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Intervention de Christian Jacob

Réunion du 10 mai 2011 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Jacob :

Avant de répondre à vos nombreuses questions, je vous rappelle que je suis devant vous en tant qu'ambassadeur de l'industrie et non en tant qu'homme politique – même si je l'ai été dans le passé. Je vous dirai ce que je sais et vous ferai partager mes idées, nées de mon expérience, comme je le fais face à l'administration et aux parlementaires de pays voisins. Bien que les sujets qui concernent l'industrie aient souvent une connotation politique, je ne les porte pas sur un plan politique mais en tant qu'homme issu du monde de l'industrie. Je mets mon expérience au service de ceux qui voudront bien la considérer.

Je précise par ailleurs que je fais ce travail à titre bénévole. Ne percevant aucune rémunération, je travaille dans la plus grande indépendance d'esprit, sans subir d'autres influences que celles que je veux bien accepter et qui me paraissent être les bonnes. Je ne participerai donc pas aux polémiques sous-jacentes aux propos qui ont été tenus.

S'agissant de la fiscalité locale, je peux vous dire, pour avoir travaillé pendant plus de dix ans sur ce sujet, que la réforme engagée, bien qu'insuffisante à mes yeux, présente un grand intérêt pour les entreprises industrielles. Je vous rappelle qu'avant la réforme, l'industrie était le redevable quasi unique de taxe professionnelle puisque celle-ci reposait sur les immobilisations physiques des entreprises, c'est-à-dire l'investissement. Or 85 % des investissements physiques sont réalisés par l'industrie, à qui l'on reproche pourtant de ne représenter que 14 % de la valeur ajoutée. La fiscalité locale finissait par reposer essentiellement sur l'industrie puisque celle-ci contribuait pour 60 % au financement de la taxe professionnelle.

J'indique que la contribution économique territoriale, qui remplace la taxe professionnelle, entre dans le calcul du prix de revient d'un produit et apparaît dans le compte d'exploitation d'une entreprise avant même la définition du résultat opérationnel. C'est d'ailleurs pourquoi certaines entreprises étrangères ont ainsi choisi de s'implanter dans la ville ou dans le département qui leur permettait de présenter une meilleure rentabilité opérationnelle.

Je ne discute pas de la nécessité pour les collectivités territoriales de percevoir des ressources – je m'en garderai bien, ayant eu à en connaître dans une autre vie – mais l'industrie est un secteur intégralement soumis à la concurrence internationale. La crêpière de Redon n'est pas soumise à la concurrence internationale, tandis que le petit entrepreneur industriel, lui, y est totalement soumis. Il ne m'appartient pas de dire aux élus locaux ce qu'ils doivent penser, dire et faire, mais il faut garder cette réalité à l'esprit. Je pense pour ma part que la barque des industries n'a pas été suffisamment déchargée : il ne faudrait pas la charger à nouveau.

J'en viens à la question de la compétitivité-coût. C'est à dessein que je n'utilise pas le terme « coût du travail » car derrière le « coût du travail » il y a le « coût du salaire ». Or il n'est absolument pas question de baisser les salaires.

Dans notre pays, pour des raisons historiques, le financement des régimes sociaux, tout au moins les branches maladie et famille, repose essentiellement sur les entreprises. Si les niveaux de prélèvement sont acceptables pour des métiers qui ne sont pas soumis intégralement à la concurrence internationale, ils ne le sont plus pour l'industrie.

Beaucoup me disent qu'ils aimeraient pouvoir comparer les prélèvements fiscaux et sociaux qui pèsent sur les entreprises dans différents pays. Ces comparaisons existent, et je vous assure qu'elles ne sont pas favorables à la France. Cette réalité ne doit pas susciter de polémiques, mais nous devons en tirer les conséquences si nous voulons redonner à nos entreprises la possibilité de se développer, en entraînant l'ensemble de la croissance, de la richesse et de l'emploi dans notre pays. Car la croissance ne viendra que de l'industrie.

Les Allemands l'ont bien compris. Leur situation est à peine meilleure que celle des Français, mais, après d'importantes difficultés, l'Allemagne a retrouvé la voie de la croissance – d'une croissance acceptable, en tout cas meilleure que celle de la France. Gardez cela à l'esprit, mesdames et messieurs les députés. On peut aborder cette question sous différents angles politiques, mais on ne peut pas l'escamoter. Tous les industriels implantés sur le territoire national vous feront la même réponse.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur la solidarité interprofessionnelle. Il est incontestable que l'un des grands problèmes auxquels notre pays est confronté, et qui nous a coûté extrêmement cher, vient de la façon d'agir d'un certain nombre de têtes de filières qui ont véritablement laissé tomber leurs sous-traitants pour délocaliser leurs achats – opération qui consiste à acheter à l'extérieur des éléments de leur production à un coût inférieur. Il s'agissait d'une forme de snobisme. Il y a quatre ou cinq ans, au cours d'une réunion de fournisseurs organisée par l'une de nos grandes sociétés, le représentant de la société a tenu ces propos : « Dans dix-huit mois, 70 % des achats de composants devront être réalisés à l'étranger. Ceux qui y parviendront resteront nos fournisseurs, les autres disparaîtront ». Cette réflexion m'a naturellement mis en rage tant je suis attaché à l'industrie et à sa présence sur notre territoire.

