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Intervention de Carlos Tavares

Réunion du 11 janvier 2012 à 10h00
Commission des affaires économiques

Carlos Tavares, directeur général délégué aux opérations de Renault :

Je vous remercie, Monsieur le président, de m'accueillir dans cette Commission, et vous adresse également, de la part de mon entreprise, tous mes voeux pour cette année 2012.

Je suis de retour chez Renault après sept ans d'expatriation avec le groupe Nissan, au Japon pendant cinq ans, puis aux Etats-Unis, durant vingt-huit mois. Je suis heureux de retrouver l'entreprise qui m'a embauché à la sortie de l'école, il y a de cela trente ans.

Renault est une entreprise d'une grande valeur et à fort potentiel dont la santé financière reste néanmoins très fragile. Je ne suis ni négatif, ni pessimiste quant à son futur, mais beaucoup reste à faire.

Mon intervention reprend très directement les questions que vous m'avez posées, Monsieur le président. J'ai choisi de la structurer autour des trois critiques qui nous sont fréquemment adressées : « Renault délocalise et force ses fournisseurs à la faire », « l'alliance avec Nissan n'aide pas Renault », et le « véhicule électrique est un pari risqué, l'impasse sur l'hybride suicidaire ».

Tout d'abord, nous sommes souvent accusés de délocaliser notre production et de forcer nos fournisseurs à le faire. Il s'agit d'un jugement très caricatural, comme je vais vous le montrer.

Parlons d'abord du haut de gamme. Renault ne quittera pas ce segment, qui génère la plus haute valeur ajoutée et restera en France. Je vous annonce, en exclusivité, que nous investirons quatre cent vingt millions d'euros dans l'usine de Douai, destinée à produire les véhicules « 15-40 », c'est-à-dire ceux dont le prix de vente est compris entre 15 000 et 40 000 euros. Nous y renouvellerons les véhicules du segment C et D. De plus, si la décision est prise de relancer la marque Alpine – il faut pour cela que les conditions économiques soient réunies –, le coeur de sa production se fera en France.

La France concentre également tous les produits à forte valeur ajoutée. Premièrement le véhicule utilitaire, dont nous sommes le leader européen depuis quatorze ans – leadership que nous comptons bien garder –, est le coeur de métier des usines de Batilly et Maubeuge. Pour illustrer à quel point nous produisons des utilitaires de qualité, nous avons signé un partenariat avec Daimler, pour qui nous produirons un utilitaire dès 2012. De plus, nous relocalisons à Sandouville la production de Trafic, aujourd'hui à Barcelone, ce qui représente un investissement de deux cent trente millions d'euros.

Deuxièmement, deux des quatre véhicules de notre gamme électrique seront produits en France : la Kangoo, déjà en production à Maubeuge, et la Zoé, à Flins.

Troisièmement, nous construisons en France, à Cléon, nos moteurs les plus performants, les moteurs diesels M9 et R9. Ces derniers sont leaders de la gamme en matière d'économies de carburants. L'usine de Cléon sera également chargée de la chaîne de traction électrique.

Je pourrais continuer l'énumération en vous parlant des batteries électriques, produites en collaboration avec le CEA. Je préfère vous livrer les résultats des calculs auxquels nous nous sommes livrés. Entre 2009 et 2010, la part de la valeur ajoutée produite en France sur l'ensemble de nos ventes a progressé de 29 %. L'entreprise est en croissance, et la France, qui en est le coeur, en profite. D'autres chiffres, je l'espère, emporteront votre conviction. Le nombre de véhicules assemblés en France est de 647 000, soit 94 % de nos volumes de vente dans notre pays. Mais ne parlons pas uniquement de l'assemblage, qui est symbolique mais ne représente que 15 % de la valeur ajoutée totale du véhicule. Pour les organes les plus significatifs, notre ratio production en France sur ventes en France est largement positif : il est de 137 % pour les moteurs, 115 % pour les boîtes de vitesse, 160 % pour les trains avant et 179 % pour les trains arrières. Ces chiffres montrent que nous tirons l'activité en France grâce à la croissance de notre groupe à l'international.

Nous investissons en France six milliards d'euros en huit ans, soit 40 % des investissements de notre entreprise d'ici 2013. Chaque site industriel a un avenir clair avec des produits à forte valeur ajoutée.

Flins bénéficiera du lancement de la Clio 4 et de la Zoé en 2012. Le projet d'usine de batterie est en cours pour des volumes en cours de définition.

Maubeuge produit déjà le Kangoo, et en 2012, sera chargée de la première réalisation d'un véhicule avec Daimler – comme je l'ai expliqué, il s'agira d'un utilitaire.

