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Intervention de Élisabeth Guigou

Réunion du 6 septembre 2011 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2011 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉlisabeth Guigou :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la situation de crise gravissime où nous sommes, alors que les places financières subissent les coups toujours plus rudes de la spéculation et que les marchés anticipent une récession économique aux États-Unis et en Europe, voilà qu'on nous présente un collectif budgétaire qui ne comporte aucune mesure pour soutenir la croissance et qui, de surcroît, ajoute au déficit 3,4 milliards d'euros supplémentaires par rapport à juillet dernier.

J'ai le regret de constater que, face à des déficits et à une dette publique sans précédent, le Gouvernement et le Président ne proposent rien d'autre qu'une prétendue règle d'or, qui ne règle rien et qui n'a pour objectif que de blanchir les déficits que votre gouvernement a lui-même créés. Je le rappelle, la Cour des comptes a récemment souligné que les deux tiers des déficits actuels résultent de la politique que vous avez menée.

Monsieur le ministre, la situation appelle des actes et non des rideaux de fumée. La règle d'or existe déjà, et depuis vingt ans, dans le traité de l'Union européenne que la France a signé, que notre Parlement a ratifié, et qui a une valeur juridique supérieure à la Constitution. Point n'est besoin de la réécrire dans la Constitution ; il suffit de l'appliquer, ce que vous n'avez pas fait depuis 2003, c'est-à-dire bien avant le début de la crise financière !

Sur le volet de votre projet de loi qui concerne les mesures du plan de rigueur gouvernemental présenté par le Premier ministre le 24 août denier, je me bornerai à quelques remarques.

L'heure n'est plus aux gadgets. La taxation des plus hauts revenus n'a d'exceptionnel que sa faible durée, jusqu'en 2013, et non ce qu'elle rapportera : à peine 200 millions d'euros, c'est-à-dire rien comparé à l'allégement de près de 2 milliards d'euros de l'ISF consenti avant l'été, alors même que la taxation des mutuelles de santé, pour plus de 1,1 milliard d'euros en 2012, touchera, elle, tous les ménages. Taxer la santé, c'est taxer tous les Français, surtout les plus fragiles d'entre eux. Or votre gouvernement a déjà usé et abusé de ce levier : depuis 2008, les taxes frappant les organismes d'assurance maladie complémentaire ont été multipliées par vingt !

Non seulement votre plan aggrave les injustices, mais il est de surcroît inefficace. Votre gouvernement passe à côté des véritables enjeux en ne mettant sur la table que des mesures gadgets dont aucune ne soutient la croissance, après un deuxième trimestre où l'activité a été nulle et alors que la situation de l'emploi ne cesse de se dégrader, avec 3 millions de chômeurs et plus de 5 millions de personnes en emploi intermittent ou précaire.

Vous auriez pu, pour réduire les déficits et la dette, retenir les propositions que les socialistes ont mises sur la table depuis plus de deux ans. Je les rappelle, au cas où vous auriez quelques remords : la suppression de niches fiscales, telles que la niche Copé qui a coûté près de 20 milliards en trois ans : la suppression de l'allégement de l'ISF – près de 2 milliards ; la suppression des avantages fiscaux liés aux heures supplémentaires, qui ont déjà coûté 18 milliards d'euros depuis leur instauration en 2007 et qui découragent l'embauche ; l'alignement de la taxation des revenus du capital sur celle des revenus du travail. Pourquoi refuser ces mesures de bon sens, monsieur le ministre ?

Pourquoi votre plan ne comprend-il aucune mesure de soutien à la croissance et à l'emploi, alors même que l'été meurtrier que nous venons de vivre résulte directement des anticipations récessionnistes des marchés, et alors même que seule la relance de la croissance peut rendre crédible le désendettement, non seulement chez nous, en France, mais aussi dans les pays surendettés de la zone euro ? Vous devriez nous écouter, supprimer les dizaines de milliards de niches fiscales improductives et affecter les économies ainsi réalisées pour moitié à la réduction des déficits et de la dette et pour moitié au soutien de l'activité et de l'emploi.

S'agissant du plan d'aide à la Grèce, la solidarité européenne doit se manifester, nous le disons depuis le début de la crise. Nous avons salué la création du Fonds européen de stabilité financière. Nous sommes favorables à l'augmentation de sa capacité effective de prêt et à la diversification des opérations que ce fonds est autorisé à réaliser pour soulager les États en difficulté de la zone euro. Mais je déplore que, une fois de plus, ces mesures ne soient pas à la hauteur de la crise qu'affronte la zone euro – la zone euro et non l'euro lui-même.

Malheureusement, une fois de plus, ces mesures arrivent bien tard. La crise frappe la Grèce depuis plus de deux ans. La superposition de différents plans de sauvetage n'a pas réussi à briser la spéculation. Au contraire, après l'Irlande, après le Portugal, la spéculation s'attaque à l'Italie, à l'Espagne et menace même notre pays. Comment rendre crédibles les promesses du sommet du 21 juillet alors que celles-ci ne seront applicables que dans plusieurs mois et que plusieurs États, après la Finlande, réclament des garanties supplémentaires ?

