Je me réjouis de l'intérêt que vous portez à ce débat très important, auquel j'ai tenu à participer personnellement, car je considère qu'il y va de l'avenir de l'agriculture française et de la capacité de nos agriculteurs à disposer d'un potentiel de semences et de génétique à la hauteur de nos ambitions.
Je rappellerais tout d'abord que la création variétale répond aux demandes du marché. Contrairement à ce que l'on dit, il ne s'agit pas uniquement d'accroître les rendements : en termes de diminution des besoins en intrants, de tolérance aux maladies, de résistance au stress hydrique ou de qualités nutritionnelles, les variétés actuelles n'ont rien à voir avec celles utilisées il y a 10 ou 20 ans.
Permettez-moi ensuite de donner quelques éléments macro-économiques. Le secteur des semences est un des pôles d'excellence français. Nous sommes le premier producteur de semences en Europe, et le quatrième dans le monde, derrière les États-Unis, la Chine et le Japon. Avec la filière des multiplications, la création variétale concerne au total 23 000 agriculteurs en France ; il s'agit souvent d'exploitations diversifiées, aux surfaces relativement faibles, mais dont la valeur ajoutée tient à l'activité semences. Le chiffre d'affaires consolidé de cette activité est d'environ 2 milliards d'euros, avec une balance commerciale excédentaire de quelque 800 millions d'euros. Ces chiffres méritent réflexion.
Nous sommes tous d'accord pour dire que la création variétale doit être financée. La proposition de loi prévoit de renforcer le COV, en protégeant la variété contre des utilisations commerciales non consenties par leur obtenteur, tout en autorisant le libre usage par la recherche. J'estime, moi aussi, que le véritable enjeu de ce texte est de défendre le système du COV contre celui du brevet. Cela fait des années qu'au COPA, le Comité des organisations professionnelles agricoles de l'Union européenne, nous ferraillons pour que les 27 ratifient la convention UPOV de 1991. Or, si 21 États membres l'ont déjà fait, la France, pourtant à l'origine de cette initiative, est à la remorque.
Ne nous trompons pas de débat : nous revendiquons, nous aussi, la possibilité d'utiliser des semences de ferme. La question est de savoir si on leur applique ou non une forme de redevance, qui permettrait aux obtenteurs de continuer à faire leur travail et rétablirait une certaine équité entre ceux qui choisissent d'acheter les variétés directement auprès des obtenteurs et des distributeurs, et ceux qui préfèrent les reproduire avec des semences fermières.
Examinons les chiffres : on a collecté cette année en France 32 millions de tonnes de blé ; la redevance étant de 0,50 euro par tonne, cela représente une recette totale de 16 millions d'euros, sur lesquels 10 millions sont retournés aux producteurs, la règle voulant que l'on reverse 2,50 euros par quintal de semences achetées. Il reste donc 6 millions, sur lesquels 5 vont aux obtenteurs et 1 million à un fonds de recherche, qui a été constitué au sein du GNIS au moment où la contribution volontaire obligatoire sur le blé avait été instituée.
Je ne vois pas en quoi la reproduction d'une variété à la ferme serait un facteur de biodiversité ! D'ailleurs, la Commission des ressources génétiques pour l'agriculture et l'alimentation n'a jamais considéré que la sélection fût néfaste à la biodiversité. Qu'il y ait un débat sur la biodiversité dans le cadre des suites du Grenelle de l'environnement, c'est un fait, mais cela n'a rien à voir avec les semences de ferme. J'avoue avoir du mal à comprendre l'argument.
Le régime d'utilisation des semences de ferme ne concernait à l'origine que 21 espèces. Toutefois, le texte adopté par le Sénat, s'il était confirmé par l'Assemblée, offrirait la possibilité d'ouvrir le dispositif à d'autres espèces. Je pense, pour ma part, qu'il serait bon d'inclure dans la liste les cultures intermédiaires pièges à nitrate (CIPAN), semées après les récoltes de céréales – en général en août ou en septembre – et désormais utilisées à grande échelle dans notre pays. Je ne pense pas que cela pose le moindre problème.
S'agissant du mécanisme de prélèvement, que certains ont qualifié d'usine à gaz, il convient de préciser les choses. Pour le blé tendre, on peut considérer que les choses sont actées. Pour le maïs, le tournesol et le colza, cela ne posera guère de problème, dans la mesure où il s'agit d'hybrides et que les agriculteurs ont de plus en plus tendance à se tourner vers des semences certifiées. La situation est plus délicate pour l'orge –où il y a beaucoup d'autoconsommation- et pour les plantes fourragères, mais je suis de l'avis de Daniel Segonds : c'est au GNIS, en tant que groupement interprofessionnel et délégataire de service public, de faire des propositions en la matière. En tout cas, je ne pense pas que ce soit un obstacle en soi.
J'ajoute, pour finir, que ce qui doit nous animer avant tout, c'est la volonté de préserver ce pôle semencier français. Sinon, nous risquons, dans une ou deux décennies, de nous réveiller en faisant le constat amer qu'il ne reste que quatre ou cinq producteurs de semences au monde, soit anglo-saxons, soit chinois. Si nous souhaitons préserver notre spécificité, il convient de prendre des mesures pour que le progrès génétique – ramené à la situation française et européenne où certaines technologies ne sont pas autorisées – nous permette de rester dans la course. Le dispositif prévu par la proposition de loi me semble aller dans le bon sens. Certes, il ne s'agit pas d'une garantie tous risques, mais cela devrait nous éviter d'être demain pieds et poings liés face à DuPont, Monsanto ou Pioneer.