De tels propos n'ont plus cours. Le dialogue au sein des filières s'organise de façon plutôt satisfaisante. Il existe toujours des tensions et M. Jean-Claude Volot, le médiateur des relations inter-entreprises industrielles et la sous-traitance – c'est lui qui a initié la charte de bonnes pratiques entre donneurs d'ordres et sous-traitants – accomplit un excellent travail, qu'il ne peut naturellement pas exposer sur la place publique. Il reçoit les doléances des sous-traitants et les renvoie aux donneurs d'ordres de façon anonyme – car les petites entreprises ne souhaitent pas se fâcher avec leur grand client – avant de négocier des changements de comportement. Il a pour objectif d'amener les grandes entreprises à adhérer à cette charte et à la respecter. Je ne sais pas, madame Massat, si le Gouvernement entend déposer un texte de loi sur le sujet, ni si c'est souhaitable. Je vous invite à poser la question à M. Volot, voire au ministre de l'industrie.

Il existe en effet des filières européennes structurées, et le secteur ferroviaire en est un très bon exemple. Mais souvenez-vous aussi de ce qui s'est passé avec Siemens, l'un des deux grands acteurs européens : ayant bénéficié d'un transfert de technologie de la part de ce groupe, la Chine était en mesure, cinq ans plus tard, de construire des trains à grande vitesse de très grande qualité. Ce sont ces trains qui concurrenceront bientôt les trains européens sur les marchés du monde entier, sachant que les Chinois ne respectent pas les règles du commerce international et bénéficient de coûts de production très inférieurs aux nôtres. La société Siemens, consciente de ce problème, semble vouloir maintenant entreprendre des réalisations communes avec Alstom – et même avec la société canadienne Bombardier. L'Europe doit soutenir cette initiative, moins en engageant des moyens financiers qu'en contrôlant très fermement les conditions de concurrence dans lesquelles les États de l'Union seront placés par rapport à la Chine.

Cela m'amène à la question délicate des aides que les entreprises perçoivent dans un certain nombre de pays mais qui leur sont interdites en Europe – laquelle s'est dotée de règles très strictes en la matière. Il faut que l'Europe évolue et que nous soyons moins naïfs. Ces questions majeures nécessitent plus d'intelligence que d'investissements. Nous sommes confrontés à une situation mondiale qui n'est pas, à mon sens, parfaitement comprise par les institutions européennes et les pays de l'Union européenne. Je compte beaucoup sur les parlementaires européens, dotés de leurs nouvelles prérogatives, pour amener la technostructure de la Commission à regarder les choses différemment. Mais il faut faire vite car le temps nous est compté.

Les petites et moyennes entreprises françaises, qui constituent l'essentiel de la structuration de l'industrie, sont généralement sous-capitalisées, et ce pour de multiples raisons qui tiennent à l'histoire des quarante dernières années. Sachez qu'aujourd'hui aucune institution bancaire n'investit en fonds propres ou en fonds longs dans les entreprises, mis à part ces quelques pseudopodes qui restent attachés au territoire : la Banque populaire, le Crédit agricole, la Caisse d'épargne et le Crédit mutuel. L'argent ne peut provenir que d'investisseurs individuels, qui n'y sont guère poussés car en France le ratio entre le risque pris et la fiscalité n'est pas favorable – mieux vaut placer son argent dans une institution qui le fait prospérer gentiment, ou encore le placer à l'étranger, comme le font certains.

La disposition qui permet de réduire son montant d'ISF en investissant dans les PME a apporté quelques capitaux à ces dernières. Cette disposition semble devoir être maintenue, et nous nous en félicitons. Mais nous avons besoin de plus de fonds d'investissements qu'il n'en existe aujourd'hui, des fonds d'investissements qui ne soient pas dominés par les grands fonds internationaux, lesquels, après avoir été affaiblis par la crise, reviennent en force grâce à la technique du LBO (Leverage Buy Out), dont la seule finalité est de permettre à l'investisseur d'obtenir un rendement élevé et rapide…bref, un système qui fait beaucoup de mal à nos industries.

Nous devons parvenir à mettre en place des systèmes permettant d'injecter l'épargne française dans l'industrie. Les compagnies d'assurance réunissent actuellement 1 400 milliards d'euros d'épargne. Recevoir ne serait-ce qu'1 % de cette épargne, soit 14 milliards d'euros, serait un formidable atout pour les entreprises. Cette question a été abordée lors des États généraux de l'industrie.

