J'ai tout d'abord noté avec satisfaction votre volonté de continuer à investir dans les fonderies de Bretagne. Nous avions suivi ce dossier il y a quelques années.
Quant au développement d'une nouvelle usine au Maroc pour la production de véhicules low cost à destination de la France et de l'Europe, cela exerce inévitablement un effet de concurrence sur certains petits véhicules classiques produits sur notre territoire. On peut comprendre les inquiétudes des sites et des ouvriers concernés.
Les débats relatifs aux cotisations sociales, à la taxe professionnelle et à la fiscalité sont complètement en décalage avec la réalité des écarts de salaires ou de fiscalité, existant par exemple entre le Maroc et la France. Ce débat ne produit aucun effet de réimplantation industrielle sur notre territoire.
Vous n'avez pas évoqué la Twizy ni, plus généralement, le véhicule du XXIe siècle. Le modèle développé à partir des années 1950-60 va-t-il perdurer ? Ne faut-il pas investir beaucoup plus lourdement en faveur de l'innovation dans la conception de véhicules et de leur diversification en fonction des besoins (urbains, périphériques, ponctuels...) ? La réflexion ne devrait-elle pas porter sur l'usage futur du véhicule, sur l'attente des citoyens en la matière ? La France ne devrait-elle pas être à la pointe de l'invention de ces nouvelles formes, le leader dans l'invention du véhicule du XXIe siècle ? Il me semble que l'on s'en tient trop à l'adaptation technique et technologique d'un modèle qui a plus de cinquante ans. L'effort de recherche-développement en faveur de l'innovation doit être porté à la fois par les pouvoirs publics et par les grands constructeurs, de manière concertée et collective. Autrement, ces nouvelles formes de véhicules risquent de voir le jour en Asie du Sud Est, en Chine ou ailleurs. Le schéma selon lequel nous sommes les inventeurs, et les pays émergents, les usines, est complètement dépassé.
William Dumas. D'après les données publiées par des cabinets spécialisés, la baisse des immatriculations devrait atteindre entre 6 et 10 % en 2012. Votre groupe a annoncé prendre des mesures d'économies pour faire face à ces prévisions. Pouvez-vous indiquer quelles seront ces économies ? En outre, vous avez annoncé interrompre la commercialisation de cinq modèles en Grande- Bretagne et réduire d'un tiers le nombre de vos concessionnaires. Cela fait-il peser des risques supplémentaires sur l'emploi en France ? Vous avez placé beaucoup d'espoir dans la Clio 4. Pensez-vous que les résultats des ventes en 2012 suffiront à sauvegarder l'emploi ? Allez-vous, comme votre concurrent Volkswagen qui brade sa Polo en diminuant son prix de vente de 30 %, abaisser le prix de certains de vos modèles afin d'augmenter vos ventes ? Par ailleurs, combien de nouveaux brevets déposez-vous chaque année ? Enfin, vous prévoyez de lancer en 2012 neuf nouvelles voitures telles que la Clio 4, ou de relancer la marque Alpine dont vous dites qu'il s'agit d'un très bon produit. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces nouveaux modèles ?
Carlos Tavares. Je ne suis pas surpris par la passion que suscite le sujet. Je vais devoir procéder à un choix dans les réponses aux questions que vous m'avez posées mais m'engage à répondre à toutes vos interrogations par écrit.
L'un de nos grands concurrents français connaît une période de crise, qui se traduit par des annonces douloureuses. Le groupe Renault, dont la marge opérationnelle pour le premier semestre 2011 est de 3 %, est dans une situation plus favorable, mais qui reste fragile. Aider l'emploi nécessite que des profits récurrents soient réalisés au niveau du groupe et à cet égard, je veux souligner que toute croissance de l'entreprise sur la planète est in fine positive pour la France. En effet, les bons résultats en Russie ou au Brésil se traduisent par des investissements dans la R&D ou dans des nouveaux partenariats avec des entreprises françaises. Il est essentiel de protéger la compétitivité car celle-ci est le meilleur garant du maintien de l'emploi.
