« Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l'enfance et, parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l'enfance traduite en justice. La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains » : l'exposé des motifs de l'ordonnance du 2 février 1945, relative à l'enfance délinquante, conserve une force intacte. C'est cette volonté de protéger l'enfance en mettant en oeuvre tout ce qui pourra faire des jeunes adultes de demain des êtres sains qui motive la proposition de loi. Son ambition n'est pas d'apporter une réponse unique, mais de contribuer à résoudre un problème qui nécessite notre mobilisation.
La délinquance des mineurs connaît, en effet, une augmentation incontestable : elle devient plus massive, plus violence et plus fréquente. Entre 1997 et 2002, le nombre de faits commis par des mineurs enregistrés par les services de police et de gendarmerie est ainsi passé de 154 000 à 180 000, soit une augmentation moyenne de 3,4 % par an. Entre 2002 et 2009, le nombre de ces mêmes faits est passé de 180 000 à 214 000, ce qui représente une augmentation annuelle plus modeste, mais tout de même égale à 2,7 %. Les condamnations prononcées pour crime ou délit par les juridictions pour mineurs ont, par ailleurs, augmenté de 75 % entre 2002 et 2009 : elles étaient au nombre de 55 000 en 2009, contre 29 000 en 2002, alors que leur nombre avait stagné entre 1997 et 2002. Cette augmentation résulte, pour partie, du raffermissement de la réponse pénale à l'égard des mineurs, engagé depuis 2002, mais elle traduit aussi une hausse réelle de la délinquance juvénile. L'aggravation du phénomène est également liée à la nature des faits commis : la part des mineurs dans les vols avec violences est ainsi passée de 39 % en 2004 à un peu plus de 43,5 % en 2009.
Ces évolutions sont, à l'évidence, le symptôme d'une perte de repères dans une frange de notre jeunesse, qui souffre d'un manque d'appropriation des modes de vie en société – respect minimal de l'autorité, respect d'autrui, solidarité –, et de certaines qualités indispensables pour une bonne insertion professionnelle et sociale.
Face à cette évolution, la majorité actuelle a engagé une action déterminée tant en matière de prévention que de réponse judiciaire.
La généralisation des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance dans les communes de plus de 10 000 habitants, la création des conseils pour les droits et devoirs des familles, désormais obligatoires dans les communes comptant plus de 50 000 habitants, l'institution du contrat de responsabilité parentale et le renforcement de la lutte contre l'absentéisme scolaire commencent, tout d'abord, à porter leurs fruits.
Ensuite, la réponse judiciaire s'est considérablement raffermie depuis 2002, en particulier à l'initiative de Dominique Perben. Les mineurs auteurs de délits sont non seulement beaucoup plus systématiquement poursuivis, mais la réponse pénale est aussi devenue plus rapide, plus ferme et plus variée grâce à diverses mesures : la possibilité de recourir à la composition pénale, la création de procédures accélérées, comme la convocation par un officier de police judiciaire à comparaître devant le tribunal pour enfants, la mise en place d'un régime de peines minimales pour les mineurs récidivistes, mais aussi l'institution des centres éducatifs fermés.
Cela étant, les réponses apportées paraissent encore trop souvent insuffisamment effectives et variées. En dépit de la diversification des mesures susceptibles d'être prononcées à l'encontre des mineurs délinquants et des lieux pouvant les accueillir, un écart trop grand subsiste entre les structures au fonctionnement peu contraignant, telles que les internats scolaires ou les foyers classiques, et ces structures privatives ou restrictives de liberté que sont les prisons et les centres éducatifs fermés. Entre ces extrêmes, il manque un échelon intermédiaire permettant d'accueillir des mineurs dans un cadre structurant, susceptible de leur fournir des repères indispensables à leur réinsertion sociale, sans pour autant les priver de liberté.
Le présent texte a pour objet de créer ce chaînon manquant dans la gradation de la réponse pénale en instaurant un service citoyen pour mineurs délinquants, qui prendra appui sur les valeurs militaires et sur le dispositif « Défense deuxième chance », mis place avec succès depuis 2005 dans le cadre des centres de l'Établissement public d'insertion de la défense (EPIDe).
Les valeurs militaires peuvent, en effet, constituer un apport décisif face à des mineurs délinquants, à qui certains éléments fondamentaux de la vie en société n'ont pas été inculqués, notamment les rythmes de vie : les armées ont déjà démontré leur savoir-faire en matière d'insertion des jeunes en difficulté et des délinquants dans le cadre du service militaire obligatoire et de l'association « Jeunes en équipes de travail » (JET), lancée par l'amiral Brac de la Perrière et unanimement saluée, en particulier par les représentants des syndicats de magistrats, mais aussi dans le cadre du service militaire adapté (SMA) outre-mer.
