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Intervention de Sandrine Mazetier

Réunion du 28 septembre 2011 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSandrine Mazetier, rapporteur :

L'espace urbain est le lieu d'activités multiples au cours d'une même journée : on y réside, on y travaille et l'on s'y divertit. En tant que tel, il a été souvent analysé non seulement dans sa dimension sociale, comme l'un des fondements du lien social, mais aussi dans sa dimension économique, compte tenu des enjeux qu'il recouvre en termes, par exemple, de création d'emplois.

Cette mixité des fonctions urbaines est toutefois beaucoup moins fréquemment envisagée dans sa composante nocturne, alors même que les préoccupations sociales et économiques y sont également prégnantes. C'est ce que m'ont confirmé les nombreuses auditions auxquelles j'ai procédé dans la perspective de notre réunion de ce jour, qu'il s'agisse des représentants des principales administrations centrales concernées – intérieur, économie, tourisme – ou d'élus locaux, de commerçants, d'associations de riverains.

J'ai été frappée de constater combien il est difficile d'obtenir des données chiffrées sur l'activité de divertissement nocturne, ne serait-ce que sur la situation existante : quel est le nombre de bars, de cafés ou d'autres établissements ouverts la nuit, sans parler des potentialités de développement, largement méconnues.

Nous savons aussi que la mixité urbaine, source de richesse, n'est pas un long fleuve tranquille, pas plus le jour que la nuit.

Si chacun d'entre nous peut être tour à tour riverain, consommateur, commerçant ou touriste, il arrive que des conflits surgissent. C'est compréhensible, voire inévitable. S'intéresser à la vie de la cité revient à prendre au sérieux ces enjeux et à s'interroger sur la manière de concilier des intérêts divergents.

Il est d'autant plus important de réfléchir à la manière de surmonter ces difficultés que la ville se transforme. Les habitudes évoluent et la question de la régulation des différentes fonctions urbaines, de jour comme de nuit, se pose aujourd'hui d'une manière nouvelle. Quelques exemples illustrent ces mutations : la nouvelle réglementation interdisant aux consommateurs de fumer dans les lieux publics, qui conduit les personnes qui fréquentent les bars et les restaurants à sortir sur la voie publique pour fumer ; le développement des infrastructures de transport, entre les villes et au sein des villes, qui facilitent les voyages et les sorties à toute heure ; l'évolution des modes de divertissement nocturne et l'apparition de nouveaux lieux « hybrides », tour à tour salles de restaurant, de spectacles, de danse ou lieux d'exposition.

La proposition de loi n'ayant pas vocation à traiter l'ensemble des problèmes qui se posent aujourd'hui dans nos villes, j'ai choisi de traiter deux questions ciblées.

La première concerne la régulation du commerce sur le domaine public car la multiplication des terrasses et les installations qui débordent sur les trottoirs créent des distorsions de concurrence. Face à ces situations d'occupation illégale de la voie publique, nous sommes démunis. Des outils existent – contraventions de voirie routière, infraction d'exercice illicite du commerce sur la voie publique, contraventions de police. Dans les faits, ces outils se révèlent inadaptés, le montant des amendes infligées étant trop faible, et ils sont d'ailleurs peu utilisés : les contraventions de police sont d'un montant forfaitaire de 35 euros. Quant aux contraventions prononcées par le tribunal de police, la préfecture de police estime qu'elles le sont en général un an après les faits et ne dépassent pas 500 euros. À Paris, 5 % des cafés ou restaurants seraient fréquemment en situation irrégulière.

La proposition de loi confère au maire un nouveau pouvoir en cas d'occupation illégale du domaine public, celui de mettre en demeure la personne responsable d'une installation en infraction de supprimer ou de mettre en conformité les matériels concernés, dans un délai donné.

Ce pouvoir est assorti de deux moyens destinés à en renforcer l'effectivité. D'une part, à l'expiration du délai fixé par l'arrêté de mise en demeure, la personne responsable sera redevable d'une astreinte, dont le montant par jour et par mètre carré aura été préalablement déterminé par délibération du conseil municipal en vue d'établir une proportionnalité du montant de l'astreinte au comportement constaté et de renforcer le caractère dissuasif de la mesure en se référant à deux critères : le caractère répété ou non de l'illégalité et la zone urbaine concernée, notamment sa densité commerciale, dans la mesure où l'impact d'une implantation illégale sur la voie publique varie selon son emplacement. D'autre part, si les travaux ordonnés n'ont pas été réalisés dans le délai imparti, le maire aura compétence pour les faire exécuter d'office, les frais étant à la charge de la personne responsable de l'installation illégale.