Je vais répondre sur les thèmes qui ont suscité le plus de questions. S'agissant de l'usine de Tanger, nous considérons qu'il s'agit d'une extension industrielle de l'implantation que nous avons en Roumanie. Celle-ci fonctionne en effet très bien grâce au succès des modèles qui y sont produits. Nous avons donc décidé d'élargir la gamme Dacia, qui, je le précise à toutes fins utiles, appartient à 99 % au groupe Renault, et donc d'étendre l'implantation du site initial, afin de conquérir de nouveaux clients en Afrique et en Asie. Les conditions que nous avons trouvées au Maroc nous ayant paru intéressantes, nous avons choisi le site de Tanger. Il faut par ailleurs relativiser la concurrence entre Dacia et Renault. Les enquêtes marketing que nous avons commandées nous ont indiqué que seuls 5 % des acheteurs d'une voiture Dacia ont déclaré avoir hésité avec une voiture Renault. On peut donc exclure les risques de cannibalisation. La décision de s'implanter à Tanger me paraît donc être une décision raisonnable, qui représente un avantage et non une menace pour Renault. En 2011, les ventes se sont élevées à 2,72 millions de voitures, ce qui constitue un record. L'année précédente, ces ventes étaient de 2,6 millions. Dacia est un outil de conquête pour l'entreprise, qui nous permet de renforcer le groupe. Pour finir sur ce sujet, il faut ajouter qu'il s'agit de véhicules qui ne pourraient pas être produits en France à des niveaux de coûts compétitifs.
S'agissant maintenant de l'expression qui a été utilisée de « tempête en 2012 », je voudrais dire qu'il s'agit effectivement d'une année qui s'annonce difficile en Europe occidentale, avec des prévisions de baisses des ventes de 3 %, et même de 6 % en France. Nous restons encore trop sensibles à la situation économique de cette zone géographique. Il nous faut donc grandir afin de bénéficier d'économies d'échelles mais aussi renforcer nos positions sur d'autres marchés, afin de compenser les perturbations économiques que connaissent certaines régions du globe. Ainsi, en 1999, 11 % du volume des ventes de Renault se faisait à l'extérieur de l'Europe occidentale. Ce chiffre est passé à 35 % en 2011 et devrait atteindre 42 % en 2012. Réduire notre dépendance à la croissance européenne rend notre situation financière plus stable.
Les mesures d'économies sont variées et affectent notamment des domaines tels que les frais de consulting ou les frais de fonctionnement. Nous mettons un point d'honneur à protéger nos salariés. Nous essayons également, dans la mesure du possible, de protéger nos sous-traitants, sauf dans le cas où ces entreprises ont été mal gérées et n'ont pas réussi à attirer de nouveaux clients. Chaque entreprise doit assumer ses responsabilités et s'adapter à son environnement.
Je vais décrire succinctement nos nouveaux véhicules, qui disposent tous d'une identité très marquée et ne risquent donc pas de se cannibaliser. S'agissant du nouvel Espace, son design est dorénavant finalisé. Son concept est innovant, et il occupe une remarquable position premium, qui a d'ailleurs été renforcée à ma demande. Je suis convaincu qu'il opérera un retour dans le haut de gamme pour 2014. Si son développement prenait davantage de temps, ce qui ne semble pas devoir être le cas, je privilégierai toujours la qualité. La Twizy qui sera lancée à partir du printemps 2012 a un positionnement très intéressant en matière de mobilité urbaine. En raison de son prix intéressant, des parents pourront même l'offrir à leurs enfants. Je suis donc très confiant dans la mesure où je trouve son concept innovant et son prix attractif. La Zoé sortira, elle, à l'automne. Une question m'a été posée s'agissant de l'opportunité d'acheter un Duster. Le Duster est un véhicule qui dispose d'un excellent rapport qualité prix avec une ergonomie remarquable. Il sera commercialisé soit sous le badge Dacia, soit sous le badge Renault. Par exemple, il est vendu au Brésil, avec un certain nombre d'adaptations, sous la marque Renault.
