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Intervention de Daniel Fasquelle

Réunion du 2 mars 2011 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Fasquelle, rapporteur :

M. Serge Poignant, président de la commission m'ayant demandé de présider cette séance, je jouerai donc le double rôle de Président de séance et de rapporteur puisque l'ordre du jour de notre commission appelle la présentation du rapport d'information qui m'a été confié sur la vacances des locaux commerciaux et les moyens d'y remédier.

L'attractivité des centres-villes est une priorité pour nombre de communes, ce qui pose avec d'autant plus d'acuité la question de la vacance des locaux commerciaux, tant elle peut causer de préjudices pour une rue, un quartier, une agglomération dans son ensemble et donc pour les consommateurs.

Les élus que nous sommes sont régulièrement confrontés à cette nouvelle forme de mitage urbain qui s'est aggravée avec la crise économique. Aucune région, aucune ville n'est à l'abri de cette évolution, qui se traduit trop souvent par des vitrines à l'abandon du plus mauvais effet, y compris dans certaines artères principales, les communes touristiques étant les plus concernées.

L'une des causes le plus souvent avancées pour expliquer ces friches commerciales est celle du développement des baux souvent et improprement dits « précaires » - en droit, des baux dérogatoires - dont la durée, limitée au plus à 2 ans, contribuerait à l'instabilité des fonds de commerce et, par conséquent, à la multiplication des locaux vacants.

En fait, j'ai pu constater au cours des différentes auditions, que les professionnels n'adhèrent que partiellement à cette analyse : ils avancent d'autres causes, principalement de nature économique. Les baux dérogatoires n'interviennent en réalité qu'à la marge dans la problématique de la vacance des locaux commerciaux, même s'il apparaît nécessaire d'en renforcer la sécurité juridique.

Ces considérations liminaires vous permettront de comprendre pourquoi le titre de la mission a été modifié, et au titre originel, « les baux précaires » a été substitué celui de « la vacance des locaux commerciaux et les moyens d'y remédier » qui correspond mieux à la problématique soulevée.

Comme tout phénomène social, la vacance des locaux commerciaux peut être expliquée par une pluralité de causes de nature diverses : on peut identifier des facteurs juridiques et des facteurs économiques.

En ce qui concerne les causes juridiques, les baux dérogatoires, sont souvent pointés du doigt.

Il convient de rappeler que de nombreux commerçants ne sont pas propriétaires du local dans lequel ils exploitent le fonds de commerce. Ils occupent les lieux en qualité de locataire dans le cadre d'un contrat de bail commercial, qui vise à assurer au profit du commerçant locataire la pérennité d'exploitation du fonds. Ce statut procure une stabilité propice aux investissements et au développement de l'activité.

A côté de baux commerciaux de droit commun, il existe des baux dérogatoires, crées par la loi du 12 mai 1965. Ceux-ci se distinguent des conventions d'occupation précaire de locaux commerciaux et des baux saisonniers. La convention d'occupation précaire qui est une pure création de la pratique, le bail saisonnier auquel le code de commerce ne fait qu'une brève allusion et le bail commercial sont parfois confondus dans la pratique. Il serait souhaitable que des précisions soient apportées à l'avenir afin de mieux distinguer les différents régimes, c'est le sens des propositions n°s 1 et 2 qui visent à donner à la convention d'occupation précaire une véritable définition à côté des baux saisonniers et dérogatoires.

Les baux dérogatoires sont conclus pour une durée au plus égale à deux ans dans le code de commerce, avec une procédure de transformation automatique en bail commercial de droit commun à l'issue de cette période. La volonté des parties de déroger au statut des baux commerciaux doit apparaître clairement dans le contrat, et se manifester au plus tard lors de l'entrée dans les lieux. Les parties ont la faculté de conclure un bail pour une durée librement débattue dès lors qu'elle n'excède pas deux ans : le bail peut donc avoir une durée de quelques mois seulement, voire même d'un mois. La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 a apporté quelque assouplissement à ces dispositions en prévoyant la succession possible de plusieurs baux dérogatoires, à l'intérieur du cadre des deux ans.

Le bail dérogatoire est donc une sorte de « bail à l'essai » permettant aux deux parties un engagement limité pour prendre la température du marché avant de s'engager dans une relation de longue durée. En ce sens, ils sont très utiles et doivent être conservés. Ils peuvent cependant parfois donner lieu à des situations dommageables, surtout quand, contrairement à l'esprit de la loi, les baux dérogatoires sont conclus à répétition. A noter également que la fin des baux dérogatoires peut parfois poser problème et donner lieu à contentieux ainsi que l'ont notamment indiqué les notaires auditionnés.

