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Intervention de Stéphane Richard

Réunion du 1er février 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

Stéphane Richard, président-directeur général de France Télécom Orange :

Je vais essayer de grouper mes réponses par thèmes.

M. Frank Esser, président de SFR, parle du contrat d'itinérance qu'Orange a passé avec Free mais il n'en connaît pas le contenu. Il s'est donc un peu livré à un procès d'intention. Nous sommes, pour notre part, soumis à une obligation de confidentialité. Le contrat est déposé à l'ARCEP. Si la polémique persiste, nous examinerons dans quelles conditions nous pourrions rendre publiques ses stipulations. Nous montrerions ainsi que Free ne bénéficie d'aucun avantage particulier lié à l'itinérance pour présenter des offres à plus bas prix que ses concurrents.

Certains d'entre vous m'ont trouvé « sur la défensive ». En réalité, dans une réunion tenue il y a un mois et largement médiatisée, mes collègues du secteur et moi-même avons été traités d' « escrocs, de salopards », et nos clients de « pigeons ». Des attaques bien inutiles. Vous me pardonnerez donc d'avoir à coeur de défendre mon entreprise et ses 100 000 salariés, parfois choqués par de tels termes. Je suis donc venu remettre, sereinement, certaines pendules à l'heure en rappelant certaines réalités. Je n'ai jamais sous-estimé l'approche de Free, ni dénigré celle-ci en tant qu'entreprise. Je conteste seulement certains propos indignes et injustes.

Il en va de même pour le low cost, que je ne dénonce pas. J'indique seulement à votre commission qu'il convient de s'interroger sur le déferlement de tels modèles dans notre économie et notre société. Car, en tant que citoyen, encore plus qu'en qualité de chef d'entreprise, je me pose des questions : les consommateurs sont-ils aujourd'hui prêts à payer pour un service ? Comment une entreprise comme la nôtre peut-elle valoriser le fait qu'elle dispose de 1200 boutiques employant 12 000 salariés ? Pour le moment, Free en compte trois ! Nos centres d'appels occupent 24 000 salariés. On peut certes toujours citer des cas où la qualité de la relation avec le client n'était pas aussi bonne que nous le souhaitons. Mais nous accomplissons chaque jour des efforts pour l'améliorer. Encore faut-il que, en face, les clients le perçoivent et soient prêts à payer le service correspondant. Avec le low cost, disparaît la perception de la valeur des choses. Je ne suis pas, non plus, naïf sur les conséquences sociales et économiques, notamment pour l'emploi, que peut avoir le déferlement des offres à très bas prix.

Il est vrai que Free a introduit des innovations. Nous en avons apportées aussi. Nous travaillons à de nombreux projets pour l'avenir. Je ne mentionnerai ici que l'utilisation, maintenant prête sur le plan technique, des téléphones mobiles pour procéder à des transactions, notamment des paiements, pour intervenir dans le domaine de la sécurité, avec ce qu'on appelle le « sans contact », ainsi que pour accéder à des réseaux de transports publics, à des bâtiments, à des spectacles… La ville de Caen vient, à cet égard, d'expérimenter de remarquables formules.

Le NFC (pour near field contact) constitue en effet une technologie permettant de repousser encore la frontière et d'utiliser son téléphone mobile pour de nombreux nouveaux usages, à la fois simples et sécurisés grâce à la carte SIM.

Nous devrions faire à ce propos quelques annonces fortes dans les semaines qui viennent. Car la réponse d'Orange, qui ne récuse pas la compétition, mise à la fois sur les innovations techniques, sur la qualité de service, sur celle de son réseau et sur la proximité avec ses clients.

J'ai- je le reconnais - succombé à la tentation de rappeler que M. Xavier Niel, qui stigmatise les rémunérations des dirigeants, touchait aussi des dividendes. Pour Orange, comme pour toutes les entreprises du CAC 40, la rémunération du président directeur général est publique. Fixée par le conseil d'administration de France Télécoms, au même niveau que celles de mes deux prédécesseurs, elle s'élève, pour sa partie fixe, à 900 000 euros annuels, auxquels s'ajoute une part variable calculée selon plusieurs indicateurs, dont, pour 30 %, la satisfaction des salariés, dont j'ai demandé la prise en compte après avoir mis en place le baromètre social. Cette part peut atteindre 600 000 euros, que je n'ai jamais touchés et que je ne risque pas de toucher dans les mois qui viennent. Tout est donc parfaitement transparent.