Nous devons nous doter de nouveaux outils dissuasifs et efficaces. Ceux-ci ne doivent pas être synonymes d'absence de dialogue, et c'est pourquoi je vous proposerai tout à l'heure un amendement sur la médiation, autre instrument indispensable.

La seconde question a trait au développement de nouvelles formes de divertissement nocturne. En la matière, la loi ne peut régler tous les problèmes, mais le « vivre ensemble » est aussi une affaire de bonnes pratiques. À cet égard, l'étude de quelques villes étrangères comme Amsterdam, Barcelone, Berlin ou Londres est riche d'enseignements. En outre, à la diversité des cas d'espèce correspondent les interventions ponctuelles, de nature réglementaire, des autorités locales. Reste que, sur un certain nombre de points, il revient à la loi de définir de nouvelles règles, voire d'initier la réflexion.

Aussi la proposition de loi comprend-elle quelques mesures destinées à prendre en considération les évolutions du divertissement nocturne.

Parmi celles-ci figure la création d'une nouvelle infraction : l'abus de recours aux numéros d'urgence pour tapage nocturne. En pratique, une personne confrontée à une situation de tapage nocturne peut s'adresser aux services de police par un appel téléphonique à un numéro d'urgence. Si de nombreuses situations conduisent légitimement à cette procédure, elle fait l'objet de certains abus alors même qu'un appel direct au commissariat de proximité permettrait de résoudre les problèmes.

Cette disposition pourrait utilement être complétée par l'institution dans chaque commissariat et chaque gendarmerie d'un « référent bruit » afin que les plaintes et demandes d'intervention ne demeurent pas lettre morte, ce qui exaspère nos concitoyens. Cette préconisation de nos collègues Philippe Meunier et Christophe Bouillon dans leur récent rapport d'information sur les nuisances sonores permettrait de redynamiser l'action des polices d'agglomération tout en développant les actions de médiation.

La proposition de loi prévoit deux autres mesures destinées à favoriser l'évolution de la réglementation applicable aux établissements à vocation nocturne : la première vise à ce que le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les conditions de sécurité des établissements à vocation nocturne ; la seconde consiste à expérimenter la délivrance pour une durée de six mois de la première autorisation accordée à un établissement à vocation nocturne. En effet, il ne faudrait pas « borner » de manière excessive l'horizon d'un établissement qui commence son activité.

Je présenterai un amendement visant à développer l'information des personnes qui s'installent ou envisagent de s'installer dans un logement urbain en ce qui concerne l'exposition aux bruits diurnes et nocturnes.

Je rappelle que la proposition de loi s'inscrit dans le cadre d'une séance dite d'initiative parlementaire du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC).

Je vous invite à considérer, loin des clivages partisans, le fond de ces questions que nous connaissons bien, à Paris comme dans toutes les grandes villes et dans de nombreuses communes touristiques.

Un dispositif voisin de celui que je vous propose en vue de la régulation du commerce a été proposé au Sénat par amendement au projet de loi de finances rectificative pour 2010, et cet amendement a été adopté. Le rapporteur général ainsi que le Gouvernement ont alors souligné l'intérêt de cette mesure. Et si cet article additionnel a été supprimé en commission mixte paritaire, c'est essentiellement parce que le collectif budgétaire ne semblait pas être le texte approprié pour intégrer une telle disposition.

Les échanges que nous avons eus sur le sujet en commission des Affaires économiques à l'occasion de la discussion du projet de loi sur la protection des consommateurs ont suscité le même intérêt, et cela sur l'ensemble des bancs.

J'ajoute que l'Assemblée nationale a adopté, le 30 novembre 2010, la proposition de loi de notre collègue Sébastien Huyghe destinée à lutter contre les « marchands de sommeil » et l'habitat indigne, texte qui contient un dispositif comparable d'astreinte administrative pour les propriétaires qui n'auraient pas réalisé les travaux requis dans les délais impartis.

Des améliorations peuvent certainement être apportées au dispositif que je propose. Je présenterai moi-même dans quelques instants des amendements à cet effet et je suis prête à examiner tous les aménagements qui nous seront proposés d'ici à la discussion du texte en séance publique, prévue le 6 octobre prochain.

Ce dispositif équilibré nous donne l'occasion d'oeuvrer à une meilleure conciliation des multiples intérêts en présence, au service d'une urbanité réussie, de jour comme de nuit, et je vous invite, mes chers collègues, à l'adopter.

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