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Intervention de Christian Noyer

Réunion du 11 octobre 2011 à 17h45
Commission des affaires économiques

Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France :

Découvre t-on sans arrêt, pour reprendre l'expression de M. Brottes, de nouvelles choses sous le tapis ? Il est vrai qu'en 2008, nous avons tous été surpris, à l'échelle mondiale, par le fait que des actifs complexes, auxquels nous n'avions pas prêté assez d'attention et que nous pensions – à tort – régulés et surveillés par les autorités américaines, aient été fondés sur un marché – celui des subprimes, marché immobilier de faible qualité – qui était une véritable bulle. Cela a fait naître une crainte généralisée sur l'existence d'actifs toxiques aux deuxième ou au troisième degré – pas seulement d'ailleurs dans le secteur bancaire, mais aussi chez des investisseurs et des intermédiaires du monde entier. Le fait que de tels actifs existent et qu'on ne sache pas exactement si tel ou tel instrument structuré très complexe en comportait a créé un sentiment de défiance généralisée, chacun redoutant que son voisin en détienne et refusant par conséquent de lui prêter autant qu'hier. La crise de 2008, c'est donc la découverte de ces actifs toxiques, qui étaient masqués dans des entités extraordinairement complexes. Depuis lors, le marché des subprimes américains s'est tari. En outre, on ne fait plus d'instruments aussi compliqués que les obligations adossées à des actifs – collateralized debt obligations (CDO) –, les CDO au carré ou les CDO au cube, toutes inventions « diaboliques » qui étaient la marque du début de la décennie précédente. Néanmoins, il faut apurer le passé.

La défiance s'est, de plus, manifestée à un moment où l'économie mondiale était dans un cycle de ralentissement. Le résultat de cette conjonction a évidement été douloureux.

Le problème d'aujourd'hui est différent : il tient à la crainte des gestionnaires. À la question de M. Daniel Paul sur l'identité des marchés, je répondrais que ceux-ci sont les très nombreux intervenants qui gèrent notre épargne et celle de nos voisins. Concrètement, il s'agit en majorité – même s'il existe quelques fonds spéculatifs, notamment à New York et à Londres – de gestionnaires de SICAV ou de fonds communs de placement (FCP), d'assurance vie, de fonds de pension ou encore de fonds souverains. Leur préoccupation est de préserver les intérêts de leurs clients. Ils ont donc un comportement très « moutonniers », ce qui explique que les craintes se répandent très vite et deviennent des phénomènes de marché.

La crise d'aujourd'hui trouve son origine dans le fait que les finances publiques ont commencé à faire peur. Les gestionnaires avaient jusqu'à présent considéré que les dettes publiques constituaient l'actif le plus sûr – dans les anciens ratios de Bâle II, le risque de crédit sur les pays de l'OCDE et d'un certain nombre de pays émergents était tenu pour nul. Le cas de la Grèce a été un révélateur – c'est d'ailleurs pourquoi l'épicentre de la crise est en Europe, alors que celui de la crise de 2008 se situait aux États-Unis. Les marchés ont commencé à s'interroger sur la capacité des États à rembourser. Le seul fait d'agiter l'idée du possible défaut d'un État, peut-être suivi par d'autres, crée une situation nouvelle : la dette publique est en quelque sorte désacralisée. Dès lors que ce sentiment se répand, il est terrible.

Nous n'avons pas affaire ici à des actifs toxiques. Il n'y a rien sous le tapis, monsieur Brottes : tout est sur la table ! Chacun peut savoir, à l'euro ou au dollar près, combien de dette publique de tel ou tel pays détiennent nos banques, et estimer que tel ou tel ne remboursera pas tout. Mais cela signifie aussi que les banques et les gestionnaires de fonds ne financeront plus les États, ce qui interdit de fait le déficit public. La question de fond est là. C'est donc un vrai problème qui est posé par la détérioration des finances publiques. Nous n'avons pas porté assez d'attention à la rigueur de gestion des finances publiques au cours des dernières décennies.

