Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Luc Vigneron

Réunion du 17 janvier 2012 à 16h45
Commission des affaires européennes

Luc Vigneron, Président de Thales :

Monsieur Desallangre, nous avons en effet le projet de céder nos activités « business solutions ». Il s'agit d'une partie de l'une des sociétés du groupe, dénommée Thales Services. La raison de ce projet est non pas de « faire du cash » mais tout simplement d'assurer un avenir à moyen et long terme à cette activité. Nous n'avons plus la taille critique sur le marché sur lequel elle s'opère. Des priorités – qui ont fait l'objet d'une communication aux actionnaires en assemblée générale, approuvée par le conseil – ont dû être établies au niveau du groupe. L'activité en question est en fait à la croisée des chemins. Pour lui faire atteindre la taille critique et rejoindre les grands du secteur, il faudrait que nous nous lancions dans une politique massive d'acquisitions de sociétés. Par exemple, cette activité fournit des services informatiques à de nombreux acteurs, notamment le secteur bancaire et financier. Or, sa taille, chez Thales, ne représente que le dixième de celle de GFI. Dans ces conditions, nous ne sommes pas rassurants à long terme pour nos clients. Il faut pouvoir investir sur les nouvelles technologies et disposer d'un panel d'ingénieurs qui couvre les nombreux domaines d'activité d'un secteur de plus en plus difficile pour les petits acteurs. Nous devons donc choisir entre une stratégie visant à préserver l'avenir à moyen et long terme de cette activité, en l'adossant à l'un des grands du secteur – GFI compte plus de 9 000 salariés dont plus de 6 000 en France – et une stratégie d'extinction progressive de ce métier chez Thales, par faute de capacité à pouvoir rivaliser avec nos concurrents, pour des raisons de taille. Ce qui est en train de ce passer est malheureusement mécanique. La question n'est en aucun cas une affaire de compétitivité individuelle ; les personnels font très bien leur travail. C'est une question de taille critique.

J'ai demandé qu'une phase de dialogue intense soit développée au sein de la société. Voilà un certain temps que nous avons présenté notre projet. Le dialogue continue avec les partenaires sociaux. J'ajoute que l'opération se fait sans suppressions d'emplois ; c'est une cession d'une branche d'activité à un repreneur qui s'engage à maintenir l'emploi et qui va faire bénéficier de l'effet de taille commercial et technologique une activité qui, chez Thales, est dans l'impasse. J'espère donc que le dialogue va pouvoir permettre au dossier d'avancer.

Monsieur Myard, surtout dans les systèmes complexes, un schéma fondé sur un maître d'oeuvre entouré de partenaires est en effet le meilleur. Cependant, comme vous le soulignez avec raison, et pour des raisons de souveraineté ou de posture, certains sujets ne peuvent être traités que dans le cadre d'alliances. Dans ces cas il faut prévoir des participations partagées. Ma position, en tant qu'industriel, est que, dans ce type de cas, il faut constituer des sociétés ad hoc. De telles sociétés seront toujours des lieux de concertation préférables à de simples alliances qui permettent plus facilement l'expression des égoïsmes - naturels – de chaque société : une société ad hoc comporte une équipe de permanents qui, du fait qu'elle s'identifie au projet commun, met beaucoup d'huile dans les rouages du fonctionnement international de ce type de projet.

L'impact du taux de change est réel sur nos activités. Vous avez raison de souligner que la force de l'euro par rapport au dollar - ou la faiblesse du dollar par rapport à l'euro - est une difficulté. Nous avons regagné quelques points de compétitivité par rapport au début de l'année. Nous devons affronter de plein fouet cette affaire de taux de change pour celles de nos activités qui sont exprimées en dollars, comme les satellites de communication - dont la production s'effectue en France et en Italie - ou l'avionique.

Cette expression en dollars du marché nous a en effet conduit à délocaliser. Ainsi, il y a deux ans - et cela ne nous plaisait pas - nous avons dû transférer des production de série d'avionique de France vers Singapour, même si la recherche et le développement, ainsi que la production de prototypes et de petites série a été maintenue en France. Tant que le rapport entre le cours de l'euro et celui du dollar sera ce qu'il est, nous n'aurons pas d'autre choix pour dégager les profits nécessaires à l'investissement dans la R&D, qui est l'élément fondamental pour survivre dans notre métier. Le marché aéronautique est en effet mondial. Pour autant nous ne souhaitons pas devoir continuer dans cette voie.

