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Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 7 février 2012 à 16h15
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou, rapporteure :

Mes chers collègues, je vais vous présenter une proposition de résolution européenne du groupe Socialiste relative à la relance économique et au renforcement du contrôle démocratique. Pourquoi est-il utile de présenter un tel texte ? Parce que trois projets de traité vont nous être présentés pour ratification, et que les négociations se sont déroulées jusqu'à présent sans association des parlements nationaux alors que leur souveraineté budgétaire est affectée.

Trois traités ont été rédigés en parallèle. L'article 136 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne est révisé pour permettre la création, à 17 Etats, du Mécanisme européen de stabilité (MES). Cet article 136 est celui qui permet aux Etats de la zone euro d'adopter entre eux des dispositions spécifiques sans se situer en dehors des mécanismes communautaires. Le deuxième projet est le traité créant le MES. Enfin, le troisième texte est un projet de traité intergouvernemental « sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l'Union économique et monétaire ». Cet ensemble est présenté comme la solution durable de la grave financière, économique, politique et sociale que l'Europe traverse. Avant d'évoquer brièvement le contenu de ces projets de traité, je voudrais souligner que le processus de leur ratification sera source de problèmes juridiques et politiques importants qui vont entretenir le climat d'incertitude et donc de méfiance des marchés financiers. Pourquoi ? L'article 136 ne peut être révisé qu'à l'unanimité des 27 Etats membres de l'Union européenne – y compris, donc, le Royaume-Uni. Le traité intergouvernemental sur la discipline budgétaire sera signé à 25. Le traité instituant le MES sera l'oeuvre de 17 Etats seulement, ceux de la zone euro.

Notre sentiment sur le projet de traité intergouvernemental est qu'il n'était pas indispensable pour pouvoir renforcer la coordination – indispensable – des politiques budgétaires, et qu'il ne répond pas à l'urgence. Le Parlement européen a adopté le 18 décembre 2011 une résolution qui fait part de ses doutes quant à la nécessité d'un accord intergouvernemental, « dont la plupart des objectifs peuvent être atteints de manière plus efficace grâce à des mesures prises en vertu du droit de l'Union ». Le Parlement européen a précisé dans sa résolution du 2 février dernier que « pratiquement tous les éléments du nouveau traité peuvent être réalisés, et dans une large mesure ont déjà été réalisés, au sein du cadre juridique en vigueur de l'Union et par l'intermédiaire du droit dérivé, sauf pour la « règle d'or », le vote à la majorité qualifiée inversée et l'intervention de la Cour de justice européenne ». L'urgence n'était pas de donner une force juridique supérieure ou un caractère plus contraignant à des règles qui, pour la plupart, existent déjà. J'ajoute que ces résolutions du Parlement européen ont été adoptées à une écrasante majorité.

Par ailleurs, le traité intergouvernemental est profondément déséquilibré, avec seulement deux brèves mentions de la croissance aux articles 3 et 9. La Déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement du 30 janvier 2012 sur la croissance et l'emploi n'a évidemment pas la même valeur juridique que le futur traité, et n'apporte d'ailleurs aucune mesure décisive. Elle renvoie aux gouvernements des Etats membres la responsabilité d'appliquer les recommandations qu'elle énonce. L'harmonisation sociale et fiscale à 27 reste toujours un voeu pieux.

Troisième élément, le traité intergouvernemental est entaché d'un profond déficit démocratique, puisqu'il n'a pas été jugé possible de passer par la procédure de révision normale des traités, qui implique les parlements nationaux, et que le texte réserve aux parlements nationaux un rôle très insuffisant. La révision de l'article 136 a elle aussi été menée sans passer par la procédure de révision normale.

Le MES est un instrument utile, mais nous regrettons qu'il soit insuffisamment doté. D'autre part, ce mécanisme permanent est destiné à prendre le relais du Fonds européen de stabilité financière et n'entrera en vigueur qu'en juillet 2012 : que fera-t-on si un Etat vient à faillir entre-temps ? La capacité financière du MES est insuffisante pour faire face à ce que pourrait être un gros problème sur l'Italie ou l'Espagne. Il faudrait l'additionner à celle du FESF et le doter d'une licence bancaire pour lui permettre de se refinancer auprès de la Banque centrale européenne.