Les loyers trop élevés sont également une cause déterminante de la vacance des locaux commerciaux. L'instauration de l'indice des loyers commerciaux (ILC) par la loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 a permis de limiter la progression des loyers. Jusqu'à cette date, ils étaient indexés sur l'indice du coût de la construction (ICC) publié par l'INSEE, moins adapté à l'activité commerciale, plus erratique et inflationniste. Ainsi entre 2002 et 2006, l'indice a augmenté de 32 % alors que le chiffre d'affaire des commerces ne progressait que de 18 %. La loi a laissé la possibilité de choisir entre les deux indices, on constate dans la pratique que la moitié des contrats de bail conclus depuis lors ont recours au nouvel indice. Dans un but d'uniformisation mais aussi de protection des locataires, je vous propose dans le cadre de ce rapport de ne conserver que l'ILC et de modifier le code de commerce en ce sens.

Ce constat dressé, quelques pistes peuvent être présentées pour lutter plus efficacement contre les locaux commerciaux vacants.

Il n'est pas question, vous l'aurez compris, de supprimer les baux dérogatoires, un régime dont la souplesse est adaptée à la vie des affaires. De plus en plus de jeunes commerçants sont à la recherche de locaux ; les baux dérogatoires peuvent être une solution appropriée pour tester la viabilité de leur projet, avec des loyers souvent plus attractifs que ceux fixés dans le cadre des baux commerciaux classiques. Pour les bailleurs qui ne parviennent que difficilement à trouver un locataire, les baux dérogatoires peuvent être également une solution pertinente. Les baux dérogatoires sont donc un facteur de développement de l'activité économique ; la souplesse de cette formule est adaptée au commerce, comme le montre l'existence des boutiques éphémères liées à un événement particulier (par exemple durant la période de Noël). Loin de nuire à l'activité économique, les baux dérogatoires peuvent répondre à des besoins particuliers ou faciliter une période de transition. Paradoxalement, les baux dérogatoires, s'ils sont bien utilisés, peuvent donc contribuer à la diminution du nombre des locaux vacants

Tout au plus faudrait-il préciser leur régime pour éviter certains abus. Le législateur a entendu limiter la durée totale des baux dérogatoires à deux ans ; or on constate que, sur le modèle regrettable de la succession de plusieurs contrats de travail à durée déterminée pour pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, des propriétaires peuvent parfois avoir la tentation d'échapper à la propriété commerciale conférée par le bail commercial en faisant se succéder plusieurs baux dérogatoires sur une période supérieure aux deux ans prévus.

Il est certes admis par la jurisprudence que les parties peuvent renoncer au bénéfice du statut des baux commerciaux dès lors que le droit est acquis et que la volonté d'y renoncer est dépourvue d'équivoque. Cette position a été critiquée par la doctrine car elle apparaît contraire à la volonté du législateur de limiter strictement le recours au bail dérogatoire à une durée maximale de deux ans. C'est pourquoi je propose une nouvelle rédaction de l'article L. 145-5 du code de commerce de façon à réaffirmer la volonté du législateur de limiter la durée totale des baux dérogatoires à deux ans.

Il conviendrait en outre d'adapter le régime des baux dérogatoires afin de sécuriser la transformation du bail dérogatoire en bail statutaire. En effet, le passage du bail dérogatoire en bail commercial repose sur le fait qu'à l'expiration de la durée du bail, le preneur reste et est laissé en possession du local ; étant donné l'importance des conséquences attachées à la conclusion d'un bail commercial de droit commun, il serait préférable de faire résulter cette transformation d'un acte de volonté des parties, afin d'apporter une sécurité juridique qui fait défaut : la nouvelle rédaction que je vous propose de l'article 145-5 (proposition n° 4) répond également à cette préoccupation.

Je vous proposerai en outre de soumettre les baux dérogatoires à la formalité d'enregistrement auprès de l'administration fiscale, afin de donner date certaine au bail et éviter les litiges sur la transformation et de disposer d'une plus grande connaissance des baux dérogatoires pour lesquels nous ne disposons à l'heure actuelle très peu d'éléments.

