De tels dysfonctionnements ne proviennent pas de mouvements sociaux, mais bien de la dégradation du service, et de l'enchevêtrement généré par la jungle de la concurrence « libre et non faussée » – du libéralisme économique, en quelque sorte.
Les retards, les blocages et le manque d'information des voyageurs que vous diagnostiquez devraient vous conduire, non pas à accuser les salariés, mais à faire le procès des privatisations et à prendre de véritables mesures pour améliorer cette information. Il est donc particulièrement malvenu d'attaquer comme vous le faites les travailleurs du transport aérien.
Cette proposition de loi repose sur l'instauration d'un accord-cadre aux termes duquel l'exercice du droit de grève ne pourra intervenir qu'après négociation préalable entre l'employeur et les syndicats. C'est en cas d'échec de ces négociations qu'interviendra l'autodéclaration individuelle de grève, quarante-huit heures à l'avance.
J'ai déjà souligné que ce double mécanisme était inutile puisque aucun problème de prévisibilité des conflits ne se pose à l'heure actuelle et que rien ne confirme une hypothétique impossibilité du dialogue social, impossibilité qui sera bien plutôt la conséquence de l'adoption de ce texte.
Cette proposition appelle également plusieurs autres commentaires, et d'abord sur la déclaration individuelle de grève. Les organisations syndicales sont très inquiètes, car elles estiment dans leur majorité – et il faut en tenir compte – que l'obligation de se déclarer individuellement comme gréviste vise en réalité à empêcher tout mouvement de grève futur. Vous le savez, les salariés des entreprises du secteur aérien sont soumis à une forte précarité et à des pressions énormes des employeurs. Le recours massif aux contrats précaires et à la sous-traitance se conjugue avec des plans sociaux qui interviennent de plus en plus fréquemment – Air France en apporte malheureusement l'illustration. Sachez aussi que, tout récemment, la compagnie française Air Méditerranée a délocalisé les contrats de travail de ses personnels en Grèce. De cette façon, ses salariés sont moins protégés, alors même que les avions décollent de Roissy ! Dans ce contexte de contrainte extrême des salariés, croyez-vous que quiconque osera facilement se déclarer en grève de façon individuelle ?
Il faut préciser que le mécanisme proposé ne garantit en rien la confidentialité de la déclaration – les propos que nous avons entendus tout à l'heure à ce sujet constituent une véritable aberration –, pour la bonne et simple raison que les services de comptabilité des entreprises doivent connaître l'identité des salariés en grève afin d'effectuer les retenues sur salaire. Les difficultés économiques actuelles sont d'ailleurs suffisamment dissuasives, car peu nombreux sont les salariés qui peuvent diminuer leur salaire dans la période de crise que nous connaissons. On sait qu'ils gagnent 1 000, 1 200, 1 300 euros par mois.
Quelle peut être la justification d'une entaille aussi exorbitante dans le droit de grève ? Vous avez instrumentalisé le principe de continuité du service public pour restreindre le droit de grève dans l'éducation et les transports terrestres en instaurant le service minimum, lui-même en rupture avec le droit fondamental à la grève. Cette manoeuvre ne peut s'appliquer en ce qui concerne l'aérien. En effet, les entreprises concernées sont des entreprises privées, les contrats des salariés sont des contrats de droit privé. Le principe de continuité du service public ne peut donc être invoqué. La validité juridique de votre texte se heurte à un véritable écueil. Nous souhaiterions, avec nos collègues du groupe SRC, que la présente proposition de loi puisse être déférée devant le Conseil constitutionnel au cas où elle serait votée.
J'en viens à un autre aspect du problème : ce texte a moins pour finalité d'informer les voyageurs, comme vous le prétendez, que d'empêcher qu'un mouvement social puisse voir le jour et ait la moindre conséquence sur la fluidité du trafic. La hantise de l'UMP, c'est que les salariés, pour défendre leurs droits, puissent retarder quelques vols. Car cela pourrait leur donner plus de poids dans la négociation avec le patronat. Vous nous dites que « c'est la période des vacances », celle où les gens voyagent le plus. La vérité c'est que, pour vous, on devrait faire grève entre deux heures et cinq heures du matin. Évidemment, ce ne serait pas trop gênant !