Avec la suppression de la publicité en soirée, France Télévisions a déjà vu ses marges de manoeuvre restreintes. Il n'est pas de bonne politique de soumettre le groupe à cette pression supplémentaire.
En outre, dans le rapport que l'État actionnaire entretient avec France Télévisions, il aurait été tout à fait possible d'assurer un fléchage intelligent d'un éventuel surplus, pour l'affecter, par exemple, au développement du numérique. En effet, dans le COM – le contrat d'objectifs et de moyens – établi pour la période 2011-2015, les sommes mobilisées en sa faveur sont largement insuffisantes, compte tenu, non seulement de l'enjeu, mais aussi du retard accumulé par France Télévisions, notamment en matière de télévision de rattrapage. Aucune décision n'est malheureusement envisagée en ce sens.
Et pourtant, l'audiovisuel public devrait pouvoir disposer des ressources nécessaires pour affronter la concurrence de la TNT, qui représente 38 % de l'audience, et de celle d'internet. Alors que les opérateurs privés tels que Canal +, TF1 et M6 s'arment pour résister à Google TV, Apple TV ou Netflix, l'audiovisuel public, l'arme au pied, en est réduit pour sa part à constater, semaine après semaine, sa baisse d'audience et son manque de marge de manoeuvre.
Cette fragilisation du service public de l'audiovisuel par le Gouvernement n'est pas nouvelle tant, répétons-le, la mise sous double dépendance politique et budgétaire de France Télévisions a d'ores et déjà été un obstacle à son repositionnement et à sa dynamisation ces dernières années. La capacité du Gouvernement à systématiquement prendre les mauvaises directions nous inquiète fortement.
J'en veux pour preuve le lancement, le 18 octobre dernier, sans aucune réflexion stratégique sur la place du service public au sein d'un paysage audiovisuel en plein bouleversement, d'un appel d'offres pour six nouvelles chaînes de la TNT. Celui-ci intervient dans un contexte de crise économique et financière qui ne peut que contribuer à la morosité du marché publicitaire.
Cette initiative inopinée vise sans doute à faire oublier un échec gouvernemental, un de plus : la condamnation par Bruxelles comme non conforme aux règles communautaires, de l'attribution, à la veille de l'élection présidentielle de 2007, de nouvelles chaînes dites "bonus" à TF1, M6 et Canal +, que notre groupe avait d'ailleurs combattue à l'époque.
Cette décision intervient dans un contexte tendu, où Canal + a d'ores et déjà annoncé son intention d'installer, sur la nouvelle fréquence que pourrait lui attribuer le CSA, une chaîne gratuite, ce que ses concurrents les plus directs ont vécu comme une provocation, amenant même le Gouvernement à envisager de faire un arrêté dit « technique » conditionnant la création de nouvelles chaînes à la généralisation d'une nouvelle norme de compression plus performante, afin de repousser ainsi l'échéance d'un an, voire de deux.
On connaît la suite.
Cette stratégie d'empêchement aura été de courte durée puisque Canal + a finalement racheté Direct Star et Direct 8 au groupe Bolloré, bouleversant ainsi le paysage audiovisuel français.
Le lancement de ces six chaînes constitue-t-il donc une séance de rattrapage devant le CSA pour ceux qui s'estiment dépossédés de leurs chaînes bonus ? Si l'arrivée de six nouvelles chaînes gratuites constitue une bonne nouvelle pour le téléspectateur, les conditions précipitées de leur lancement sont évidemment suspectes d'arrière-pensées électorales. N'eût-il pas été plutôt utile de prendre un peu de temps et de définir en amont les perspectives poursuivies ? Rappelons ainsi que la TNT avait pour objectif initial de créer une diversité de chaînes et d'acteurs.
Or on assiste, au fil des ans, à sa colonisation rampante par les chaînes historiques privées, et ceux que l'on appelait les nouveaux entrants sont aujourd'hui réduits à peau de chagrin. De fait, le moment aurait pu être opportunément choisi pour se poser la question de l'éventuelle création de nouvelles obligations pour les chaînes rachetées par ces grands groupes privés déjà en place.
