Mes chers collègues, je vous présente aujourd'hui le rapport de la mission d'information sur le bilan et l'adaptation de la législation relative à l'accueil des gens du voyage qui a été adopté hier à l'unanimité de ses membres. Vous vous souvenez que ce rapport marque l'aboutissement du travail à bien des égards constructif et pragmatique que Charles de la Verpillière, Dominique Raimbourg et moi-même avons entrepris voici plusieurs mois déjà sur l'accueil et l'habitat des gens du voyage. Nous sommes là face à une question qui se pose de manière récurrente, notamment chaque été, à l'ensemble des élus.
L'élaboration du rapport nous a conduit à entendre, au fil de quelques vingt-cinq auditions et d'un déplacement dans l'Ain, de nombreux fonctionnaires, acteurs de la société civile, élus locaux et évidemment associations représentant les gens du voyage. J'insiste ici sur le nombre des personnes auditionnées parce que de mon point de vue, la diversité de leur profil constitue la manifestation la plus évidente de l'une de nos volontés constantes : se garder de tout a priori et appréhender les questions que peuvent poser l'accueil et l'habitat des gens du voyage dans une perspective plus vaste.
Dans cette optique, nous n'avons pas souhaité borné le champ de nos investigations à la seule évaluation de la loi du 5 juillet 2000, dite loi « Besson ». Nous avons choisi de traiter également des questions pratiques de maintien de l'ordre ainsi du problème plus général des modalités de l'insertion des gens du voyage dans la société française.
Au terme de cette longue réflexion – une réflexion de plus d'une année – quelques constats s'imposent.
S'agissant de l'application de la loi du 5 juillet 2000, le premier constat est que la réalisation des objectifs de création et d'aménagement d'aires permanentes d'accueil accuse un certain retard : même si les 96 départements métropolitains ont adopté les schémas départementaux prévus par la loi, à la fin de l'année 2009 seuls 48 % des prescriptions des schémas avaient été réalisées. Il faut dire que ces créations et aménagements représentent un investissement coûteux et qu'il existe des obstacles objectifs, chacun d'entre vous le sait. Je pense ici à la disponibilité foncière, aux contraintes naturelles qui limitent la possibilité d'implantation d'aires permanentes (telles que le relief, la nature du terrain et à la nécessité de protéger des paysages), à la durée souvent longue des procédures d'urbanisme – puisque il faut souvent réviser le plan local d'urbanisme – et, enfin, le coût réel des aires de stationnement, souvent sous-évalué dans le calcul des subventions de l'État.
Suivant un deuxième constat, les aires d'accueil ne répondent plus nécessairement aux besoins de la population des gens du voyage. Celle-ci connaît des évolutions profondes mais contradictoires entre une tendance assez largement répandue à la semi-sédentarisation et la persistance d'une tradition d'itinérance.
Ce dernier trait – cette évolution sociologique – nous amène d'ailleurs à formuler un troisième constat : celui de l'émergence de deux problématiques nouvelles que constituent celles des « grands passages » mais également de l'aménagement de terrains familiaux. En raison de leur nouveauté, ces deux problématiques ne pouvaient sans doute pas être prises en compte dans le cadre de la loi de 2000 et il convient d'y apporter des réponses appropriées.
Au terme de cette année d'audition et de réflexion, nous avons acquis la conviction que, par-delà une véritable montée en puissance des investissements des collectivités locales, les pouvoirs publics et l'État en particulier doivent redéfinir une véritable politique d'accueil des gens du voyage, une politique qui, quoi qu'il en soit, ne saurait se limiter à la multiplication des équipements et places de stationnement.
Dans ce but, la mission a retenu trois orientations déclinées en quinze propositions que je vous résume ici rapidement.
La première orientation porte sur l'achèvement les plans de création et d'aménagement des aires permanentes d'accueil et la promotion d'un habitat adapté. A cet effet, la mission préconise notamment :
– premièrement, de rendre plus aisée et systématique l'utilisation par les préfets de leur pouvoir de substitution en cas de non respect des obligations fixées par la loi et des engagements pris dans le cadre des schémas départementaux ;
– deuxièmement, de maintenir le dispositif de subventionnement par l'État des aires d'accueil prévues par les schémas départementaux ;
– troisièmement, de prendre en compte les emplacements dans les aires d'accueil au titre des obligations en matière de logement social ;
– quatrièmement, de prévoir explicitement dans la loi que les plans locaux d'urbanisme et les documents en tenant lieu doivent prendre en compte les besoins des gens du voyage ;
– enfin d'inscrire les objectifs de création des terrains familiaux dans les schémas départementaux afin de mieux répartir les obligations d'accueil et d'habitat des gens du voyage.
