M. Le Bouillonnec, il est exact que ce rapport ne porte pas sur les baux commerciaux ou l'aménagement des coeurs de ville. Au départ, la mission traitait du problème des baux dérogatoires car ceux-ci étaient vus comme la source des maux des centres-villes. Par exemple, un commerçant qui ne dispose de son local que pour une durée limitée ne fera pas les efforts d'aménagement et de décoration nécessaires ; le phénomène s'amplifie lorsque ce local est l'objet d'une succession de baux dérogatoires Il est vrai aussi que les rares qui jouent le jeu, en s'investissant réellement dans leur commerce, n'obtiennent pas toujours la prolongation espérée une fois le bail arrivé à échéance, ce qui n'incite pas les autres à suivre leur exemple… Enfin, une vacance intervient souvent entre deux baux précaires, car certains propriétaires préfèrent voir ceux-ci se succéder et fixer des loyers très élevés, quitte à subir des temps de vacance, plutôt que d'accorder des baux classiques. Le résultat final s'en déduit aisément : nos coeurs de ville ne sont pas aussi attractifs qu'on le souhaiterait.
Toutefois, j'ai pu constater que les baux dérogatoires ne sont pas la cause principale de la vacance des locaux commerciaux, c'est pourquoi j'ai élargi le champ de ma mission et présenté un certain nombre de propositions qui, à mon sens, peuvent contribuer à améliorer la situation et donner des outils aux maires pour faire face aux situations auxquelles ils sont confrontés.
Vous avez évoqué le cas de communes qui utilisent les baux précaires. J'ajouterai qu'elles utilisent également les baux saisonniers ; c'est le cas par exemple d'Evian, dont le maire, Marc Francina, m'a indiqué qu'ils constituent un outil complémentaire très utile lorsqu'il s'agit de faire vivre certains quartiers de la ville durant la saison touristique. Il faut toutefois faire attention à ce que le régime des baux saisonniers soit bien encadré juridiquement, car les règles qui les concernent sont essentiellement de nature jurisprudentielle ; sans doute devrions-nous codifier certaines d'entre elles pour lutter contre les abus constatés. Pour ce qui est enfin des conventions d'occupation précaire, elles constituent un instrument particulièrement adapté à la situation de locaux appelés à disparaître et dans lesquels on voudrait toutefois attirer des commerçants. Là encore, c'est une création de la pratique, qui mériterait d'être mieux encadrée.
Vous avez également raison lorsque vous considérez que le vrai problème est le montant trop élevé des loyers. Les commerçants indépendants sont chassés du coeur de ville et remplacés par des banques, des assurances ou des franchises. Certains propriétaires recherchent même une telle substitution en fixant un loyer très élevé, dans l'espoir de trouver une entreprise dont la surface financière sera suffisamment importante pour accepter de l'acquitter. Je dois reconnaître qu'il est très difficile de lutter contre un tel phénomène.
Il me semble cependant que l'un des moyens d'y parvenir est d'imposer le nouvel indice. De trop nombreux commerçants sont chassés hors des centres-villes sous la pression d'une augmentation de leur loyer bien supérieure à l'évolution de la situation commerciale. Il ne faut pas laisser certains indépendants prisonniers de l'ancien indice. Ce rapport n'a pas abordé la question de la réforme des baux commerciaux, qui est un chantier immense. Toutefois, si l'on devait s'y atteler, on devrait se pencher de très près sur la question de la révision des loyers. Nous avons tous été confrontés à des commerçants qui font face à des augmentations déraisonnables ; certains osent saisir les tribunaux, mais ça n'est pas le cas de tous. La révision des loyers à expiration du bail est source de nombreux conflits : le propriétaire ne peut pas exclure l'occupant, sous peine de devoir lui verser l'indemnité d'éviction, mais il peut en revanche augmenter les loyers de façon à rendre la situation intenable.
