Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vous prie de bien d'excuser l'absence du rapporteur. Il faut reconnaître qu'il était difficile de prévoir qu'une opposition à l'examen de ce projet de loi en procédure simplifiée se manifesterait, dans la mesure où l'accord dont il est question découle directement de l'accord de coopération franco-indien pour le développement des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire, dont nous avons autorisé l'approbation à la fin de l'année 2009. J'étais d'ailleurs le rapporteur de ce projet de loi.
La discussion du projet de loi visant à autoriser l'approbation de cet accord relatif à la répartition des droits de propriété intellectuelle dans les accords de développement des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire a néanmoins le mérite de nous donner l'occasion de parler de la coopération franco-indienne dans le domaine du nucléaire, qui est déjà dense et prometteuse.
Pour plus de détails, sur cette coopération et sur les relations franco-indiennes en général, je ne peux que vous renvoyer au rapport d'information que viennent de présenter, au nom de la commission des affaires étrangères, Éric Woerth, justement, et Paul Giacobbi. Son titre, « L'Inde, partenaire incontournable pour la France », résume très bien la conclusion de leurs travaux.
Le nucléaire civil occupe une place particulière dans les relations entre nos deux pays, puisqu'il constitue l'un de volets du partenariat stratégique franco-indien lancé à la fin des années 1990, comme l'a rappelé M. le secrétaire d'État, les deux autres étant l'espace, d'une part, la défense et la sécurité, d'autre part – ce dernier volet ayant tout récemment conduit à la décision indienne d'acquérir 126 avions Rafale. La France et l'Inde ont perçu, dès les années 1960, l'intérêt d'une coopération dans ce domaine, mais les restrictions qui ont touché l'Inde à la suite de son essai nucléaire dit « pacifique » de 1974 et de son refus persistant de signer le traité de non-prolifération ont limité cette collaboration.
Pour faire face à l'explosion de ses besoins énergétiques, à la fois corollaire et condition de sa croissance économique, l'Inde a pourtant besoin d'augmenter rapidement sa capacité de production d'énergie. Elle a décidé que le nucléaire devait occuper une place accrue dans son mix énergétique. Actuellement, il assure 3 % de sa production énergétique, le gouvernement de New Delhi souhaite porter cette part à 20 % d'ici à la fin de la décennie, pour une production énergétique qui devrait plus que doubler.
L'Inde a certes développé son propre programme nucléaire, à partir d'un réacteur particulièrement proliférant d'origine canadienne utilisant de l'uranium naturel, mais elle a choisi de se tourner vers des partenaires extérieurs pour accélérer le développement de son parc nucléaire et bénéficier de transferts de technologies, d'autant que le réacteur en question est particulièrement proliférant. Ces transferts, jusque-là interdits, ont été autorisés par le Groupe des fournisseurs nucléaires le 10 septembre 2008, notamment grâce à l'appui des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France, qui ont défendu la demande indienne d'une dérogation.
Depuis lors, les principaux pays disposant d'une expertise reconnue en matière de nucléaire civil ont conclu avec l'Inde un accord de coopération dans ce domaine. La France a été la première à signer un tel accord-cadre, le 30 septembre 2008. Celui-ci prévoyait la conclusion d'accords particuliers pour régler certaines questions.
L'accord qui est l'objet du présent projet de loi est l'un d'eux. Il pose les règles de répartition des droits de propriété intellectuelle dans les accords de développement des utilisations pacifiques de l'énergie nucléaire, ces accords devant être conclus par les organismes de recherche des deux États amenés à faire des travaux en commun.
Si les stipulations de l'accord sont directement inspirées de règles classiques de répartition de la propriété intellectuelle, c'est la négociation d'un tel accord qui est exceptionnelle. En effet, la France coopère avec de nombreux pays dans le domaine du nucléaire civil, et un article des accords-cadres qu'elle a conclus avec chacun d'eux suffit à régler cette question. Notre pays a choisi de négocier un accord spécifique avec l'Inde à cause de la conception particulière qu'a cette dernière de l'application du droit de la propriété intellectuelle à ce champ de recherches.
Bien que partie, comme la France, aux accords multilatéraux relatifs à la protection de la propriété intellectuelle, l'Inde en a une interprétation qui conduit à exclure les inventions du nucléaire civil du champ de la brevetabilité. Bien que le nucléaire civil ne fasse pas partie des exceptions à la règle selon laquelle les inventions répondant à certaines conditions sont brevetables, New Delhi utilise les exceptions concernant la sécurité dont bénéficient les inventions touchant les matières nucléaires ou fissibles pour justifier l'interdiction de la délivrance de brevets sur l'énergie nucléaire.
