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Intervention de Philippe Gosselin

Réunion du 30 mars 2011 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gosselin, rapporteur :

Notre Commission est aujourd'hui saisie, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la garde à vue, visant à mieux encadrer le recours à cette mesure privative de liberté, à améliorer la garantie des droits des personnes qui y sont soumises tout en assurant – objectif essentiel – la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions. Il faut trouver un équilibre entre le respect des droits de la défense et la nécessité, pour les forces de l'ordre, de travailler en toute sérénité.

Après avoir été adopté en première lecture par notre Assemblée le 25 janvier dernier, ce projet a été discuté au Sénat les 3 et 8 mars et très largement approuvé dans ses principales dispositions. Ainsi, sur les 27 articles que comportait le texte de l'Assemblée, sept ont été adoptés conformes et le Sénat n'a introduit qu'un seul article additionnel, le 17 bis, relatif aux coordinations en matière de retenues douanières à Mayotte, qui deviendra dans quelques jours le 101ème département français.

Une très large convergence de vues s'est manifestée entre les deux assemblées. Le Sénat a complété et conforté le travail que nous avions accompli en première lecture ; l'équilibre que nous avions trouvé a été préservé. Je tiens à souligner la qualité du travail accompli par le rapporteur de la commission des lois du Sénat, M. François Zocchetto, ainsi que celle de la discussion qui a suivi.

Les nouvelles améliorations apportées au projet par le Sénat sont pleinement conformes à l'esprit qui avait animé notre discussion en première lecture : il s'agit de concilier renforcement des droits des personnes et préservation de la sécurité de nos concitoyens.

Je reviendrai brièvement sur sept aspects du texte sur lesquels j'avais indiqué, en première lecture, que le texte devait être amélioré et complété.

Premier sujet : la suppression de l'« audition libre », assortie d'un meilleur encadrement des auditions hors garde à vue. Notre Commission avait, en première lecture, supprimé l'« audition libre » telle qu'elle figurait dans le projet de loi initial. Le Sénat a pleinement approuvé notre position. Les deux chambres ont toutefois estimé nécessaire d'assortir cette suppression d'un meilleur encadrement des auditions réalisées hors garde à vue, afin que l'ensemble du dispositif soit dépourvu d'ambiguïtés.

Pour cela, a d'abord été posée, à l'article 1er A, l'interdiction de fonder une condamnation, en matière délictuelle ou criminelle, sur les seules déclarations faites par une personne, sans que celle-ci ait pu s'entretenir avec un avocat et être assistée par lui – le Sénat a rendu ces deux dernières conditions cumulatives. C'est le principe de « non auto-incrimination ».

Ensuite, a été affirmé, à l'article 11 bis, le caractère non obligatoire de la garde à vue dans trois hypothèses, même si les conditions en sont réunies : en cas d'arrestation par une personne n'appartenant pas à la police ou à la gendarmerie de l'auteur présumé d'un crime ou d'un délit flagrant ; après un placement en cellule de dégrisement ; après un contrôle d'alcoolémie ou un dépistage de stupéfiants au volant.

Deuxième sujet : le contrôle de la garde à vue par le procureur de la République. Nos deux assemblées se sont accordées pour confier au procureur le contrôle de la garde à vue et son éventuelle prolongation dans les quarante-huit premières heures, tout en apportant une précision importante : ce contrôle s'exerce sous réserve des prérogatives du juge des libertés et de la détention (JLD).

Troisième point : la reconnaissance de nouveaux droits à la personne gardée à vue. La discussion parlementaire a permis, d'une part, d'introduire dans le texte la notification par un interprète de ses droits à la personne ne comprenant pas le français, d'autre part, d'ajouter à la liste des tiers que la personne peut faire prévenir son tuteur ou son curateur, si elle fait l'objet d'une mesure de protection juridique, et les autorités consulaires de son pays si elle est étrangère.

Quatrième point : le droit renforcé à l'avocat. C'est le coeur de la réforme, liée tant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) qu'à celle, en droit interne, du Conseil constitutionnel et de la Cour de Cassation.

Tout d'abord, tout en approuvant le principe du délai de carence, le Sénat a prévu que l'audition pourra commencer avant l'expiration de ce délai si l'avocat se présente plus tôt ou si l'audition porte « uniquement sur les éléments d'identité ». Cela facilitera le travail des enquêteurs et accélérera la réalisation des tâches les plus administratives, tout en préservant les droits de la personne mise en cause.