Monsieur Caresche, je partage votre point de vue. D'une part, la directive européenne sur les marchés de défense et de sécurité peut favoriser le marché intérieur européen. D'autre part, j'estime qu'on ne peut pas ouvrir le marché européen à des acteurs non européens sans véritable réciprocité pour nos industriels sur ces marchés non européens.

Monsieur Piron, nous sommes en effet souvent, chez Thales, dans des cycles longs. La durée de vie d'un système de signalisation ferroviaire est de trente à quarante ans, celle d'un avion de trente ans. Certains des radars que nous réparons ont été construits il y a plus de trente ans.

Pour autant, les temps de retour sur investissement ne sont pas de trente ans. La perpétuation d'un équipement pendant trente ans suppose en effet des investissements réguliers. En réalité, l'investissement initial doit être remboursé en cinq à dix ans. Pour que l'équipement vive trente ans, il faut réinvestir régulièrement pour traiter les obsolescences.

Ces investissements sont financés en partie grâce à notre profitabilité, et pour le reste soit grâce à des financements des clients, qui vont acheter des évolutions des matériels ou encore contribuer au développement de ceux-ci, soit dans le cadre de marchés d'études. Nous dépensons en R&D 20 % de notre chiffre d'affaires. Les trois quarts de ce montant sont financés par les clients.

Monsieur Herbillon, lorsque j'ai rejoint Thales, j'ai fait entrer le directeur technique du groupe au Comité exécutif de Thales, ce qui n'était pas le cas auparavant, alors que c'est une fonction clé, et je n'ai cessé depuis lors d'étendre son domaine d'action au sein du groupe : le directeur technique a désormais la capacité de vérifier comment nous faisons jouer les synergies, y compris au niveau des développements de produits entre des sociétés dépendant de Thales.

Malgré les difficultés qu'a connues Thales ces dernières années, j'ai aussi maintenu, voire augmenté, les investissements du groupe en R&D.

Enfin nous organisons pendant la deuxième semaine du mois de février la deuxième semaine « technodays » du groupe au niveau mondial. Nous allons notamment y présenter à nos clients et partenaires - et à une partie de notre personnel- au Palais des congrès, des innovations - déjà juridiquement protégées bien sûr. Une présentation aussi large et ouverte est une première pour le groupe.

Toutes les sociétés de High tech savent qu'elles ne vivent que par la technologie. Chacune a donc sa recette pour motiver l'innovation chez elle. Ensuite, celui qui gagne, c'est celui qui remporte les contrats. Je suis assez satisfait de voir depuis mon arrivée que c'est statistiquement dans les parties du groupe où il existait une grande discipline de R&D en commun, avec un accent mis sur l'innovation, que nous réussissons nos meilleurs scores sur les marchés internationaux. C'est l'innovation - une innovation intelligente, c'est-à-dire très connectée aux besoins du client, et productive, où l'effet de groupe et le travail en commun est maximisé, de sorte qu'elle se fasse au plus bas coût possible - qui fait la différence sur les marchés internationaux. Sur certains de ces marchés, grâce à des produits récemment sortis de nos laboratoires, nous sommes extrêmement performants !

Monsieur Forgues, que signifie « ambition européenne » alors que, en matière de défense, il n'existe pas grand-chose au niveau européen à part l'Agence européenne de défense ? L'ambition existe sur le plan civil, avec le PCRD à l'horizon 2020, le système SESAR, l'ESA. Des sujets essentiels de recherche sont à maintenir dans ce domaine. Je rappelle aussi que si Thales est une entreprise duale, c'est bien du fait de l'existence de synergies entre les domaines civil et militaire. L'avionique dont nous équipons le cockpit de l'Airbus A400M est la réutilisation de développements que nous avons conçus pour l'Airbus A380. La genèse des innovations créée des oscillations : parfois c'est le militaire qui est en avance, parfois c'est le civil. Les avances dans un secteur bénéficient à l'autre. Que l'Europe maintienne ses ambitions dans le domaine de la R&D civile nous intéresse donc aussi bien pour nos activités civiles que pour nos activités de défense.

Même si les avancées sont lentes, il faut maintenir le cap en ce qui concerne l'Agence européenne de défense et la R&D européenne. La lenteur de la progression est liée à la complexité des processus de décision. Pour qu'un programme européen - qui est toujours structurant - soit lancé, les forces militaires de plusieurs pays doivent d'abord s'être mises d'accord sur des spécifications ; c'est cette réalité qui explique que le moteur majeur dans ce domaine soit la coopération bilatérale.