Face à la dégradation des finances publiques, vous n'avez cessé, et je le déplore, de tergiverser et de remettre à plus tard. Pourquoi, à partir de 2003, les ministres des finances de la zone euro n'ont-ils pas demandé des comptes aux autorités grecques ou exigé des audits renforcés sur l'état réel des finances du pays avant que la situation n'arrive au point de non-retour ? Parce que, dès 2003, vos gouvernements ne respectaient déjà plus la règle d'or du traité et dépassaient les 3 % de déficit, règle d'or que nous avions respectée, et au-delà, sous le gouvernement Jospin, comme l'a rappelé tout à l'heure Pierre-Alain Muet.

Pourquoi a-t-on laissé l'Espagne augmenter à ce point son endettement privé ? Peut-être pour que les autorités européennes ne regardent pas de trop près l'état de nos propres finances publiques.

Pourquoi avoir aidé l'Irlande à renflouer ses banques sans lui demander en échange d'augmenter son imposition sur les sociétés au niveau de la moyenne européenne, au lieu de fermer les yeux sur la concurrence déloyale que ce pays pratique pour attirer chez lui les sièges sociaux des entreprises ?

Vos responsabilités sont lourdes et ce que vous proposez, qui aurait peut-être été efficace il y a deux ans, est aujourd'hui très insuffisant. Vous ne cessez de courir après la crise sans jamais l'anticiper ni la juguler avec des mesures fortes, au niveau national comme européen. Vous savez bien que les moyens du Fonds européen de stabilité, même augmentés, sont notoirement insuffisants pour décourager la spéculation contre l'Italie et l'Espagne et que l'absence de mutualisation de la dette est le plus cruel révélateur de l'absence de gouvernance de la zone euro.

Face à cette crise qui menace l'euro et l'Union européenne elle-même, des réformes plus profondes du système économique et financier européen et mondial sont indispensables et urgentes.

Les chefs d'État européens ont annoncé la mise en place d'une gouvernance économique. Sur le principe, très bien ! Mais après, de quoi parle-t-on ? D'un engagement général ? D'un nouveau dispositif intergouvernemental de pur affichage et qui refuse tout contrôle communautaire sur les politiques fiscales et économiques des États membres de l'Union Européenne, alors qu'il faudrait harmoniser les fiscalités, coordonner les budgets, mutualiser les dettes, créer une agence de notation européenne publique et élaborer un plan de relance européen ? Personne n'apporte de réponse précise, aucune initiative d'envergure n'est proposée à l'heure où l'Europe est au bord du gouffre.

Les tergiversations de cet été autour de l'émission d'Eurobonds sont symptomatiques du chacun pour soi et de cette absence de volonté commune. Le Président de la République avait, dans un premier temps, affirmé sa volonté de parvenir à l'émission d'Euro-obligations qui permettraient aux pays européens en difficulté de retrouver des marges de manoeuvre. Or, lors de sa dernière rencontre avec Mme Merkel, M. Sarkozy a soudainement abandonné cette proposition. Pourquoi ? Parce que Mme Merkel lui a apporté un soutien public sur la prétendue règle d'or ?

Aucune décision n'est non plus annoncée pour durcir la réglementation des banques, alors que celles-ci ont bénéficié du soutien des finances publiques. Rien ne justifie que les contribuables paient pour des banques qui ont réalisé des opérations hasardeuses au moyen de produits toxiques.

Certes, le dernier sommet franco-allemand a permis d'aboutir à un accord sur une taxe relative aux transactions financières, mais aucune précision sur son montant et ses modalités n'a été donnée depuis. Monsieur le ministre, l'heure n'est plus aux annonces générales, mais à des actes forts et ciblés. Cette taxe, selon les modalités proposées par les socialistes européens depuis maintenant plus d'un an, aurait non seulement l'avantage de dégager des ressources pour des investissements utiles, mais aussi d'assurer la traçabilité de toutes les opérations financières.

Enfin, que comptez-vous proposer, monsieur le ministre, pour encadrer et contrôler les quelque 700 000 milliards d'euros de liquidités en circulation dans le monde, qui représentent plus de douze fois le produit intérieur brut mondial ! Et cette bulle continue de croire irrémédiablement de plus de 15 % chaque année depuis 2004. La commission d'enquête sur les pratiques spéculatives, présidée par Henri Emmanuelli, a formulé plusieurs propositions à ce sujet. Pourquoi, par exemple, la France ne propose-t-elle pas l'interdiction définitive des ventes à découvert ? Pourquoi ne fait-elle pas en sorte, avec l'Allemagne, que l'Union européenne adopte cette règle ?

J'espère, monsieur le ministre, que vous répondrez à ces questions. Les gouvernements auxquels vous avez participé portent la lourde responsabilité d'avoir aggravé les déficits et la dette par une politique fiscale irréfléchie et scandaleusement injuste. Nous avons, depuis septembre 2008, pris nos responsabilités en proposant des mesures correctives. Vous les avez refusées, et la crise s'est aggravée. Alors, aujourd'hui, écoutez et adoptez nos propositions pour la France et pour l'Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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