La responsabilité des Etats en matière budgétaire, qui est la clé de la confiance, ne doit pas seulement se concevoir sous l'angle « punitif » mais comme un moyen au service d'un but : la croissance. Or le juste équilibre entre solidarité et stabilité n'est pas assuré par ces textes. On ne peut se satisfaire du dispositif de solidarité proposé, qui se limite au soutien aux pays en grave difficulté, et parce qu'il faut élaborer un nouveau « policy mix » européen qui combine des politiques monétaires et budgétaires favorable à la croissance et qui serait soutenu par une harmonisation fiscale et sociale.

J'ajoute que la relance de l'investissement à travers la création d'une capacité d'emprunt pour l'Union européenne et un rôle accru de la Banque européenne d'investissement, nous paraît indispensable pour financer les grands projets européens. Nos positions sont connues, et je les réaffirme ici, sur la nécessité de renforcer le budget européen, notamment avec des ressources nouvelles, car à l'évidence nous allons en avoir besoin pour affronter les défis de la solidarité et de la croissance. Je rappelle le « triptyque » de Jacques Delors : « la compétition qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit ». Nous pensons qu'il y a des progrès à faire en ce sens avec ces textes. Tel est le sens de notre démarche présentée sous forme d'une proposition de résolution européenne qui présente des pistes d'amélioration du « gouvernement économique européen » que nous appelons de nos voeux, en particulier en ce qui concerne les moyens de surmonter le déficit démocratique et le déficit de croissance. Sans croissance, non seulement il y aura plus de chômage et de précarité, mais il sera également illusoire d'espérer réduire les déficits et la dette. La question de la croissance est cruciale.

Que proposons-nous pour renforcer la légitimité démocratique de ce système ? D'abord nous constatons que les procédures démocratiques ne sont pas garanties aujourd'hui, et que la crédibilité de l'édifice sera fragile s'il n'y a pas un socle de légitimité, qui ne peut être construit qu'en associant et les parlements nationaux et le Parlement européen de manière régulière et pertinente.

Les parlements nationaux doivent affirmer leur place dans le nouveau contrat politique européen, obtenir d'être associés à chaque étape du processus décisionnel. Le traité de Lisbonne l'affirme avec force. L'ensemble de textes législatifs dit « 6-pack » a marqué l'accord des 27 gouvernements sur le caractère indispensable d'une participation plus étroite et en temps utile du Parlement européen et des parlements nationaux à la gouvernance de la zone euro. C'est donc bien un objectif constamment réaffirmé. Nous considérons que la construction d'un véritable gouvernement économique européen ne peut pas se réduire à la tenue, même plus fréquente, de sommets des chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro.

Il est indispensable qu'une coordination budgétaire et économique plus étroite entre les Etats membres de l'Union s'accompagne d'une adaptation des méthodes de travail de notre Assemblée pour permettre un contrôle parlementaire plus poussé, et que cela se traduise dans le Règlement intérieur.

Pour en venir à des propositions précises, que peuvent faire les Parlements nationaux vis-à-vis du semestre européen ? Il y a des progrès à faire. La première étape du semestre européen est la présentation par la Commission européenne d'un rapport appelé « Examen annuel de la croissance », document d'une grande importance puisqu'il constitue la base des travaux du semestre. Or ce n'est pas un acte législatif. Aussi le Parlement européen, lorsqu'il a fait un bilan du premier exercice de semestre européen, a-t-il exprimé le souhait que ce rapport soit adopté selon la procédure de codécision. Nous ne devrions pas être en-dessous de cette exigence. Nous demandons donc que le Parlement français puisse examiner ce document dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution.

Et s'agissant du second semestre de chaque année, dit « semestre national », deux propositions de règlement présentées par la Commission européenne en novembre dernier sont en cours de négociation, qui « européaniseront » ce semestre. Il serait utile que le Parlement français anticipe dès à présent les conséquences de ces textes sur la préparation des lois de finances nationales.

Quel devrait être le rôle des parlements nationaux dans le projet de traité intergouvernemental à 25 ? Le texte comprend une clause prévoyant son intégration à terme dans les traités de l'Union à 27. Dans la négociation, le Parlement français n'a pas été consulté, alors que le traité va toucher au coeur de son pouvoir puisqu'il s'agit de discipline budgétaire. Seul le Parlement européen, dont 4 membres siégeaient dans le groupe de travail, a pu participer à la négociation.

