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Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 18 octobre 2011 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2012 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoland Muzeau :

Je l'ai dit, vous n'êtes pas incompétents. Vous êtes donc parfaitement coupables de vos choix et de ceux des dirigeants européens qui ont mis en péril les économies de nos pays.

Prenons le temps, si vous le voulez bien, mes chers collègues, d'analyser la crise de la dette des États membres et l'éclatement de la bulle immobilière américaine fin 2007. Les banques du monde entier avaient parié des milliards de dollars sur des produits financiers complexes à haut risque, dits subprimes. Ces produits, qui, je vous le rappelle, avaient la bénédiction des agences de notation – 93 % d'entre eux étaient notés triple A –, ont été, du jour au lendemain, dégradés en produits dits toxiques. Les banques se sont donc retrouvées au bord de la faillite et les États sont intervenus pour les renflouer.

Première faute de Nicolas Sarkozy : contrairement à ce que nous demandions à l'époque, et à ce qu'ont fait les Anglo-Saxons en nationalisant en partie leurs banques, vous avez décidé de sauver les banques et les banquiers en leur prêtant 21 milliards d'euros, sans exiger de contreparties en termes d'objectifs et de gouvernance. Le message envoyé était clair : « continuez en toute impunité et dormez tranquille ! » À ce sujet, le président de l'UPA a déclaré dernièrement : « les banques nous ont lâchés en rase campagne () Les crédits sont devenus rares et avec des taux proches de l'usure ».

Au printemps 2010, la crise financière est devenue une crise de la dette des États. Déjà endettés, ils se sont surendettés pour sauver leurs banques, alors que ce sont elles, les responsables de la crise. Qu'ont fait les banques à ce moment-là ? Elles se sont attaquées, avec l'aide des agences de notation, aux États les plus fragiles, en spéculant sur leurs dettes souveraines.

La deuxième faute de Nicolas Sarkozy, plus grave, est de s'être plié aux injonctions des marchés financiers, notamment des agences de notation, au détriment de notre souveraineté. Ces agences, qui échappent à tout contrôle de la puissance publique, imposent pourtant aux États membres, avec l'aide de l'Union européenne et du FMI, des politiques d'austérité budgétaire drastiques qui enfoncent les peuples d'Europe dans la misère. La Grèce, l'Irlande, l'Espagne, l'Italie et la Belgique ont déjà été victimes de cet arbitraire des marchés. De loi de finances en loi de finances, la liste s'allonge. Et aujourd'hui, c'est sur la France que ces agences font planer la menace d'une dégradation de sa note.

Fidèle aux dogmes de la doctrine capitaliste, la seule réponse des dirigeants européens a été de tendre l'autre joue, en imposant des plans de rigueur insoutenables à leurs peuples et en étranglant un peu plus la Grèce. Ces prétendus « plans d'aide », comme vous les nommez, sont en réalité des prêts avec intérêts à des taux usuraires, qui n'ont pas pour finalité de venir en aide au peuple grec souffrant du chômage et des privations.

Alors que cette période de crise du capitalisme est une formidable occasion pour les États de reprendre le contrôle de la finance, vous avez multiplié les erreurs historiques en renforçant le pouvoir des marchés. Nous avons ainsi perdu quatre ans. Dexia en est un triste exemple. La banque étant au bord du gouffre, vous n'avez d'autre choix que de la démanteler en apportant environ 33 milliards d'euros de garanties.

Depuis cinq ans, votre politique de classes est un désastre pour notre pays. Louis XI, pour citer un autre monarque, disait qu'« en politique, il faut donner ce qu'on n'a pas, et promettre ce qu'on ne peut pas donner. » Nicolas Sarkozy a placé son quinquennat sous le signe de cette citation et s'est attelé à la mettre méthodiquement en oeuvre. Il donne ce que la France ne peut donner à quelques nantis, et a multiplié, à l'intention des autres, des promesses qui se sont révélées n'être que du vent. Jugez plutôt !

Donner ce qu'il n'avait pas, c'est ce que le Président de la République a fait dès son arrivée en faisant adopter, dans le cadre de la loi TEPA, un élargissement du bouclier fiscal, un aménagement de l'impôt de solidarité sur la fortune, ainsi qu'une forte réduction des droits de succession. Le coût total de l'ensemble de ces mesures s'élève à 15 milliards d'euros chaque année. Avec ces mesures destinées à quelques privilégiés, l'UMP a dilapidé l'argent public, alors que dans le même temps, François Fillon déclarait la France « en faillite ».

