Répondre aux questions de la représentation nationale est toujours un plaisir et un honneur. C'est pour moi une partie intégrante de ma tâche de gouverneur de la Banque de France et de membre du conseil des gouverneurs de la BCE.
Vous m'interrogez sur la solidité des banques françaises. Il convient de différencier la solvabilité et la liquidité.
Je n'ai aucune inquiétude sur la solvabilité. Les banques françaises ont des bilans sains – elles n'ont pas d'actifs toxiques cachés – et des fonds propres importants. Les exigences en matière de fonds propres pour les activités de marché et les titrisations seront un peu plus rigoureuses sous les critères du régime intermédiaire entre Bâle II et Bâle III qui entrera en vigueur au 1er janvier. Mais sous les critères de Bâle II, les banques françaises disposent d'un matelas de fonds propres durs de 210 milliards d'euros, ce qui correspond à un ratio de 10,9 %, et de 160 milliards d'euros de fonds propres très durs – dits Core Tier One –, qui comprennent le capital et les réserves et qui correspondent à un ratio d'environ 9 %.
Leur capital augmente régulièrement depuis 2009, à la fois en quantité et en qualité : elles ont accumulé environ 50 milliards d'euros en deux ans, grâce à quelques augmentations de capital et à une accumulation des bénéfices mis en réserve. Compte tenu de la crise, je leur ai demandé de poursuivre dans cette voie pour être en mesure de respecter les exigences de Bâle III dès 2013, donc bien avant la date de 2019.
J'en arrive à la liquidité.
La liquidité en euros n'est pas un sujet, puisque nous avons mis en place au sein de l'Eurosystème – l'ensemble constitué par la BCE et les banques centrales nationales – une méthode de refinancement à taux fixe pour des montants illimités, dès lors que les banques peuvent offrir des garanties, ce que nous appelons le « collatéral ». Or les banques françaises disposent de plus de 400 milliards d'actifs éligibles en collatéral. En revanche, la liquidité en dollars s'est restreinte au cours de l'été. C'est une préoccupation pour l'ensemble des banques et notamment pour les banques européennes, qui avaient beaucoup recours au marché américain pour des financements en dollars. Afin de leur permettre de s'adapter, les grandes banques centrales ont convenu de raviver un mécanisme d'échange de liquidités entre banques centrales qui permet à l'Eurosystème de faire des opérations de refinancement des banques européennes en dollars. Nous en avons prévu trois à trois mois au cours de ce dernier trimestre. Dans le même temps, les banques réajustent leur bilan et se dégagent de certaines opérations qui ne sont pas liées au financement de l'économie française.
Vous avez évoqué la crise de la dette souveraine. La Grèce est dans une situation très critique. Elle doit démontrer qu'elle est capable de respecter les engagements qu'elle a pris sur la restructuration de son économie et de ses finances publiques. C'est sans doute le pays qui avait consenti le moins de réformes pour doper son économie ; les coûts unitaires de production ont augmenté beaucoup plus vite que sa productivité, d'où une très faible croissance et une très faible capacité d'exportation. Par ailleurs, la situation de ses finances publiques était très détériorée et en partie masquée. Le programme de redressement négocié avec l'Union européenne et le FMI est crédible, mais il faudra du temps pour qu'il porte ses fruits.
Les banques françaises ont 8 milliards d'exposition à la dette souveraine grecque. À titre de comparaison, je rappelle qu'elles ont enregistré 11 milliards de bénéfices au premier semestre. Elles auraient donc la capacité de passer en pertes la totalité de leur exposition. Elles ont passé 20 % de provisions sur cette exposition fin juin, et sont en mesure d'en passer davantage s'il le faut à la fin du troisième ou du quatrième trimestre.
