Je voudrais profiter de cet amendement de suppression pour lever certaines équivoques.
Monsieur le ministre, notre propos n'est pas de nous opposer au fait d'associer les citoyens à l'action de la justice, cela se pratique déjà dans les cours d'assises, dans les chambres d'application des peines, dans les tribunaux pour enfants, et nous pensons que ce système d'échevinage, en particulier dans les tribunaux pour enfants, est une bonne chose qu'il faut maintenir. Mais entre ce dispositif qui existe déjà et les propositions que vous faites, il y a un pas qu'on ne peut pas franchir.
La justice actuelle manque déjà de moyens. Je ne vois pas comment elle pourra faire face à tout ce qui va lui être demandé par ce projet de loi, en termes de personnels, de locaux, ou tout simplement parce que ces nouveaux assesseurs ne seront pas compétents immédiatement. Un ralentissement est inévitable.
Même si l'intention de départ est tout à fait louable, les effets boomerang que cette réforme va induire vont complètement la contrarier. Au bout du compte, cela risque d'éloigner les Français de la justice parce que ce qu'ils attendent avant tout – les enquêtes d'opinion le montrent –, c'est une justice rapide, réactive, qui émette des jugements dans des délais raisonnables. Et ceci est encore plus vrai lorsqu'il s'agit des mineurs, vous le savez. Tout ce qui ralentit la justice va donc dans le mauvais sens.
Enfin, monsieur le ministre, vous avez, avec pertinence, évoqué au Sénat la notion de pédagogie. Je ne suis pas convaincu que le seul fait d'associer des citoyens assesseurs à un certain nombre d'actions soit une manière de répondre à ce souci, même si cela peut être intéressant. Il me semble que la pédagogie a un lieu privilégié d'exercice, c'est l'école. On pourrait réfléchir à des programmes scolaires, avec des niveaux d'expérimentation et des sujets adaptés à l'âge des élèves. On pourrait faire tout un travail sur la justice qui concernerait l'ensemble d'une génération, avec des élèves de tous les milieus.
Si la France a un problème avec sa justice, c'est qu'elle semble un monde si extravagant et si étranger que les citoyens ne s'y retrouvent pas. Il faut donc d'abord, dès l'école, puis au collège et au lycée, expliquer ce qu'est la justice, pour développer ensuite l'éducation populaire, à travers les médias, par exemple, en s'appuyant de façon didactique sur des procès ou des enquêtes exemplaires. À ce moment là seulement, les citoyens, familiarisés avec cet univers, seront aptes à être associés à la justice.
La pédagogie est une chose sérieuse ; elle doit se pratiquer en amont pour préparer les esprits. Il ne s'agit pas de former des têtes bien pleines mais des têtes bien faites.