Merci, monsieur le président, de me permettre d'intervenir ce matin dans le débat. Comme je l'ai indiqué en commission, M. René Dosière, M. Didier Quentin et moi-même étions à l'origine d'une mission parlementaire qui devait étudier le fameux statut de la Polynésie de 2004. C'est dire si nous suivons avec attention et intérêt tout ce qui se passe dans notre belle Polynésie française – belle géographiquement, et non pas politiquement, comme je vais le montrer.
Pour essentiel qu'il soit, le débat qui s'ouvre à présent dans cet hémicycle n'en revêt pas moins un caractère profondément paradoxal.
En préambule, je précise que, puisqu'un accord général est survenu en Polynésie française entre les différentes forces politiques pour soutenir ce nouveau mode de scrutin, le groupe Nouveau Centre le votera et le soutiendra.
Le côté paradoxal de cet accord est que je n'y crois absolument pas. J'y reviendrai dans un instant. Mais je fais remarquer qu'il est assez curieux, finalement, de vouloir à chaque fois réguler par la loi ce qui devrait l'être par la morale et le civisme.
Si l'on en croit la présentation que vous êtes obligée de faire de ce projet de loi organique, madame la ministre, il s'agit en fait de chercher à répondre à l'instabilité chronique et, pour tout dire, au chaos institutionnel qui semblent s'être emparé de cette collectivité depuis l'entrée en vigueur du statut de 2004 – je partage, en cela, l'opinion de René Dosière –, imposé au forceps par M. Flosse alors que nous étions un certain nombre à expliquer les dangers qu'il allait engendrer pour la Polynésie française.
L'ironie de l'histoire, c'est que M. Flosse, véritable potentat dans son territoire, qui avait tous les pouvoirs en main, avait rêvé d'une majorité un peu plus confortable. Comme souvent dans les histoires, ce gourmand appétit a fini par ruiner son ambition initiale.
Je n'entends évidemment pas nier cette instabilité. En un peu plus de sept ans, onze gouvernements se sont succédé à la tête de la Polynésie : en arrière-plan, ce sont des majorités en recomposition permanente, fluctuant au gré des humeurs de chacun, ou plus souvent au gré des intérêts – intérêts personnels, intérêts politiques, intérêts des territoires et des îles représentés, mais également intérêts financiers de certains élus qui se font acheter pour changer de majorité à plusieurs reprises au cours du même mandat. Il faut dire que, là-bas, s'il y a des gens qui ont les moyens d'acheter des voix, c'est aussi parce qu'il y a des gens qui sont à vendre. Ce n'est pas un projet de loi organique qui y changera quoi que ce soit, mais les électeurs.
Chers collègues, je vous le dis du fond du coeur – et avec tout le respect que j'ai pour nos deux collègues députés de Polynésie, mais également pour notre ancienne collègue, Mme Vernaudon, que je tiens à saluer à mon tour –, la capacité que le Parlement a à voter des lois pour tenter de s'adapter à l'irresponsabilité, voire à la malhonnêteté de certains des responsables politiques élus en Polynésie, va avoir un terme. Je vous regardais, chers collègues, pendant l'intervention de René Dosière, et je voyais des sourires à l'évocation de tel ou tel comportement, mais je voyais aussi que ces sourires commencent à se lasser, comme la population de Polynésie, victime d'une invraisemblable crise économique, due bien sûr au contexte mondial, mais largement aggravée par cette instabilité et par l'irresponsabilité de certains élus du territoire. Tout le monde en a assez, et seuls les électeurs pourront appeler aux responsabilités une nouvelle génération politique, aussi bien du côté des indépendantistes que de celui des autonomistes, des gens qui sauront respecter à la fois les valeurs de la République, ses principes et les citoyens qui les ont mandatés, ce qui n'est plus le cas depuis bien des années.
Nous sommes amenés à accepter un mode de scrutin différent du précédent, ou des précédents, car, là-bas, on ne sait plus à quel saint se vouer. Si je comprends la démarche qui nous est proposée aujourd'hui, et si notre groupe est conduit à soutenir un processus auquel il ne croit guère, nous devons nous rappeler que c'est la crédibilité des élus de la nation et du Gouvernement aux yeux des Polynésiens qui est en jeu, même si le Gouvernement, comme l'ensemble de l'hémicycle, est victime des comportements que je dénonçais tout à l'heure.
Ce projet de loi abat l'une de nos dernières cartes politiques, mais nous ne sommes pas en mesure de garantir pour autant qu'il mettra fin à cette instabilité qui a profondément contribué au marasme économique, et c'est pourquoi nous sommes opposés à la tenue d'élections anticipées.
Sur le fond, la réforme électorale qui nous est proposée, dans sa version remaniée par le Sénat, ne favorisera pas le pluralisme. En témoigne le seuil retenu pour l'accès au second tour, trop élevé pour espérer mettre fin au tête à tête de MM. Flosse et Temaru. J'ai observé à ce propos une évolution de M. Dosière. Il y a quelques années, M. Flosse représentait pour lui le diable absolu : Dieu sait que ce n'est pas un saint, et la justice, enfin, fait son travail. Mais, aux yeux de M. Dosière, M. Temaru était, lui, la sanctification incarnée. En vérité, M. Dosière s'en est aperçu, c'est le duo infernal entre Oscar et Gaston, comme on les appelle là-bas, qui paralyse la vie politique et économique, qui empêche la Polynésie d'avancer vers un avenir économique construit, vers une confiance entre les citoyens. Ces soi-disant ennemis jurés en sont d'ailleurs arrivés à s'entendre à plusieurs reprises pour que l'un, M. Temaru, indépendantiste patenté, redevienne président du gouvernement de la Polynésie, tandis que, par le soutien qu'il lui apportait, il renvoyait M. Flosse au Sénat. Cette complicité doit être dénoncée, qui trahit le plus profond mépris pour les électeurs et les citoyens de la Polynésie française.
Si l'instabilité ne peut pas être réglée par une loi électorale, le projet en question présente des qualités. Je l'ai dit en commission, la disposition qui prévoit la majorité des trois cinquièmes pour une motion de défiance me paraît dangereuse. Je comprends l'intention du texte, mais nous risquons de nous retrouver dans la situation où il n'y aura plus de majorité pour adopter les textes, mais où il n'y en aura pas davantage pour changer de gouvernement. En acceptant que la motion de défiance nécessite une majorité des trois cinquièmes, je pense que nous aggravons le problème, car, là-bas, avec certains des élus actuels, trois cinquièmes, ça peut s'obtenir facilement.