Madame Karamanli, les annonces que nous avons effectuées en décembre sur nos coopérations avec DCNS, Nexter ou encore Safran ne comportent aucune conséquence sociale.

S'agissant de DCNS, nous avons levé en décembre 2011 une option - qui avait été négociée avec l'Etat lorsque Thales est entrée au capital de cette société à hauteur de 25 % - pour prendre une participation de 10 % de plus du capital avant mars 2012.

Rien n'est encore fait avec Nexter. Il ne s'agit que d'un projet, qui reste à finaliser. Les deux parties doivent chacune y trouver avantage. Chacune d'elle recherche actuellement un rapprochement où Thales apporterait ses activités en matière de munitions, essentiellement franco-belges, en contrepartie d'une entrée au capital de Nexter Systems –participation qui resterait en tout état de cause minoritaire – sur des bases à déterminer en fonction des valorisations réciproques.

La finalité de l'accroissement de la part de Thales au capital de DCNS et du projet que nous conduisons avec Nexter est de renforcer « l'équipe France » à l'export. De vraies synergies y sont à construire. Que nous nous adressions aux gouvernements brésilien, indien ou turc, nous sommes chaque fois confrontés à de mêmes demandes de localisation dans chaque pays d'une partie de notre production en échange du contrat. Répondre à ces demandes – incontournables - n'est pas facile : il faut construire des usines, recruter des ingénieurs, rencontrer des partenaires locaux et travailler avec eux – condition en général imposée par le gouvernement étranger. Or, lesdits partenaires sont parfois connus de nous à d'autres titres. Ainsi, au Brésil, DCNS s'est vu imposer pour son contrat de sous-marins de travailler avec le groupe Odebrecht, qui vient du génie civil. Mais nous connaissons déjà ce groupe, avec lequel nous travaillons dans d'autres domaines en Amérique latine !

Enfin, il faut maintenir des équipes permanentes dans les pays où nous voulons exporter. Dès lors, des synergies entre groupes exportateurs sont possibles : la même équipe, forte de sa connaissance des armées locales, pourra travailler sur plusieurs programmes.

Il reste que ces alliances ne procèdent pas d'un raisonnement contraint : leur réalisation et leur configuration seront la résultante de l'intérêt qu'elles présentent pour les deux parties : les participations que nous avons prises ou que nous envisageons de prendre sont minoritaires.

Nous pouvons aussi trouver des synergies dans les technologies très en amont, autrement dit loin des phases de choix de ses équipements par le plateformiste - il ne s'agit pas de pousser les équipements Thales au sein de DCNS, par exemple. Faire réfléchir ensemble les ingénieurs sur les futurs concepts d'engins suffisamment en amont avant leur profilage concret, notamment financier, permet d'enrichir les deux parties ; aujourd'hui, un plateformiste n'a jamais accès aux réflexions des ingénieurs équipementiers sur l'évolution possible des équipements, et il n'expliquera jamais à un équipementier comment il pense faire évoluer ses plateformes. Cette non communication est du reste assez spécifiquement française : si, dans notre pays, ces industries sont séparées - c'est un fait de l'Histoire dont je ne suis pas sûr qu'il ait encore sa raison d'être dans l'avenir - , tel n'est pas le cas aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne ou encore en Allemagne.

L'armée de Terre a demandé à l'industrie de s'allier pour travailler sur le programme Scorpion. De fait, aujourd'hui l'état de ce programme est suffisamment en amont des grands appels d'offres pour qu'il n'y ait pas d'enjeu économique majeur pour les industriels qui y réfléchissent. En revanche, demander à des ingénieurs de Nexter, Sagem et Thales de réfléchir ensemble, dans le cadre d'une société commune créée à cette occasion, pour projeter ce que pourraient être à l'avenir les meilleurs compromis pour l'armée de Terre en matière d'équipements me paraît particulièrement non seulement intelligent et astucieux, mais porteur, à terme, d'économies pour le budget national et de compétitivité à l'exportation.