Les parlements nationaux vont être saisis de trois projets de traité au seul stade de la ratification. Ce n'est pas acceptable, compte tenu de leur objet. Il est indispensable que les parlements soient beaucoup plus impliqués.

Le projet de traité intergouvernemental comporte, dans son article 3, une référence laconique au « plein respect des prérogatives des parlements nationaux », une sorte de « lip service », disposition qui n'est sans doute pas suffisante pour préserver leurs droits et qui, en tout cas, ne va pas dans le sens d'un renforcement de ceux-ci. Il est vrai que les parlements nationaux sont également mentionnés dans l'article 13, qui dispose que le Parlement européen et les parlements nationaux organiseront ensemble une conférence pour discuter des politiques budgétaires. C'est très bien, et nous aimons beaucoup la COSAC, mais nous pensons que de telles conférences sont utiles. Mais cantonner les parlements à un dialogue mené entre eux n'est pas satisfaisant. Pour que cette conférence ait une utilité réelle, il faut qu'elle se réunisse en amont de chaque étape de la coordination intergouvernementale des politiques économiques et budgétaires, notamment avant le Conseil européen de printemps où vont être adoptées les grandes orientations communes. Bien sûr, des réunions fréquentes de cette conférence appellent un minimum de structures d'organisation, et de renforcer pour cela le rôle et l'organisation de la COSAC.

Nous présentons aussi des propositions pour la relance économique, qui ne doit pas être simplement un objectif ultime et diffus mais être au coeur de la réponse européenne à la crise. Un gouvernement économique européen ne peut pas se réduire à une Union budgétaire – même si nous considérons qu'une discipline budgétaire est indispensable pour respecter les règles auxquelles nous avons souscrit dans les traités existants. Les mesures prises jusqu'ici n'ont fait qu'additionner les plans d'austérité, il n'y a pas eu de vraie volonté de mettre en place un « policy mix » européen favorable à la croissance. Des marges de manoeuvre existent, tant au niveau européen que national. Nous considérons à cet égard que le semestre européen 2012 s'engage sur de mauvaises bases, car les propositions de la Commission européenne présentées en novembre 2011 dans son Examen annuel de croissance sont critiquables. Bien sûr il faut des réformes structurelles, de l'action publique en faveur de la relance, mais on ne peut pas réduire la relance de la croissance aux réformes structurelles, en particulier lorsque ces réformes reprennent les recettes de libéralisation voire de dérégulation. Les réformes structurelles nationales n'auront d'effets positifs que si elles s'accompagnent de nouvelles politiques communes. Il faut non seulement une rationalisation des budgets des Etats membres et de l'Union pour permettre des économies d'échelle, mais aussi financer de nouvelles coopérations, notamment industrielles ; on peut citer des domaines clé comme les énergies renouvelables ou l'économie numérique, mais il y en a beaucoup d'autres.

Nous considérons que la Commission fait un bon diagnostic mais propose, par exemple pour lutter contre le chômage, des outils dont nous craignons qu'ils n'aggravent la situation.

Nous voulons voir tous ces éléments figurer dans le débat. Nous aurions aimé trouver dans l'Examen annuel de croissance la définition d'une stratégie d'investissement ambitieuse et de développement industriel. Pour une utilisation optimale des ressources nationales et européennes, ce qu'envisage la Commission européenne est extrêmement limité et n'explore pas un certain nombre d'options qui auraient un effet de levier important. Plusieurs réformes majeures devraient être menées : un MES suffisamment doté et qui ait la possibilité de se refinancer auprès de la BCE, une Banque centrale européenne qui joue pleinement son rôle, une taxe sur les transactions financières introduite sans délai, une mutualisation partielle des dettes des Etats membres, et des investissements dans des secteurs d'avenir financés des euro-obligations.

J'ai bien conscience que tout ceci ne peut pas faire l'unanimité, mais nous avons tenu à faire des propositions constructives et à affirmer qu'on ne peut pas faire des sauts aussi importants sans vrai débat. Le lieu de ce débat, c'est notre Parlement, et nous avons jusqu'à présent été privés de ce débat.

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