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Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 6 octobre 2011 à 9h30
Urbanité réussie de jour comme de nuit — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le vice-président de la commission des lois, madame la rapporteure – vous qui êtes à l'initiative de cette excellente proposition de loi, soyez-en remerciée –, chers collègues, la ville, c'est sa caractéristique essentielle, concentre sur un territoire limité un nombre important d'habitants et d'activités. Elle est le lieu par excellence de la multiplication des initiatives et de l'interaction permanente entre les individus. La formule qui semble attribuer ce seul privilège à New York, vaut en fait pour toutes les grandes villes du monde : elles ne dorment jamais.

Le XXe siècle a été celui du triomphe de la civilisation urbaine. La ville constitue, en effet, à l'échelle mondiale, le milieu de vie dominant. Ce phénomène, qui vaut massivement pour la France, nous invite ainsi à repenser nos modes de régulation du vivre ensemble. La ville est une densification de la vie collective. Les problèmes s'y posent avec une intensité toute particulière qui réclame des réponses, notamment législatives, adaptées.

La proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui constitue, en ce sens, une initiative particulièrement heureuse qui permettra de compléter le cadre dans lequel agissent les élus locaux en milieu urbain. En effet, ce milieu est marqué par des contradictions fortes entre le développement des activités, notamment de divertissement, et le besoin de tranquillité. Ces contradictions, il faut y faire face. Il s'agit de réconcilier, en organisant au mieux, ce qui fait l'attractivité et l'intérêt d'une ville cependant que symétriquement sont prises en compte les aspirations légitimes de celles et ceux qui y résident.

Cette proposition de loi entend donc courageusement apporter des solutions adaptées à des problèmes qui se font de plus en plus criants et qui laissent parfois germer dans les esprits de fausses représentations de la réalité.

Ainsi, par exemple, depuis quelque temps, circule l'idée que Paris, en matière de sorties nocturnes, serait devenu bien pâle au regard d'autres villes comme Londres, Berlin ou Barcelone. À en croire les propos tenus, Paris, après avoir été une référence mondiale pour la vie nocturne, se meurt en silence la nuit. Cette perception, relayée par de nombreux artistes, exploitants de lieux de diffusion, acteurs des musiques actuelles et professionnels de la nuit, ne peut que nous interpeller. Et ce d'autant plus que cette perception paraît s'étendre, au-delà de Paris, vers d'autres grandes villes de province, pourtant connues pour le dynamisme de leur vie nocturne telles Rennes, Toulouse ou Bordeaux.

Il s'agit donc de tenir compte des inquiétudes légitimes des lieux de culture et de diffusion de proximité, tout en prenant en considération les attentes des habitants. En d'autres termes, et pour reprendre les propos que le maire de Paris, Bertrand Delanoë, a tenus en ouverture des états généraux de la nuit qui se sont tenus à Paris en novembre 2010 : « Il faut prendre au sérieux l'ensemble des demandes : le besoin de tranquillité, mais aussi de fête. » En rassemblant des sociologues, des urbanistes, des professionnels de la nuit, des associations de riverains, des habitants membres des conseils de quartier et des élus locaux, ces états généraux de la nuit parisienne ont été un moment d'échanges fructueux permettant de nourrir la réflexion et de contribuer ainsi efficacement à la proposition de loi qui nous est présentée aujourd'hui.

Il est heureux que la loi s'intéresse au sujet délicat qu'est le partage harmonieux de l'espace public. Ce sujet est, en effet, générateur de tensions croissantes entre les habitants, qui n'hésitent pas à s'organiser en associations de riverains, et les exploitants d'établissements à vocation nocturne qui, eux-mêmes, ne manquent pas de se regrouper pour faire entendre leur voix. Ces riverains et ces exploitants se tournent spontanément vers les élus locaux, qui sont des interlocuteurs logiques et pourtant souvent démunis face à un vide juridique ou à certaines limites qui les empêchent d'agir concrètement.