Ensuite, le Sénat a davantage encadré la possibilité de déroger au droit à l'assistance d'un avocat. Tout d'abord, il a précisé que la décision de reporter la présence de l'avocat aux auditions ne peut être prise qu'« à titre exceptionnel » et doit être motivée « au regard des éléments précis et circonstanciés résultant des faits de l'espèce ». Ensuite, tout en maintenant l'exigence de forme d'une décision écrite et motivée du procureur de la République pour déroger au délai de carence, le Sénat en a assoupli les conditions de fond : cette décision pourra être prise « lorsque les nécessités de l'enquête exigent une audition immédiate de la personne ». Cette souplesse supplémentaire va dans le bon sens. Enfin, le Sénat a ajouté la possibilité de reporter, pendant douze heures supplémentaires, la consultation par l'avocat des documents de la procédure auxquels il a normalement accès ; là encore, c'est une amélioration qui ne modifie pas l'équilibre général du dispositif.

Cinquième point : les prérogatives et les obligations de l'avocat, dont la discussion parlementaire a permis de définir de façon plus satisfaisante les conditions d'intervention. Le Sénat a instauré l'obligation, pour un avocat appelé à assister plusieurs personnes gardées à vue dans une même affaire, de dénoncer le conflit d'intérêts qu'il serait amené à constater ; en cas de divergence d'appréciation sur ce point avec l'avocat, l'OPJ ou le procureur pourront saisir le bâtonnier afin que celui-ci désigne un autre défenseur : c'est un système un peu différent de celui que nous avions imaginé, mais l'essentiel est de traiter la question du conflit d'intérêts. Par ailleurs, pour les auditions simultanées de plusieurs personnes placées en garde à vue et assistées par le même défenseur, le Sénat a maintenu la possibilité – introduite à l'Assemblée nationale par un amendement de notre collègue Jean-Paul Garraud –, pour le procureur de la République, d'office ou à la demande de l'officier ou l'agent de police judiciaire, de saisir le bâtonnier afin que soient désignés plusieurs avocats. Cette disposition va également dans le sens de l'efficacité.

Sixième point : les régimes dérogatoires. Nous avons souhaité les maintenir, tout en les encadrant et en les traitant au cas par cas, conformément aux exigences de la CEDH. En ce qui concerne le régime applicable en matière de criminalité organisée, le Sénat, là encore, a approuvé le dispositif adopté par l'Assemblée nationale, n'y apportant qu'une seule modification : la liste d'avocats habilités en matière de terrorisme sera, selon le texte sénatorial, « établie par le bureau du Conseil national des barreaux sur propositions des conseils de l'ordre de chaque barreau », alors que le texte adopté par notre assemblée prévoyait que les avocats inscrits sur cette liste seraient « élus par le Conseil national des barreaux ». Il faudra trouver un mode d'établissement qui garantisse que les avocats susceptibles d'être liés à des mouvances terroristes ne puissent figurer sur la liste. À mon sens, seule une élection peut l'assurer.

Dernier point : l'assistance de la victime – pour laquelle le projet de loi initial ne prévoyait aucun droit nouveau, alors même que l'on faisait bénéficier la personne gardée à vue, pendant toute la durée de sa garde à vue, de l'assistance d'un avocat. Il y avait là un déséquilibre : il n'était pas envisageable, sur le plan de l'égalité des armes, qu'une victime puisse être confrontée à une personne assistée par un avocat sans bénéficier elle-même d'une assistance. L'amendement que je vous avais proposé pour permettre cette assistance avait été adopté, et le Sénat a approuvé cette disposition ; c'est un message essentiel adressé aux victimes.

Au total, nous sommes parvenus à un texte équilibré, garantissant les droits de la défense tout en permettant aux services d'enquête de travailler dans de bonnes conditions. Demeurent certes la question des moyens, déjà évoquée et qui dépasse le cadre strict de ce texte, ainsi que la question des réorganisations à opérer : je pense au fonctionnement des barreaux, comme à la nécessaire adaptation des forces de police et de gendarmerie au nouveau système. Mais le texte qui nous revient du Sénat me paraît satisfaisant car l'essentiel y figure. C'est pourquoi une adoption sans modification me paraît non seulement possible, mais souhaitable ; elle permettrait notamment, si la loi était publiée dès le mois d'avril, de rendre les nouvelles règles applicables dès le 1er juin, sans attendre la date butoir du 1er juillet fixée par le Conseil constitutionnel et la Cour de Cassation, ni les difficultés supplémentaires qui pourraient apparaître en avril.

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