Mesdames et messieurs les parlementaires, je vous conseille d'agir très rapidement. Les patrons des compagnies d'assurance française que j'ai rencontrés m'ont fait part de leur inquiétude face aux réglementations Bâle III et Solvency II qui sont en train de se mettre en place en matière de régulation financière mondiale. Ces réglementations, par ailleurs nécessaires, risquent d'inciter les organismes financiers, en particulier les compagnies d'assurance, compte tenu des ratios de fonds et des précautions qui leur seront demandés, à ne plus investir dans les produits à risques – donc dans les PME. C'est un sujet difficile, qui nécessite un énorme travail de réflexion. S'il fallait hiérarchiser les mesures à prendre, en voilà une qui me paraît prioritaire et qui n'est pas trop difficile à mettre en oeuvre.

Il est également prioritaire de restaurer la compétitivité des coûts. Il ne s'agit pas de diminuer les prestations sociales ou d'abaisser le statut social de notre pays, mais de trouver une autre façon de faire. Celle-ci existe, mais elle suppose quelques changements d'organisation fiscale.

Le soutien à la recherche, au développement et à l'innovation est absolument essentiel dans notre pays. Selon l'agenda de Lisbonne, chaque pays européen devait avoir pour objectif de consacrer 3 % de son PIB à la R&D. La France n'y est pas parvenue, pas plus que tous les autres pays de l'Union européenne. Toutefois, notre pays, qui se situe dans la moyenne des pays européens, sensiblement en dessous de l'Allemagne, consacre 2 ou 2,1 % de son PIB à la R&D. Pour atteindre les 3 %, il appartient aux entreprises de consentir un effort. Mais pour qu'elles puissent faire un tel effort, encore faut-il qu'elles en aient les moyens ; or, contrairement aux très grands groupes qui investissent en France et ailleurs, les entreprises intermédiaires implantées dans notre pays ne les ont pas et elles ne pourront le faire que lorsque leur rentabilité sera accrue. Nous pouvons les aider avec des moyens publics – ce que nous faisons avec le crédit impôt recherche – mais ces soutiens ne peuvent être que temporaires et ne servent qu'à les aider à faire face à une situation dégradée. L'effort public doit être poursuivi, mais il n'est pas une fin en soi. Le rôle de l'État n'est pas de soutenir en permanence l'investissement dans les entreprises.

Quant aux crédits du grand d'emprunt et aux investissements d'avenir, ils ne sont pas destinés aux process de production ou aux produits proprement dits : leur intervention doit avoir lieu très en amont pour permettre à un projet de vivre sous un angle capitalistique et entrepreneurial. Ainsi, le grand emprunt finance des appareils ou des centres d'essais capables de juger de la fiabilité d'un projet et de le mettre en route avant que les entreprises prennent le relais. Cette démarche, qui existe depuis toujours dans notre pays, a débouché sur ces grandes réussites technologiques que sont le TGV ou le Concorde. D'autre part, les financements du véhicule électrique et de l'avion du futur se mettent en place. Pour en savoir plus, il suffit de prendre connaissance des décisions du Commissariat général à l'investissement, qui sont publiques.

À propos des grands groupes, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit : nous sommes très heureux d'avoir des grands groupes en France, surtout qu'un grand nombre d'entre eux se placent parmi les cinquante premiers mondiaux. Les grands groupes entraînent beaucoup d'entreprises derrière eux, mais, du fait de leur dimension internationale, ils sont souvent installés à l'étranger. Ainsi, le groupe Danone, premier fabriquant mondial de yaourts, est présent dans le monde entier pour y vendre ses produits, mais son centre de recherches est situé en France. Peut-on reprocher à ses dirigeants de vouloir optimiser leur fiscalité ? Et peut-on les en empêcher ? Il me semble que si nous avions pu le faire, nous l'aurions fait depuis longtemps…

Les grands groupes réalisent l'essentiel de leurs bénéfices en dehors de la France et paient des impôts, à un taux peu élevé, en dehors de l'Hexagone –souvent dans des pays avec lesquels nous avons des accords fiscaux qui ne prévoient pas la double imposition. Et lorsqu'ils rapatrient une partie de leurs bénéfices en France, ils ne repassent naturellement pas à la caisse...Il faut dire à ces gens-là qu'ils ont vis-à-vis de la France des responsabilités – qu'ils n'ont pas toujours assumées – et qu'ils doivent rester en France, y conserver leurs centres de décisions et une grande partie de leurs centres de recherches, qu'ils doivent continuer à avoir un effet d'entraînement pour les sous-traitants et à porter l'image de la France.

Mais il ne faudrait pas oublier les entreprises industrielles implantées dans notre pays car ce sont elles qui offrent des emplois, fabriquent la richesse et assurent – malheureusement de moins en moins – la stabilité et l'animation de nos régions et de nos communes. Vous savez bien que les difficultés d'une entreprise industrielle sont une catastrophe pour le territoire tout entier – d'autant que les personnes qui y travaillent sont souvent très impliquées dans la vie locale. Les Allemands ont réussi à inscrire les entreprises dans les territoires car cela correspond à leur tradition fédérale, mais aussi parce que l'affectio societatis qui existe entre les entreprises et la région est beaucoup plus forte en Allemagne.

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