La désinformation de Free consiste notamment à affirmer que les marges des opérateurs de téléphonie mobile et que les prix des services correspondants sont excessifs en France.

Toutes les nouvelles offres sont sans engagement du client. La nouvelle donne du marché, introduite par Free mais dès l'année dernière anticipée par les autres opérateurs, répond donc aux préoccupations exprimées pour la protection du consommateur. Celui-ci a aujourd'hui le choix entre des offres sans aucun engagement, y compris chez Orange, et des offres avec engagement, ce dernier étant imputable au financement du terminal. Dans leur grande majorité, les consommateurs ne veulent pas seulement un accès au service mais aussi disposer d'un appareil de téléphone. C'est pourquoi nous leur proposons une offre globale qui, dans ces conditions, comporte nécessairement un engagement.

Les engagements demandés aux consommateurs français se situent dans la moyenne de ce qu'on observe en Europe : dans certains pays, comme le Royaume-Uni, l'engagement peut atteindre 36 mois. Ainsi, le pays où les prix sont les plus bas est aussi celui où les durées d'engagement sont les plus longues.

Il ne faut donc pas se contenter de retenir un indicateur et d'en tirer une leçon générale.

Il est exact que nos résultats stagnent et que notre titre baisse : on ne peut nous demander, à la fois, d'intégrer l'arrivée d'un quatrième opérateur sans perdre notre clientèle, d'augmenter sans cesse nos investissements, notamment pour le développement de la fibre optique, de la boucle locale et de la 4G, et de faire flamber notre action en bourse avec des résultats en hausse. Compte tenu de cette difficile équation, nous nous efforçons de bien faire notre travail et de réaliser un équilibre qui bénéficie à toutes les parties prenantes de l'entreprise. Nous sortons d'une crise sociale très profonde, qui nous a contraint de rebâtir un projet et d'investir massivement. Il nous faut aussi tenir compte de nos actionnaires, qui sont plus d'un million, dont notre « mamie du Cantal » : je ne fais pas partie de ceux qui les méprisent, considérant comme normal de leur servir un dividende dans une économie de marché.

Les investissements dans la fibre optique furent un peu lents au démarrage pour les raisons que j'ai déjà mentionnées. À partir de 2012, ils s'élèveront à plus de 300 millions d'euros par an.

Je regrette sincèrement d'avoir déclenché une polémique à propos de la desserte des zones rurales, étant moi-même natif d'un petit village de Lozère. La mamie du Cantal est donc aussi la mienne. J'ai d'ailleurs appelé le président du conseil général du Cantal, M. Vincent Descoeur, pour m'en expliquer et je me rendrai à Aurillac le 13 février prochain. Je n'avais pas cherché à justifier une éventuelle fracture numérique entre territoires. J'avais simplement voulu dire qu'en matière de téléphonie mobile, je ne croyais pas - et je ne crois toujours pas- au forfait unique pour 65 millions de Français. Notre expérience du marché, accumulée depuis 20 ans, nous pousse plutôt à tabler sur une segmentation de celui-ci, naturellement jusqu' à un certain point afin de ne pas tomber dans une excessive complexité. Il nous faut apporter des réponses correspondant aux différents usages et adopter une stratégie de marketing qui en tienne compte.

Les questions locales, qui nous conduisent à effectuer un petit tour de France, ne pouvaient évidement concerner mon prédécesseur à cette tribune. Ce qui montre bien la force et l'importance de France Télécoms, pour tous les Français et pour tous les territoires.

