…car la victime pourrait alors être en position accusatoire devant le juge, et le parquet n'aurait plus grand-chose à faire. On ne peut pas, au gré d'un amendement voté en commission, si intéressant soit-il, bouleverser aussi profondément notre conception de l'action publique. Qu'il y ait des réflexions sur le sujet, qu'il y ait débat, me semble tout à fait normal, mais je ne pense pas que l'on puisse, dans de telles conditions, modifier à ce point la conception de l'exercice de l'action publique dans notre pays.
Je précise que la mesure proposée visant uniquement les arrêts des cours d'assises, l'amendement de suppression du Gouvernement ne porte que sur ce sujet. Je veux rappeler à l'auteur et aux cosignataires de l'amendement qui a conduit au nouvel article 1er quater qu'ils ont quelque peu négligé un point : le texte du Gouvernement prévoit une obligation de motivation des décisions rendues par les cours d'assises. Bien évidemment, le parquet ne décidera de faire ou non appel qu'au vu de la motivation de la cour. On ne sera plus du tout dans le système où il s'agissait d'un arrêt sec et où on ne savait pas pourquoi les jurés avaient pris telle ou telle position. Maintenant on saura pourquoi, et si le parquet décide de ne pas faire appel dans ces conditions, on ne peut pas accepter un conflit entre la victime et le ministère public.
J'ajoute que ce serait un faux espoir pour la victime. En effet, si le parquet décide de ne pas faire appel, c'est qu'il est convaincu qu'il n'y a pas lieu de le faire, et transformer l'appel en une des modalités d'enclenchement de l'action publique ne le convaincrait pas plus : il pourrait dès lors, bien entendu, requérir l'acquittement.
Il y a encore un autre argument sur le plan pratique : l'appel en matière criminelle a le même nom qu'en matière correctionnelle, mais pas tout à fait le sens. En matière correctionnelle, il y a une hiérarchie, avec un tribunal de première instance, puis la deuxième instance, à savoir le tribunal correctionnel et, au-dessus, la chambre correctionnelle de la cour d'appel. La hiérarchie est claire : il suffit de regarder comment le CSM procède aux nominations. S'agissant des cours d'assises, il n'y a pas de hiérarchie : la cour d'assises de la première instance est exactement au même niveau que la cour d'assises de l'appel. L'appel a certes été institué, mais ce n'est pas un appel au sens correctionnel du terme. L'appel en matière criminelle, devant une cour d'assises, c'est une deuxième chance donnée à celui qui a été injustement condamné. On changerait profondément le système si l'on modifiait le dispositif actuel, parce que c'est un jury populaire qui, à la majorité, prononce la condamnation. C'est la raison pour laquelle il ne peut y avoir un jury plus fort qu'un autre jury : dans tous les cas, c'est le peuple qui s'est prononcé. Cette deuxième chance, c'est l'application de ce qu'écrivait La Bruyère : « Un innocent condamné est l'affaire de tous les honnêtes gens. » Il s'agit simplement de donner une deuxième chance et rien d'autre.
Et puis j'en viens aux dispositions constitutionnelles et conventionnelles. Je suis très attaché aux dispositions constitutionnelles. Je sais que c'est un peu moins à la mode aujourd'hui…