Nos relations avec Safran procèdent d'une logique un peu différente. Si les tentatives d'échanges d'actifs n'ont pas abouti, nous ne sortons pas bredouilles de cette aventure. Nous avons renforcé nos liens. Nous nous sommes mis d'accord pour mutualiser notre secteur amont au sein de la société Sofradir, spécialisée notamment dans les détecteurs infrarouge, et détenue jusqu'ici à 40 % par Sagem, 40 % par Thales et 20 % par Areva, en réorganisant son capital de façon à ce qu'il soit détenu pour moitié par Thales et pour moitié par Sagem. Sofradir est une pépite de l'industrie technologique : c'est l'un des rares fournisseurs européens capables de se comparer aux meilleurs américains dans les technologies qu'ils maîtrisent. C'est un réservoir de compétences et un outil technologique de toute première qualité pour l'Europe. L'évolution du capital que je viens de mentionner est un élément de renforcement pour cette société. Avec Safran, nous créons aussi une joint venture qui parie sur l'avenir. L'ensemble des compétences d'optronique militaire partagées par Thales et Safran y sont logées. Cette politique permet à la fois de répondre au souci de la DGA d'éviter des financements en doublon de projets d'avenir et de mettre en place une instance commune de dialogue qui permette de mettre fin à un certain nombre de peurs qui existaient dans la configuration précédente.

Dassault est notre actionnaire pour 26 % de notre capital, l'Etat pour 27 %, le reste étant réparti entre 3 % pour le personnel et 40 % en flottant. En pratique, j'ai face à moi un pacte d'actionnaires qui détient 53 % de Thales et qui, à ce titre, contrôle la société. En se complétant, les différences de nos deux actionnaires majeurs créent des compromis intéressants pour l'entreprise. Au sein de ce pacte, Dassault apporte beaucoup en matière industrielle, de gestion de projets, d'organisation de Thales à l'exportation. L'Etat, quant à lui, est garant des intérêts souverains du pays. Contrairement à ce qui est parfois dit, ce pacte d'actionnaires respecte les prérogatives du management de la société. De plus, ce pacte est conclu dans la durée : non seulement l'Etat mais aussi Dassault ont le sens du temps long ; C'est un élément positif pour la société.

Monsieur Quentin, il n'y a pas de mélange des genres entre la position de Dassault comme actionnaire et comme partenaire industriel de Thales sur certains projets, à commencer par le Rafale. Nous avons aussi ensemble des relations de client à fournisseur : Dassault achète de l'avionique à Thales. Par ailleurs, Dassault et Thales ont chacun créé des sociétés de simulation : il y a des accords entre nous. Comme partenaire industriel, Dassault n'est ni plus dur ni plus tendre que les autres.

Notre drone Watchkeeper a été développé en Grande-Bretagne. S'il l'a certes été à partir d'une plateforme israélienne Elbit, les trois quarts du montant du contrat portent non pas sur la plateforme mais sur l'adaptation du drone à l'environnement européen, pour lui permettre notamment de voler dans l'environnement réglementaire aérien de l'aviation européenne - travail qui a exigé un travail de certification considérable - et d'être intégré dans les réseaux de commandement et les systèmes de communication britanniques. Ce programme, qui est aujourd'hui le programme de drones le plus important, va être déployé en Afghanistan cette année. J'espère qu'il intéressera l'armée française pour ses opérations tactiques.

Le drone MALE ne concerne pas Thales. Notre présence dans les drones s'arrête lorsque ceux-ci commencent à se rapprocher de trop près des technologies de l'aérodynamique aéronautique : au contraire des drones tactiques, dans les drones de combat ou les drones MALE, la plateforme prend une telle importance par rapport au système que seul un plateformiste spécialiste de l'objet volant - bref, un avionneur - peut être le maître d'oeuvre. Nous ne pouvons y intervenir que comme équipementier en avionique ou en optronique, ce pour quoi nous sommes évidemment prêts, y compris dans notre coopération avec Sagem.

Monsieur Gaubert, même si certains pays européens demandent encore des offsets, je n'ai pas repéré de protectionnisme rampant en Europe. Si chaque pays - dont la France - souhaite bien sûr que l'argent public qu'il investit soit dépensé chez lui, il n'y a pas de discrimination envers les entreprises européennes en fonction de leur nationalité ; aucune comparaison n'est possible avec ce que nous pouvons vivre dans d'autres pays, à la grande exportation.

La société Thales est présente non pas dans le transport maritime mais dans la surveillance maritime, notamment pour des radars côtiers, ou embarqués sur avion, sur des navires garde-côtes ou militaires. Les radars que nous produisons sont de haute performance ; ils n'ont pas vocation à équiper, par exemple, les navires commerciaux.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion