Les treize interventions des députés permettent de dessiner le clivage entre ceux qui prônent l'austérité pour réparer les dégâts et ceux qui redoutent qu'elle ne provoque des crises sociales de grande ampleur et voient dans la règle d'or une folie. Il se retrouvera dans les débats européens et dans les débats parlementaires dans chaque pays. En simplifiant, c'est une résurgence de celui qui oppose monétaristes et keynésiens. Mais il est impossible de le trancher, aucun des deux camps n'a raison ni tort, tout dépend des circonstances. Il aurait fallu relancer par le déficit et les grands travaux au moment de la Grande Dépression mais la recette n'est pas forcément bonne aujourd'hui. En tout cas, c'est un beau sujet, tant politique que théorique.
Tout le monde réclame – « en sautant comme des cabris », aurait dit le général de Gaulle – des eurobonds, la mutualisation de la dette et le rachat des dettes nationales par la Banque centrale européenne, bref la planche à billets. Si c'était si simple, pourquoi ne pas l'avoir fait plus tôt ?
Le risque n'est pas tant l'inflation – il n'y en a pas – que l'aléa moral, qui est, à mon avis, largement au coeur de la crise actuelle. Ce concept vient du monde de l'assurance, qui a observé les changements de comportement de ceux qui sont assurés sans avoir à payer. Voilà ce qui préoccupe les Allemands. Nous nous plaignons parfois, en France, d'avoir délégué le pouvoir monétaire à une banque centrale monétariste. Mais imaginez leur angoisse, eux qui sont, toutes tendances confondues, tellement attachés à la stabilité monétaire ! D'ailleurs, la décision d'acheter des titres publics sur le marché secondaire ne leur a pas plu.
La règle d'or exige en effet d'avoir des excédents budgétaires pendant plusieurs années pour ramener la dette à 60 % du PIB. Les implications pratiques n'ont pas encore été mesurées. Et, messieurs les députés, vous allez devoir voter des baisses sévères de dépenses publiques et des augmentations d'impôts. Ce sera votre pain quotidien. Il ne faut pas dramatiser mais ce sera un changement de société.
La relance est avant tout un problème de confiance. Nous avons péché, spéculé, parié sur l'aléa moral, et nous devons nous racheter. Vous le savez, les Allemands sont des tenants de la méthode punitive. Les Grecs ont triché, les banques ont vendu de l'alcool à des alcooliques, ils ont commis des fautes. Le cas de figure était le même quand l'administration américaine a laissé tomber Lehman Brothers, pour l'exemple et donner une leçon aux autres spéculateurs de Wall Street.
Il faut trouver un compromis entre assainissement et croissance, et le vrai sujet, c'est l'ordre des facteurs. Si l'on ouvre les vannes avant d'avoir colmaté les brèches, autant remplir le tonneau des Danaïdes. Il ne faut pas opposer relance économique et plein emploi, d'un côté, et rigueur budgétaire de l'autre. La clé se trouve dans la gouvernance économique.
Personne, jusqu'à présent, n'a relevé le paradoxe. Nous avons inauguré l'ère monétariste il y a trente ans, sur les ruines de l'ère keynésienne qui s'est achevée dans l'hyperinflation. Si l'on a changé, c'est pour de bonnes raisons. Maintenant, l'ère monétariste se termine par l'hyperdette. La banque centrale indépendante a accouché d'une énorme dette, en soulevant la question de l'aléa moral.