L'investissement dans la boucle locale en fil de cuivre nous incite à récuser complètement l'idée selon laquelle il existerait une rente du cuivre. Les conditions d'accès aux réseaux de ce type sont fixées par le régulateur des télécommunications, qui arrête chaque année un prix du dégroupage, lequel est passé de 17 à 8, 80 euros depuis l'ouverture des réseaux et s'avère parfaitement compétitif par rapport à ce qu'on observe chez nos voisins européens. La meilleure preuve est en fournie par Free, qui a bâti une entreprise réalisant 39 % de marge sur les prix du dégroupage. Alors même que l'entretien du réseau en fil de cuivre nécessite des dépenses importantes : plus de 20 000 techniciens travaillent quotidiennement à sa maintenance, 400 millions d'euros d'investissements sont réalisés chaque année pour entretenir la boucle locale, la France compte 13 millions de poteaux téléphoniques. Il est aussi de notre devoir de faire vivre ce réseau, dans le cadre économique géré par le régulateur. On peut, bien sûr, considérer que nos efforts ne sont pas suffisants, notamment pour l'enfouissement des lignes, auquel nous consacrons tout de même 30 millions d'euros par an. Mais ce type d'investissement ne génère pour nous aucun revenu additionnel. Les arbitrages financiers s'en ressentent inévitablement, quand il nous faut par ailleurs affecter un milliard d'euros à l'achat de spectre. Quoiqu'il ne soit, nous maintiendrons le niveau de nos investissements dans la boucle locale.

Les smart grid sont pour nous un important axe de développement. Nous nous situons là dans l'application des technologies numériques à d'autres domaines que les télécommunications. Le numérique va peu à peu pénétrer tous les domaines de l'activité économique et même humaine. Des gains importants sont à attendre de l'efficacité énergétique, notamment avec le télé relevage des compteurs, d'au, de gaz et d'électricité. Nous avons déjà créé une société en commun avec Veolia et nous discutons dans le même but avec EDF et GDF Suez. Nous avons, l'année dernière, créé un programme stratégique destiné à coordonner toutes nos recherches dans ces domaines et à nouer les bons partenariats.

Nous constatons aujourd'hui en effet un certain retour de clientèle de Free vers Orange, qui s'explique de plusieurs façons : certaines personnes n'ont pas reçu de carte SIM et ont donc été privées de téléphone mobile ; le service client du quatrième opérateur s'est trouvé dépassé par les évènements, ce qui peut se comprendre mais ce qui a dû provoquer la lassitude d'une partie de la clientèle ; enfin nombre de consommateurs ont réalisé que leur besoin ne correspondait pas aux offres de Free, notamment quand ils voulaient un terminal. Par exemple, l'acquisition d'un I phone, appareil très demandé, coût beaucoup plus cher en passant par Free que par Orange.

Ainsi le marché se régule-t-il lui-même : une nouvelle offre arrive, un engouement se créé, les réalités finissent par l'emporter. Je rappelle aussi que Free compte 4,7 millions de clients en téléphonie fixe, dont beaucoup attendait l'offre mobile. Le succès de son démarrage n'a donc rien d'étonnant. Maintenant, les choses vont se stabiliser et un nouvel équilibre va apparaître, avec des baisses de prix. C'est pourquoi nous assumons parfaitement la diminution de certains de nos tarifs afin de riposter à Free. Que ne nous dirait-on si nous ne faisions rien ! On ne peut tout de même pas nous reprocher de réagir à l'arrivée d'un quatrième opérateur. D'autant que notre réaction s'intègre dans notre stratégie de segmentation et nous permet de miser sur nos atouts : la qualité de notre réseau, la proximité de notre clientèle et le service aux consommateurs. C'est ainsi que la fidélité de ceux-ci se renforce, même s'ils sont inévitablement plus volatiles que par le passé. Mais la plus grande facilité à changer d'opérateur joue dans les deux sens, conformément au jeu stimulant de la concurrence, dont nous nous réjouissons.

La couverture des espaces ruraux, sujet sensible, devrait être convenablement améliorée, en téléphonie mobile, grâce au très haut débit offert par la 4 G. La récente attribution de fréquences par l'ARCEP, pour le compte de l'État, prévoit une desserte de 99,6 % de la population et comporte des prescriptions précises relatives à la couverture des zones rurales, par le jeu de coefficients permettant de bonifier les offres, que tous les opérateurs ont choisi. La mutualisation devrait également y concourir.

Pour amener le très haut débit jusque dans les zones reculées, nous comptons essentiellement sur la technologie de la fibre optique mais pas seulement. Nous mettons en garde contre la formule « tout fibre », qui ne serait pas raisonnable compte tenu de la géographie et de la répartition de la population française, très différentes, par exemples, de celles du Japon ou de la Corée du sud. On ne pourra apporter à 100 % des Français 40 mégabits supplémentaires par seconde au moyen de la fibre optique. D'autres technologies s'avèreront plus performantes dans certaines zones. Ainsi du satellite : nous offrons déjà un service de ce type, à un débit de deux mégabits par seconde mais que nous pouvons augmenter. Ainsi également du VDSL (pour very high speed digital subscriber line), qui repose sur une montée en débit du réseau en fil de cuivre.

