Oui, mais c'est la gauche qui a déposé des amendements émanant des préconisations de ce rapport, monsieur Préel !
Si ce rapport refait surface, c'est bien évidemment parce que le contexte l'a imposé comme un élément du débat. Ce contexte a un nom qui résonne comme le titre d'un film d'épouvante : Mediator. Ce scandale sanitaire fait pourtant suite à bien d'autres : Distilbène, Isoméride, Pondéral, Vioxx, Acomplia, Di-Antalvic ou Propofan.
Plusieurs pays européens, dont la Grande-Bretagne, la Suède et la Suisse, ont retiré, depuis plusieurs années, ces deux derniers produits. Il est surprenant d'avancer le fameux « casse-tête » posé par le remplacement de ces deux médicaments auprès des patients. Ce « casse-tête » est beaucoup moins présent chez les médecins étrangers, qui ont été plus prompts à s'adapter. Je ne peux imaginer une seule seconde que le retrait du Di-Antalvic ait été repoussé parce que le marché français représentait 95 % des ventes européennes et que ce médicament était un produit du premier laboratoire Français !
J'ai bien entendu le message de votre ministre de tutelle, madame la secrétaire d'État : vous ne saviez rien et vous exigez maintenant des actions rapides, profondes et efficaces. M. Bertrand a – c'est en tout cas le sens de son intervention lors de la remise du rapport de l'IGAS le 15 janvier dernier – pris conscience « des défaillances graves dans le fonctionnement de notre système du médicament ». Il est convaincu « que c'est la transparence qui crée les conditions de la confiance », que celle-ci doit être « une exigence partagée par l'ensemble des acteurs » et qu'il faudra « rebâtir » un système qui « n'a pas apporté suffisamment de garanties ».
Je prends donc acte de votre volonté. Pour autant, nous serons vigilants, du côté gauche de cet hémicycle, et veillerons à ce qu'il soit fait toute la distinction nécessaire entre volonté politique et affichage politique, afin d'éviter que ne se reproduisent des maladresses du type de celle que vous avez commise en jetant en pâture la liste des 77 médicaments « sous surveillance », sans aucune pédagogie, ce qui a encore renforcé l'inquiétude des Français.
Nous serons également très attentifs à ce que la transparence que vous prônez soit effectivement la règle car les zones d'ombre sont nombreuses, et ce dans de multiples domaines.
Que dire, par exemple, du Tamiflu, antiviral mis en avant par la Direction générale de la santé en décembre 2009, durant la pandémie de grippe H1N1 ? Lors d'une réévaluation effectuée par la Haute autorité de santé deux mois auparavant, son efficacité était loin d'être attestée puisque la balance bénéfice-risque était très limitée en faveur du bénéfice. Que dire encore de la mise en examen le 1er février 2008 des laboratoires Sanofi et GlaxoSmithKline – GSK – pour « tromperie aggravée » sur la balance bénéfice-risque du vaccin contre l'hépatite B ? Pendant que l'on répète à l'envi aux patients qu'il n'y a aucun lien entre le vaccin et les effets secondaires de type sclérose en plaques, le Gouvernement et la majorité adoptent des amendements prévoyant, notamment, l'indemnisation des pompiers touchés par ces mêmes effets secondaires suite à cette vaccination. C'est quand même ahurissant !
Dernier exemple en date, qui nous pousse à nous interroger. Présenté par Sanofi comme un « blockbuster » – produit qui génère plus d'un milliard de dollars par an pour l'industrie concernée –, le Multaq devait rattraper l'échec du médicament anti-obésité Acomplia en 2008. Malgré les avis peu probants des autorités à la fois françaises et américaines, tant sur le plan de l'amélioration du service médical rendu que des effets secondaires au niveau hépatique, le laboratoire va quand même obtenir un remboursement à 65 % et un prix huit fois supérieur au produit équivalent tombé dans le domaine du générique. Vous comprendrez, madame la secrétaire d'État, l'urgence d'agir !
Que dire, enfin, de la transparence sur les conflits d'intérêts ? Alors que votre ministre de tutelle exige une déclaration sur les éventuels conflits d'intérêts « avant, pendant, après » des membres de son cabinet, vous-même, madame la secrétaire d'État, refusez, depuis trois mois, de préciser les missions et rémunérations provenant de divers laboratoires pharmaceutiques, alors que vous avez été attachée, pendant dix ans, au service d'immunologie de l'hôpital Édouard Herriot de Lyon.
