sur les trente dernières années, la part des étrangers condamnés par la justice, tous types de délits confondus, est restée stable, comprise entre 12 et 14 %. On est loin de la déclaration à l'emporte-pièce de Claude Guéant qui, sur RMC, le 10 janvier dernier, évoquait un taux de délinquance des étrangers deux à trois fois supérieur à « la moyenne » – à quelle moyenne faisait-il allusion, on l'ignore…

Vous l'avez reconnu, les délinquants « réitérants » sont une notion juridique récente, puisqu'elle date du 12 décembre 2005. Il s'agit d'une catégorie fourre-tout, créée pour contourner la notion de récidiviste que d'aucuns considéraient déjà, à l'époque, comme trop restrictive. Il convient donc de la manier avec la plus grande prudence.

Vous aviez tellement aimé les peines planchers en 2007 que vous les étendez aux réitérants ! Vous arguez de leur efficacité mais, à ma connaissance, celle-ci n'a été établie par aucune étude. Seul existe le rapport présenté le 9 décembre 2008 par nos collègues Guy Geoffroy et Christophe Caresche au nom de notre Commission, rapport qui restait extrêmement prudent sur ce point et même concluait à l'inadaptation du dispositif au regard de ses objectifs. Le fait est que la délinquance, notamment la plus violente, a continué à progresser en dépit de ces peines planchers, pourtant censées être dissuasives.

Pensez-vous vraiment que ce texte soit compatible avec les principes constitutionnels d'individualisation et de nécessité des peines ? Je rappelle que le Conseil constitutionnel avait été saisi de l'article 132-19-2 du code pénal, qui prévoit des peines planchers pour certaines violences, même lorsqu'elles sont commises hors état de récidive. Dans sa décision du 10 mars 2011, le Conseil a rappelé que sa fonction était de veiller à l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue ; il n'a reconnu la conformité du dispositif à la Constitution que parce qu'il concernait des infractions d'une gravité particulière et spécialement désignées. Or le présent texte vise un large éventail d'infractions, qui ne sont caractérisées ni par l'état de récidive, ni par la moindre circonstance aggravante !

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