Il ne faut pas oublier que la fibre transporte le signal « de bout en bout » et que, pour être performante, il lui faut aller jusqu'au logement individuel et même jusqu'à l'écran, ce qui implique des travaux importants. Elle équipera certes de 80 à 90 % des nouveaux réseaux mais une partie des foyers français devra être raccordée au très haut débit par d'autres techniques.

Le déploiement de la fibre optique dans notre société apportera un bouleversement dans nos habitudes et revêtira inévitablement un aspect anxiogène. Il y a environ 25 ans, l'Union européenne a décidé que le secteur des télécommunications devait être ouvert à la concurrence, déréglementé puis soumis à régulation. Nous avons donc mis fin au monopole qui, dans les années soixante, avait permis de desservir toute la France par le téléphone, dans un temps très bref, et par le réseau de cuivre encore en place aujourd'hui.

La concurrence va initier, non pas une seule fibre mais peut-être 30 ou 40 modèles différents, avec, ici, des réseaux d'initiative publique, là, des délégations de service public, plus loin des réseaux propres à chacun des opérateurs, formant ainsi une mosaïque plutôt qu'un de ces jardins à la française que nous aimons tant depuis Colbert. Notre cadre juridique, français comme européen, n'offre pas d'autre option.

Par sa vocation et sa place dans l'histoire, Orange est bien décidée à jouer un rôle central et de référence dans une opération qui représente aussi pour elle un projet fédérateur.

Il ne s'agit plus de faire durer les réseaux en fil de cuivre pour en tirer le maximum de ressources mais d'investir dans la fibre car l'avenir appartient au très haut débit.

On nous accuse parfois d'essayer, à travers le déploiement de la fibre optique, de reconstituer une forme de monopole. Nous voulons simplement jouer le jeu tel qu'il a été ouvert, en ne prenant que notre part mais toute notre part. Ce qui explique à la fois les accords de mutualisation et les recherches de coopération, parfois empirique, avec les collectivités locales. Je signerai ainsi prochainement une convention avec la région Auvergne et les quatre départements qui la constituent sur le déploiement du très haut débit. Nous discutons avec de nombreuses autres régions.

L'installation de la fibre optique ne pouvant se réaliser qu'avec une forte participation des opérateurs privés, et sur une dizaine d'années, je me permets d'attirer l'attention du législateur sur l'importance d'un cadre règlementaire et fiscal qui soit le plus stable possible. Rien n'est pire que l'activisme législatif consistant à modifier en permanence les règles du jeu. C'est pourquoi nous sommes plus que réservés à l'idée d'instituer une forme de sanction financière à l'encontre des opérateurs, telle qu'on l'envisage au Sénat. Comment peut-on espérer inciter des entreprises privées à investir en les privant de leurs ressources ? C'est également valable à propos des déclarations de Mme Nelly Kroes sur le renchérissement de l'accès aux réseaux en fil de cuivre afin d'encourager les investissements dans la fibre optique. Prenons garde aux dispositifs qui feraient peser de tels risques économiques et financiers sur des opérateurs qui, du coup, hésiteront, ou même renonceront, à s'engager. Toute logique de sanction tuerait l'investissement privé. Mieux vaut définir des méthodes reposant sur la confiance et faisant appel à la contractualisation.

Chez Orange, nous croyons au modèle selon lequel nous assurons à nos clients une proximité géographique. C'est pourquoi nous disposons de 1200 points de vente et que nous n'avons pas l'intention de réduire ce réseau commercial. Ce modèle nous a permis de détenir plus de 40 % du marché de la téléphonie mobile et nous le considérons comme un atout dans l'actuel climat de compétition. Nous devons aussi convaincre nos clients que nos services ont une valeur et donc un prix, qui nous différencie des opérateurs ayant choisi une autre stratégie. C'est pourquoi nous prévoyons une montée en gamme de nos boutiques, avec la construction de très grands magasins – nous en sommes aujourd'hui à une quinzaine- un peu inspirés des Apple stores.

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