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Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 15 mars 2011 à 15h00
Modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l'examen en deuxième lecture du projet de loi de modernisation des professions judiciaires et juridiques réglementées semble sonner la fin de la grande oeuvre qui devait réformer tout à la fois l'organisation judiciaire, les procédures civile et pénale, et les professions du droit appelées à faire fonctionner l'institution tout entière.

Les rapports se sont succédé – rapports Léger, Guinchard, Darrois, Béteille –, tous annonciateurs de réformes profondes, qu'auraient pu permettre les réflexions et auditions, débarrassées du corporatisme ambiant. En fait, au bout du compte, nous devons avouer notre déception, car nous avons assisté à une succession de textes sans cohérence : propositions de lois sans lendemain, reprises dans des projets de loi et textes de simplification du droit qui se sont additionnés, pour parvenir à une réforme inachevée.

Cette réforme laisse l'usager du droit éloigné de sa justice, et les professionnels mécontents, qui, pour la première fois dans l'histoire de l'institution judiciaire, ont été contraints à faire grève. Et je ne parle pas du coût, non maîtrisé pour le budget de l'État, de la réforme de la carte judiciaire ou de celui qui a été transféré sur le justiciable après la suppression de la profession d'avoué.

Au moment où nous sommes appelés à examiner les résultats de cette ambition réformatrice, nous constatons que la carte judiciaire est loin d'avoir résolu toutes les difficultés de fonctionnement de la justice. Ainsi, nous nous apprêtons à évoquer la multipostulation qui, dans certains tribunaux, doit permettre de faire face à la désorganisation, alors même que nous n'avons pas abordé les questions de procédure civile, au coeur desquelles figure précisément la postulation.

Ces questions de procédure étaient également présentes dans le débat sur la suppression de la profession d'avoué. Déjà, nous avions commencé par supprimer, avant de nous intéresser à la nécessaire réforme de la procédure que la dématérialisation ne pouvait qu'améliorer. S'il est une certitude, c'est que le vent libéral a bien soufflé sur ces réformes, et le texte que nous examinons ne déroge pas à la règle. Tous ont accompagné le désengagement de l'État, en transférant des services, hier gratuits, vers des professionnels aux prestations tarifées.

Cette nouvelle répartition de la matière juridique entre les professionnels du droit n'est que le pendant de la RGPP. Éloigner la justice des justiciables, c'est une autre manière d'alléger la charge des tribunaux. Cependant il fallait aussi traiter de la répartition de cette charge entre les professionnels du droit et du chiffre, prompts à mettre en avant la défense des intérêts de leurs corporations marquées par l'empreinte de l'histoire : les conclusions du rapport Darrois l'avaient pourtant bien mis en exergue.

C'est alors qu'apparaît la nécessité de répartir le marché entre tous les professionnels qu'une grande profession du droit n'a pu réunir : le texte que nous abordons en offre une nouvelle illustration. J'ai parlé, en commission, d'une « chambre de compensation », pour qualifier la répartition des avantages consentis aux uns et aux autres. En effet tous n'avaient pas eu leur part, et ce sont les experts-comptables qui, cette fois, sont invités à la table législative avec l'article 21 bis du texte.

Troisième constat : si chaque profession a souhaité conserver son autonomie pour bonifier son expertise et les coûts qui l'accompagnent, une organisation capitalistique interprofessionnelle n'effraie personne. Nous noterons au passage que les structures associatives d'exercice de la comptabilité, que sont les associations de gestion et de comptabilité et les associations d'expertise comptable, sont exclues du dispositif de l'interprofessionalité. Personne ne s'en étonne dans vos rangs. Faut-il croire, comme le suggérait le rapport Darrois, que c'est « pour offrir une gamme de services large et un meilleur suivi des dossiers » que nous est proposée la solution de l'interprofessionalité ? La holding ainsi constituée entre professionnels du droit et du chiffre a un nom : société à rentabilité illimitée.

Ces organisations dissimulent la réalisation d'actes juridiques rémunérateurs, accomplis par des professionnels au statut de salariés, intéressés aux résultats. Ceux qui pourront se payer leurs services auront un avantage sur ceux qui devront recourir à l'aide juridictionnelle. Celle-ci est en effet d'un montant si indigent que ces nouvelles structures ne répondront pas aux besoins des bénéficiaires de l'aide, ce qui, au déséquilibre du rapport de force, ajoutera l'injustice des droits de la défense. Que penser, en effet, du rapport entre un bailleur d'habitation disposant de cinquante logements sous forme de SCI, avec chacun de ses locataires en situation de précarité montante ? Que dire d'un contrat de fourniture passé entre un grand groupe – un distributeur d'énergie, par exemple – et un simple consommateur de la Vienne, qui fixerait la compétence d'attribution au tribunal de commerce de Nanterre pour le règlement de tout contentieux ?

Nous aurions apprécié que les consommateurs aient leur place dans ce texte. L'action de groupe, que vous refusez obstinément de mettre en place, permettrait aussi d'accéder à un professionnel chargé d'assurer les droits de la défense.

Ce texte, que vous auriez voulu consensuel, monsieur le rapporteur, n'a rien d'anodin : il recèle au contraire trop de vices et un fond idéologique…

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