Dans une période préélectorale, par ailleurs faite d'incertitudes sur les normes techniques et sur la conjoncture économique et, qui plus est, de grande incertitude sur les recompositions à l'oeuvre au sein du secteur, il faut créer un réel cadre de réflexion, associant tous les acteurs concernés, afin d'élaborer une politique globale et, surtout, cohérente.
Cela est d'autant plus nécessaire que l'avenir du financement de la création dans notre pays reste incertain. Je rappelle que, dans le domaine de l'audiovisuel et du cinéma, le financement des oeuvres repose sur deux piliers essentiels : d'une part, un dispositif fiscal, des prélèvements étant réalisés sur les recettes des diffuseurs et affectés à un compte de soutien géré par le CNC – le Centre national du cinéma et de l'image animée ; d'autre part, un dispositif réglementaire comportant des obligations de financement et de diffusion à la charge des chaînes de télévision.
Or le contexte difficile que nous venons d'évoquer et alors même que nous assistons à la multiplication des écrans et au développement de la télévision connectée qui amène les acteurs dits over the top, comme Apple ou Google, à s'organiser, vous venez d'ouvrir un nouveau front. En effet, le plafonnement global des ressources du CNC introduit par le Gouvernement à hauteur de 700 millions d'euros au bénéfice du budget de l'État – pour le surplus de 70 millions d'euros – comporte, je le répète une nouvelle fois ici, un fort risque de déstabilisation de tout notre système d'aides au cinéma et à la production audiovisuelle par les autorités communautaires. Quand l'édifice global tangue à cause d'un pilier mal arrimé, il est préférable de consolider le deuxième pilier plutôt que de le fragiliser à son tour en espérant que, par chance, il ne s'effondrera pas.
De la même manière, en continuant à financer, à hauteur de 11 millions d'euros en 2012, la HADOPI qui ne rapporte pas un euro à la création, et faute de réfléchir à de nouveaux modes de rémunération du droit d'auteur à l'ère numérique, vous vous entêtez à passer à côté des vrais enjeux. Nous aurons attendu vainement le leurre appelé HADOPI 3, censé apporter des solutions nouvelles.
Par contre, tant en ce qui concerne la HADOPI et sa désormais célèbre Emma Leprince que la carte Musique jeune, que personne ne veut acquérir, mais à laquelle vous vous accrochez comme un naufragé à son radeau, les dépenses affectées à des campagnes de communication désespérées connaissent une croissance exponentielle. Les montants ainsi engagés pourraient sans nul doute être bien plus utilement dépensés. Mais on connaît la grande disponibilité de l'actuel gouvernement pour remplir les carnets de commandes des agences de communication comme des instituts de sondage.
Cette fragilisation s'est aussi récemment traduite par l'annonce précipitée de la création d'un Centre national de la musique. Son éventuel financement sur des fonds précédemment dévolus au CNC n'a fait que nous inquiéter un peu plus. Il est en effet toujours de mauvaise politique de déshabiller Pierre pour habiller Paul.
Loin de donner des perspectives, de proposer une vision, d'aider les acteurs du secteur à mieux s'organiser et à anticiper les évolutions à venir, le Gouvernement navigue à vue, en prenant des décisions dont le seul objectif est d'obtenir des résultats à très court terme. Il faut avouer que le terme approche à grands pas…
Nous connaissons malheureusement d'ores et déjà les conséquences de ces choix décidés à la va-vite : j'en veux pour preuve la bombe à retardement budgétaire – déjà évoquée par Martine Martinel – constituée par la taxe télécoms, créée précipitamment par le Gouvernement pour compenser le manque à gagner publicitaire de France Télévisions.
La procédure engagée à Bruxelles conduira très certainement la France à devoir rembourser plus de un milliard d'euros fin 2012.