Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'examen du texte portant organisation du service et information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers ne peut constituer pour nous une surprise, puisque nous y avions été préparés par l'instrumentalisation de la grève des agents de sûreté à laquelle s'est livré Nicolas Sarkozy. À l'approche des fêtes de fin d'année, ne déclarait-il pas : « L'année 2011 a été rude pour les Français, et nous ne pouvons pas accepter que qui que ce soit soit pris en otage au moment de partir en vacances » ?
Nous y avions également été préparés par la descente en force à Roissy d'une délégation gouvernementale, que vous dirigiez, monsieur le ministre, accompagné de Nathalie Kosciusko-Morizet et de Claude Guéant qui déclarait : « Il ne s'agit pas de casser la grève, mais d'assurer la continuité du service public », en référence à la décision qui venait d'être prise de faire appel à des policiers et gendarmes pour assurer la continuité du service.
Marquer les esprits en cassant cette grève, tel était bien l'objectif qui était poursuivi car, de mémoire de syndicaliste, le recours à la police pour remplacer des grévistes est inédit en France. Est-il utile de rappeler que, lors des grandes grèves des années cinquante dans les transports, c'est l'armée qui avait été mobilisée pour transporter les passagers, comme elle a régulièrement été sollicitée lors des grandes grèves d'éboueurs.
Ce conflit, nous le constatons aujourd'hui, a constitué une belle opportunité pour tous ceux qui, dans la majorité, attendaient l'arme aux pieds que l'on débatte de la mise en place de ce qui pourrait ressembler à un service minimum dans les transports aériens. Plusieurs propositions de loi n'ont-elles pas déjà été déposées auprès de nos assemblées parlementaires, l'une par Catherine Procaccia au Sénat, l'autre par notre collègue Lionnel Luca ?
Pour justifier sa proposition de loi, notre rapporteur invoque la sauvegarde de l'ordre public, de la sécurité et de la santé des personnes, puisque, par exemple, sur la plateforme aéroportuaire de Roissy-Charles de Gaulle, 60 % des passagers effectuent des vols en correspondance, ce qui peut, en cas de mouvement de grève important, créer des troubles, dans la mesure où les capacités d'hébergement ne permettraient pas de répondre aux besoins.
Cette justification, nous ne pouvons l'entendre, d'une part, parce que, contrairement à ce que l'on veut nous faire croire, la conflictualité dans le secteur du transport aérien de voyageurs s'est sensiblement réduite au cours des dernières années, d'autre part, parce que la convention collective régissant les salariés des sociétés de sûreté aérienne, qui exercent une mission de service public, les oblige à déposer un préavis de grève cinq jours avant le début du mouvement.
Nous sommes nombreux à penser que ce dernier conflit, celui de décembre 2011, dont le Gouvernement a fait une opération de communication, aurait pu être évité. En effet, c'est le groupe socialiste qui, alerté par les organisations syndicales, a demandé, il y a déjà plusieurs mois, au président de la commission du développement durable – que je remercie ici – de créer une mission d'information sur la sûreté aérienne et aéroportuaire, laquelle fut confiée à nos collègues Daniel Goldberg et Didier Gonzales.
Leur travail est riche d'enseignements sur les conditions de travail des agents de sûreté : « Les agents de sûreté, écrivent-ils, ont une trop faible maîtrise de leur temps et donc de leur vie privée, travaillant en horaires décalés, y compris les dimanches et les week-ends, voyant leurs plannings changer trop souvent, sans compter les retards d'avions qui les obligent à rester sur la plate-forme. Ils doivent exercer leur activité debout, tout en étant contraints à de nombreuses flexions imposées par les contrôles. Ils se heurtent trop souvent à l'incompréhension des passagers inspectés, la réglementation retenue en 2006 pour l'import de liquides ayant, par exemple, fréquemment engendré des situations de conflit. »
Des rapporteurs qui n'hésitent pas à demander que les personnels de la sûreté aérienne bénéficient d'avantages comparables à ceux des autres personnels aéroportuaires, à tout le moins l'accès aux restaurants d'entreprises, des locaux corrects, ainsi qu'une participation accrue des employeurs aux déplacements domicile-travail.
Nous le voyons bien, ces salariés, au-delà de leur niveau de rémunération – 1 300 euros nets avec sept ans d'ancienneté –, avaient de bonnes raisons de déposer un préavis de grève, afin d'exiger une véritable négociation avec leurs employeurs, que le délai d'au moins cinq jours, s'ils en avaient eu la réelle volonté, aurait dû conduire à un accord.
S'il est un constat qui s'impose à nous, c'est qu'aujourd'hui le dialogue social est en déshérence et que cela pousse certains, au travers d'un texte comme celui qui nous est soumis ce soir, à porter atteinte sans hésiter au droit de grève. En effet, les dispositions proposées conduisent, afin d'éviter la paralysie du transport aérien, à obliger les salariés dont l'absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols, à informer, au plus tard quarante-huit heures avant le début de chaque journée de grève, le chef d'entreprise de leur intention d'y participer.
Ces dispositions concernent principalement des salariés d'entreprises privées, qui n'ont, à ce jour, aucun préavis de grève à respecter, n'étant soumis en la matière qu'au code du travail. En s'engageant dans cette voie, nous risquons de créer un grave précédent, puisque nous encadrerons le droit de grève par une déclaration individuelle préalable au conflit, ce qui constituerait une première dans le secteur privé.
D'ailleurs, notre rapporteur, qui a compris que le principe de continuité du service ne pouvait être utilisé pour encadrer le droit de grève, invoque le principe de liberté de circulation, que le Conseil constitutionnel ne retiendra très certainement pas, dans la mesure où le transport aérien est en concurrence sur toutes les dessertes avec d'autres modes de transport tandis qu'à l'intérieur même de l'aérien plusieurs compagnies assurent les mêmes lignes.