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Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 18 octobre 2011 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2012 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Cazeneuve :

…stigmatisaient la position du parti socialiste en indiquant qu'il y avait une bonne majorité, qui sanctuarisait le budget de la défense, et une mauvaise opposition, qui s'apprêtait à le sacrifier. Je voudrais donc profiter de la discussion qui nous rassemble ce soir pour essayer d'examiner la façon dont votre gouvernement a traité le budget de la défense au cours des cinq années qui viennent de s'écouler – en mesurant ce budget non pas à l'aune de ce que nous aurions souhaité faire nous-mêmes, mais à l'aune de ce que vous vous proposiez de faire à l'origine.

Je veux d'abord rappeler que le budget de la défense nationale a vu la suppression, grâce à la réforme du ministère de la défense et sur la durée de la loi de programmation militaire, de 54 000 emplois. Cela fait du ministère de la défense le meilleur élève de la révision générale des politiques publiques.

Le Président de la République, à l'occasion d'un discours prononcé porte de Versailles au mois de juillet 2008, avait énoncé les objectifs de cette réforme. Par fidélité à sa pensée – c'est d'ailleurs le meilleur moyen de juger de son action –, je voudrais rappeler quelles étaient les grandes orientations de ce discours. (Sourires.) Il nous disait que les armées n'avaient aucune raison d'échapper à l'ambition de rupture qu'il avait portée comme un slogan tout au long de la campagne présidentielle ; nous allions voir, sous sa présidence, avec lui chef des armées, à quel point la rigueur s'emparerait de la gestion des affaires de l'État en matière de défense, et à quel point les militaires s'en porteraient mieux. Il préconisait, d'ailleurs, que les économies faites par le ministère de la défense soient intégralement réinvesties au profit de ce même ministère, de manière à atteindre un objectif qui, si j'ai bonne souvenance, était à peu près : avec moi, chef des armées, vous aurez une armée plus svelte, davantage projetable et mieux équipée.

Les 54 000 emplois supprimés devaient engendrer des économies très importantes, qui permettraient d'atteindre ces objectifs.

Monsieur le ministre des finances, je voudrais savoir quel niveau ont réellement atteint ces économies.

Lorsque la réforme a été engagée, le ministre de la défense de l'époque, M. Morin, nous avait annoncé que ces 54 000 suppressions d'emploi permettraient une diminution de la masse salariale d'environ 4 milliards d'euros, ce qui – une fois comptées les mesures d'accompagnement social et les coûts de restructuration, notamment les coûts d'infrastructure – devait dégager sur la période de la loi de programmation militaire un solde net d'économies de 2,7 milliards. Cette somme devait être intégralement réinvestie dans les équipements dont nos armées ont besoin.

Au mois de juillet 2010, le successeur de M. Morin indiquait que, sur la période allant de 2008 à 2015, le niveau d'économies serait de 4,9 milliards. Il avait donc augmenté de plus de 2 milliards. Quelques mois plus tard, au mois de janvier 2011, le ministre de la défense citait le chiffre de 6,7 milliards d'euros ; cette somme devait, encore une fois, être investie pour équiper nos armées.

Je voudrais, monsieur le ministre, savoir lequel de ces chiffres est le bon. Je voudrais d'autant plus le savoir que j'ai beaucoup de mal à comprendre comment le niveau d'économies peut augmenter quand celui des recettes diminue et que celui des dépenses augmente.

Vous avez en effet décidé, l'an dernier, de taxer le budget du ministère de la défense de 3,7 milliards d'euros : vous vous en souvenez, monsieur le ministre, c'était la contribution du ministère de la défense au plan de rigueur et de réduction des déficits souhaité par le Gouvernement.

Ce ministère, meilleur élève de la révision générale des politiques publiques, qui avait consenti un effort tout à fait considérable et s'était entendu promettre toutes sortes de choses par le Président de la République, recevait donc en guise de remerciement cette décision du Gouvernement d'une taxation à hauteur de 3,7 milliards, c'est-à-dire un milliard de plus que le niveau d'économies qui pourrait résulter de la réforme. De ce fait, l'investissement dans l'équipement de nos forces des économies permises par la réforme au terme d'un effort considérable n'était plus possible.

Les ministres nous disaient alors que, certes, le Gouvernement prélevait ces 3,7 milliards d'euros, mais que ce n'était pas tragique parce que le ministère disposait de recettes exceptionnelles.