S'agissant des questions concernant les affaires d'escroquerie, il va de soi que je n'évoquerai pas celles qui portent sur les enquêtes en cours. Il est certain que toutes ces affaires provoquent des souffrances chez les salariés. Je ne peux que souhaiter qu'il s'agisse d'une page douloureuse, qui se tournera progressivement. Je m'efforce d'accompagner les salariés autant que possible. Je passe a minima une semaine par mois sur le terrain, sur nos sites industriels et de développement, en France et à l'étranger. Toutes les entreprises de notre taille connaissent des moments difficiles.
La question de l'impact des économies sur l'investissement n'est pas encore arbitrée. Cela dépendra du premier semestre 2012. Je voudrais pouvoir éviter de reporter certains investissements mais ne peux rien promettre pour l'instant.
Je veux insister sur un point. Renault peut être critiqué lorsqu'elle perd des parts de marché, ne peut être tenu responsable de la taille de ceux-ci. Il ne serait pas juste d'accuser Renault pour les difficultés économiques d'ordre macroéconomique. Je vous rappelle que les marchés sont pilotés par l'indice de confiance des consommateurs et par leur pouvoir d'achat. Notre travail, à Renault, est d'apporter des réponses innovantes et des réponses économiques, en phase avec les attentes du marché. Et nous le faisons. Nous sommes innovants. Nous avons lancé les véhicules zéro émission ce qui est un choix stratégique décisif ; la Twizy offre des avancées remarquables en termes de propreté et de qualité. Une autre idée innovante a été présentée à la conférence Web il y a quelques semaines à Paris. Il s'agit d'ajouter une tablette intégrée dans les tableaux de bord, ce qui permettra de se connecter à Internet. Nous sommes donc parfaitement compétitifs dans le domaine de la connectivité.
L'Alpine est une des forces de l'histoire de Renault. Elle constitue un véritable héritage. Nous avons donc intérêt à utiliser cette marque. Si les conditions économiques sont réunies, nous la relancerons, avec l'optique d'avoir une marque sportive qui soit au service du groupe Renault. La décision n'est cependant pas encore prise, nous sommes encore dans une phase exploratoire.
Par ailleurs, nous avons créé, pour ce qui est de l'exploitation commerciale des résultats en Formule 1, un comité de communication spécifique qui réunit les équipes du marketing central de Renault et celles de Viry-Châtillon pour obtenir une exploitation optimale des résultats sportifs car ils sont de nature à renforcer la valeur de la marque et à limiter les efforts que nous sommes conduits à faire pour vendre nos véhicules. Nous soutenons le retour d'un Grand Prix en France. En tant que motoriste des meilleures équipes de F1, nous pouvons obtenir autant d'impact en matière de valorisation de la marque qu'en étant nous-même propriétaire d'une écurie de F1 et ceci pour un coût en moyenne trois fois inférieur.
S'agissant de la question posée sur le sujet du haut de gamme, je confirme que les véhicules segmentés par rationalisation des plateformes vont être produits à Douais. C'est la stratégie industrielle qui a été décidée.
Le monozukuri est une approche qui est porteuse d'efficacité puisqu'elle permet de déterminer le coût total du véhicule entre le début de sa fabrication et le moment de la livraison. Le monozukuri prend en compte l'ensemble des coûts induits par les différents éléments de la production – logistique, conception, manufacturing… On s'est aperçu qu'à l'interface de ces métiers se trouvaient des gisements de productivité et que la somme des optima locaux ne correspondait pas à un optimum global. Le monozukuri permet d'optimiser les interfaces pour que le coût optimum global soit le seul facteur de décision.
Je voudrais revenir sur le chiffre de 94 % que je vous ai cité tout à l'heure, et en quoi il n'est pas contradictoire avec les chiffres que vous m'avez cités. S'il est vrai qu'en 2010 seuls 24 % des véhicules vendus par Renault étaient produits en France, il faut bien considérer que le marché français ne représentait que 25,5 % des ventes de l'entreprise. Je ne dis pas que 94 % des voitures consommées en France sont produites en France, car ce ne sont pas nécessairement les mêmes, mais le taux de couverture est bien de 94 %. En volume, le nombre de véhicules produits en France est équivalent au nombre de véhicules qui y sont vendus.
