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Intervention de Geneviève Fioraso

Réunion du 19 octobre 2011 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeneviève Fioraso, rapporteur pour avis :

La première partie de mon travail a porté sur la politique industrielle française. Le diagnostic, très pessimiste, est partagé par tous : la désindutrialisation de la France est responsable, pour une grande partie, du déficit abyssal de notre balance commerciale. Pour les produits manufacturés, il s'élève à 24,5 milliards d'euros au 1er semestre 2011, soit un rythme annuel de près de 50 milliards d'euros, quand l'Allemagne présente un excédent commercial total de 154 milliards d'euros sur l'année 2010, en hausse de 11 %.

Les réponses apportées par le gouvernement à cette situation alarmante sont inadaptées. Du point de vue strictement budgétaire, afficher la politique industrielle comme une priorité ne suffit pas à protéger celle-ci du « coup de rabot systématique » opéré par le gouvernement sur les dépenses publiques. Les crédits de l'action n° 3 du programme 134, intitulée « Action en faveur des entreprises industrielles », diminuent de 9,2% entre 2011 et 2012, en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement.

Plus généralement, les politiques publiques de soutien aux entreprises industrielles constituent davantage un empilement de dispositifs et d'effets d'annonce qu'une stratégie industrielle cohérente, solide et visionnaire.

Premièrement, les 23 mesures des états généraux de l'industrie sont un catalogue d'actions dont les plus importantes ne sont pas suivies d'effets. Par exemple, l'organisation de vraies filières industrielles dans les secteurs porteurs est insuffisante. Il est urgent d'instaurer de nouvelles relations entre les donneurs d'ordres et leurs sous-traitants ; ceux-ci devraient, comme en Allemagne, acquérir le statut de co-traitants.

Deuxièmement, le FSI a accompli des efforts salutaires, quoiqu'encore insuffisants, notamment en direction des ETI, mais, comme le relèvent souvent les entreprises, sa structure est trop opaque et les critères de sélection des entreprises dans lesquelles il investit ne sont pas connus. Ces défauts expliquent en partie le faible nombre de renforcements de fonds propres opérés par le Fonds.

Troisièmement, le calendrier du programme d'investissements d'avenir, dépendant d'une procédure d'appels d'offres trop technocratique, retarde l'arrivée de financements effectifs ; cela ne serait pas grave s'il finançait réellement l'avenir, mais il vient trop souvent en substitution de crédits de droit commun. Ce sont les collectivités territoriales qui sont contraintes d'apporter les financements manquants. L'exemple d'IFP-EN est particulièrement frappant : la dotation budgétaire annuelle de cet organisme public de recherche a diminué de 58 millions d'euros entre 2002 et 2012 ; en comparaison, le programme d'investissements d'avenir a apporté, concrètement, 6 millions d'euros en 2010, 8 en 2011 et 10 en 2012. Cette situation met en péril les compétences humaines des laboratoires : comme leurs financements sont de plus en plus fractionnés, ils ne peuvent proposer que des postes précaires.

Cinquièmement, les grands groupes, contrairement aux PMEETI, peuvent, en l'absence de toute contrepartie, bénéficier du crédit impôt recherche de façon indue par des stratégies d'optimisation fiscale qui incluent la création de sociétés par actions simplifiées – jusqu'à deux cents pour un même groupe pétrolier – et la délocalisation de la recherche à l'étranger. Un bilan sérieux, sous forme d'une nouvelle mission parlementaire, doit être fait et des mesures de redéploiement opérées pour mettre fin à ces pratiques.

La réindustrialisation de la France passera par un effort sans précédent sur les PMI-PME à fort potentiel et les start-up technologiques, afin d'accélérer leur transformation en ETI innovantes, donc exportatrices et créatrices d'emploi.

Première priorité, le financement de l'innovation. Seule une banque publique unique de financement des PMEETI, dont les missions iront au-delà de la gestion du crédit en période de crise, et reposant sur un réseau bien structuré d'antennes régionales, peut constituer une solution durable.

Deuxième priorité, resserrer les liens entre industrie et laboratoires de recherche et développer les partenariats de R&D entre les entreprises. Je propose également de conditionner l'attribution du crédit impôt recherche pour les grands groupes à l'embauche de docteurs. Par ailleurs, il faut réduire le nombre de pôles de compétitivité et développer leur mise en réseau, pour favoriser le partage des technologies et la promotion des pôles à l'international.

Troisième priorité, faire de l'Union européenne un atout, et non un handicap. Pour cela, je préconise notamment la création de grands projets de recherche européens autour des « Key enabling technologies », et l'imposition d'une taxe carbone à l'entrée de l'Union,

La seconde partie de mon travail a porté sur la politique énergétique française.

