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Intervention de François Lucas

Réunion du 15 novembre 2011 à 16h00
Commission des affaires économiques

François Lucas, premier vice-président de la Coordination rurale :

Nous sommes attachés au COV pour toutes les raisons qui ont été évoquées, mais la question de la redevance appelle celle de l'argent facile : quoi de plus confortable que de regarder des paysans s'échiner pendant que l'on encaisse les royalties ?

Les obtenteurs n'ont pas eu besoin de la redevance jusqu'ici pour effectuer un bon travail. Curieusement, la courbe de productivité concernant le blé tendre ascendant de 1960 à 1998, a eu tendance à baisser depuis 2001, année où l'on a institué la redevance. C'est sans doute que la relation n'est pas aussi directe que certains l'assurent, entre le financement de la recherche, l'utilisation des semences de ferme et la productivité des cultures.

Du reste, à qui la recherche et la hausse de la productivité ont-elles profité ? Je me suis installé en 1972 : avec 40 quintaux de blé à l'hectare, je vivais bien ; aujourd'hui, je suis en déficit en deçà de 60 quintaux. Qui donc a profité de la sélection ? Sans doute le consommateur et la collectivité. Mais alors, à qui revient-il de la financer ?

S'agissant de la contribution des producteurs-éleveurs dont les bêtes consomment la production de blé tendre, je me félicite de l'imperfection du dispositif proposé : heureusement qu'ils n'auront pas à payer ! Lorsque l'interprofession institue des organismes stockeurs agréés qui perçoivent la CVO, cela va tout seul, mais comme tel n'est pas le cas dans cette branche, il ne sera pas possible d'aller chercher vos quelques euros annuels chez chaque éleveur.

Le montant de la redevance peut certes sembler anecdotique au regard du chiffre d'affaires agricole français, mais il le sera moins pour des agriculteurs qui perdent de l'argent. De surcroît, peut-on extrapoler les chiffres connus pour le blé tendre à l'ensemble des productions ? Sans compter que ce type de contribution n'évolue jamais à la baisse, et que nous mettons le doigt dans un engrenage redoutable.

Au cours de ma carrière de céréalier, j'ai observé qu'en matière de semence, les agriculteurs recherchaient d'abord la sécurité. En ce qui me concerne, entre mon installation, en 1973, et aujourd'hui, je n'ai utilisé que cinq variétés de blé tendre : je n'en change que lorsqu'une nouvelle semble apporter des améliorations et davantage de sécurité.

S'agissant de la contribution à l'hectare, on peut certes estimer qu'à raison d'un rendement moyen en France de 6 tonnes à l'hectare, une cotisation de 0,50 euro par tonne ne représenterait qu'une contribution de 3 euros à l'hectare, ce qui n'est pas grand-chose. Toutefois, il y a eu cette année une sécheresse épouvantable dans ma région ; du coup, je n'ai fait que 4 tonnes à l'hectare. Devrais-je néanmoins apporter ma contribution au progrès et financer l'obtention végétale, qui a produit des « Ferrari » inutilisables dans mes champs ? On nous fournit un matériel génétique censé être excellent, mais dont on ne peut pas tirer le maximum, parce qu'il n'a pas la rusticité nécessaire ; en d'autres termes, on nous fournit des chevaux de course, quand on aurait besoin de chevaux de trait.

Suivant que le blé se vend à 100 ou à 200 euros la tonne, la question la productivité ne se pose pas de la même façon : à 100 euros, on cherchera une variété qui ne coûtera pas cher à produire ; à 200 euros, on peut utiliser plus d'intrants, parce qu'on aura un bénéfice au bout. Là aussi, il existe un décalage entre la démarche des obtenteurs et celle des agriculteurs.

Par le passé, les agriculteurs étaient très proches des obtenteurs. Ils leur achetaient la semence G 4, c'est-à-dire une variété nouvelle de bonne qualité. Les obtenteurs invitaient les agriculteurs à visiter leurs champs d'essais et leur présentaient les nouveautés ; on examinait, on réfléchissait, éventuellement on revenait pour acheter – très cher ! – une petite quantité de semence, que l'on testait ; si le résultat était satisfaisant, on la reproduisait. Les agriculteurs payaient ainsi la redevance directement à l'obtenteur.

Là, on met en place un écran : celui de la multiplication. M. Dionis du Séjour voulait connaître les raisons du succès des semences de ferme. La première est que cet écran de multiplication a un coût : on paie les intermédiaires, la manutention, le traitement – qu'il est difficile d'éviter lorsqu'on achète une semence certifiée, alors qu'en ce qui me concerne, cela fait 25 ans que j'utilise des semences de ferme non traitées. Ensuite, fiez-vous au bon sens des agriculteurs : si la qualité génétique des variétés ressemées se détériorait aussi rapidement, ils achèteraient tous des semences certifiées ! J'ai cultivé pendant 15 ans un blé Beauchamp destiné à la biscuiterie ; comme il n'existait plus au catalogue, je le reproduisais moi-même, sans altération notable ni de sa qualité, ni de son rendement ; je n'ai cessé de le cultiver que le jour où mon client, qui avait été repris par un groupe coopératif, eut la consigne de ne plus en acheter.

En termes de biodiversité aussi, la semence de ferme est intéressante : si l'on compare le catalogue, qui regorge de semences, et les variétés réellement cultivées en France, qui peuvent se compter sur les doigts d'une main, on observe qu'il existe un « entonnoir », parce que la demande est standardisée. L'agriculteur qui utilise des semences de ferme décide en toute autonomie ce qu'il va cultiver, sans être démarché par un technico-commercial qui l'engagera à acheter une variété plutôt qu'une autre parce que c'est le choix de la coopérative et qu'on lui fera un prix.

On y gagne également en termes de sécurité alimentaire : si, en 1956, on n'avait pas ressemé, la France aurait connu une famine ! Cela reste vrai : il y a deux ans, dans le cadre du « plan protéines », on a souhaité relancer les cultures de protéagineux, avec des incitations financières ; mais sans les stocks de la récolte précédente, les superficies cultivées n'auraient jamais augmenté de 50 % d'un coup ! L'utilisateur de semences de ferme a donc une utilité, qu'il convient de reconnaître.

Pour conclure, mon organisation est favorable aux COV, mais elle considère qu'il revient à l'obtenteur de persuader l'agriculteur que la variété qu'il propose est meilleure – comme c'était le cas jusqu'à présent.

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