Les promesses de ce qu'il ne pouvait pas donner sont celles de son fameux – ou fumeux – slogan de campagne : « travailler plus pour gagner plus ». Alors que, sur les trente dernières années, les salariés ont perdu dix points dans le partage de la valeur ajoutée, concrètement, ce sont 200 milliards d'euros de richesses créées dans le pays qui, chaque année, sont détournés de la poche des salariés au profit du portefeuille des actionnaires. Il était impossible d'augmenter les salaires tout en gavant les boursicoteurs. Le Président le savait, mais il fallait faire un choix : l'UMP a pris le parti des actionnaires, et privilégié la France des rentiers sur la France du travail. La majorité présidentielle n'a rien fait pour augmenter le pouvoir d'achat des salariés.

La prime Sarkozy, qui devait être versée dans les entreprises augmentant leurs dividendes, est une mystification de plus à ranger dans la longue liste des promesses que vous ne pouvez pas tenir. Cette prime n'est qu'une mascarade, comme l'a démontré la proposition honteuse, mais pourtant légale, de l'entreprise Securitas, qui a consenti à verser une prime de 3,50 euros à ses salariés, quand le Gouvernement promettait une prime de 1 000 euros. La colère feinte de Xavier Bertrand à ce sujet ne dupe personne. Mon amie Jacqueline Fraysse l'avait pourtant mis en garde ici même : « Plus les débats avancent, plus nos travaux approfondissent la réflexion, et plus ils nous renforcent dans notre conviction que cette prime est à la fois injuste et inefficace. Elle ne concerne qu'un tout petit nombre de salariés, nous l'avons déjà souligné, elle peut aisément être contournée par le patronat, elle n'est donc pas équitable. De plus, elle ne résout pas le problème du pouvoir d'achat des salariés, ni celui de la pression des actionnaires sur les entreprises ».

Il n'y a qu'une solution pour redonner du pouvoir d'achat aux salariés : une augmentation généralisée des salaires. C'est précisément ce que vous refusez depuis des années de mettre en oeuvre, par exemple en gelant le point d'indice de la fonction publique et en persistant à ne pas revaloriser le SMIC, alors que l'inflation sur un an ampute le pouvoir d'achat des Français de 2,2 %.

Balzac écrivait en 1837 : « Les lois sont des toiles d'araignée à travers lesquelles passent les grosses mouches et où restent les petites. » La toile d'araignée de votre politique d'austérité n'est pas tissée d'une autre manière. Qui paye les pots cassés de votre politique ? Ce sont les gens modestes que je rencontre sur les marchés de Gennevilliers, de Colombes et de Villeneuve-la-Garenne – que nous rencontrons tous, sans la moindre exception, dans nos circonscriptions. Ce sont eux qui sont écrasés par votre politique d'austérité, tandis que les privilégiés, les grosses mouches dont parlait Balzac, continuent à profiter pleinement de votre politique.

Votre contribution exceptionnelle de 3 % sur le revenu fiscal, qui ne changera rien à l'affaire, est au mieux un effet de manche pour faire digérer la pilule amère de votre politique d'austérité. Cette contribution participe pour une portion congrue au rétablissement d'une forme de justice fiscale en France. Elle rapportera au budget de l'État à peine plus de 200 millions d'euros, c'est-à-dire rien en comparaison des 1,8 milliard d'euros de réduction sur l'impôt de solidarité sur la fortune que vous avez fait voter en juin dernier.

Monsieur le ministre, assumez devant les Français le résultat de votre politique. Pour votre gouvernement, la justice fiscale, c'est 1,8 milliard d'euros d'impôts de moins pour les plus riches et 11 milliards d'euros de politique d'austérité de plus pour le reste de la population. C'est une injustice criante !

Une autre donnée rend votre contribution sur les hauts revenus particulièrement insuffisante : elle cessera de s'appliquer en 2013, alors que les classes moyennes et populaires continueront à subir l'augmentation du coût de leur mutuelle de santé ou celle des taxes nombreuses que vous avez adoptées. Deux poids, deux mesures : voilà bien la preuve que cette contribution tient de la poudre aux yeux.