La possibilité ouverte aux communes depuis la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises d'exercer un droit de préemption sur les fonds de commerce ou les baux commerciaux, pour les rétrocéder ensuite à une entreprise immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au registre des métiers, peut être une arme de dissuasion au service des maires. Toutefois, elle est inopérante tant qu'une cession n'a pas été envisagée ; en outre il s'agit d'une opération lourde, potentiellement source de conflits, qui suppose que la municipalité puisse trouver un repreneur dans un délai d'un an et qu'elle dispose de moyens financiers importants. Le faible nombre des préemptions réalisées témoigne de ces difficultés. En revanche, afin de conforter l'existence d'un commerce de centre ville, il pourrait être envisagé que le locataire commercial bénéficie d'un droit de priorité d'achat du local, en cas de vente par le propriétaire, comme cela est le cas pour le fermier ou le locataire d'une habitation (proposition n° 6).

Toujours en cas de préemption, le gouvernement n'avait pas donné suite à un amendement ouvrant la possibilité de mise en oeuvre par la commune de la location-gérance d'un commerce afin d'éviter sa dépréciation dans l'attente d'un nouveau repreneur : je réitère toutefois mon attachement à cette disposition que j'espère voir adopter un jour car il serait paradoxal que l'exercice du droit de préemption débouche sur la vacance du local en l'absence de repreneur (proposition n° 7).

Il faudrait enfin donner plus d'outils au maire. Des manageurs de centre ville, nés au Canada, en Grande-Bretagne et en Belgique, commencent à s'implanter dans certaines villes françaises qui ont créé à cet effet un poste au sein du personnel municipal. Ils ont vocation à jouer le rôle d'intermédiaire entre la municipalité et les commerçants, ces manageurs constituent une réponse intéressante pour redynamiser les coeurs de ville qui devrait être encouragé. La proposition du Credoc dans un récent rapport, de prévoir plusieurs conventions avec le fonds d'intervention pour les services, le commerce et l'artisanat (FISAC) afin de pérenniser le financement de la fonction paraît devoir être retenue

Le problème de la déshérence des locaux commerciaux passe également par une police de l'environnement réaffirmée. Récemment, le respect des objectifs de développement durable a été affirmé par le Grenelle II qui impose que cet objectif figure dans l'ensemble des documents d'urbanisme. Cette nouvelle législation offre un cadre favorable à la mise en oeuvre de nouveaux instruments.

Le code général des collectivités territoriales dispose d'ores et déjà que le maire peut, au titre de la lutte contre les « pollutions de toute nature », faire usage de ses pouvoirs de police générale pour faire cesser les atteintes visuelles portées à l'environnement. Le code de l'environnement protège explicitement l'esthétique en accordant au maire, ou, à défaut, au préfet, un pouvoir de police spéciale afin de réglementer l'implantation des enseignes publicitaires sur le territoire de la commune. Il existe en outre, dans la jurisprudence administrative relative à la délivrance d'autorisations privatives du domaine public, un courant favorable à la prise en compte de la bonne apparence de la voie publique. Par exemple, le code de l'environnement règlemente déjà les nuisances visuelles dues aux lignes à hautes tension.

Il pourrait ainsi être créé un nouvel article de ce code relatif aux nuisances visuelles occasionnées par les commerces mal entretenus situés dans des zones à définir par les communes. Il serait imposé au propriétaire de commerces de veiller à ce que ceux-ci, vacants ou non, présentent toujours une bonne apparence et contribuent à l'amélioration de l'aspect et de la bonne tenue des voies fréquentées dans le respect de l'image de la ville (proposition n° 8). On a en effet constaté que certains propriétaires n'entretiennent pas leurs locaux qui présentent de ce fait un aspect très dégradé, vitrines non nettoyées et affichage très peu soigné des coordonnées de contact. J'ai moi-même été confronté à ce type de désagrément en plein coeur de la principale rue commerçante de ma commune. Les maires sont aujourd'hui relativement dépourvus de moyens pour intervenir dans pareils cas. Il est donc souhaitable de faire évoluer le code de l'environnement pour donner de réels pouvoirs aux maires, cette évolution est d'ailleurs cohérente avec la volonté de notre commission de leur redonner le pouvoir en matière d'urbanisme commercial comme le prévoit la proposition de loi de Patrick Ollier. Ces propositions visent à préserver les commerces de centre-ville auxquels nous sommes tous je pense très attachés.

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