Vous trouverez dans le rapport que je vous présente les chiffres en matière d'exercice du droit de préemption par les collectivités territoriales. On compte quatre cents périmètres de préemption sur le territoire national, mais seulement trente préemptions réalisées. Sur les communes de Paris et de la petite couronne, on dénombre seulement sept cas de préemption sur un total de quarante-neuf périmètres créés. Je soulignerai toutefois que l'on ne peut pas s'en tenir au seul nombre des préemptions réalisées pour mesure l'efficacité du dispositif. La seule menace de l'usage de la préemption peut suffire à régler certains cas, comme j'ai pu en faire l'expérience sur le territoire de ma commune. Ainsi, sans qu'aucune préemption ne soit comptabilisée, on peut parvenir à un résultat concret. Ceci étant dit, il faut également se pencher sur la manière d'améliorer le dispositif. Ce n'était pas l'objet de mon rapport, qui abordait le problème de l'usage du droit de préemption uniquement à travers le cas de la location-gérance, car je ne voulais pas que l'usage du droit de préemption se traduise par des locaux vacants. Je pense que nous aurons l'occasion de retravailler ce point lors du nouvel examen de la proposition de loi sur l'urbanisme commercial.
M. Suguenot, pour résoudre les problèmes créés par l'utilisation des indices, il faut généraliser l'indice ILC. S'agissant du FISAC, le principal problème est que l'aide accordée est d'ordre ponctuel. Le FISAC peut certes aider à l'embauche d'un animateur de centre-ville, mais la question se pose ensuite des moyens financiers à mobiliser pour pérenniser le poste. Sans parler du fait que cette fonction d'animateur requiert des qualités très particulières et qu'il n'est pas simple de trouver la personne idoine.
Le retour du petit commerce dans les centres-villes existe bel et bien car cela correspond à une demande de la population. Ce n'est pas parce qu'il existe des grandes surfaces en périphérie que le commerce est nécessairement condamné au coeur des villes, les deux situations sont complémentaires. On assiste d'ailleurs à une prise de conscience de cette tendance par les distributeurs qui mettent désormais en place beaucoup de petites surfaces en centre-ville à l'image des épiceries d'antan. Paradoxalement, le e-commerce peut aussi profiter aux commerces du centre-ville, car il faut bien aller retirer les colis commandés sur Internet. Il existe, de ce point de vue là, un mouvement de fond qu'il faut accompagner en se gardant des idées trop simples car la réalité est beaucoup plus complexe.
M. Dionis du Séjour, vous évoquez la proposition n° 6 portant sur le droit de préemption. Je suis d'accord avec vous lorsque vous estimez qu'il faut revoir la question plus globalement, même si mon approche s'est volontairement limitée à la question de la location-gérance.
La proposition n° 8 est sans doute la plus importante du rapport, car elle vise à octroyer davantage de pouvoir aux maires. Les manageurs de centre-ville sont une solution que nous devons renforcer notamment au travers du FISAC. La question du stationnement des véhicules est également centrale, mais elle s'inscrit dans la problématique plus globale de l'aménagement des centres-villes.
M. Piron, je ne peux qu'adhérer au constat selon lequel certains centres-villes sont dégradés. C'est notamment le cas de communes situées en périphérie de communes plus importantes. Il convient pour autant de ne pas négliger la tendance évoquée précédemment d'un retour des commerces traditionnels en centre-ville.
Je répondrai à Michel Piron et à Annick Le Loch en disant qu'on constate aujourd'hui un effort en faveur du retour des commerces vers les centres villes, comme d'ailleurs de la population. Michel Piron avait posé la question plus générale de l'évolution de l'urbanisme commercial : c'est un sujet qu'il connaît parfaitement bien, sur lequel il a fait déjà de nombreuses propositions et sa qualité de rapporteur lui permettra d'être à nouveau très présent dans les débats sur la proposition de loi urbanisme commercial lorsque ce texte reviendra devant notre assemblée. Je pense en outre qu'il est souhaitable d'étendre et de généraliser l'ILC, et il me semble qu'il s'agit d'un point de consensus entre nous ce matin.
Jean Gaubert a évoqué la question de l'attractivité des centres villes et du nouvel indice créé par la LME : je signale à cet égard que la LME contient plusieurs mesures visant à soutenir le petit commerce, notamment cet ILC dont je souhaite généraliser l'usage.