La première des limites tient aux moyens permettant de faire respecter les règles liées à l'occupation commerciale de l'espace public. Dans ce domaine, il faut avancer avec un principe simple : tout règlement ne tient que par les sanctions qu'il prévoit. Or force est de constater que les sanctions en vigueur ne sont en rien efficaces. Il y a, par conséquent, le besoin incontestable d'un dispositif réellement dissuasif, permettant de contraindre les contrevenants au règlement. C'est pourquoi, les dispositions contenues dans le titre I de cette proposition de loi, qui donnent aux maires et aux municipalités la possibilité d'établir des sanctions graduées et proportionnées intégrant notamment une astreinte en cas d'absence de mise en conformité, constituent une avancée décisive permettant aux élus locaux d'assumer pleinement et efficacement leur rôle de régulateur. Je vous le dis : nous ne demandons que cela. Des régulateurs, les élus locaux doivent pouvoir l'être pleinement, eux qui – si j'ose m'exprimer ainsi – se trouvent pris entre deux feux.

Cette réalité, en tant que maire du 11e arrondissement, arrondissement festif dans lequel se trouvent les quartiers de sortie à réputation mondiale Bastille et Oberkampf, je crois la connaître de manière assez fine. Elle est l'expression d'une complexité dans laquelle il est impératif de prendre en compte les intérêts individuels et collectifs.

Parmi ces derniers, il en est un, essentiel, qui consiste à maintenir une vie culturelle et festive qui, par ailleurs, est déterminante pour l'attractivité et l'intérêt d'une ville. C'est en ce sens qu'un équilibre doit être atteint, qui assure aux établissements qui respectent pleinement – j'insiste sur ce point – les règles et les normes, de bénéficier d'un cadre plus adapté qui donne une plus grande place à la médiation.

C'est en ce sens que l'article 6, qui prévoit des amendes pour abus de recours aux numéros d'urgence pour tapage nocturne, est un moyen, certes audacieux, mais, je crois, pertinent. Il doit permettre à la fois de diminuer le volume de plaintes injustifiées mais également d'orienter les appels vers les commissariats de proximité qui seraient, si des moyens humains étaient affectés à ces missions, naturellement, l'échelon idoine pour mener une action efficace de médiation. À cet égard, l'argumentation du ministre contre cette disposition de la proposition de loi ne nous a en rien convaincus.

Instaurer un cadre mieux adapté pour les établissements de nuit, à la nature d'ailleurs de plus en plus diversifiée, c'est également réduire un aléa qui pèse trop lourdement sur leur activité, notamment lors de leur démarrage. Cet aléa tient à la durée trop courte de la première autorisation d'ouverture de nuit. Aussi l'expérimentation à Paris d'une première autorisation de nuit durant six mois doit-elle permettre aux nouveaux établissements d'envisager de manière moins risquée leur programmation. Ce mécanisme est d'autant plus vertueux que l'établissement a tout intérêt à ne pas commettre d'infraction au cours de cette période car, dans ce cas, il peut alors envisager un renouvellement de son autorisation d'ouverture pour une durée d'un an.

Pris entre deux feux, on peut vite être tenté de choisir un camp. Or tel n'est pas le rôle des élus, mes chers collègues. Ce rôle, c'est, au contraire, dans la sérénité et l'équilibre, de décider de ce qui est bon pour la collectivité dans son ensemble. La ville nous lance de nouveaux défis et les conditions du vivre ensemble en milieu urbain constituent incontestablement un champ législatif à investir.

Cette proposition de loi ne règle certes pas tout, mais elle a le grand mérite d'explorer de nouvelles voies et d'amorcer une action attendue à la fois par les habitants des villes et par les professionnels de la nuit, qui se sentent finalement, les uns comme les autres, insuffisamment écoutés, parfois même abandonnés.

Dès lors, il n'y aurait rien de pire que de ne rien tenter. Ce n'est pas du silence ou du bruit que les villes se meurent, c'est bien d'immobilisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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