A Batilly, nous continuons, et pour de nombreuses années encore, la production du Master. Lancé en 2010, le Master est un véhicule qui nous offre beaucoup de potentialité, car il est disponible en plusieurs versions de différents volumes.

Douai sera le coeur de notre haut de gamme, avec les futurs remplaçants de l'Espace, de la Laguna et du Scenic. Nous entamons bel et bien une trajectoire de retour sur ce marché.

Sandouville, notre troisième champion de l'utilitaire, bénéficie du retour d'expérience de Batilly et Maubeuge. De nombreux travaux à chaque période d'arrêt permettent de progresser vers la production du remplaçant du Trafic. En parallèle, l'usine assure la production de la Laguna et de l'Espace.

Dieppe est notre site spécialisé dans les sportives, avec la Clio3 RS, commercialisée sous la griffe « Renault sport », dont nous proposons également une variante GPL.

Enfin, Cléon construit des moteurs de très haute technologie. Le R9M, lancé en 2011, a bénéficié de l'expertise des ingénieurs Renault-F1 de Viry-Châtillon. Je rappelle que nous avons conquis cette année un dixième titre de champion du monde des constructeurs avec Red Bull et que nous fournirons quatre équipes l'année prochaine, ce qui constitue une magnifique reconnaissance de nos performances. Toutes les trouvailles réalisées pour les écuries de Formule 1 sont progressivement intégrées dans nos moteurs.

Je rappelle également que 80 % de l'activité de notre usine de Cléon est tournée vers l'exportation ; Cléon prend le virage du véhicule électrique avec la réalisation de moteurs spécifiquement construits à cet effet, ce qui va entraîner une baisse des coûts. La Française de mécanique continue de produire le moteur D sur un site partagé avec PSA et nous allons y produire des éléments liés à la chaîne de traction des véhicules électriques. L'usine du Mans comporte un pôle d'expertise châssis : on y fabrique les trains et également les pièces de liaison sols. L'usine de Choisy est surtout axée sur le rendu de services à notre partenaire Nissan afin de la faire bénéficier des gains et de la croissance de Nissan. Enfin, je vous indique que la Fonderie de Bretagne réalise plus de 120 millions d'euros d'investissement entre 2008 et 2018 pour assurer la pérennité de ce site.

Sur la partie Recherche et développement (R & D), 80 % des activités en R & D en dépenses sont faites en France.

Je signale par ailleurs que Renault stricto sensu emploie 54 000 personnes en France, auxquelles il faut ajouter 47 000 personnes dans le réseau commercial et près de 70 000 personnes qui travaillent chez nos différents sous-traitants. Au total, Renault emploie donc environ 170 000 personnes dans notre pays.

Sur le programme Entry, qui couvre l'ensemble des activités notamment liées à Dacia, le bilan est positif sur la balance des paiements de la France grâce à Dacia, ce qui montre que la croissance de Dacia et des investissements afférents tire vers le haut l'activité dans notre pays.

Renault doit faire face à une vive concurrence mondiale, notamment les constructeurs coréens Kia et Hyundaï qui sont bien installés sur leur marché national et qui concurrencent très durement Renault Samsung Motors ; si l'on veut gagner en compétitivité et en parts de marché, il faut recourir aux fournisseurs et aux acteurs locaux ; la croissance à l'international passe par l'utilisation de la compétitivité des régions où l'on vend nos voitures. Ainsi, comme je l'ai signalé à l'instant, nous avons développé une branche coréenne spécifique en Corée qui s'appelle Renault Samsung Motors. C'est également l'optique choisie avec notre usine à Tanger. Sur le sujet délicat des délocalisations, je pense que ce qui importe avant tout c'est d'assurer la pérennité de l'entreprise au moyen d'une forte croissance et d'une réelle compétitivité. Notre seul bouclier, ne l'oublions pas, c'est la performance, basée sur un mouvement et une dynamique de progrès.

Deuxième axe de ma présentation, l'alliance Renault Nissan est une belle réussite : l'histoire récente de l'industrie automobile montre que c'est d'ailleurs la seule alliance qui a réussi sur la dernière période, les autres ayant bien souvent échoué. Même si tout n'est pas parfait, ce résultat mérite dès à présent d'être salué ! Elle a permis de réaliser un grand nombre de synergies dans le développement de technologies avec notamment une mutualisation des technologies et des dépenses en R & D, ce qui permet de disposer d'un fort levier d'innovation. Au total, ce sont finalement quatre milliards d'euros d'investissement qui ont été réalisés depuis cinq ans en faveur du véhicule électrique.