Frédérique Massat a fait deux remarques tout à fait intéressantes. La première concernait les surfaces commerciales trop petites, problème auquel j'ai été confronté sur le terrain : certains commerces n'arrivent pas à s'implanter en centre ville car il n'y a pas de surfaces commerciales suffisamment grandes et sont obligés de s'établir en périphérie. Je n'ai pas mentionné ce sujet dans mon rapport, mais il s'agit d'un vrai problème. La seconde remarque portait sur la taxe sur les friches commerciales : j'avais envisagé à l'origine la possibilité d'une extension de cette taxe, mais les échanges que j'ai eus dans le cadre de ma mission m'en ont dissuadé. Première raison, des fiscalistes mettent en avant un risque d'incompatibilité entre cette taxe et le droit de propriété ainsi que la liberté de commerce et d'industrie ; une taxe visant à conforter le droit au logement et engager les propriétaires à louer ne pose pas de problèmes de constitutionnalité car l'objectif social est évident, en revanche s'agissant d'une activité commerciale, la justification d'une telle taxe au regard des normes constitutionnelles serait plus douteuse. Une seconde raison me paraît plus convaincante : il faut éviter de forcer les propriétaires à louer leur commerce à n'importe qui. Nous pourrons rediscuter de cette question si vous le souhaitez.
Jean-Charles Taugourdeau a posé la question des commerces de centre ville dans les bourgs de trois à cinq mille habitants. Il est vrai que de telles implantations participent de la dynamique du commerce de proximité et qu'il faut aussi penser aux villes moyennes lorsque nous traitons ces sujets. Il me semble que le droit de préemption de ces communes moyennes doit aussi être renforcé.
François Brottes a évoqué le droit de propriété : parfois les propriétaires se désintéressent de leur commerce parce que la propriété commerciale est à ce point forte qu'ils ont peu de prise sur leur commerce. Il faut à cet égard trouver un bon équilibre entre l'intérêt du propriétaire à la vie du local et la protection du locataire commerçant. François Brottes a fait la comparaison avec l'agriculture ; je me suis aussi inspiré de cet exemple pour proposer l'institution d'un droit de priorité en faveur du locataire. Actuellement en effet, si un propriétaire vend les murs, le commerçant qui occupe ces murs n'a aucun droit de priorité à l'achat, alors que cette priorité existe en matière agricole. Je n'ai pas mentionné précédemment cette proposition car elle n'est pas fondamentale, mais c'est l'addition de petites mesures de ce type qui est à même d'améliorer la situation. L'idéal reste de faire se rejoindre la propriété commerciale et la propriété des murs.
Philippe Armand-Martin a proposé de simplifier les démarches des futurs commerçants et de créer à cette fin des maisons du commerce. Je crois qu'avec les chambres de commerce qui agissent d'ores et déjà en ce sens, il faut renforcer les outils pour accompagner et aider les commerçants qui se lancent.
Annick Le Loch a posé la question des zones de chalandises et de l'urbanisme commercial. Ces sujets, qui excèdent un peu le cadre de mon rapport, sont importants et pourront être abordés dans le cadre de l'examen de la proposition de loi relative à l'urbanisme commercial. En tout cas, il me paraît clair qu'il faut renforcer les pouvoirs du maire en matière d'urbanisme commercial.
Je suis d'accord avec Jean-Louis Gagnaire sur la nécessité de renforcer le rôle du FISAC. Je crois qu'il faut aussi trouver des moyens pour lutter contre l'éclatement de la propriété : vous êtes plusieurs collègues à avoir souligné ce problème, et je retiens ce point. J'ai déjà abordé la question de la taxe sur les friches commerciales. Dernier sujet, celui des règlements de copropriété : il existe effectivement parfois des difficultés à développer des commerces du fait d'un « verrouillage » par les règlements de copropriété. Ce point devra être analysé plus en profondeur si nous sommes saisis d'une réforme des règles concernant les copropriétés.
Je vous remercie pour l'ensemble de vos remarques, très intéressantes, et qui ont permis d'enrichir le rapport.