De plus, nous apprenons par voie de presse que vous comptez doubler le montant de la taxe sur les sodas, afin de créer une exonération de cotisation de sécurité sociale pour les agriculteurs. Ce n'est pas ce que le monde paysan vous demande. Mon camarade André Chassaigne l'explique dans sa proposition de loi visant à encadrer les prix des produits alimentaires : « Pour les agriculteurs, des mesures d'encadrement apparaissent indispensables pour sortir de la “vente à perte” qui leur est imposée chaque année. C'est par ailleurs l'avenir même de certaines filières, comme les fruits et légumes, et l'activité agricole sur certains territoires, comme en zone de handicap ou de montagne, qui sont compromis à court terme par le maintien d'une totale liberté d'agissement par la distribution. » Ce n'est pas en accentuant le dumping fiscal et social que l'on sortira les agriculteurs de la crise. Faisons plutôt en sorte que la grande distribution n'accapare pas les richesses qu'ils ont créées.

Enfin, ce projet de loi de finances pour 2012 menace notre société car, non content de faire peser sur les collectivités locales le coût du désengagement de l'État, vous continuez votre politique de suppressions massives de postes dans la fonction publique. Ainsi, à travers vos lois de finances successives, 150 000 emplois ont été supprimés dans les écoles, les tribunaux, la recherche, la police et les hôpitaux, au détriment des missions de service public et des missions régaliennes de l'État.

Vous détruisez le lien social et sapez les fondements de notre société en supprimant des classes, en fermant des maternités, comme aux Lilas, tout cela pour économiser cette année 900 millions d'euros. Dans le même temps, 140 milliards d'euros de niches fiscales et sociales bénéficient chaque année aux puissances de l'argent et leur permettent de spéculer sur les marchés financiers et d'engranger des fortunes dans les paradis fiscaux.

Le jeu n'en vaut pas la chandelle. Cet aveuglement doctrinaire sévit aussi dans l'éducation nationale, où vous prévoyez la suppression de 14 000 postes, hypothéquant ainsi les chances de réussite de nombreux élèves, tout en faisant le lit des écoles privées religieuses et des entreprises proposant du soutien scolaire, au détriment de l'école gratuite, laïque et républicaine. La suppression de 3 600 postes au ministère de l'intérieur n'est pas moins inquiétante. Alors que les policiers accumulent des dizaines de jours de récupération non pris et que les commissaires de police peinent à trouver le nombre de policiers suffisant pour conserver des patrouilles la nuit et le week-end, vous diminuez leur présence sur le terrain en sabrant dans les effectifs, qui souffrent terriblement face à une délinquance de plus en plus agressive.

Globalement, tous les ministères sont touchés par vos suppressions de postes. Hormis les services de la justice, seuls ceux du Premier ministre bénéficieront de postes supplémentaires – quarante-neuf pour être précis. Le 22 avril 2012 approchant à grands pas, et les sondages étant ce qu'ils sont, sans doute faut-il davantage d'effectifs pour préparer la candidature à la présidentielle de Nicolas Sarkozy !

La France et L'Europe vont mal. Ce n'est pas dramatiser la situation que de l'admettre. Dans quelques mois, le peuple français se trouvera devant un choix radical : continuer comme avant et subir le système capitaliste, ou rompre avec celui-ci en soumettant la finance à la loi de l'intérêt général. Certes, il sera ardu de tordre le cou au système de l'argent roi. Mais la période qui s'ouvre est propice. La France a encore un poids suffisant pour diffuser ses idées auprès de ses partenaires européens et construire enfin « l'Europe sociale », chère à Jaurès ainsi qu'aux 55 % de Françaises et de Français qui, je vous le rappelle, ont rejeté en 2005, lors du référendum, le projet de constitution européenne que vous vouliez leur imposer. Cette opinion avait été exprimée avec force, au regard de la très forte mobilisation des électeurs. Vous avez décidé de la mépriser en imposant quand même cette constitution.

Si vous aviez écouté ce message, probablement n'en serions-nous pas là. Les méfaits de ce système inégalitaire sont désormais connus de tous. Les gens rejettent le caractère fatal et exclusif d'un système qui pousse les hommes à l'égoïsme en les enchaînant aux lois de la concurrence libre et toujours faussée. Depuis cinq ans, en plus de la crise économique mondiale, vous avez poussé l'indécence à son maximum en choyant une seule catégorie : les nantis, les privilégiés, les puissants de ce monde, au détriment de l'intérêt collectif. Face à votre politique de classe, les Français attendent une politique de justice sociale et fiscale. Le Front de gauche démontre quotidiennement, grâce à ses militants et à ses élus, que les leviers pour réaliser cette politique égalitaire existent et que l'urgence est d'avoir un peu de courage et de mettre en oeuvre une autre répartition des richesses entre le capital et le travail.

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