Les Fonderies du Poitou sont un exemple douloureux qui montre que tous nos sous-traitants doivent s'attacher à diversifier leurs clients, et non reposer sur un nombre restreint de donneurs d'ordres – en l'occurrence, PSA est également concerné par Montupet. Sur cette affaire, l'ÉTAT a reconnu qu'il n'est pas de notre ressort de reprendre une entreprise indépendante. Nous avons tenu nos engagements, qui sont clairs, c'est-à-dire de maintenir la part de Montupet dans notre « mix » de fabrication. Si le total des commandes que nous adressons aux Fonderies du Poitou diminue, c'est que la demande se contracte.
Plus généralement, nos sous-traitants ne peuvent éviter la question de la performance, et doivent demander à leurs entreprises de faire des efforts pour améliorer leur compétitivité. Ces efforts sont destinés à éviter un mal plus grand, la faillite, et, si celle-ci venait à se réaliser, les repreneurs potentiels seraient, de toute façon, amenés à faire des choix douloureux.
La stratégie de montée en gamme que mène Citroën avec sa gamme premium DS est intéressante sur le plan du produit. Nous constatons en effet qu'elle réalise de bons résultats commerciaux. Ceci dit, pour être pleinement satisfaisants, de tels résultats doivent s'accompagner d'un accroissement de la rentabilité de Citroën, ce qui n'est, pour l'instant, pas encore prouvé.
Vous avez cité l'exemple des constructeurs américains, qui reviennent en force sur le marché grâce au lancement de nombreux nouveaux modèles. N'ayons pas la mémoire courte : un tel redressement s'est accompagné de drames sociaux et d'un effondrement de la capacité industrielle de fabrications de véhicules aux Etats-Unis. De mémoire, cette dernière a diminué de quatre à cinq millions de véhicules pendant la crise. J'ajouterai que le coût de cette période noire a été acquitté par le contribuable américain.
Nous-même avons bénéficié d'une aide très précieuse durant la crise, sous la forme d'emprunts d'ÉTAT, et nous sommes reconnaissant des efforts consentis en notre faveur. Néanmoins, ces emprunts ont été intégralement remboursés. Aujourd'hui, si la situation de notre entreprise est moins fragile, c'est parce que nous avons consenti des efforts considérables. Premièrement, nous avons accru la part de nos ventes hors d'Europe occidentale, qui est l'épicentre de la crise économique mondiale. Deuxièmement, nous nous sommes désendettés. Notre endettement net est de l'ordre du milliard d'euros, ce qui est très raisonnable compte tenu de notre chiffre d'affaires, qui s'élève à environ quarante milliards d'euros. Troisièmement, nous avons beaucoup de la crise en matière de gestion des stocks. Désormais, nous fonctionnons avec un besoin en fonds de roulement plus limité, afin de ne plus nous retrouver, comme ce fut le cas par le passé, avec des stocks importants que l'on ne peut écouler du fait d'un écroulement soudain de la demande. Ainsi, en décembre, nous avons procédé à des arrêts d'usine pour maintenir un niveau de stocks raisonnable. Quatrièmement, notre niveau de liquidités est très supérieur, pour se protéger de la hausse du coût de l'argent.
Enfin, Renault souhaite accompagner le développement du véhicule électrique à la Réunion. La configuration insulaire est particulièrement propice à la réalisation d'expériences de développement. Si vous souhaitez, Monsieur, faire de la Réunion un laboratoire pour la mobilité propre, vous aurez Renault à vos côtés. De manière générale, nous comptons beaucoup sur le soutien public au développement du véhicule électrique. Grâce à notre programme mettant l'accent sur le véhicule « zéro émissions », nous avons l'opportunité de prendre une longueur d'avance considérable sur nos concurrents. Il serait très dommageable que nous n'y parvenions pas, faute d'un ensemble cohérent de mesures en faveur de l'électrique. Les bonus versés aux consommateurs et les subventions aux collectivités territoriales pour le financement d'infrastructures sont une bonne chose. Je compte sur le soutien public pour lever l'inconvénient majeur du véhicule électrique, l'autonomie, en multipliant l'installation de points de chargement.
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