Je dois à la vérité de reconnaître que, sur le fond, il est important d'examiner la proposition de loi que nous soumet le groupe socialiste.
Dans l'exposé des motifs, nos collègues se livrent à un rappel de faits historiques et sociaux qui, pour une large part, rejoint les observations que font, tous les jours, les parlementaires du Nouveau Centre, en particulier ceux qui, comme moi, représentent une circonscription où coexistent des zones urbaines à forte densité de population et d'activité et des campagnes plus traditionnelles.
Oui, il est déjà loin, le temps où, il y a presque quarante ans, certains de nos prédécesseurs de toutes tendances politiques dénonçaient le ramassage scolaire et la fermeture de l'église, le départ de l'instituteur et celui du curé, comme les signes avant-coureurs d'un déclin irréversible.
Il a fallu apprendre progressivement à penser « rural » plus largement qu'« agricole », même si, dans la mentalité collective comme dans notre propre vision de la société, la nostalgie de la vie traditionnelle des campagnes pouvait nous habiter : on se souvient d'une célèbre affiche de la campagne présidentielle de 1981.
S'il fallait citer un exemple symbolique de cette adaptation nécessaire, j'invoquerais volontiers l'évolution des formations dispensées dans les maisons familiales rurales, qui ont progressivement débordé le secteur proprement agricole pour s'étendre aux métiers artisanaux puis aux services à la personne, la localisation à la campagne devenant plus déterminante que le rattachement strict à l'activité agricole.
L'exposé des motifs de la proposition de loi le rappelle à juste titre : nous assistons depuis quelques années à une nouvelle phase du processus. Désormais, il ne s'agit pas seulement d'une diversification des activités dans les campagnes, mais d'un véritable renversement de la tendance à l'accroissement des villes : en trente ans, 2,5 millions de citadins sont venus s'installer à la campagne.
Quand nos collègues socialistes écrivent : « À ce moment de notre histoire, il serait vain d'opposer villes et campagnes : elles se complètent et se renforcent », nous pouvons nous rejoindre sur l'affirmation mais pas nécessairement sur les conséquences. C'est là tout le fond de notre débat.
Il serait malhonnête de nier que des raisons économiques peuvent conduire des foyers aux ressources limitées à choisir de s'installer à la campagne pour réduire les charges courantes de la vie, mais ces foyers ne pourraient pas le faire s'ils ne trouvaient à la campagne que le « désert français » auquel semble renvoyer la proposition de loi socialiste.
En fait, le mouvement de retour au territoire rural auquel on assiste actuellement n'est possible et viable que parce qu'il existe à la campagne des traditions locales de vie collective et des réseaux de services publics bien organisés. Ce véritable « atout rural » est d'ailleurs une spécificité française, et nous avons eu raison, toutes tendances confondues, d'en souhaiter le maintien lorsqu'elle paraissait remise en cause par certaines orientations européennes.
Est-ce à dire que des aménagements, des réformes, ne sont pas souhaitables ? Non. L'évolution de la société rurale nous oblige à des adaptations si, du moins, nous voulons maintenir la qualité de vie en zone rurale pour des populations nouvelles et dans une conjoncture sociale largement inédite.
Je voudrais évoquer rapidement trois domaines où ces adaptations nous paraissent particulièrement souhaitables.
L'accès aux soins d'abord.
Le groupe Nouveau Centre est attaché à ce que soit concrètement assurée l'égalité d'accès aux soins et aux services de santé essentiels ; aussi approuve-t-il les initiatives que le Gouvernement a prises, qu'il s'agisse de la création de maisons de santé pluridisciplinaires, des bourses à l'installation pour les médecins et d'autres professionnels de santé, du développement de conventions entre les hôpitaux publics et les praticiens exerçant à proximité, etc.
Cependant, nous savons tous qu'il reste beaucoup à faire pour assurer une couverture médicale satisfaisante des zones rurales. Des spécialités à portée universelle, comme la pédiatrie, ne sont pas toujours convenablement représentées. Sur ce point, la situation des campagnes et celle des banlieues se rejoignent, illustrant ainsi la transformation des rapports entre zones urbaines et zones rurales que j'évoquais au début de mon propos.
La proposition de loi, inspirée sans doute du critère qui présida en 1789 au choix des préfectures, privilégie une approche en termes de temps de déplacement. Le groupe Nouveau Centre, pour sa part, préconise l'étude d'un numerus clausus régional, conçu pour améliorer la répartition territoriale des professionnels de santé.
Deuxième point de réflexion : la fracture numérique.
Parce qu'il suppose et permet un accès universel et permanent à toutes sortes d'informations, le numérique ne peut voir son complet développement limité aux seules zones urbaines. On ne peut qu'être d'accord avec ce constat de bon sens.
Il est vrai également qu'une réflexion sur les plages horaires d'ouverture des principaux services publics serait opportune. Les partenariats entre opérateurs nationaux de services publics et collectivités territoriales, avec les relais poste, les maisons de l'emploi, les relais de services publics, doivent être encouragés.
Au demeurant, la complémentarité entre espace urbain et espace rural, qui est l'une des dominantes de notre débat, interdit que l'on prenne son parti d'une moindre qualité de l'offre numérique à la campagne et à la ville.
Le souhait d'une couverture numérique universelle exprimé à l'article 9 de la proposition de loi me semble satisfait, et au-delà, par les projets du Gouvernement, qui s'est fixé l'objectif de couvrir 70 % de la population en 2020 et la totalité cinq ans plus tard.
Rappelons que le Nouveau Centre a soutenu dans le récent débat sur la loi relative à la lutte contre la fracture numérique la pérennisation du fonds d'aménagement numérique des territoires, qu'il propose de financer par une taxe sur les abonnements de communications électroniques. Monsieur le ministre, où en est la réflexion du Gouvernement sur ce point ?
J'en viens, pour finir, aux outils du développement économique dans les territoires ruraux.
La proposition de loi initiale ne comporte aucun dispositif qui vise cet objectif, si l'on excepte la convention de commerce et d'artisanat rural prévue à son article 8 : encore a-t-on quelque difficulté à en saisir les contours.
Il est vrai que la définition des mesures propres à assurer ce développement relève pour une large part des lois de finances. C'est ainsi que la loi de finances pour 2011 a opportunément défini un nouveau régime d'exonérations fiscales dans les zones de revitalisation rurale.
Le problème principal que posent les dispositifs de soutien aux entreprises nouvelles est, on le sait bien, celui de la pérennisation de leur activité au-delà des premiers temps de forte incitation : comment aider les entrepreneurs à franchir la période critique de leur développement ? Le Nouveau Centre soutiendra toutes les mesures propres à atteindre cet objectif.
Est-ce le cas de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui ? Je ne le pense pas, pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, il me semble que l'analyse socio-économique de l'évolution du monde rural – dont certains éléments pourraient faire consensus – est mise au service d'une présentation caricaturale de l'action gouvernementale depuis 2007. Prétendre que, « depuis 2007, le pire est toujours sûr », que « la politique territoriale du Gouvernement consiste à s'interdire toute action de solidarité réelle avec les territoires ruraux, et aux "périphéries" en général » relève de la polémique et non de l'argumentation.
On peine à percevoir, par ailleurs, derrière les déclarations générales d'intention et les objectifs de charges affichés, le coût direct et indirect des mesures envisagées. En cette période de difficultés budgétaires, un tel silence ne peut être accepté.
Enfin, il y a lieu de s'interroger sur la conception de la péréquation mise en oeuvre par ce texte.
Pour toutes ces raisons, le groupe Nouveau Centre n'est pas favorable à l'adoption de cette proposition de loi.