La législation indienne exclut ainsi de la brevetabilité en Inde tout ce qui a trait à l'énergie nucléaire, et impose l'obtention préalable de l'autorisation du gouvernement fédéral pour pouvoir déposer à l'étranger les résultats issus des recherches effectués en Inde en matière nucléaire.
Ces règles, qui ont été durcies en 2005 pour répondre au refus de levée de l'embargo international sur certaines matières, sont évidemment pénalisantes pour les organismes étrangers susceptibles de coopérer avec leurs homologues indiens. Ainsi, un accord-cadre de coopération a été signé entre le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives et le Département de l'énergie atomique indien en décembre 2010, mais son entrée en vigueur est subordonnée à celui de l'accord sur la propriété intellectuelle.
Des actions de coopération sont d'ores et déjà menées entre structures françaises et indiennes, mais exclusivement sur des thèmes qui ne sont pas susceptibles de conduire à la production de propriété intellectuelle.
C'est le dernier alinéa de l'article 2 de l'accord signé le 6 décembre 2010 qui apporte une solution satisfaisante à ce problème. Les parties s'y engagent, en effet, à ne pas s'opposer à la recherche, par les participants, d'une protection des résultats dans les États autorisant une telle protection. Concrètement, l'État indien s'engage ainsi à ne pas s'opposer à la protection à l'étranger – en France ou ailleurs, mais pas en Inde – des résultats de recherches issus d'une coopération franco-indienne. Cette stipulation permettra ainsi de vider de sa substance l'obligation d'autorisation préalable de l'État posée par la loi indienne : l'autorisation devra être demandée, mais l'État indien s'engage par avance à l'accorder.
Concrètement, le CEA par exemple pourra déposer un brevet en France sur le fruit des recherches qu'il aura menées en coopération avec l'Inde dans le cadre de son accord-cadre conclu avec le DAE, sous réserve de l'accord de ce dernier dans la mesure où il s'agira de résultats communs. Pour donner à l'organisme français le temps de mener à bien cette procédure, l'article 5 de l'accord prévoit que l'un des participants peut demander à l'autre de reporter la divulgation publique de certaines informations, pendant un délai raisonnable nécessaire à l'obtention de la protection des droits de propriété intellectuelle.
Les autres stipulations de l'accord sont classiques. Elles reposent sur la distinction entre les connaissances propres, c'est-à-dire les informations ou technologies détenues ou acquises antérieurement à l'entrée en vigueur de l'accord-cadre ou des accords d'application ou résultant de recherches indépendantes de celles menées dans le cadre de ces accords, et les résultats communs qui sont ceux issus d'un accord d'application. Les premiers restent la propriété de la partie qui les détient au départ de la coopération, mais l'accord fixe les règles selon lesquelles elles peuvent être partagées avec le partenaire, notamment les conditions financières de ce partage. Pour ce qui est des résultats communs, l'accord fixe les grandes lignes de leur protection, leur répartition et leur utilisation, dont il renvoie le détail à un règlement de copropriété qui devra être élaboré par les parties.
Il est vrai que cet accord ne règle pas toutes les difficultés que rencontre la coopération franco-indienne dans le domaine du nucléaire. En particulier, les nouvelles règles indiennes en matière de responsabilité nucléaire civile gênent non seulement les industriels mais aussi les organismes de recherche qui vont continuer à ne pas travailler sur l'uranium pour éviter tout risque de mise en cause de leur responsabilité dans un cadre juridique où elle ne serait pas suffisamment limitée.
Néanmoins, l'entrée en vigueur de cet accord, que l'Inde a déjà ratifié, est très attendue par les acteurs français du nucléaire civil car elle permettra d'ouvrir une nouvelle étape de la coopération franco-indienne en facilitant le dépôt de brevets hors d'Inde sur les inventions à venir. Les stipulations de l'accord serviront en outre de cadre à la conclusion d'accords d'application entre les organismes de recherches sur les différents programmes de travaux communs.
La commission des affaires étrangères s'est prononcée en faveur de l'adoption du présent projet de loi, et je vous invite, mes chers collègues, à faire de même. L'Inde est un partenaire incontournable, et ce n'est pas M. Giacobbi qui le démentira. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)