Les interlocuteurs que j'ai rencontrés ont montré que les choix français vont à contre-courant du contexte énergétique mondial. Tous les scénarios d'évolution de la consommation énergétique mondiale prévoient une dépendance aux ressources fossiles persistante. Face à ce constat, plusieurs solutions sont développées dans le monde : l'amélioration de l'efficacité énergétique, le soutien aux énergies renouvelables et le développement de technologies de capture et le stockage du carbone.

A l'inverse, la France concentre tous ses efforts sur le nucléaire et délaisse, quoi qu'on en dise, les filières vertes.

Soyons clairs, je ne suis pas une « anti-nucléaire ». Le nucléaire est bien une énergie décarbonée, mais elle ne peut constituer qu'une solution marginale au problème mondial de très court terme que constituent les émissions de gaz à effet de serre. Pourtant, la place du nucléaire n'est nullement questionné, excepté à travers une pseudo-consultation, « ÉNERGIE 2050 », organisée par M. Besson et menée par une commission dont la composition est énigmatique. De tels enjeux méritent au contraire un véritable travail de fond, mené en toute transparence au sein de ce Parlement, et qui s'appuierait sur les travaux de l'OPECST.

En revanche, le développement des filières vertes, qui permettrait à la France de participer pleinement à l'effort mondial de réduction des émissions de gaz à effet de serre, tout en créant de nombreux emplois industriels, avec des produits et services exportables, n'est pas à la hauteur. La France ne leur accorde qu'un intérêt de façade. Les objectifs du Grenelle de l'environnement ne seront atteints qu'à 65 % en 2020 si la trajectoire actuelle n'est pas modifiée. La recherche dans le domaine du nucléaire, utile lorsqu'il s'agit d'améliorer la sûreté des centrales, mobilise tout de même la majorité des ressources publiques, alors qu'il s'agit d'une technologie mature. En 2009, les dépenses publiques de R&D consacrées aux énergies renouvelables s'élèvent à 204 M€ ; celles consacrées au nucléaire sont plus de deux fois supérieures, avec 456 M€. « Je voudrais faire pour les énergies renouvelables ce que le général de Gaulle avait fait pour le nucléaire » déclare M. le Président de la République en 2008. À Chambéry, en 2010, lors d'une visite de l'Institut National de l'Énergie Solaire, il promet, « pour un euro investi dans le nucléaire, un euro investi dans les énergies renouvelables». C'est raté.

C'est d'autant plus raté que les filières des énergies renouvelables, à l'image du photovoltaïque, subissent de constantes modifications du cadre législatif et réglementaire de leur activité. La hausse de la part photovoltaïque de la CSPE, tant décriée, a sans doute été entretenue par quelques « spéculateurs », mais a surtout été rendue possible par le yoyo des réglementations. En point d'orgue, le moratoire, empêchant toute anticipation pour les opérateurs publics et privés comme pour les particuliers, a achevé de déstabiliser une filière fragile et émergente dans notre pays qui comptait tout de même plus de vingt mille emplois, au sein de PME dont l'existence est désormais menacée. Le cas de Photowatt est emblématique. Comment se fait-il qu'aucun groupe français n'ait été capable de se porter acquéreur de cette société, qui dispose d'un savoir faire de plus de trente ans sur l'ensemble de la chaîne photovoltaïque ? Le seul repreneur potentiel est une entreprise chinoise… Que font nos grands opérateurs ? Ils bénéficient du crédit impôt recherche en développant, dans le cas de Total, des partenariats avec un laboratoire belge et en acquérant une entreprise américaine… Nous sommes face à un gaspillage d'argent public inacceptable !

Je suis donc favorable à un rééquilibrage des efforts entre les différentes filières, à travers trois orientations essentielles. En premier lieu, il convient de favoriser la création de filières dans le domaine des énergies renouvelables par le rétablissement d'une concurrence loyale vis-à-vis des pays émergents. A l'image du dispositif adopté par l'Italie, l'adoption d'une prime au tarif de rachat lorsque l'électricité est issue d'installations équipées de produits européens à plus de 60 %, permettrait la relocalisation des emplois industriels. Par ailleurs, la filière photovoltaïque française doit se structurer autour d'un grand opérateur leader, entraînant la filière dans un système de partenariat. En tant qu'actionnaire de plusieurs énergéticiens, vous ne manquez pas de moyens de pression.

En deuxième lieu, il me semble essentiel de mieux soutenir la recherche sur la capture et le stockage du carbone, technologie dont dépend la réalisation des objectifs de Copenhague au niveau mondial.

En troisième lieu, il faut rééquilibrer la part du nucléaire dans le mix électrique français en la portant de 75 % à 50 %. Il ne s'agit pas de prendre exemple sur les contradictions de l'Allemagne, que vous avez évoquées, où le moratoire sur l'activité nucléaire se traduit par la construction de centrales au charbon pour une puissance installée de 30 Gigawatts ! La diminution de la place du nucléaire en France doit donc être encadrée par l'adoption de la règle législative suivante : toute capacité de production nucléaire déconnectée du réseau doit être compensée par une source de production renouvelable ou une capacité d'effacement équivalente.

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