La deuxième orientation vise à mieux organiser les « grands passages » en responsabilisant les acteurs concernés. Ceci suppose aux yeux de la mission :
– d'abord, le transfert à l'État de la compétence pour désigner les terrains des « grands passages », maîtriser le foncier, procéder aux aménagements, prévoir et organiser l'occupation des terrains ;
– ensuite, renoncer à imposer des terrains permanents pour les « grands passages » et alléger les normes d'aménagement de ces terrains.
La troisième et dernière orientation de la mission dépasse, quant à elle, en partie le strict cadre de la loi du 5 juillet 2000 pour les raisons que j'ai exposées précédemment. Elle touche en effet à un principe essentiel autour duquel les membres de la mission ont pu se retrouver. Je veux parler de l'équilibre entre une reconnaissance des droits et le nécessaire rappel des devoirs. Sous réserve des nécessités du maintien de l'ordre qui sont essentielles, on ne saurait dénier aux gens du voyage des libertés et droits reconnus sur le territoire de la République.
Aussi, la mission propose-t-elle d'abord – et j'insiste sur ce point – le remplacement des titres de circulation par une « carte de résident itinérant », étant entendu que la possession de ce titre serait facultative et conditionnerait avant tout l'accès aux aires permanentes d'accueil. Il s'agit là de l'aboutissement de nos réflexions dont j'avais rappelé la nécessité de respecter les conclusions lors du débat que nous avons eu dans l'hémicycle à ce sujet le 26 janvier dernier. A l'occasion de l'examen de la proposition de loi déposée par notre collègue Dominique Raimbourg, j'avais en effet insisté sur la nécessité d'attendre que notre mission rende ses conclusions.
Ensuite, il est proposé la réduction de la durée de résidence dans une même commune nécessaire à l'inscription sur les listes électorales de trois années à six mois, à l'instar des règles applicables aux sans domicile fixe, car on ne voit pas pourquoi des règles différentes en la matière s'appliqueraient aux gens du voyage.
Enfin, la mission propose le renforcement dans les schémas départementaux des dispositions concernant l'accès aux droits sociaux et l'amélioration de la scolarisation des enfants, en particulier des jeunes filles – qui détiennent les clés du progrès comme en bien d'autres domaines.
Mais l'on ne saurait davantage admettre qu'en raison des particularités de leur mode de vie, certains de nos concitoyens s'exonèrent du respect des obligations et des principes qui permettent la vie en société. Je le répète : les gens du voyage ont certes des droits mais également des devoirs. Dans cet esprit, la mission entend :
– d'abord, rendre possible l'évacuation forcée des terrains occupés illégalement à la demande des maires qui ont respecté leurs obligations en matière d'aménagement d'aires permanentes d'accueil ; nous constatons tous en effet que les élus locaux sont trop souvent désarmés face à ces problèmes ;
– ensuite réglementer les « grands passages » en exigeant que les groupes de gens du voyage qui y participent déclarent à l'avance leur passage et désignent un responsable pour la sécurité. Là encore, nous manquons souvent de moyens pour faire face aux problèmes posés par les « grands passages ». Ceci est d'autant plus vrai que dans les groupes concernés, il n'y a souvent plus de patriarche qui puisse comme autrefois exercer une autorité.
Pour ceux qui ne respectent pas la loi, il faut faire preuve d'une grande fermeté ; comme l'indique le titre que la mission a choisi pour son rapport, le respect des droits et des devoirs est la condition nécessaire pour rétablir un climat de confiance dont nous manquons aujourd'hui sur le sujet.
Mes chers collègues, je crois que ces mesures sont véritablement des mesures de bon sens, des mesures qui, non seulement, contribueront à une meilleure application de la loi mais permettront également de poursuivre, sans angélisme ou diabolisation mais avec un sens aigu des réalités, la longue tradition de tolérance dont notre pays s'honore vis-à-vis des gens du voyage.
C'est pourquoi avec Charles de la Verpillière et Dominique Raimbourg, je vous demande d'autoriser la publication du rapport que je viens de vous présenter.
Je vous en remercie par avance.