Ces recettes exceptionnelles, qui étaient évaluées à 3,4 milliards d'euros, devaient – vous vous en souvenez, monsieur le ministre – résulter de trois éléments : la vente de l'usufruit des satellites de télécommunications militaires ; la vente des emprises immobilières du ministère de la défense ; la vente des fréquences hertziennes au terme de la décision prise par l'ARCEP, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

Je voudrais rappeler, monsieur le ministre, ce qu'ont été ces recettes exceptionnelles en réalité. En 2009, vous aviez prévu de réaliser 1,6 milliard d'euros de recettes exceptionnelles ; vous en avez réalisé 600 millions. En 2010, sur une prévision de 1,2 milliard, vous en avez réalisé 100 millions. Il y a donc un décalage d'à peu près 2 milliards entre le niveau des recettes exceptionnelles prévues et celui que vous avez réalisé. Et, chaque année, vous inscrivez des recettes qui ont pour épithète « exceptionnelles », et le sont même tellement que, inscrites toutes les années, elles ne sont jamais réalisées : d'exceptionnelles, elles deviennent tout à fait improbables. (Sourires.)

Enfin, le Président de la République avait promis que, à compter de 2012, il augmenterait de 1 % par an le budget d'équipement de nos forces, afin qu'il passe de 15 à 18 milliards d'euros. Mais on nous explique que ce 1 % ne sera pas donné, compte tenu de la crise à laquelle nous sommes confrontés – ce que, par ailleurs, on pourrait très bien comprendre.

Nous voyons donc un ministère de la défense qui affiche des économies supplémentaires, alors que la démonstration vient d'être faite que les recettes, elles, diminuent.

Mais, pour aller au bout de la démonstration, il faut ajouter que les dépenses, elles, augmentent. Les dépenses d'infrastructure – la Cour des comptes l'a très bien montré dans son référé de 2011 – ont augmenté de près de 124 %. Les dépenses du ministère ont augmenté du fait de la projection de nos forces sur de multiples théâtres d'opérations : on l'a vu, nous avions inscrit dans la loi de finances initiale 633 millions d'euros, et la dépense s'élèvera finalement à environ 1,2 milliard ; il faudra mobiliser la réserve interministérielle. Le financement de notre participation à l'OTAN représente un surcoût de 80 millions d'euros par an. Je pourrais aussi évoquer notre base à Abou Dabi, souhaitée mais pas inscrite au budget. Tout cela représente des dépenses supplémentaires, non prévues : les dépenses augmentent ainsi bien au-delà de ce qui avait été inscrit dans la loi de programmation militaire.

Faisons le bilan : les dépenses augmentent ; les recettes diminuent ; et, par la voix du ministre de la défense, le Gouvernement nous explique que le niveau des économies augmentera de façon très importante. Pouvez-vous, monsieur le ministre, m'expliquer cette curieuse équation ? J'avoue qu'elle dépasse mon entendement – je ne suis pas le seul dans ce cas, car certains de mes collègues de la majorité ont également un peu de mal à comprendre.

Enfin, je voudrais terminer par un sujet de préoccupation important, et qui rejoint les questions régulièrement posées par le Gouvernement, y compris d'ailleurs lorsque, à l'occasion des questions au Gouvernement, il invective tel ou tel candidat, tel ou tel responsable du parti socialiste – puisque les membres de l'opposition seraient tous, collectivement, irresponsables, tandis que vous seriez, vous, systématiquement vertueux.

Je veux parler du Balardgone, c'est-à-dire de cette idée de rassembler les états-majors à Balard. Ce n'est pas une mauvaise idée ; il n'est d'ailleurs pas exclu que ce rassemblement finisse, grâce à la mutualisation qu'il autorisera, grâce aux économies qu'il engendrera, par se révéler une bonne chose pour les affaires de l'État. Mais je voudrais simplement remarquer que l'on ne peut pas, d'une part, vouloir une règle d'or destinée à mettre de la vertu partout dans les comptes de l'État, et d'autre part mettre en place un dispositif qui conduira M. Bouygues à investir 700 millions d'euros, et l'État, au terme de vingt-sept ans de partenariat public-privé, à payer à M. Bouygues 4,2 milliards d'euros, dont 800 millions d'euros de frais financiers !

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