Nous avons, cette année, lancé une nouvelle génération des moteurs à essence, les moteurs H 4 et H 5, qui vont ainsi nous placer au niveau de la meilleure industrie automobile mondiale grâce à une réelle efficacité énergétique puisque le niveau d'émissions de nos moteurs sera inférieur à 100 grammes de CO2 par kilomètre. L'engagement contenu dans notre plan de moyen terme qui doit s'achever en 2016 va donc être plus que tenu grâce aux fortes dépenses de R & D que nous avons engagées et qui vont conduire à davantage d'efficacité. La « Génération H » de ces moteurs sera lancée en 2012.

La plateforme « A-Entry » est une bonne chose : on lance un projet de véhicules à très bas prix, à partir de notre base indienne, plateforme d'ailleurs commune avec Nissan. Cette nouvelle gamme devrait nous permettre de conquérir de nouveaux marchés, notamment dans les pays émergents.

Les effets d'échelle sont favorables à la compétitivité des coûts. En 2011, notre groupe a réussi un nouveau record de ventes (8 millions de véhicules vendus en 2011). Nous avons créé une structure spécifique, Renault – Nissan – Corporation – Organization qui bénéficie d'une organisation commune aux trois entreprises (Renault, Nissan et le fabricant automobile russe AvtoVAZ), de cadences de travail importantes et qui conduit à une plus grande efficacité.

Nous avons également une plateforme commune, « 15 – 40 », consacrée aux véhicules de moyen et haut de gamme qui bénéficie d'une cadence de production supérieure au million de véhicules par an. Cette synergie avec Nissan fonctionne bien et constituera la plateforme centrale de l'usine de Douai puisqu'elle servira de base à la construction de véhicules de segment C et de segment D.

L'usine de Cléon consacre plus de 50 % de son activité à Nissan qui est en forte croissance et tire de ce fait l'activité en France, notamment dans le secteur des transmissions et des moteurs.

Le troisième thème de la collaboration avec Nissan concerne la logistique et l'implantation internationale. Nous avons engagé des discussions approfondies avec le gouvernement chinois pour favoriser l'entrée industrielle de Renault en Chine – pays où nous n'avons vendu pour l'instant que 20 000 véhicules en 2011 mais qui devrait servir de base pour un développement dans les années à venir. Nous prévoyons d'ailleurs de travailler avec un partenaire industriel local, Dongfeng, déjà partenaire de Nissan. Nous avons bon espoir pour conclure un accord définitif avec les autorités compétentes en 2012.

Nous disposons d'une usine implantée à Chennai, en Inde, dans l'État du Tamil Nadu, que nous partageons avec Nissan. Nous y lancerons le véhicule Renault Duster qui connaît déjà un beau succès en Europe mais aussi au Brésil et en Russie. Nous discutons également avec Nissan pour implanter une base industrielle commune au Mexique. Par ailleurs, dans de nombreux pays, nous avons demandé à Nissan, notre partenaire, d'être notre importateur afin de mieux commercialiser nos véhicules dans des pays que nous ne connaissons pas forcément très bien ; c'est notamment le cas au Japon.

Quant aux accords après-vente, nous avons signé des accords avec Nissan sur la commercialisation des pièces de rechange, notamment en Chine et en Hongrie.

Dernier thème que je souhaite aborder, celui du véhicule électrique. Contrairement à ce qu'affirment certains, ce n'est pas un « pari » mais une démarche courageuse et stratégique vers laquelle il convient d'aller. Nous avons un défi environnemental devant nous qu'il convient d'affronter et de régler au mieux ; chacun doit prendre ses responsabilités. Renault souhaite répondre à ce défi qui est par ailleurs une attente sociale importante. Il existe également des raisons géopolitiques qui nous conduisent à insister sur ce programme : la probabilité que le prix du pétrole croisse est bien supérieure que la probabilité qu'il baisse, ce qui va poser de nouvelles difficultés et modifier nos habitudes de consommation. De plus, les études montrent que le véhicule électrique est plus économique et que son développement est inéluctable.

Nous avons développé quatre véhicules électriques chez Renault, sur des segments parfaitement différenciés : c'est une bonne chose. Pourquoi ne pas avoir opté pour le moteur hybride ? Nous pensons qu'il ne peut constituer qu'une solution transitoire, car il nécessite deux types de motorisation, thermique et électrique, ce qui ressent sur le coût total du véhicule, et in fine sur les prix. Deux motorisations, c'est une de trop.

En conclusion, je dirai que Renault est un très bon groupe qui bénéficie d'excellentes potentialités, qui est lancé dans des projets ambitieux et porteurs et dont la compétitivité est réelle et bénéfique pour notre pays.

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