Lors de la création de l'euro, nous avons instauré des règles dont on a prétendu un peu hâtivement qu'elles consistaient à limiter le déficit à 3 % de PIB, et la dette à 60 %. Alors que ces règles tendaient, en réalité, à maintenir le solde des finances publiques à un niveau proche de l'équilibre, sans aller au-delà de 3 % de PIB en période de ralentissement économique, elles ont été interprétées comme autorisant en permanence un déficit de 2,99 % de PIB – et une dette publique de 59,9 %. Les finances publiques se donc considérablement dégradées quand il a fallu relancer l'activité face à la récession. Il reste que cette évolution n'est pas propre à la zone euro : les États-Unis sont dans le même cas, et la situation du Royaume-Uni est objectivement moins bonne que celle de l'Espagne.

La conséquence que nous devons en tirer dans le domaine de la gouvernance économique est qu'une véritable surveillance des finances publiques s'impose. Quand on partage une monnaie, il faut des règles budgétaires. Sur ce point, presque tout le monde affirmait en France, en Allemagne, en Italie et chez nos voisins anglo-saxons que les règles budgétaires du traité de Maastricht étaient stupides. Le président de la Commission européenne est même allé jusqu'à qualifier le pacte de stabilité de « stupidité ». Seule divergeait la BCE, qu'on disait rigide et autiste : elle affirmait qu'il fallait respecter des règles budgétaires, que l'affaiblissement du pacte de stabilité et de croissance était une erreur dramatique et qu'il fallait renforcer la gouvernance. Les leçons en ont été tirées par les États membres lorsqu'ils ont décidé de renforcer le pacte de stabilité et de croissance.

Une autre explication est que l'évolution de la compétitivité n'a pas été suffisamment prise en compte : quand on appartient à une zone monétaire unique dont la banque centrale garantit, conformément à son mandat, une inflation légèrement inférieure à 2 % en moyenne et que les gains de productivité, liés aux réformes structurelles, au dynamisme des économies, mais aussi aux circonstances, ne dépassent pas 1 ou 2 % par an, soit un niveau très inférieur à l'augmentation des coûts de production – ils ont augmenté de 6 ou 7 % par an en Grèce pendant une décennie –, on se retrouve hors marché parce qu'on ne peut pas produire dans des conditions compétitives. Comme il est alors impossible de dévaluer, la seule solution pour restaurer la compétitivité consiste à réduire tous les coûts, y compris les salaires, ce qui est extraordinairement douloureux. Une surveillance mutuelle est donc nécessaire au sein d'une zone monétaire commune : il faut tirer la sonnette d'alarme si les coûts de production augmentent trop vite, dans un pays, par rapport aux gains de productivité.

Vous m'avez demandé si la Grèce était prête lorsqu'elle est entrée dans la zone euro. On sait a posteriori que non, car elle a masqué un certain nombre d'éléments concernant l'état de ses finances publiques. Cela étant, elle aurait pu se sortir d'affaire si elle avait adopté une conduite rigoureuse, si elle avait été tenue par une gouvernance européenne stricte et si l'on avait pu auditer ses comptes sur place, ce qui est désormais possible : Eurostat a le droit d'auditer les comptabilités nationales et la Commission exerce une surveillance rapprochée. Par ailleurs, le pacte de stabilité et de croissance est en principe beaucoup plus rigoureux.

Faut-il en vouloir aux banques ? On peut leur reprocher d'avoir acheté de la dette souveraine aux motifs que ce n'était pas leur travail et que nous ne connaîtrions pas de difficulté si elles avaient agi autrement, mais cela ne me paraît pas très juste : la dette des États doit normalement pouvoir être considérée comme un actif de première qualité. Pour cela, il faudra régler le problème posé par la crise de confiance actuelle tout en agissant à la base : les dettes publiques doivent redevenir des actifs de première qualité à partir desquels la courbe des taux d'intérêt peut se construire. Si c'est impossible, il sera alors très difficile d'assurer un financement ordonné de l'économie.

S'agissant de la Slovaquie, j'exclus l'hypothèse d'un blocage : ce serait la preuve que le système de la zone euro ne peut pas fonctionner – une réforme indispensable serait, en effet, bloquée à cause d'un État de très faible importance. Il faudrait absolument trouver une solution si la réponse apportée en Slovaquie était négative.

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