C'est à ces valeurs militaires que fait aussi appel le dispositif « Défense deuxième chance », dont l'objectif est d'insérer durablement des jeunes âgés de 16 à 25 ans en situation d'échec, tant scolaire que professionnel, et en voie de marginalisation sociale. Inspiré du SMA et proposé dans vingt centres dans l'ensemble du territoire métropolitain, ce dispositif offre une formation comportementale, une remise à niveau scolaire et une préformation professionnelle dans le cadre d'un contrat de droit public.
De nature civile, malgré les nombreuses contrevérités proférées sur ce point – aucun militaire d'active n'est employé et les jeunes volontaires ne relèvent pas d'un statut militaire –, ce dispositif s'inspire du modèle militaire sur plusieurs points : le port de l'uniforme, la discipline, le salut aux couleurs et la pratique quotidienne d'activités physiques.
Je ne pense pas trahir le sentiment des collègues qui ont participé, la semaine dernière, à la visite du centre de Val-de-Reuil en rapportant que nous avons été très impressionnés par le programme pédagogique et par son effet très positif sur les jeunes. La qualité du travail accompli se traduit, en effet, par d'excellents résultats en matière d'insertion : un an après leur entrée à l'EPIDe, les jeunes qui ont suivi le parcours proposé pendant une durée moyenne de dix mois ont un taux d'insertion de 80 % sous forme de contrat à durée indéterminée, de contrat à durée déterminée de plus de six mois ou de formation qualifiante, ce qui est tout à fait remarquable compte tenu de la déstructuration et de la désocialisation de la plupart d'entre eux.
La proposition de loi tend à élargir les missions de l'EPIDe, structure qui a fait ses preuves, en permettant à la justice d'astreindre un mineur auteur d'une infraction à exécuter un contrat de service dans un de ses centres. La mesure pourra être ordonnée par la justice des mineurs dans trois cadres distincts : celui de la composition pénale, à l'initiative du parquet et après homologation du juge des enfants, celui de l'ajournement de peine et celui du sursis avec mise à l'épreuve. Aujourd'hui impossible en l'absence de base légale, l'accueil des mineurs délinquants dans les centres relevant de l'EPIDe offrira une alternative crédible et efficace à l'incarcération – très souvent synonyme d'un échec pour les mineurs, cette mesure doit rester une solution ultime –, ou au placement dans un centre éducatif fermé. Cela permettra aux mineurs concernés de réapprendre les valeurs essentielles à la vie en société tout en bénéficiant d'une remise à niveau scolaire et d'une formation professionnelle.
L'accomplissement du contrat de service impliquant un travail de la part du mineur, son accord préalable sera nécessaire, comme c'est déjà le cas pour les travaux d'intérêt général. C'est une nécessité pour des raisons juridiques, liées à la prohibition du travail forcé, mais aussi pour des raisons d'efficacité : l'expérience de l'EPIDe montre que la réussite des jeunes nécessite leur adhésion.
La durée du contrat sera fixée par la justice, mais les mineurs concernés auront la possibilité de prolonger leur contrat initial sur la base du volontariat. Les auditions que j'ai menées et le déplacement sur le terrain que nous avons organisés ont montré que la durée initialement prévue – 4 à 6 mois – était trop courte. Sur ce point, les propositions de certains de nos collègues se sont heurtées à la barrière de l'article 40 de la Constitution, mais le Gouvernement a déposé un amendement tendant à porter la durée maximale à douze mois, ce qui me paraît opportun.
Je le répète : cette proposition de loi a pour principal objectif de poursuivre la diversification, engagée depuis 2002, des mesures à la disposition des juridictions pour mineurs en s'appuyant sur un dispositif déjà existant – l'EPIDe –, qui a fait ses preuves et démontré la pertinence de son modèle et de sa pédagogie inspirés des valeurs militaires. Nous disposerons ainsi d'un outil supplémentaire pour lutter contre ce fléau qu'est la délinquance des mineurs. J'ajoute que le dispositif pourra être immédiatement opérationnel, ce qui est dans l'intérêt des jeunes qui en bénéficieront, mais aussi de la sécurité de nos concitoyens.
Pour ces différentes raisons, je vous inviterai à adopter la proposition de loi.