Quand bien même vous avanceriez à nouveau comme argument votre déclaration au bulletin officiel, nous sommes très loin, madame la secrétaire d'État, du « Sunshine Act » voulu par M. Bertrand.
Comme pour rattraper le temps perdu, le Gouvernement lance un nombre incroyable d'actions autour du système de pharmacovigilance : un rapport de l'IGAS sur le Mediator – qui rendra un deuxième avis sur ce médicament – ; une mission au Sénat et une à l'Assemblée Nationale sur le même sujet, une mission à l'Assemblée Nationale sur les agences sanitaires, une mission confiée à MM. Debré et Even, dont les contours restent flous – je n'ai toujours pas vu la lettre de mission – et, pour terminer, des « Assises du Médicament ». Clemenceau avait pour habitude de dire : « Pour enterrer un problème, nommez une commission ». Avec six, cela devient particulièrement inquiétant !
Cette transparence tant vantée passe aussi par la démocratie sanitaire. Or, lors de la mise en place des « Assises du médicament », il n'a pas été mis en place les conditions d'une participation pleine et entière des associations ne disposant pas de moyens financiers suffisants pour assumer seules les frais de transport et d'hébergement.
Madame la secrétaire d'État, les thèmes à explorer durant nos échanges sont nombreux : conflits d'intérêts – je viens rapidement de les évoquer –, formation initiale et formation continue des médecins, suivi des prescriptions, éducation thérapeutique, tests comparatifs, dont mes collègues de l'opposition parleront, …
Il faudra donc parler du financement des agences dites « indépendantes ».
Il faudra également évoquer les « pantouflages » – qui doivent normalement passer devant une commission de déontologie –, qui voient, ici, un ancien directeur général de l'INPES devenir Directeur général des Entreprises du médicament ; là, une ancienne secrétaire d'État passer des laboratoires Fournier au LEEM, le syndicat des entreprises du médicament qui représente près de 300 industries de ce secteur en France ; là encore, une ancienne ministre devenir la présidente de la Fondation GlaxoSmithKlin ; là enfin, un président de la Commission de la publicité et de la diffusion des recommandations sur le bon usage du médicament de l'AFSSAPS se retrouver au conseil scientifique du décidément très bien fourni LEEM, pour lequel il va créer le CENGEPS, qui a pour objectif de favoriser les tests cliniques en France pour ces mêmes firmes pharmaceutiques... On n'est jamais aussi bien servi que par soi-même.
Tous ces exemples – non exhaustifs – nous montrent la perméabilité, la fongibilité entre le secteur public et le secteur privé dans notre pays, loin de la vision de la représentation nationale. Triste spécificité de notre pays !
Pour conclure, je souhaite adresser quelques messages à mes collègues avant le début de nos échanges.
Mes chers collègues de la majorité, je vous demande de bien vouloir vous rappeler le cheminement qui vous a amenés, en commission des affaires sociales, à soutenir les conclusions de ce rapport. Nous ne sommes là ni pour diaboliser les firmes pharmaceutiques, ni pour fustiger tel ou tel acteur de la chaîne, mais simplement pour remplir notre devoir, qui est de garantir la sécurité de nos concitoyens et leur redonner confiance en la veille sanitaire du médicament, confiance qui est aujourd'hui bien mise à mal.
Je nous invite, avec gravité, à réaffirmer clairement, au cours de ce débat, la hiérarchie des normes qui doit toujours guider nos prises de position : d'abord, la santé de nos concitoyens ; ensuite, la santé des comptes publics ; enfin, celle des firmes pharmaceutiques.
Ne faisons pas de ce moment un rendez-vous manqué ! D'avance merci ! (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
Le 09/04/2011 à 12:11, Justine (juriste) a dit :
La remarque de Mme Lemorton sur le manque de moyens des associations est importante. Les « Assises du médicament » sont censées faire émerger des propositions concrètes pour refondre le système du médicament et améliorer la sécurité des patients et usagers. Or ces derniers, défendus par des associations fonctionnant grâce à la bonne volonté de bénévoles, ne peuvent contrebalancer le poids des professionnels du médicament, qui disposent de moyens considérables pour orienter les décisions politiques.
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