Mais ce sont surtout les risques de contagion qui préoccupent observateurs, acteurs du marché et politiques. Nous devons certes garder ce scénario à l'esprit, mais il n'existe pas de raison objective pour que la situation grecque soit réplicable. Les situations des pays périphériques sont très différentes. L'Irlande est en avance sur son programme de redressement ; celui du Portugal – qui a débuté un an plus tard – est sur les rails. Avec un ratio de 67% du PIB, l'Espagne a une dette qui aurait paru élevée il y a quelques années, mais qui peut être considérée comme limitée aujourd'hui. Elle a pris d'importantes mesures de redressement depuis le début de l'année, et les inquiétudes du marché semblent apaisées. Objectivement, sa situation est meilleure que celle du Royaume-Uni au regard des critères de déficit public, de dette publique, de croissance instantanée et d'inflation. L'Italie a un ratio de dette publique très élevé, proche de 120 %, mais elle a pris des mesures fortes de redressement budgétaire. Elle dégage d'ailleurs un surplus primaire, c'est-à-dire avant paiement des intérêts de la dette. Elle est donc en mesure de stabiliser rapidement cette dernière, puis de commencer à la réduire. Même si la situation est quelque peu brouillée par la complexité du processus politique, les mesures prises dans ce pays me paraissent à la hauteur des difficultés.
J'ai confiance en la capacité des États à mettre en oeuvre les décisions arrêtées le 21 juillet dans le cadre du Conseil européen. Nous attendons avec impatience la ratification du renforcement du FESF par la Slovaquie, dernier État à y procéder. Nous disposerons ainsi, conformément aux recommandations des gouverneurs de la BCE, d'un instrument plus flexible et plus puissant.
L'exposition des banques françaises aux dettes souveraines de l'ensemble des pays périphériques est de 60 milliards d'euros. Or elles disposent, je l'ai dit, de 210 milliards de fonds propres, et de 160 milliards de capital et de réserves. À moins d'imaginer que la moitié de l'Europe se retrouve en faillite, leur exposition à ces dettes souveraines ne représente donc qu'une fraction limitée de leurs fonds propres. En mettant à part le cas de la Grèce, j'exclus d'ailleurs toute idée d'un défaut de l'un de ces pays.
J'en viens au financement de l'économie. Le développement du crédit est relativement dynamique, sachant que nous sommes en phase de reprise. Le redémarrage du crédit avait en effet été plus tardif dans les phases de reprise qui ont suivi les périodes de stagnation ou de récession des décennies précédentes. Selon les derniers chiffres, publiés en août, les crédits aux entreprises ont augmenté de 4,7 % sur un an, et les crédits aux PME et TPE de 4,8 %. Les crédits aux ménages progressent quant à eux de 7 %, la progression des crédits immobiliers étant beaucoup plus dynamique que celle des crédits à la consommation. Ces différents segments sont donc bien orientés. Nos dernières enquêtes montrent un ralentissement de la demande de crédits, mais nous n'observons pas de resserrement de l'offre.
Le segment qui nous préoccupe le plus aujourd'hui est le financement des collectivités locales, pour lesquelles les encours ont diminué de 6 milliards d'euros sur le premier semestre, les banques tirant souvent argument des futurs ratios de liquidité de Bâle III pour ne pas s'engager. Pourtant, ces ratios ne sont pas définitivement arrêtés, et je ne désespère pas de les voir évoluer dans un sens plus raisonnable. Les banques font d'importants efforts pour réorienter l'épargne longue vers des produits de bilan, ce qui devrait permettre de refinancer les crédits à long terme. En outre, les crédits aux collectivités locales sont de bons crédits, sur lesquels il n'est en principe pas nécessaire de constituer de provisions. Surtout, ils peuvent être refinancés par des obligations foncières, qui sont l'un des segments les plus attractifs du marché financier. Il est vrai que ce marché a été peu actif ces derniers mois, après un excellent premier semestre. L'Eurosystème a donc décidé de lancer, comme en 2008-2009, un programme d'achat d'obligations sécurisées sur les marchés primaire et secondaire, afin de relancer ce marché important pour le financement à long terme de l'économie de la zone euro.
Enfin, la solution actuellement mise au point pour Dexia me semble répondre à la nécessité de retrouver un prêteur spécialisé d'envergure pour les collectivités locales. J'aurai sans doute l'occasion de revenir sur ce point – ainsi que sur la recapitalisation des banques – dans ma réponse.